Je me réveille alors qu’un coup de poing me fracasse la mâchoire. Je crache du sang par pur réflexe alors que la douleur lancinante que j’ai dans le crâne ne semble pas vouloir disparaître. Le coup de poing me réveille, mais la vraie souffrance vient de celle que je ressens à travers le lien avec Yuu.
Une seule erreur.
Je savais que c’était une possibilité, mais je ne m’attendais pas à un tel manque de chance.
J’ouvre les yeux en étant ébloui par la lumière. Charade se tient devant moi et sourit de façon perverse en me regardant. J’ai très envie de lui offrir une remarque nulle pour l’irriter, mais dans ma situation je vais me retenir. Peut-être plus tard.
Je fais le point. Yuu n’est pas loin, inconscient sur une table. Il est immobile et allongé sur le côté avec un stylo planté dans les côtes. Puisqu’il a été blessé, c’était impossible pour moi de rester conscient, pas avec un lien de niveau 4 qui amplifie la douleur. Ils n’ont d’ailleurs pas été tendres pour l’attraper d’après ce que je ressens. Je me suis effondré presque aussitôt à cause du stylo, donc je n’en suis pas certain.
Je me réveille donc attaché sur une chaise avec Charade en face de moi. Dans un coin, je peux voir Maliel et même Talion qui m’observent. Je suis au milieu de la salle souterraine où se trouve le bureau de Charade. Les Guides sont aussi là et Pete me regarde en étant désespéré alors qu’il est attaché au sol à côté des deux autres.
Je crache à nouveau du sang alors que je peux sentir que mon nez est brisé. Je survivrai.
Juliette est cachée à l’intérieur de moi. Persée est toujours sous la forme d’une écharpe et je lui ordonne catégoriquement de ne pas bouger pour boire mon sang. Étrangement, j’ai l’impression qu’il m’écoute cette fois-ci. Peut-être qu’il comprend que la situation n’est pas bonne. Micha… n’est pas dans la salle, mais elle s’est cachée. Je peux l’entendre s’inquiéter dans ma tête, mais je lui demande d’attendre en la rassurant. J’ai besoin de me concentrer sur la situation et elle accepte assez facilement de ne rien dire.
La situation n’est pas bonne, mais je ne suis pas mort.
Je regarde ce qui retient mes bras sur la chaise, mais… disons que je n’arriverai pas à me libérer facilement, même en me déboitant des os. Pas avec deux couteaux qui me transpercent complètement les avant-bras en se plantant dans les accoudoirs de la chaise, en plus de menottes autour de mes poignets.
« J’admets qu’après plusieurs mois de traque, je trouve satisfaisant de t’avoir finalement devant moi. J’espère que tu t’es bien amusé à jouer le grimpeur ? »
Je regarde à peine Charade. Je ne compte pas non plus lui répondre. J’ai l’avantage d’être endurant face à la douleur. Ce sera difficile de me faire souffrir efficacement pour me faire parler ou hurler comme il le souhaite alors que j’ai survécu à Angela. Bien sûr, il vaut mieux que je sois celui qui souffre à la place de mes animaux. J’ai déjà du mal à rester conscient avec la douleur de Yuu
Ma situation n’est pas agréable de toute façon.
Je reviens à ma réflexion d’avant ma perte de connaissance, ma mission n’a pas changé. Je dois juste me libérer en plus. Non, je dois survivre. C’est ça ma mission et c’est sur quoi je dois me concentrer. Le reste est inutile.
Réfléchir à tout ça m’évite de penser à la douleur de Yuu et à la possibilité que je puisse mourir dans les prochaines minutes.
Je savais dans quoi je m’engageais, et maintenant je dois me servir de mon cerveau et ne pas céder au sentiment d’impuissance que je ressens alors que la personne que je déteste le plus au pied de la tour se trouve devant moi.
Je bouge légèrement les mains pour jauger la difficulté que j’aurai à me libérer. C’est faisable, mais pas suffisamment vite ou sans douleur pour que Charade n’ait pas le temps de réagir. Sans parler des blessures que je vais me faire pour ça qui risquent de ne pas m’aider.
« Tu te retrouves devant moi à cause d’un coup de chance. Un vulgaire concours de circonstances qui fait que tu es ici au lieu d’être là-haut, libre. Dans d’autres circonstances, j’aurai tenté de te recruter comme je l’ai fait pour Maliel, mais la mort de Léon… »
Au lieu de finir sa phrase, il commence à me frapper. J’imagine que dans sa tête cela veut dire « mérite punition » ou « mérite ma mort » ou autre chose du même genre. Je ne suis pas suffisamment doué en discours de méchant pour l’imaginer malheureusement.
Micha, rejoins les autres dehors. Je vais m’arranger pour qu’ils comprennent la situation.
{S-sûr ? Je peux aider ! Je…}
Non. Tu seras plus utile là dehors pour les guider et je ne peux pas prendre le risque que tu te fasses attraper.
Alors que Charade continue de me frapper, j’arrive tant bien que mal à organiser des ordres à travers le lien et les rats prennent la forme d’un message au sol pour Korail. Le chef d’Arcana me regarde avec un léger sourire en comprenant que je ne crierai pas de douleur si facilement.
« Bien sûr, il n’y a pas que Léon. Ce n’était que ta première faute. T’en prendre à ma famille ensuite n’a fait qu’ajouter à tes crimes. »
Sans savoir pourquoi, sa remarque me fait sourire. C’est sans doute à cause d’un début de fièvre causé par la douleur que je commence à délirer… Peut-être à cause de la douleur de Yuu, ou alors il m’a frappé plus fort que je ne suis prêt à l’admettre. Dans tous les cas, lui aussi se met à rire et fait un signe pour que l’homme armé de fouet se prépare à me frapper.
— Tu penses que ma vision du mot famille est ridicule, c’est ça ? Maliel m’a bien expliqué ta relation avec tes animaux. C’est quelque chose que je respecte. J’ai même eu l’occasion d’en voir l’intérêt dans l’Atlas. J’ai même applaudi vos prouesses en te voyant tuer Marshall.
— Ma famill –
Avant que je ne puisse finir ma phrase, le claquement d’un fouet sur ma joue m’en empêche.
C’est… toujours aussi douloureux, mais cet homme n’a pas la technique des Manges-mots.
Je ferais sans doute mieux de me concentrer sur ma fuite au lieu de vouloir discuter. Pour l’instant, je regrette juste de ne pas avoir demandé à Persée de se jeter sur lui quand il me frappait il y a quelques instants.
« Ma famille n’a qu’une règle. Si l’un de nous meurt, les autres tueront son meurtrier, peu importe le prix, et même si cela finit par détruire entièrement la guilde. Sans ce genre de règle, les autres ont tendance à nous marcher sur les pieds. »
En rythme, l’homme me donne des coups de fouet et je me contente de l’ignorer du mieux que je peux en regardant Charade.
« J’admets que tu es clairement à un niveau au-dessus comparé à la piétaille que j’ai l’occasion de torturer. Utiliser des méthodes conventionnelles n’a probablement aucun intérêt avec toi puisque ce que veut ma famille, c’est que tu souffres le plus longtemps et le plus fort possible. Ils sont au moins francs sur ce point. De mon côté, j’aime le profit. Satisfaire leur désir en te faisant souffrir est un but. La violence ne sert à rien seule, mais si tu en tires un profit alors elle est justifiée. Regarde. Léon t’attaque, tu le tues, nous t’attaquons, tu te venges. Déclencher cette petite guerre t’a rendu bien plus fort que si tu étais resté dans ton coin, mais ne pense pas qu’Arcana n’est pas concernée. Pour chaque blessure infligée, mes hommes sont devenus plus forts et plus vengeurs. »
D’un mouvement de la main, il me montre Talion qui me regarde froidement en croisant les bras. J’imagine qu’il profite du spectacle vu son petit sourire satisfait. Je regarde Maliel en me demandant si elle serait avec Charade si elle ne m’avait pas rencontré. Probablement pas.
« Le gagnant reste celui de nous deux qui est le plus monstrueux. Niveau cruauté, un Inquisiteur perd rarement. Te capturer était un pari qui m’a apporté plus d’hommes en prouvant que je tiens parole. Avec plus d’hommes, je fais plus d’argent. Je te remercie donc d’avoir été un ennemi aussi formidable, Nomad. »
L’instant suivant, Charade s’approche de la table où se trouve Yuu et du bout du doigt il fait bouger le stylo enfoncé dans ses côtes. La nausée me prend alors que les signaux de douleur à travers le lien deviennent difficiles à supporter. Mon corps se met à trembler violemment et je manque de perdre conscience jusqu’à ce qu’il finisse par arrêter.
« Une chose bien fragile que ce renard. Cependant, je sais aussi que ton serpent et ta souris ne doivent pas être bien loin. Maliel, ma chère, si tu pouvais te rendre utile et retrouver cette souris pour commencer. »
Je dresse les yeux dans la direction de Maliel en ignorant un nouveau coup de fouet. Elle ne me regarde pas alors qu’elle s’éloigne, mais j’ai bien peur qu’elle soit sérieusement en train de partir pour obéir à Charade. Par réflexe, je commence à me débattre pour me libérer de la chaise, mais Charade se contente de tapoter le stylo planté dans Yuu et j’ai l’impression à chaque fois de me faire frapper par la foudre.
Alors que je rouvre les yeux en secouant la tête, je peux voir Charade à côté de Blue. Il lui tire les cheveux pour la forcer à regarder dans ma direction et je peux voir qu’elle est terrifiée alors qu’elle sanglote en fermant les yeux.
« Nous allons te prendre tout ce que tu aimes et les détruire devant toi. En même temps, nous allons te torturer suffisamment pour que tu préfères la mort à une éternité comme ça. Mais ne pense pas que ce soit personnel. Tu n’es pas le premier et tu ne seras sans doute pas le dernier… Tu es juste une étape de plus dans l’histoire de ma guilde. Une marche dans son ascension qui m’apporte une Voleuse de talent comme Maliel et trois jeunes Guides qui s’assureront que je trouve toujours ma fortune. »
L’instant suivant, un nouveau coup de fouet divise ma vue par deux. Mon œil gauche vient de subir une blessure que je ferais mieux de ne pas imaginer. Je me contente de serrer les dents en espérant qu’il ne touche pas à Blue plus longtemps. Il la gifle violemment en lui disant d’ouvrir les yeux. C’est encore possible que Korail, Tark et Kiki débarquent tout de suite et sauvent au moins les Guides, donc je ne dois pas perdre espoir… Blue me regarde terrifiée en manquant de perdre conscience alors qu’un nouveau coup de fouet me frappe. Charade approche un couteau de la gorge de Blue et je décide d’agir.
En forçant sur le couteau planté dans mon avant-bras, j’arrive à remonter la lame jusqu’à la garde et en forçant, j’arrive à le déloger de l’accoudoir. Je me déboîte ensuite le pouce pour forcer ma main à sortir d’une des menottes. J’y arrive malgré le gantelet de félin, mais je peux sentir ma chair se déchirer au passage.
Un fouet s’enroule soudainement autour de mon bras et m’empêche de bouger. La trappe au sol où les rats que je viens de dresser sont enfermés s’agite alors qu’ils arrivent à la soulever pour commencer à en sortir.
Je commence à libérer mon deuxième bras de la même façon que le premier en gardant les yeux sur les gardes qui ne manqueront pas de m’attaquer dans quelques instants. Les rats à l’extérieur chargent déjà en direction du QG et avec un peu de chance je serai libre avant qu’ils n’arrivent ici.
J’arrive à libérer mon bras droit et je le dirige tout de suite vers un compartiment caché de ma ceinture pour attraper une grenade à aiguilles miniature que je jette tout de suite sur l’homme aux fouets. Une fois que j’aurai –
Le couteau dans les mains de Charade se plante dans mon épaule droite en l’immobilisant complètement, mais la bombe à aiguille explose sur l’homme aux fouets. Je libère mon bras du fouet alors que son propriétaire tombe au sol en hurlant.
Talion dégaine son sabre en approchant, mais je jette un fumigène dans sa direction avant de regarder Charade qui s’approche de Yuu.
Une seule pichenette de sa part sur la blessure du kelfi et je risque de perdre connaissance. J’arrache le couteau dans mon épaule en le jetant sur lui, mais il esquive l’attaque en souriant presque et en avançant en direction de la table. J’arrache ensuite le couteau dans mon avant-bras droit pour l’attaquer à nouveau, mais le lancer est trop imprécis pour l’atteindre et il se met à ricaner.
D’une main, j’attrape mon arbalète dans mon inventaire, mais celle-ci tombe mollement de ma main pour finir par terre alors que mes blessures me font comprendre qu’il est impossible pour moi de tenir quelque chose d’aussi lourd. L’instant suivant, Charade bouge un peu le stylo dans le corps de Yuu et un flash de lumière envahit mes yeux en me rendant aveugle. La douleur me percute comme un camion et je manque de régurgiter alors que je commence à avoir des spasmes de douleurs.
« Ce sera loin d’être suffisant Nomad, mais une tentative aussi inutile me permet d’en apprendre tellement sur toi et sur ce qu’il te reste en réserve… Reprenons maintenant. Retirez juste sa ceinture vous autres. »
Alors que je l’entends parler, je peux sentir que quelque chose me transperce les épaules en m’immobilisant complètement.