Nous restâmes tous silencieux et le moine Hua marchait de long en large tout en réfléchissant :
― Cette peinture murale se compose de trois parties, dit-il, La première représente la guerre que l’Empereur Dong Xia perdit contre les Mongols. Ici, c’est l’armée de l’empereur. Vous pouvez voir à quel point les forces ennemies avaient un avantage numérique.
Je regardai l’armée qu’il désignait avec étonnement et Gros-lard semblait également perplexe :
― Pourquoi tous les soldats de l’empereur ressemblent-ils à des femmes ?
― C’est simplement le style de peinture qui veut ça. La légende raconte que les gens de l’empire de Dong Xia ne vieillissaient jamais. Ils conservaient leur belle apparence toute leur vie durant et les peintres ont exagéré cela en les représentant.
Le Gros continuait à étudier la fresque sans rien dire alors que le moine Hua pointait du doigt le deuxième segment :
― Ici vous voyez la férocité de la bataille, avec chaque soldat de l’empereur combattant trois Mongols à la fois. Néanmoins, ses troupes finirent toutes massacrées dans un bain de sang.
Je frissonnai en fixant la peinture imprégnée de rouge où chaque bataillon de soldats se noyaient les uns après les autres dans leur propre sang. L’armée mongole les piétinait à cheval pour les massacrer jusqu’au dernier et mettait le feu aux villages.
― La troisième partie est obscurcie par la roche de scellement menant à la pièce suivante, mais elle nous montrera simplement plus de carnage, nous informa Hua.
― Mais cela ne peut pas être juste, interrompis-je, Le Royaume de Dong Xia n’a existé que pendant soixante-dix ans, période pendant laquelle il fut constamment en guerre. Ils n’auraient jamais pu construire une tombe aussi magnifique que celle que mon oncle espère trouver.
Le moine se tourna vers nous et sourit :
― Je sais quelles sont vos doutes, toutefois vos pensées sont égarées. Les informations que vous avez lues sur Dong Xia étaient probablement basées sur quelques textes anciens incomplets. En vérité, les faits et les documents laissés par ce royaume sont si rares que les pays étrangers ne croient même pas qu’il ait jamais existé. La plupart des informations à son sujet ne sont pas du tout factuelles.
― Comment pouvez-vous prouver que vos informations sont valables ? objecta Gros-lard.
― Regardez. Nous avons des informations directes, Puis il sortit un morceau de tissu de soie blanche de sa poche et l’étala devant nous. Dans la soie se trouvait le troisième poisson en bronze.
Comment l’a-t-il obtenu ? Je fronçai les sourcils. Si personne n’avait acheté le poisson lors de la récente vente aux enchères et qu’il était désormais entre les mains de Chen Pi, cela signifiait-il que le vieil homme l’avait en sa possession depuis le moment où il l’avait ramassé pour la première fois ? Étaient-ils lui et le vieux marchand d’antiquités de mèche d’une manière ou d’une autre ?
Je fis de mon mieux pour ne pas montrer le choc de ma surprise, mais mes pensées se précipitèrent comme des chiens fous qui poursuivaient leur queue. Hua continua, ignorant mon changement d’humeur.
― Ce poisson en bronze a été obtenu fortuitement par notre ancien chef. Je crois que quelqu’un connaissant l’histoire secrète du Royaume de Dong Xia l’a fabriqué, car il a très habilement caché un message top secret à l’intérieur. Regardez ça.
Il posa le poisson près de la lanterne. Ses écailles plaquées or reflétèrent une lumière dorée et de nombreux petits points lumineux furent projetés sur la fresque. Le moine Hua fit tourner le corps du poisson et les points commencèrent à changer de forme. Puis, peu à peu, ils se transformèrent en quelque chose qui ressemblait à du texte.
― C’est le secret. Il y a quarante-sept mots jurchen dissimulés dans les écailles de ce poisson.
Je resserrai machinalement ma prise sur les deux poissons en bronze que je portai toujours sur moi dans ma poche. Tremblant légèrement, je demandai :
― Que… que dit-il ?
― Je n’ai pas été en mesure de déchiffrer la totalité du message car il me manquait des informations nécessaires. Mais je suis sûr que la personne qui a conçu ce poisson a enregistré des choses qu’il ne voulait pas que d’autres découvrent. C’est un enregistrement de la véritable histoire de Dong Xia, Hua continua d’un ton condescendant, En fait, j’avais déjà conclu après des années d’études, bien avant de voir ce poisson, que Ce Royaume était plus qu’une simple légende. Ils ont régné dans les profondeurs des montagnes reculées et ont réussi à maintenir leur souveraineté pendant plusieurs siècles, même s’ils étaient situés entre une Mongolie extrêmement puissante et une Corée convoiteuse. J’ai lu des récits coréens qui disaient que des collecteurs de ginseng avaient identifié des personnes vêtues de façon étrange se déplaçant dans ces montagnes. Je pense qu’ils pourraient s’agir de descendants de survivants de l’empire de Dong Xia.
Ensuite, il pointa le poisson et déclara :
― Les enregistrements ici confirment mes théories. Après leur bataille décisive avec la Mongolie, le Royaume de Dong Xia s’est retiré à la frontière entre Jilin et la Corée et a réussi à rester en vie secrètement pendant des centaines d’années. Il y a eu un total de quatorze empereurs. La Mongolie et la Corée ont voulu détruire ce petit pays plus d’une fois, mais pour une raison étrange, toutes les tentatives ont échoué.
― Pourquoi ? demanda Grande-Gueule, Moine, pouvez-vous être un peu moins obscur ?
Hua haussa les épaules :
― Je ne sais pas. Les informations sur le poisson sont incomplètes. Je suis convaincu que le reste de l’histoire est enregistré sur d’autres objets, néanmoins, avec les mots que j’ai entre les mains, je peux dire que quelque chose de très étonnant s’est produit pour que le royaume perdure si longtemps. Je n’ai cependant pas plus de renseignements. Nous avons cherché d’autres objets pouvant contenir plus de faits, mais sans succès. Il fit une pause puis dit, Savez-vous ce que dit la dernière phrase de ce texte jurchen ?
Nous restâmes tous bouche bée pendant que le moine nous regardait et disait :
― Il est écrit que l’empereur Wannu de la dynastie Dong Xia n’était pas humain.
― Qu’était-il alors ? demanda le Gros.
― L’on dit que c’était une sorte de monstre qui avait rampé hors du sol !
― Ça ne peut pas être vrai, protesta Ye Cheng, Est-ce que ce ne serait pas plutôt une sorte de métaphore signifiant que l’empereur était un être céleste et donc pas humain ?
― J’ai moi aussi pensé que l’auteur faisait référence au Dragon du Ciel de façon métaphorique, seulement, après avoir étudié le texte, j’ai réalisé que l’écrivain cherchait à enregistrer objectivement l’histoire de Dong Xia, donc il n’aurait probablement pas utilisé un langage aussi respectueux. De plus, pensez-vous que quelqu’un parlerait d’un empereur de cette façon ? Imaginez souhaiter un joyeux anniversaire à l’empereur en disant : « Votre Majesté, vous n’êtes vraiment pas humain ». Vous seriez déchiqueté en morceaux avant d’avoir eu la chance de commencer votre prochaine phrase, sourit-il, Si je pouvais seulement mettre la main sur le reste de l’histoire, je pourrais peut-être découvrir ce que l’auteur voulait dire.
Tant Gros-lard que Qilin savaient que je possédais les deux autres poissons, mais aucun d’eux n’en souffla mot. Je serrai le contenu de ma poche comme si je tenais mon propre cœur. Soudain, les poissons semblèrent extrêmement lourds.
Pourquoi ne les révélerai-je pas ? me demandai-je, à quoi me servent-ils ? Je ne sais pas lire le jurchen ; je ne pourrai jamais en déchiffrer les secrets. Mais peut-être, en l’honneur de mon oncle San, je ne pouvais me résoudre à les remettre à Chen Pi et à ce moine condescendant et instruit.
Grande-Gueule fixait la fresque tout en marmonnant :
― Si la personne sur la fresque est l’empereur Wannu, il a l’air humain, pas du tout monstrueux. Que dit ce moine ? Quel sens cela a-t-il ?
Le Gros lui tapota le dos :
― Calme-toi, tout va bien, puis il s’adressa au moine :
― Frère balafré, de quoi parlez-vous ? Nous sommes tous des êtres humains ici, ne jouez pas à des jeux intellectuels avec nous. Quand nous ouvrirons le cercueil, nous saurons si votre empereur était un homme ou un chien.
Le moine sourit mystérieusement :
― Ce que je voulais dire, c’est qu’il est toujours préférable de connaître toutes les facettes d’une histoire.
Nous nous reposâmes et retrouvâmes lentement notre équilibre mental. Pendant que nous dormions, Chen Pi ordonna à ses hommes de se relayer pour surveiller l’extérieur et de nous avertir une fois la tempête de neige arrêtée.
Quand je fus enfin réveillé, Shunzi avait également repris conscience et il n’arrêtait pas de s’excuser auprès de nous. Gros-lard l’ignora et je lui donnai de la nourriture, en disant :
― Repose-toi, car nous devrons continuer cette ascension.
Sans voir passer le soleil ni la lune, nous n’avions aucune idée du temps écoulé, toutefois nous estimâmes être restés dans la montagne deux ou trois jours avant que la tempête ne soit calmée et que l’on puisse sortir.
La blancheur éblouissante du monde extérieur agressa nos yeux privés de lumière. Alors que nous réorganisions nos équipements, Grande-Gueule remarqua que nous avions mangé beaucoup plus que nécessaire pendant notre période de récupération :
― Nous devrons nous dépêcher pour atteindre notre objectif, nous dit-il, Shunzi, nous devons trouver un itinéraire plus rapide vers le tombeau. Que pouvez-vous faire pour nous ?
― Il n’y a qu’un seul moyen d’y arriver, bafouilla notre guide, Soit nous retournons chercher davantage d’équipements, soit nous continuons et mangeons moins.
Personne ne fut heureux d’entendre cela et pour aggraver les choses, après la chaleur à laquelle nous avions été exposés, le froid était insupportable.
― Regardez, annonça Chen Pi, vous avez ri de cela, mais maintenant vous comprendrez pourquoi nous en avons besoin. Il doubla l’intérieur de ses bottes avec des serviettes hygiéniques, en disant, Suivez mon exemple. Celles-ci absorberont la transpiration de nos pieds, garderont nos chaussettes sèches et nos corps resteront chauds.
Il avait raison, l’astuce fonctionna. Cependant, au fil du temps, alors que nous jetions nos vieilles serviettes pour en prendre des nouvelles, je me sentis embarrassé, me demandant ce que pourraient bien penser ceux qui nous suivaient s’ils trouvaient nos déchets. Après en avoir parlé au Gros, il fixa des empreintes fraîches dans la neige et dit :
― Ne t’inquiète pas. Il semble que Ning et son groupe ne soient plus derrière nous.
Deux heures plus tard, nous avions presque rattrapé nos rivaux. Ils avaient dressé leur campement sur une colline non loin de nous et paraissaient avoir traversé l’enfer dans la tempête de neige. La moitié de leurs chevaux étaient partis et au moins dix de leurs hommes étaient morts. Aucun d’entre nous ne pouvait apercevoir l’oncle San parmi eux, mais je vis Ning regarder à travers des jumelles au loin, et en suivant son regard, je ne crus pas ce que mes yeux distinguaient.
Là-haut dans les nuages planait un sommet familier. C’était le même que j’avais vu peint sur les murs de la tombe sous-marine, celui qui abritait le Palais dans les Nuages.
― Nous y sommes ! criai-je en me tournant vers Shunzi, Quel est le nom de cette montagne ? Comment pouvons-nous y aller, et rapidement ?
Shunzi prit mes jumelles et observa pendant une minute. Puis, il me regarda avec une expression de dédain, les dents serrées :
― Oublie ça. Tu ne peux pas y aller. Je ne te mènerai jamais à cet endroit-là. Si j’avais su que vous vouliez vous y rendre, je ne serais jamais venu avec vous.