Chapitre 258 – Les préparatifs de Klein
Cheek…
Tandis qu’il regardait la belle jeune femme aux yeux brumeux et aux sourcils froncés, Klein ne put contrôler la chair de poule qui couvrait sa peau. Elle était bien visible et accompagnée de sueurs froides.
En cet instant, il avait l’impression d’être de retour à Tingen, à la Compagnie de Sécurité de l’Épine Noire, et d’être sur le point d’activer sa Vision Spirituelle pour observer Megose et le bébé qu’elle portait. La peur que lui dictait son instinct était si claire qu’il avait l’impression qu’une main géante agrippait fermement son cœur.
Il comprit enfin que ce qui interférait avec le brouillard gris et ses divinations n’était pas un Artefact Scellé de Grade 0 ni un objet mystique de même niveau. Il y avait quelque chose d’encore plus terrifiant caché dans le corps de Trissy.
Le symbole de l’apocalypse, la Démone Primordiale !
Non, elle n’est pas encore la Démone primordiale, sans quoi j’aurais déjà perdu le contrôle rien qu’en me trouvant avec elle et me serais transformé en un tas de chair avariée qui se tortille !
Elle est dans un état très étrange…
Les sourcils de Trissy se relachèrent et ses yeux retrouvèrent leur concentration. Tout en regardant Klein – qui n’osait pas bouger – elle leva doucement la main droite et fit lentement glisser ses délicats doigts blancs le long de son corps. Avec un sourire mêlé d’amertume, de séduction et de malice, elle lui dit :
– « Si vous parvenez à informer les Faucons de Nuit, les Punisseurs Mandatés et la Conscience Collective des Machines de cette affaire et que je vous revoie avant qu’ils ne m’arrêtent, je ne verrai pas d’inconvénient à vous faire connaître ce qu’est le vrai plaisir. »
Le regard de Klein suivait inconsciemment les doigts de la jeune femme et toutes sortes de détails hallucinants jaillirent dans son esprit.
Ils ne sont pas très gros, mais ils sont très fermes… Mais à quoi je pense ?! Qu’est-ce que je regarde ?! Est-ce là le pouvoir de séduction d’une Démone du plaisir ? Abstraction faite du fait que vous étiez autrefois un homme, même si vous étiez une vraie dame qui n’avait pas commis, par le passé, autant de crimes odieux, ce qui atténuerait le rejet psychologique que j’éprouve, je ne m’y risquerais pas. Si vous veniez à vous éveiller en tant que Démone Primordiale, le Fou lui-même ne pourrait le supporter…
Soupirant intérieurement, Klein leva la tête vers le plafond de bois de la voiture et répondit :
– « Pensez-vous que le Transcendant ordinaire de Basse ou Moyenne Séquence que je suis ait le moyen d’échapper aux poursuites de la famille royale ? À mon avis, ils se sont aperçus de quelque chose et sont sur le point de passer à l’action… »
Voyant que le jeune homme n’osait pas la regarder en face, Trissy en éprouva un peu de fierté.
Elle eut un petit rire :
– « Je vais tenter de m’échapper et de faire diversion face à la principale force de poursuite. Même si les autres sont très puissants, il n’est pas impossible d’en venir à bout. Je suis convaincue que vous vous battrez de toutes vos forces pour votre vie. Vous avez un grand espoir ! »
Sur ce, elle disparut comme si quelqu’un l’avait effacée d’un chiffon.
À la différence de Sharron, il ne s’agissait pas d’un retour normal à l’état de Spectre, mais bel et bien d’une forme d’invisibilité.
La porte de la calèche s’ouvrit et se referma.
Alors qu’un doux parfum persistant s’infiltrait dans ses narines, Klein détourna le regard, le visage sombre.
Ses bras tremblaient encore légèrement, comme s’il avait contracté une maladie.
Sans sa riche expérience, même si, dans le monde réel, il avait affronté le fils d’un dieu maléfique à travers un ventre, lui qui savait ce que signifiait le nom ” Trissy Cheek ” n’aurait pas été capable de supporter la pression terrifiante et se serait effondré sur place. C’était comme si l’on tirait sur un élastique au point de le déchirer.
Il semblerait que Trissy ne sache toujours pas ce qui arrive à son corps. Elle ne connaît pas non plus la signification du nom “Cheek”…
Klein apaisa rapidement ses pensées, regarda par la fenêtre, estima la distance et le temps.
Son intuition spirituelle et son expérience lui soufflaient que dans une telle situation, mieux valait tenter quelque chose que ne rien faire !
Aussi, face au danger d’être réduit au silence, il était prêt à faire l’impossible pour se sauver !
3, 2, 1… Le jeune homme ouvrit soudain les yeux et claqua des doigts.
Au bord de la route, sur un arbre dont il ne restait que des branches mortes, un petit feu se déclara. Très vite, les flammes s’élevèrent vers le ciel.
Des allumettes que Klein avait intentionnellement réparties dans ses poches s’enflammèrent et se vêtements noirs se trouvèrent enveloppés de cramoisi.
Sa silhouette disparut de l’intérieur du carrosse et émergea des flammes sur le bord de la route.
Sans cesser de claquer des doigts, on put le voir traverser la forêt clairsemée et desséchée. Il “chevaucha” les flammes et très vite, se retrouva au cœur des bois, là où, de l’extérieur, on ne pouvait le voir.
Il s’arrêta et prit l’accessoire qui pendait à son cou.
Il avait toujours su qu’il y avait des éléments cachés dans cette affaire c’est pourquoi, pour sa visite au Manoir de la Rose Rouge, il s’était conformé aux règles du Magicien. Il avait fait quelques préparatifs, notamment stocké séparément des allumettes et emporté un certain nombre d’objets occultes.
La Bouteille de Poison Biologique et la Broche du Soleil ayant été impliquées dans les incidents de Capim et des Spectre, par prudence, il avait préféré les laisser au-dessus du brouillard gris. Quant à l’Œil Noir laissé par Rosago, le Maître Marionnettiste, il lui aurait était difficile de lui faire passer les gardes du manoir, aussi reçut-il le même traitement.
Enfin, outre les trois types de balles – de purification, de chasse aux démons et d’exorcisme – il n’avait emporté que deux objets occultes.
Le premier était le Passe-partout, qui lui permettait de franchir les obstacles et dont il pouvait compenser les effets secondaires – risque de se perdre – par la radiesthésie. De plus, il ressemblait à une clé ordinaire et n’était pas facile à repérer. L’autre était un élément clé des préparatifs de Klein : le sifflet de cuivre d’Azik.
En d’autres termes, s’il était confronté à un danger qu’il ne pouvait gérer seul, il pouvait demander l’aide d’une importante puissance !
Après cette rencontre, que j’aie reconnu Trissy ou non, je suis certainement sur une liste de personnes à abattre. Il y a de fortes chances pour que je sois dans le collimateur de 0-08. L’aide de M. Azik n’aura pas d’effets négatifs. Enfin, si 0-08 est à l’origine de toutes ces coïncidences…
Klein mit dans sa bouche le froid sifflet de cuivre et souffla dedans.
Sans un bruit, il activa sa Vision Spirituelle et vit les os blancs jaillir du sol comme une fontaine. Le messager géant de près de quatre mètres de haut prit forme, baissa la tête et posa sur lui ses orbites dans lesquelles brûlaient des flammes noires.
Ce corps gigantesque donna à Klein un sentiment de sécurité. Il sortit le stylo et le papier qu’il avait emportés et écrivit : “A l’aide !”.
Puis il plia la feuille et la glissa dans la main du messager.
Celui-ci disparu, il rangea le sifflet de cuivre, prit délibérément une posture de prière et psalmodia rapidement le titre honorifique du Fou : “… Honorable Monsieur le Fou, mes investigations ont porté leurs fruits. La femme dont le Prince Edessak est tombé amoureux est la sorcière Trissy de la Secte des Démones. Elle est à présent Démone du Plaisir et les hautes autorités l’ont rebaptisée Trissy Cheek…”
Après un bref ” rapport “, le jeune homme, sans prendre la peine de se cacher, fit aussitôt quatre pas dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et se transporta au-dessus du brouillard gris.
Là, il récupéra les images le représentant en train de prier et les lança vers l’étoile cramoisie qui symbolisait Miss Justice. Il fit de son mieux pour feindre un ton moqueur et ajouta d’une manière condescendante qui correspondait au style du Fou : ” Cheek, héhé, c’est là le véritable nom de la Démone Primordiale… “
Cela fait, Klein retourna aussitôt dans le monde réel, prêt à fuir pour sauver sa vie.
Il n’avait fait que quelques pas lorsque soudain, ses yeux s’illuminèrent.
Levant machinalement la tête, il vit plusieurs météores enflammés déchirer le ciel et envelopper toute la forêt.
La lumière écarlate qui brillait dans ses yeux laissa le jeune homme totalement démuni.
Il ne s’attendait pas à ce que son adversaire lui envoie des météorites pour le faire taire !
…
Sur un cahier jauni, une plume d’apparence ordinaire écrivait :
“Pour des raisons inconnues et inexplicables, la pluie de météorites de Dallask est arrivée sur la planète avec deux jours d’avance.
“Une partie vient d’atterrir dans la forêt où se cachait le détective Sherlock Moriarty. Oui, comme ça ! »
…
Le mardi après-midi, dans le bureau d’Audrey…
L’adolescente, qui était sur le point de devenir adulte, écoutait attentivement Mme Escalante expliquer le lien entre l’intersection des pouvoirs des Spectateurs et des Télépathes avec la psychologie mystique. Susie était assise à ses pieds, attentive.
Soudain, elle eut la vision d’une vaste étendue de brouillard gris et d’une silhouette floue en position de prière dans ce qui semblait être une forêt.
Peu après lui parvinrent des paroles.
Prince Edessak… La Secte des Démones… Sorcière Trissy… Démone du Plaisir… Trissy Cheek… Audrey filtra automatiquement les détails non pertinents et prit note du plus important.
C’est donc ça ! La personne dont Edessak est tombé amoureux est une Démone… De plus, bon nombre d’entre elles sont des hommes transformés… Pourquoi ai-je envie de rire ? Est-ce pour cela qu’il va mettre Backlund en danger ? Bon, il faut que je prévienne Père… Mais comment ? Sous quel prétexte ?
Audrey tenta tant bien que mal de contrôler son expression et son regard, mais son esprit vagabondait.
C’est alors qu’elle vit Le Fou tranquillement assis au bout de la longue table de bronze et l’entendit lui dire d’un ton doux teinté d’une pointe de ridicule “Cheek, héhé, c’est là le vrai nom de la Démone Primordiale…”
Le vrai nom de la Démone Primordiale… La Démone Primordiale !
L’esprit d’Audrey se mit à bourdonner et son visage, aussitôt, prit un air alarmé.
En tant que Télépathe et en bonne observatrice, Escalante s’aperçut aussitôt que quelque chose perturbait la jeune fille.
– « Qu’est-ce qui ne va pas ? » s’enquit-elle.
Audrey réfléchit un instant :
– « Madame Escalante », répondit son élève sans chercher à cacher son inquiétude, « je viens de me souvenir de quelque chose de grave. J’aurais dû le dire à mes parents, mais j’ai oublié. Cela risque d’avoir de terribles et sérieuses conséquences. »
La destruction de Backlund, par exemple, et le fait que parmi les millions de personnes qui vivent ici, qu’il s’agisse de nobles, de gens de la classe moyenne ou de pauvres, peu survivront…
La jeune fille se pinça les lèvres. L’inquiétude se lisait dans ses yeux étincelants, semblables à des émeraudes.
Escalante fronça les sourcils :
– « Serait-il trop tard pour le faire maintenant ? »
Audrey, qui était entrée en état de Spectatrice, prit rapidement une décision.
– « Ce sera toujours mieux que rien. Madame Escalante, attendez-moi je vous prie. Ou plutôt non, vous feriez mieux de partir. »
Sur ce, elle se leva et sortit dans le couloir.
Père est parti à la Chambre des Lords… Seule Mère est à la maison… Mais que vais-je dire ?
Elle fronça légèrement les sourcils sans toutefois accélérer le pas ni ralentir. Elle était accompagnée de sa femme de chambre et de son gros chien Susie.
Peu à peu, une idée lui vint et lorsqu’elle arriva dans le salon où se trouvait sa mère, sa décision était prise.
Alors qu’elle prenait une légère inspiration, la jeune fille se sentit les épaules étrangement lourdes.
Puis, sans hésiter, elle frappa à la porte.