Chapitre 24 – Entrer dans le tunnel
Nous nous rassemblâmes autour de l’ouverture du tunnel et expliquâmes la proposition du moine Hua à Chen Pi :
― Allons-y, accepta-t-il, mais réfléchissons-y bien avant de nous engager.
L’angle de descente était très raide et lorsque Grande-Gueule jeta une fusée éclairante dans l’ouverture, elle disparut rapidement. Cela semblait confirmer la théorie de Hua selon laquelle le tunnel conduisait entre deux montagnes et était construit en forme de V, descendant abruptement puis remontant de la même manière.
Grande-Gueule voulait être le premier à descendre dans le tunnel pour récupérer sa dignité après avoir été enlevé par le monstre :
― Ne vous inquiétez pas, nous dit-il, j’ai mon couteau sorti et prêt, donc si cette salope revient vers moi, je m’en débarrasserai en quelques secondes.
Nous attachâmes une corde autour de la taille épaisse du Gros et la laissâmes tomber dans les profondeurs en dessous. Grande-Gueule cracha sur ses mains et glissa hors de vue. Bientôt nous l’entendîmes crier :
― C’est bon, venez !
Nous descendîmes un par un, Gros-lard attachant la corde à un rocher proche et nous rejoignant rapidement. La seule trace du monstre que nous remarquâmes était une flaque de liquide sombre, plus semblable à de l’eau qu’à du sang.
― Gardez les yeux ouverts. Cette chose pourrait être n’importe où, avertit le moine. Nous poursuivîmes notre descente dans un passage qui devenait de plus en plus étroit. L’obscurité était presque totale, engloutissant les rayons de nos lampes sans rien révéler. Soudain, l’espace devant nous se termina, laissant suffisamment de place pour qu’un homme puisse y entrer de côté.
― Qu’est-il arrivé à la sortie d’évacuation secrète des ouvriers ? Étaient-ils tous suffisamment petits pour passer cette crevasse sans problème ? Et comment vais-je passer à travers cette fissure étroite sans arracher toute ma peau ? grogna Fats.
― C’est une grotte volcanique, expliqua Hua, et elles commencent toujours par un tunnel souterrain qui mène à un passage plus grand. Cette crevasse va s’élargir à mesure que nous avançons, ne vous inquiétez pas.
Nous nous faufilâmes tous à travers la fissure, en rentrant le ventre et en nous déplaçant sur le côté comme des crabes. Le Gros n’arrêtait pas de jurer avec éloquence. La densité de l’obscurité ambiante rendait nos lampes torches inutiles, et ma peur ancestrale du noir s’ installa de nouveau dans mes pensées. Nous avancions lentement, posant nos pieds aussi soigneusement que des danseurs, et en moins d’un quart d’heure, tous les muscles de notre corps criaient de douleur. Mais au fur et à mesure de notre progression, la fissure s’élargissait comme nous l’avait promis le moine, nous permettant de retrouver notre marche normale. Après plusieurs heures, nous atteignîmes un couloir large et spacieux.
Alors que nous nous reposions, je calculais la distance parcourue et la pente de notre route. Je me rendis compte que nous étions maintenant en dessous de la limite de neige, ce qui suggérait que nous avions peut-être atteint le fond de la vallée entre les deux pics. En marchant à la surface de ces pics, cela nous aurait pris au moins huit heures, même en suivant une trajectoire directe. Heureusement, en empruntant le tunnel, nous avons économisé beaucoup de temps précieux.
Des marches en pierre brute étaient taillées dans le rocher face à nous, ce qui indiquait que nous avions atteint la deuxième partie du V. Peut-être que la fin de cet escalier primitif menait au Palais dans les Nuages. Nous nous attachâmes en une longue ligne avec notre corde d’escalade commençâmes à escalader les petites marches étroites et raides, prudemment et lentement.
Le Gros avait des pieds disproportionnés, semblables à ceux d’un éléphant, et maintenir l’équilibre sur les minuscules rebords de pierre était si ardu que ses jambes finirent par trembler de tension. Le reste d’entre nous n’était pas beaucoup mieux loti.
L’ascension nous donnait l’impression d’escalader l’Everest, et nous nous efforcions de ne pas regarder en bas vers l’abîme obscur d’où nous venions. Nous grimpâmes pendant des heures, en posant un pied sur des rochers de la taille d’une main de fille et en maintenant l’autre en l’air. Il n’y avait nulle part où nous pouvions nous reposer et nous avançâmes dans une stupeur hébétée, sans savoir quand cette épreuve prendrait fin.
Tandis que nous grimpions, des cascades résonnaient tout autour de nous et les faibles faisceaux de nos lampes mettaient en lumière plusieurs ruisseaux éclaboussant, tous enveloppés d’une vapeur chaude.
― Des sources chaudes, soupira le Gros avec bonheur, Pourquoi ne pas nous laver un peu ?
Shunzi nous avertit fermement :
― N’y pensez même pas.
Il nous montra alors quelque chose au loin. Au début, nous ne vîmes rien, mais tout d’un coup, les lignes sur les rochers à proximité, qui semblaient être des motifs volcaniques, prirent une forme familière : des mille-pattes domestiques étaient partout où nous regardions, tous morts et immobiles.
― Que se passe-t-il ici? chuchota le Gros, est-ce le terrain de nidification de ces suceurs de sang?
Shunzi chuchota en retour :
― Tout être vivant dans ces montagnes se rassemble autour des sources chaudes, même les sangsues. Les mille-pattes domestiques sont en état de dormance à cette période de l’année et seul un stimulus très fort peut les réveiller. Dépêchons-nous, nous serons en sécurité une fois que nous aurons dépassé cette section de l’escalier.
Nous continuâmes à monter en marchant sur la pointe des pieds. Gros-lard demanda à voix basse :
― Qu’entendez-vous par stimulus très fort ?
― Taisez-vous, murmura Shunzi, et personne ne bouge.
Nous restâmes tous figés, immobiles comme des statues de bois, tandis que Shunzi fixait le vide en dessous. Un bruissement familier parcourut mon échine, comme une longue chaîne de glaçons. C’était le son des milliers de pattes frottant contre les rochers alors qu’elles se rapprochaient de nous.
― Éteignez vos lampes torches, dit doucement Shunzi.
Dès que nos lampes de poche s’éteignirent, des milliers de lumières vertes, grandes et petites, apparurent tout autour de nous, comme une mer d’étoiles magiques scintillant dans l’obscurité. Pendant une seconde, j’eu l’impression d’être perdu dans une galaxie, à la dérive dans l’univers. Puis je regardai en bas, suivant le regard de Shunzi. En dessous de nous se trouvait une longue ligne verte luminescente de centipèdes domestiques, ressemblant à des glands d’émeraude sur un rideau gigantesque de noirceur, des millions d’entre eux, sur toutes les surfaces à portée de vue.