Funkel, le vieux majordome, fuyait à travers les champs arides à la périphérie de la ville.
Il avait perdu son chapeau, ses cheveux gris soigneusement peignés pendaient de manière désordonnée et ses vêtements étaient couverts de terre.
Il s’arrêta un instant, haletant, et regarda derrière lui, soulagé de constater qu’il n’y avait personne aux alentours.
Mais alors qu’il se retournait, prêt à changer de direction, il aperçut, droit devant lui, une silhouette.
Elle portait une robe classique à capuchon, son visage était terne, inexpressif et ses yeux noirs cachés dans l’ombre.
Les pupilles de Funkel se contractèrent. Il ouvrit la bouche et tenta de prononcer un mot en ancien Hermès, mais à sa grande surprise, son nez disparut tandis que sa voix s’éteignait.
Une expression de désespoir se peignit sur son visage. Puis, tel une tache dans le vide, son corps fut comme effacé avec un chiffon sans qu’il en reste la moindre trace.
…
Klein faisait face à l’attaque imminente de Mr. A, infecté par une maladie. Son mal de tête et sa fièvre l’empêchaient d’utiliser le Contrôle du Feu ou le Saut Enflammé.
Il ne pouvait même pas produire de balles d’air.
La peur de l’inconnu s’empara de son esprit. L’intuition du Clown pour le danger le “vit” se diviser en de minuscules particules de lumière, lui ôtant peut-être toute chance de revivre.
En un instant, Klein plongea la main dans sa poche et s’empara d’un objet.
C’était sa réponse à la situation la plus dangereuse qu’il ait pu prévoir !
Quelle que soit la situation dans laquelle il se trouvait soudain, un Magicien devait, au minimum, être préparé afin de ne pas paniquer en pleine bataille.
Klein sortit le sifflet en cuivre d’Azik, le porta à sa bouche et souffla aussi fort que lui permettaient ses éternuements et sa toux !
Sans que rien n’ait bougé, il vit, à travers sa vision spirituelle, jaillir un geyser d’os qui, très vite, prit l’apparence d’un immense messager dont les orbites étaient embrasées de flammes noires.
Brusquement, les pages du livre de M. A cessèrent de se tourner et la voix lointaine se tut.
Un éclat vert brumeux jaillit et le messager, qui mesurait près de quatre mètres de haut, se fissura et se désagrégea en d’innombrables points de lumière.
Derrière lui, la force qui avait fait tourner Klein en rond fut la première à s’effondrer. Enveloppé, le personnage à la redingote noire se transforma en une statue de sable jaune que le vent emporta.
Mais le sable éparpillé était constitué de taches blanches, comme s’il s’agissait de lambeaux de papier déchirés à l’extrême.
La silhouette de Klein réapparut à l’autre bout, agenouillée et qui toussait sans pouvoir s’arrêter.
Si l’immense squelette n’avait pas paré le coup, il aurait été incapable d’utiliser la Figurine en Papier de Substitution.
Cette épreuve terminée, sa maladie s’était aggravée au point de lui faire perdre toute capacité à résister.
C’est alors que M. A, qui avait manqué son coup fatal, se mit soudain à tousser plus violemment encore que lui et s’effondra de douleur, une écume de sang aux commissures des lèvres.
Il cracha un amas d’organes fragmentés et de chair puis, à grand-peine, ouvrit la bouche et tenta de les ravaler de force.
Que se passe-t-il ? se demanda Klein, abasourdi.
Réprimant sa toux, il pointa son revolver vers la tête de l’homme.
Il eut alors une vague compréhension de ce qui se produisait. La magie de chair et de sang qui guérissait les blessures de M. A pouvaient rien pour son énergie spirituelle et son esprit.
Il lui aurait fallu recourir à un autre pouvoir Transcendant pour guérir progressivement les dommages causés à son corps spirituel, mais habité par la haine, il avait utilisé plus de pouvoirs que son organisme n’en pouvait supporter, aggravant son état et réveillant ainsi ses problèmes latents.
Klein tira toutes les balles de son revolver. Des rayons de lumière bronze, or pâle et argent traversèrent aussitôt la courte distance qui les séparait.
Malheureusement, il n’avait pu réprimer ses éternuements et sa toux. Seules deux balles atteignirent M.A, l’une au front, l’autre au torse.
Un grésillement retentit, mais on aurait dit que la tête de M. A n’avait plus de crâne et n’était plus qu’un amas de chair en décomposition. La balle de couleur or pâle s’étant enfoncée profondément dans son corps. Elle fut rapidement arrêtée sans parvenir à lui infliger de blessure mortelle et se contenta d’émettre un rayon de soleil doré.
- A releva le cou et l’on vit ses chairs se tordre sauvagement autour du trou laissé dans sa tête.
Il n’était ni, ni même sérieusement blessé, cet homme qui avait été autrefois le tenace Evêque Rose !
Voyant cela, Klein prit une décision. Il fit demi-tour et, renonçant à se battre, s’enfuit. Quant à M. A, haletant, il baissa la tête et lécha les lambeaux d’organes qu’il venait de cracher.
La respiration sifflante et prix de quintes de toux, Klein courait dans des directions aléatoires, faisant parfois des roulades.
Finalement, il arriva au bord d’une falaise située à plus de cinquante mètres.
Tout en bas coulait, un peu trouble mais calme, la rivière Tussock.
Klein n’hésita pas. Prenant appui sur ses jambes, il sauta.
Durant son plongeon, il ressentit l’apesanteur d’une chute libre.
Alors qu’il tentait d’ajuster sa posture en plein vol pour prendre une posture de plongée standard, son corps se déchira dans les airs.
Son état de santé l’ayant interrompu dans les trois roulades qu’il faisait à mi chute, il n’eut pas le temps de bien positionner son corps et ses mains.
Dans un bruit d’éclaboussure, il heurta la surface de l’eau et se réduisit en un mince morceau de papier blanc.
La figurine de papier s’humidifia et s’enfonça légèrement dans l’eau.
Au fond de la rivière, non loin de là, Klein réapparut, tremblant légèrement.
Ses vêtements étaient trempés, tout comme le reste du papier et des billets qu’il avait dans son portefeuille.
Depuis que je me suis éloigné de M. A, le mal s’est calmé… pensa le jeune homme avec un sentiment de peur persistant.
Si sa toux et ses éternuements ne s’étaient pas calmés à la dernière minute, il n’aurait même pas eu le temps d’utiliser les figurines de papier. Il aurait fait une hémorragie interne et serait mort sur le coup. Cela dit, s’il était mort ainsi, il avait le sentiment qu’il avant une chance de ressusciter.
Tout en battant des jambes pour se maintenir à flot, Klein fit apparaître dans sa bouche un tube invisible qui lui permit de recracher l’eau et d’aspirer de l’air frais.
C’est la Respiration Sous-marine, l’un des pouvoirs du Magicien !
Il aspirait par la bouche et expirait par le nez de façon à ne pas laisser le gaz trouble qu’il rejetait polluer le tuyau en se mêlant directement à l’eau.
Furtivement, il rejoignit le rivage, espérant échapper à la poursuite de Mr. A
Malheureusement, nous ne sommes pas en ville. Mes pouvoirs de Sans-Visage ne sont pas efficaces ici, sans quoi je me serais échappé et M.A ne pourrait jamais me retrouver, se dit-il instinctivement, tout en nageant.
Cela l’amena à considérer un problème, à savoir le pouvoir Transcendant de contrôle du vent dont disposait auparavant son adeversaire.
En général, cela relève de la voie du Seigneur des Tempêtes… Une voie qui touche non seulement au vent, mais aussi à l’eau, ce qui est particulièrement efficace quant aux activités sous-marines… Les activités sous-marines… Que le Berger est donc complet et terrifiant !
Le cœur de Klein faillit s’arrêter de battre à cette pensée et il se mit à nager vers l’amont sans chercher à se cacher !
Alors qu’il approchait du rivage, le jeune homme vit le visage diaboliquement beau de Monsieur A, couvert d’écailles de poisson et de branchies béantes.
L’homme qui, dans sa robe rouge vif, flottait à la surface de l’eau dans sa robe rouge vif, esquissa un rictus. Ses yeux étaient remplis d’une véritable haine.
Me battre ! C’est tout ce que je peux faire ! Je vais essayer de tenir jusqu’à l’arrivée des renforts de l’Église ou jusqu’à ce que M. Azik sorte de ce mauvais pas !
Sans hésiter, Klein, désormais remis de sa maladie, leva la main droite, prêt à claquer des doigts.
Soudain et comme instinctivement, tous deux levèrent les yeux vers le ciel.
Presque aussitôt apparut une ravissante femme.
Encapuchonnée et vêtue d’une robe sombre, elle avait le regard rivé sur Mr.A.
Klein vit ensuite M. A s’effacer comme un simple dessin au crayon sous l’effet d’une gomme, ne laissant, gravé dans son esprit en tant que seul et unique public présent, qu’un regard d’indignation et de désespoir.
C’est… C’est quoi ce niveau ? Quelle est cette force ?
Le personnage se tourna vers lui : elle avait un beau visage, mais totalement inexpressif. Profonds et sombres, ses yeux noirs ne reflétaient aucune spiritualité.
Alors que le cœur de Klein battait la chamade à l’idée de disparaître sans laisser de traces, sans savoir s’il pourrait ressusciter, la femme esquissa un sourire.
Un sourire ? Le jeune homme en resta bouche bée. Rêvait-il ?
Avant qu’il n’ait eu le temps de reprendre ses esprits, la silhouette s’estompa et disparut. On n’entendait plus que le clapotement de l’eau.
Perplexe, Klein nagea jusqu’au rivage. Il regarda autour de lui et s’aperçut que cet endroit était incroyablement isolé. Il n’y avait ni route ni habitant. Seule coulait, immuable, la rivière légèrement trouble.
Et ça se termine comme ça ? M. A est mort comme ça ? Qui était cette dame ? Sa puissance était telle que M. A n’a même pas eu le temps de crier… Et elle m’a souri. Souri… Peut-être devrais-je dire “Elle” ? Cela dit, à part des personnages du même niveau que le Pape, comment des anges des trois Églises pourraient-ils fouler ce sol ? De plus, jamais un personnage du niveau du Pape ne se trouverait à Backlund… se dit Klein qui ne pouvait croire qu’il était hors de danger.
Après un moment de réflexion, il revint à la réalité.
Ce doit être une puissance envoyée par les Églises. Elle est arrivée à temps et m’a sauvé.
Si je n’avais pas prévenu Mlle Justice, ils ne seraient peut-être pas intervenus aussi rapidement. Il y aurait eu de fortes chances que je sois tué par M. A sans vraiment savoir si je pourrais ressusciter….
Et c’est aussi parce que j’ai persévéré, que j’ai fait durer la bataille jusqu’à ce jour.
Pas mal du tout…
Avec un soupir de soulagement, Klein commença à chercher une issue.
…
– « Exil ! »
L’homme au masque d’or pointa Azik Eggers et lança sa silhouette dans le vide, à un endroit que personne ne connaissait.
Puis, il se retourna pour faire face à Ince Zangwill, qui le regardait en fronçant les sourcils.
“Nous n’avons pas le temps, nous ne pouvons pas l’achever aussi rapidement ! Nous devons cacher cette zone au plus vite. Voulez-vous que l’Église découvre notre secret ?” L’homme au masque d’or grogna de colère.
Ince Zangwill chassa ses doutes, acquiesça, se tourna vers 0-08 qui avait cessé d’écrire et l’attrapa.
Sa silhouette vacillait quelque peu, et à ses jambes s’entassait un pantalon qui avait failli être déchiré au milieu de la bataille.
…
Dans le manoir de la Rose Rouge, le prince Edessak était assis près de la grande fenêtre, le regard anormalement vide.
“Votre Altesse, dépêchez-vous s’il vous plaît.” Une voix se fit entendre à côté de lui.
Les yeux d’Edessak s’illuminèrent, il prit une inspiration, ramassa le revolver posé sur la table et le pressa contre sa tempe. À l’intérieur se trouvait une balle qui anéantissait les corps spirituels.
Il tourna la tête et regarda longuement le terrain de golf et les chevaux qui s’y promenaient.
Bang !
Il appuya sur la gâchette.