Le Maître des Secrets | Lord of the Mysteries | 诡秘之主
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Chapitre 18 – L’interrogatoire de Requin Blanc
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Le barman atterrit sur le sol, plié de douleur.  

Hamilton alias Raquin Blanc renifla et sans un mot, prit l’escalier de bois grinçant pour monter à l’étage.  

L’agitation passée, les ivrognes se dispersèrent les uns après les autres. Le capitaine Elland et les autres retournèrent à l’étage pour reprendre leurs jeux de cartes.

Klein en profita pour les suivre.

S’il était revenu au Poisson Volant & Vin, ce n’était pas pour s’occuper de Requin Blanc, qui ne représentait aucune menace pour lui, mais simplement pour obtenir plus d’informations de la part du propriétaire du bar qui était lié à de nombreuses factions pirates. Après tout, il portait désormais le nom de Gehrman, ce qui, en secret, impliquait la chasse aux pirates dont les mains étaient tachées de sang. Il comptait bien utiliser leurs âmes, leur chair et leurs caractéristiques Transcendantes pour remplacer les âmes qui attendaient d’être délivrées de la Faim Rampante.

Il n’y avait pas de gaz au Port de Damir, aussi le couloir de l’étage était-il relativement sombre. Les chandeliers de laiton encastrés dans les murs clignotaient et s’affaiblissaient.

Klein observa les alentours et, passant la main sur son visage, prit l’apparence de l’un des videurs du rez-de-chaussée. 

Puis, grâce à son pouvoir générateur d’illusions, il compensa sa tenue qui ne suivait pas.  

Ces préparatifs terminés, il se dirigea vers la pièce que son intuition spirituelle avait identifiée comme appartenant à Hamilton.

Il passa d’abord devant la salle où l’on jouait aux cartes sans attirer l’attention puis, s’arrêtant devant les videurs qui gardaient le couloir, leur dit à voix basse : 

– « Il y a encore un problème en bas. »

– « Par le Seigneur des Tempêtes, que se passe-t-il donc ce soir ? » soupira l’un des hommes.  

– « J’espère que ces charmantes personnes ne seront pas blessées », dit un autre garde, inquiet pour les prostituées qui faisaient affaire au bar.

– « Elles vont bien. » 

Klein passa devant les videurs et frappa à la porte de Requin Blanc.

– « Qui est là ? » demanda Hamilton, méfiant.

Se remémorant les informations qu’il avait glanées en observant l’agitation, Klein prit délibérément une voix rauque. 

– « C’est moi, Patron. Il s’est encore passé quelque chose en bas ! » 

– « Bon sang ! » hurla Hamilton, « Entrez et expliquez-moi ! »

Klein tourna la poignée de la porte et entra.

En refermant la porte, il dissipa l’illusion et aussitôt, les muscles de son visage se contractèrent. Il avait retrouvé sa précédente apparence, celle d’un nouveau client aux cheveux blonds, aux yeux bleus et aux traits ordinaires.

– « Vous… » 

Hamilton demeura un instant stupéfait avant d’ouvrir grand la bouche, prêt à crier de toutes ses forces. 

C’est alors qu’une multitude d’écailles de poisson illusoires apparurent sur le dos de sa main, et son corps, qui était déjà grand et gras, prit de l’ampleur.  

Les battements de son cœur s’accélérèrent et une peur instinctive le saisit à la gorge.

Il avait l’impression que l’étranger qui se tenait près de la porte était un démon qui n’ayant pas mangé depuis des jours, évaluait sa chair et son âme d’un regard glacial et avide.

Requin Blanc fut alors pris d’une panique extrême. Il était incapable de réagir efficacement.

Klein se dirigea lentement vers le canapé, s’assit et lui adressa un sourire poli.

– « Pouvons-nous parler calmement à présent ? »

L’impression d’être fixé par un monstre effrayant disparut brusquement. Hamilton se détendit d’un coup tandis que son corps se ratatinait tel un ballon crevé.

Au lieu de s’empresser d’appeler à l’aide, il demanda, le front en sueur : 

– « Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? »

– « Un chasseur », répondit Klein sur un ton désinvolte. « J’ai entendu dire que vous étiez lié à plusieurs factions pirates. J’aimerais en savoir plus sur eux. » 

– « C’est faux, je ne suis pas… » commença instinctivement Requin Blanc.

Aussitôt, il perçut à nouveau cette extrême faim et eut l’impression que les yeux de l’homme se teintaient de rouge sombre.

Klein se recentra sur sa personnalité et dit avec un sourire de gentleman : 

– « Vous avez le choix entre deux solutions. Soit vous me répondez franchement, soit je vous tue d’abord et vous me répondrez franchement ensuite. »

Me tuer pour canaliser mon esprit ? 

Hamilton, qui avait entendu des rumeurs en ce sens, déglutit à grand peine :  

– « Pourquoi voulez-vous savoir tout cela ? »

– « Je suis un chasseur, un chasseur de primes. »

Hamilton eut soudain l’impression que le sourire poli de cet homme était teinté d’une folie indescriptible.

– « Vous êtes… Vous êtes fou ? J’ai vu beaucoup d’aventuriers comme vous, mais tous ont fini au fond de la mer !

« Il n’est pas difficile de tuer un pirate isolé, mais avez-vous le pouvoir de vous prémunir contre des représailles ? Les prostituées ou les clients apparemment ordinaires qui fréquentent ce bar pourraient tous être des informateurs de pirates ! Votre sympathique complice pourrait être soudoyé à tout moment et vous seriez abattu d’une balle dans le dos ! Les pirates s’informent d’abord et encerclent votre navire. Pourrez-vous protéger tous les passagers ? Pourrez-vous survivre à un bombardement de canons ? Sur la mer, il n’y a nul endroit où s’enfuir. Comment survivrez-vous ? » 

Après avoir évacué d’un seul souffle la terreur qui l’habitait, il vit l’homme qui se disait chasseur arborer un sourire doux et bienveillant.

– « Il suffit de tous les tuer et le problème sera résolu. »

Un vrai fou… pensa Raquin Blanc qui prit aussitôt une grande inspiration :

– « Je suis en contact avec de nombreux pirates, mais c’est une relation passive. Il leur faut troquer l’argent, les bijoux et les marchandises qu’ils ont pillés en échange d’alcool, de nourriture, d’eau douce, d’armes et de femmes. Tout cela passe par moi, mais je me contente d’attendre ici. Je ne sais pas par où passent leurs bateaux ni où ils vont. »

– « Quoi d’autre ? » demanda calmement Klein.

Sa réponse précédente visait surtout à effrayer Requin Blanc. Quant aux représailles des pirates, il n’était pas le moins du monde inquiet. En tant que Sans-Visage, s’il était aussi facile de le retrouver, autant trouver un endroit où sombrer au fond des mers.  

Et… La gorge d’Hamilton frémit, mais il ne répondit pas immédiatement.  

La bouche hermétiquement fermée, il observa l’homme au semi haut-de-forme. Le regard de ce dernier était calme, réservé, comme si la folie couvait en lui.

Le silence inquiétant ressemblait à la mer juste avant une tempête : de douces résonnances, des vagues qui s’entrechoquent, une fermentation.  

Enfin, Hamilton détourna le regard et posa sa main sur le bureau en signe de contrariété.

– « Je collecte aussi des informations pour eux. S’il y a urgence, j’utilise l’émetteur-récepteur radio qu’ils m’ont donné pour les prévenir. »

Requin Blanc, craignant que l’homme ne possède des pouvoirs Transcendants spéciaux capables de déterminer s’il disait la vérité et toute la vérité, n’osait pas prendre le risque. 

– « Un émetteur-récepteur radio ? » 

Klein, qui avait réussi à placer ses paris, s’accrocha brusquement à ce terme.

– « C’est comme ça qu’ils l’appellent. C’est comme un télégramme, mais sans fil. »

 Hamilton se retourna et s’approcha d’un coffre-fort gris devant lequel il s’accroupit.

Un télégraphe sans fil ? Les pirates possèdent-ils donc une technologie aussi avancée ?  se demanda Klein qui avait une vague idée de ce qu’était cet émetteur-récepteur radio.

Il avait déjà songé à inventer quelque chose de ce genre, mais en feuilletant des revues spécialisées, il s’était rendu compte que les télégrammes sans fil existaient depuis longtemps. Cependant, ils n’avaient pas encore trouvé leur place dans le paysage commercial. La Mer Berserk, qui sépare les Continents Nord et Sud de ses tonnerres et ses éclairs incessants, son champ magnétique chaotique et ses violentes tempêtes, ne laissait accessibles que quelques routes maritimes. Les télégraphes sans fil n’auraient guère été utiles. De même, les conditions météorologiques de la Mer de Brouillard et de la Mer de Sonia avaient radicalement changé et de nombreux facteurs affectaient la transmission électromagnétique, ce qui limitait sévèrement l’utilisation de la télégraphie sans fil.

Existerait-il un modèle amélioré capable de résoudre certains de ses problèmes ? 

Klein regarda Requin Blanc ouvrir une trappe dans plancher devant le coffre-fort, puis actionner un mécanisme. Une porte secrète apparut dans le mur.  

Derrière la porte se trouvait une armoire cachée à trois niveaux. Au niveau supérieur, on pouvait voir des documents et factures, un revolver, un nouveau type d’arme à feu et autres armes, et au niveau inférieur, un appareil noir et complexe. 

D’un simple coup d’œil, Klein déduisit de l’impression qu’il en avait eue dans sa vie antérieure et des informations qu’il avait précédemment recueillies qu’il s’agissait d’un émetteur-récepteur radio.

– « C’est comme ça qu’ils l’appellent. C’est un émetteur-récepteur radio. Les informations transmises sont réceptionnées par des objets similaires et ce jusqu’à l’Archipel de Rorsted. Plus loin, cela dépend du temps qu’il fait et de la chance. En général, c’est très difficile et limité », expliqua grossièrement Hamilton, qui ne connaissait pas grand-chose à la machine sinon ce qu’on lui avait appris et ce qu’il avait retenu en l’utilisant.

C’est mieux que les nouveaux émetteurs-récepteurs radio actuellement commercialisés… Je me demande qui l’a inventé… se demanda Klein, qui écoutait en silence.

 – « Qui sont-ils ? » s’enquit le jeune homme, se donnant l’air d’un chasseur de primes qui ne connaissait rien à la technologie.

Requin Blanc essuya la sueur froide qui perlait sur son front : 

– « Oder, dit la Vipère aux Pièces d’Argent, qui se prétend au service de la propriétaire de l’Aube, et Old Quinn, l’officier de renseignement de l’Amiral de Sang. Ils se sont présentés ensemble, mais je n’ai aucune certitude qu’ils travaillent de concert. Cela dit, Oder s’est toujours contenté d’allégations. »

La propriétaire de l’Aube, cette Reine Mystique ? 

Klein détourna le regard et fit apparaître une pièce d’or dans sa main.

Celle-ci se balada entre ses doigts, puis sauta en l’air et retomba. Requin Blanc semblait perplexe, tremblant de peur et d’inquiétude.

Klein baissa les yeux pour jeter un coup d’œil, se releva lentement et demanda soudain ;

– « Qui vous a donné la potion ? »

– « O-Old Quinn… », répondit franchement Hamilton après une brève hésitation. 

Klein acquiesça de la tête puis, se dirigea vers la porte de bois.

Celle-ci s’ouvrit et se referma. La silhouette en manteau noir avait disparu de la chambre de Requin Blanc.

Hamilton retint son souffle, attendit plus de dix secondes et lâcha enfin un long soupir.

Il épongea rapidement son visage en sueur, posa le récepteur radio sur son bureau, feuilleta un livret de codes et envoya rapidement un télégramme au loin :

J’ai été pris pour cible ! Un type que je ne connais pas !

À côté d’Hamilton totalement absorbé, Klein, les mains dans les poches, observait tranquillement le spectre de fréquences et les codes d’accès.

Son départ tout à l’heure n’était qu’un spectacle de magie à grande échelle, plus que suffisant face à un Transcendant de Basse Séquence de la Voie du Marin comme Requin Blanc. 

Par ailleurs, un Voyant n’avait pas à s’inquiéter de savoir s’il se souviendrait de tout par la suite. Une divination par le rêve suffirait.

L’Amiral de Sang et ses hommes aiment tuer, verser le sang et faire violence aux femmes. Chaque fois qu’ils dévalisent un navire à passagers, ils provoquent une tragédie… C’est une information publique connue de tous et dont ils sont fiers. Ils ne sont jamais avares de proclamations… La cible de la chasse et le risque encouru… Je vais leur donner la priorité…

Klein réfléchit un instant, puis se prépara à quitter la pièce pendant qu’Hamilton rangeait l’émetteur-récepteur radio.

Craignant de perturber sa véritable proie, il n’avait pas l’intention de s’occuper de Requin Blanc dans l’immédiat. Ce type ayant son territoire sur la terre ferme, il lui serait facile de le faire plus tard au moyen d’une lettre de dénonciation. 

La porte s’ouvrit lentement et se referma sans un bruit sous les pas silencieux de Klein, laissant entrer une légère brise fraîche.



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