Enfin, le tumulte était terminé. Cependant, le résultat de ce concours ne manquera pas de susciter l’émoi dans toute la ville.

Jupiter Merlo, l’un des Dix Puissants, avait perdu face à un inconnu sans nom. Non seulement cette défaite avait choqué la jeune génération, mais elle avait également attiré l’attention de nombreuses forces vives de la ville.

Noah Argyris était le plus agréablement surpris par le résultat. L’espoir n’était que de consolider une union. Lance n’avait qu’à pas causer trop d’ennuis. Ce qu’il n’avait jamais imaginé, c’est que ce jeune homme était si fort. Avec un bon entraînement, il pourrait devenir un pilier de leur grande famille.

Les actions de Cloudhawk avaient toutes été calculées. Il ne se souciait pas de l’enfant et ne cherchait pas à l’humilier sans raison. Ce qu’il voulait, c’était faire partie de ce ” Dix Puissant “. Il pensait que cela l’aiderait dans sa mission.

Noah et les autres chefs de famille prenaient de l’âge. Leur priorité serait d’entraîner Lance, de le cultiver pour qu’il devienne un jour chef. Ce qui manquait à Cloudhawk, c’était un contact avec l’armée. Il devait trouver un moyen de les convaincre de l’envoyer à la forteresse céleste.

La famille Argyris était l’une des plus importantes de Stormford. Ils avaient des gens à tous les niveaux de l’armée. D’un simple mot, ils pourraient le faire entrer. Il n’aurait même pas besoin de se battre – juste de se battre un peu pour améliorer son profil.

Une autre marque sur son dossier, un pas de plus vers la Forteresse du Ciel.

La curiosité d’Idonea prit le dessus. « Tu n’as pas l’air très fort. Comment as-tu pu battre Jupiter ? »

« Qu’est-ce qui est le plus fort à ton avis, un loup ou une vache ? La force n’est pas le seul ingrédient de la victoire. La seule façon de l’être… c’est d’être largement supérieur en force. Sinon, on peut toujours changer le résultat grâce à l’habileté. »

Elle était absorbée par ses pensées. Tout au long de son entraînement, Idonea s’était concentrée sur l’augmentation de sa puissance mentale. Voir comment Cloudhawk avait vaincu Jupiter lui avait ouvert les yeux et l’avait poussée à remettre en question ses tactiques. La force mentale ne suffisait pas. Elle devait aussi améliorer ses compétences et son expérience.

La Croisade était l’occasion idéale. Elle pouvait partir à la recherche de son père tout en devenant une meilleure guerrière. Il était évident pour elle que si elle voulait se protéger des pressions, elle devait être assez forte pour tenir tête aux gens.

« Tu es vraiment intéressant. » Elle le regarda. « Tu n’es pas un faible et tu as certainement ce qu’il faut pour devenir quelqu’un. Malheureusement, il semble que tu n’aies pas été très bien vu par le public. »

C’était absurde, bien sûr. Le vrai Lance se serait probablement caché derrière Idonea aujourd’hui s’il avait été là. Mais Cloudhawk n’avait pas besoin de se gonfler outre mesure, alors il répondit dédaigneusement : « Notre vie nous appartient – tu ne peux vivre que pour toi-même. Qu’importe ce que pensent les autres ? Nous ne respirons qu’une poignée d’années. Au bout de quelques siècles, nous ne serons plus qu’un grain de lumière, un grain de poussière. Autant en profiter tant que ça dure, non ? »

« Je ne suis pas du tout d’accord avec ça ! » Le visage d’Idonea devint solennel, et elle parla avec sérieux. « Notre vie nous appartient, mais nous devons aussi penser à notre famille et à nos proches. Il y a beaucoup de gens qui comptent sur nous. Même la poussière a de la valeur. Nous ne pouvons pas nous débarrasser de toutes ces responsabilités et ne vivre que pour nous-mêmes. Sans eux pour vivre avec nous, quel est l’intérêt ? »

« Oh ? »

Cloudhawk racontait surtout des conneries. Cependant, il semblait avoir touché une corde sensible chez cette jeune fille de seize ans. De toute évidence, il se passait plus de choses dans sa tête qu’il ne l’avait pensé.

En fin de compte, il n’y avait pas de bonne réponse. En fin de compte, chacun faisait ses propres choix quant à la manière de vivre sa vie. Rejeter les perdants et louer les idéalistes ne servait à rien. Poursuivre infailliblement ses objectifs était difficile, tout comme il n’était pas facile de s’affranchir complètement des plaisirs séduisants. Il n’y avait pas plus de valeur à l’un qu’à l’autre, ce n’étaient que des attitudes différentes.

… mais quelles conneries, en fait. Si Cloudhawk avait eu le choix, il ne serait certainement pas ici. Il était assez fort pour aller où il voulait et faire ce qu’il voulait. S’il pouvait vraiment faire ce choix, personne ne le trouverait jamais.

« Laissons tomber. » Cloudhawk n’était pas d’humeur à discuter de questions philosophiques avec cette gamine. « Le mariage est dans deux jours. Que comptes-tu faire de tes dernières heures de célibataire ? »

Elle écarquilla les yeux. « Notre mariage est un faux, tu te souviens ? Tout cela sera oublié une fois que j’aurai retrouvé mon père. »

« Je sais, je sais. Tu n’as pas besoin de me le rappeler toutes les cinq minutes. Honnêtement, tu ne m’intéresses pas de cette façon. »

« Tu es un vrai salaud ! Je vais te botter le cul ! »

Elle agrippa la chose la plus proche à portée de main – un objet accroché au mur voisin – et lui lança. Cloudhawk le repoussa paresseusement. C’était une flûte, l’une des nombreuses utilisées dans la culture artistique de Stormford, et donc sans valeur. C’était un instrument délicat. Cloudhawk prit une minute pour l’examiner, admirant sa construction.

« Qu’est-ce que tu fais ? » Idonea lui lança un regard noir. « Tu ne vas pas me dire que tu sais jouer à ce truc ».

« J’ai appris un peu pour m’aider à impressionner les dames. »

« Tu es vraiment un porc ».

Cloudhawk s’approcha de la fenêtre, porta la flûte à ses lèvres et souffla doucement. Quelques sons inélégants furent émis.

« Cet imbécile vantard », se dit Idonea. « Il pense qu’il peut simplement la prendre et m’impressionner ? Ce n’est qu’un play-boy. Quelle culture connaît-il vraiment ? » Mais à sa grande surprise, après quelques essais maladroits, la musique prit une allure agréable.

Un rythme lent se mit progressivement en place. Il était à la fois solitaire et vigoureux, évoquant un paysage vaste et vide. Triste, solennel et émouvant. Idonea l’écoutait en silence, le regardant d’un œil nouveau. Un sentiment étrange l’envahit, qu’elle n’arrivait pas à exprimer. Cet homme était bien plus que ce qu’on lui racontait, mais il ressemblait à n’importe quel autre noble.

Cloudhawk termina le morceau et lui jeta un coup d’œil. « Qu’en penses-tu ? »

« Quel est le nom de ce morceau ? » demanda-t-elle. « Je ne l’ai jamais entendu auparavant ».

Sa réponse fut calme et réfléchie. « Les sables des Terres désolées. Je serais surpris que vous l’ayez entendu. »

Quel Élyséen connaîtrait ou comprendrait la culture des déchets ? Bien sûr, ce ne serait pas populaire. Même si elle était parvenue jusqu’ici, son style et son ambiance ne correspondaient pas aux leurs. Comment Idonea pouvait-elle savoir que cette chanson venait d’un no man’s land lointain et du royaume divin en ruine à sa frontière ?

Cloudhawk regardait la ville, drapée dans le clair de lune. Cela faisait déjà plusieurs jours qu’il était parti. Il se demandait comment allaient ses amis…

Idonea avait raison, d’une certaine manière. Il y avait des limites dans la vie. Cloudhawk avait le pouvoir d’être libre, mais il avait aussi des compagnons dont il devait s’occuper. Avec eux venaient des responsabilités qu’il ne pouvait ignorer.

L’aigle était lié à la terre.

Deux jours plus tard, Lance Nilam, de Byzantium, et Idonea Argyris, de Fulmulta, s’étaient mariés au temple de la capitale. Tout s’était déroulé dans la précipitation, de peur que les mariés ne changent d’avis. La cérémonie avait été efficace. Heureusement pour tout le monde, il n’y avait eu aucun problème. Ni Lance ni Idonea n’avaient fait d’histoires. En peu de temps, on en arriva à la réception finale.

Dans les salles magnifiques et complexes du temple se trouvaient deux personnes en tenue de mariage. Plusieurs centaines d’invités les entouraient. Un maître de cérémonie lança un appel au-dessus du vacarme festif. « Accueillons tous l’honorable Oracle pour qu’il bénisse le nouveau couple ! »

Tout le monde se leva et se tut. L’oracle faisait partie des plus hautes autorités du temple, après le grand prêtre. Même le gouverneur de la ville et le commandant général devaient lui rendre hommage. C’était un honneur et une preuve de profond respect pour l’oracle que de bénir personnellement cette union.

Un vieil homme vêtu d’une robe blanc argenté, comme des plis de lune, s’avança.

« Toutes les louanges sont aux dieux. Je suis très heureux de voir ce couple de jeunes gens talentueux s’unir par les liens sacrés du mariage. Leurs capacités et leur potentiel sont de bon augure pour l’avenir de notre maison. Mais ce qui me réjouit le plus, c’est la décision qu’ils ont prise. »

L’oracle marqua une pause avant de poursuivre.

« Les nouveaux mariés de la ville ont choisi de s’engager dans notre Sainte Croisade. À l’issue de cette cérémonie, ils se présenteront à leur poste et prendront place en première ligne, combattant pour la gloire du mont Sumeru. Il ne fait aucun doute que leurs actes nobles et glorieux sont un exemple pour tous. Puisse-t-il guider d’autres jeunes gens à prendre les armes contre les maux du monde. »

« Que le royaume grandisse dans la paix et la prospérité ! » L’oracle leva les bras. « Que les dieux bénissent ce beau couple ! »

Les applaudissements répondirent à l’appel. Idonea regarda la mer de visages souriants, puis l’homme à ses côtés. Il était difficile de lire ce qu’il y avait dans ses yeux.

Cloudhawk, quant à lui, commençait à se fatiguer. Bien que sa progression ait été régulière, elle n’avait pas été à son goût. Les flammes de la guerre grandissaient, et il avait l’impression d’essayer de les étouffer avec du papier. De plus, il ne savait pas combien de temps il pourrait tenir cette mascarade. La mission devait être accomplie au plus vite et par tous les moyens. Les jours de Skycloud étaient comptés.