Le Firmament. Un monde apparemment éternel qui existait depuis des temps immémoriaux. Quelques anciens dieux en occupaient le sommet depuis toujours, aussi loin que la mémoire portait, immuables.
Le soleil se couchait, d’un rouge sang cramoisi. Le vent soufflait férocement. Un homme marchait, lentement, au milieu d’une vallée aride isolée. Tout à coup, l’inconnu s’arrêta un bref instant. Puis il se précipita derrière un rocher à proximité. À peine caché, une silhouette grise surgit non loin. Celle d’un lièvre gris.
Léchant ses lèvres desséchées, l’homme ramassa un bâton en bois sur le sol. Il frappa. Un arc d’énergie jaillit de l’extrémité de son arme improvisée avant de s’étendre en un filet de Qi d’épée.
Puit !
Mais en arrivant à un mètre du lièvre, la nasse se dissipa brusquement.
Voyant que son attaque n’était pas assez forte pour abattre cet animal, l’inconnu lança sans hésitation son bâton vers sa cible, comme s’il s’agissait d’une flèche.
Sou !
Cependant, le lièvre était alors sur ses gardes. D’un bond puissant, il parcourut six mètres en un instant. Le projectile se planta dans le sol, là où il s’était tenu un instant plus tôt.
Il se retourna pour regarder la silhouette qui l’avait agressé, un sourire moqueur sur son museau. Puis, en quelques sauts, il disparut.
Quel dommage…
L’homme secoua amèrement la tête.
Ce n’était autre que Zhang Xuan.
Lui, l’Enseignant du Monde du Continent des Maîtres Enseignants et l’être le plus puissant de l’Azur, était incapable d’attraper un simple lapin au Firmament. Pire, la bête s’était foutue de lui !
Si d’autres l’apprenaient, il mourrait vraiment de honte !
La scène l’illustrait parfaitement, il était dans une situation difficile.
On dirait que nous n’aurons pas d’autre choix que de manger de l’herbe aujourd’hui encore…
Sachant qu’il lui serait difficile de trouver une autre proie, Zhang Xuan secoua la tête, impuissant. Cela faisait deux semaines qu’il était arrivé au Firmament. Après avoir traversé la turbulence spatiale, il s’était retrouvé dans cette vallée. Contrairement à la fois où il était monté dans l’Azur, il n’avait pas perdu connaissance. Néanmoins, il avait subi de terribles blessures. Il s’était protégé avec le filet d’épée formé via son Cœur de fils entrelacés, mais la tempête avait été si puissante qu’il avait failli être déchiqueté.
Sans le pendentif de Luo Ruoxin, qui s’était activé au moment critique pour le protéger, il aurait peut-être pu perdre la vie.
Cela étant dit, après s’être rendu dans une zone sûre, il s’était tout de même évanoui un court instant, en raison de la gravité de ses blessures.
Cette vallée était l’incarnation de la cruauté de la nature. Un vent fort soufflait sans arrêt, et de temps en temps, une averse si intense qu’elle pouvait écrabouiller les cultivateurs du royaume de la demi Divinité tombait sans avertissement.
Et le pire de tout ? Il n’y avait presque pas d’énergie spirituelle dans le coin !
En conséquence, il avait fallu deux semaines pour récupérer, et il lui en faudrait davantage encore pour se remettre complètement.
Autre chose. Il avait remarqué que les Pilules Immortelles et les autres trésors qu’il avait apportés de l’Azur n’étaient plus très utiles. Même l’eau du bain de Petit Poussin n’était plus aussi efficace. Cela avait probablement quelque chose à voir avec l’atmosphère du Firmament.
Bref, ses graves blessures l’avaient empêché de chasser, il n’avait donc pu que se nourrir de plantes sauvages. Heureusement, même si elles avaient mauvais goût, elles étaient chargées d’une certaine quantité d’énergie spirituelle et lui fournissaient suffisamment d’énergie pour répondre à ses besoins quotidiens.
Mais même s’il les appelait de l’herbe sauvage, car il s’agissait bien de plantes trouvées là et qu’il ne pouvait penser à aucun autre terme plus approprié pour les désigner, s’il pouvait les ramener dans l’Azur, elles seraient certainement considérées comme une ressource de cultivation équivalentes aux herbes médicinales de premier ordre et aux Pilules Immortelles Suprêmes.
La différence entre les deux mondes était tout simplement trop énorme. Le simple rapport de un pour cent dans l’écoulement du temps et l’incroyable stabilité de l’espace suffisait à l’illustrer.
Il était l’homme le plus fort de l’Azur, mais il n’était probablement pas différent d’un humain ordinaire dans ce monde supérieur.
Tel était le Firmament !
Non seulement je ne peux pas voler, mais je me fatigue à marcher. J’ai même recommencé à avoir faim !
Le simple fait de se remémorer ces deux dernières semaines le fatiguait.
Compte tenu des difficultés qu’il avait traversées pour devenir une divinité, il avait pensé être au moins d’un niveau supérieur au Firmament. En un clin d’œil, il avait eu l’impression d’être revenu au point de départ, celui d’un humain ordinaire…
Marcher trop longtemps l’épuisait, ne pas manger le privait d’énergie, courir trop vite l’essoufflait, et rester debout trop longtemps le rendait somnolent…
Il ne s’était jamais senti aussi faible, même lorsqu’il avait été un professeur raté à l’Académie Hongtian !
Alors, il se rendit compte qu’il était probable au niveau de cultivation le plus bas du Firmament. Il n’était peut-être même pas à la hauteur d’un lapin en termes de force brute !
Par exemple, il avait croisé un autre lapin la veille. Après une longue bagarre, non seulement ce maudit gibier lui avait griffé la main, et avait même réussi à s’enfuir !
Même chose pour celui qu’il venait de croiser.
Guugu !
Il sentit son estomac gronder. Il semblait qu’il avait dépensé trop d’énergie à réfléchir.
Laisse tomber, je dois continuer à chercher. Qui sait, un imbécile de lapin pourrait bien foncer droit dans un arbre et mourir. Si c’est le cas, je pourrai me régaler !
Zhang Xuan se lécha les lèvres en endurant la fatigue. Il continua d’avancer, péniblement.
Après avoir contourné une colline, il aperçut quelque chose qui fit briller ses yeux.
– « Des fruits ! »
Dans une fissure d’une colline, un arbre poussait en diagonale. Huit baies verdâtres étaient bien visibles. Elles avaient à peu près la taille de la paume d’un bébé et ne semblaient pas encore mûres. Néanmoins, pour quelqu’un qui s’était nourri d’herbes pendant longtemps, c’était comme tomber sur une oasis au milieu d’un désert.
Excité, il en cueillit rapidement un et le porta à son nez.
Un parfum aigre, rafraîchissant. Il sentit les pores de son corps s’ouvrir de plaisir.
Il ramassa rapidement les huit avant d’en porter une à sa bouche. Cependant, avant de mordre dedans, il changea d’avis. Il les plaça tous dans un sac avant de repartir.
Leurs royaumes de cultivation sont inférieurs au mien. Ça doit être encore plus difficile pour eux.
Il avait déjà atteint la divinité, pourtant il se sentait rapidement affamé après s’être à peine dépensé. Il avait l’impression de repousser les limites de son corps chaque jour. S’il était dans cette situation, c’était indubitablement pire pour Zhao Ya et les autres, qui n’étaient qu’au royaume de la demi Divinité.
N’ayant mangé que de l’herbe ces derniers jours, ils devenaient aussi maigres que des pousses de soja. Il ne lui avait pas été facile de tomber sur des fruits remplis d’énergie spirituelle. Naturellement, il devait les leur réserver.
Vents furieux et énergie spirituelle éparse. J’ai l’impression d’être entré dans le mauvais monde…
Zhang Xuan secoua la tête en revenant vers leur base.
Il avait imaginé que le Firmament était imprégné de l’Aura de Divinité, de sorte que n’importe qui pouvait l’absorber librement pour percer. Il pensait que lui et ses disciples seraient capables de s’élever rapidement au sommet et de devenir des individus puissants.
Mais la réalité était toute autre.
Même la survie était difficile pour eux, à ce moment-là. Allaient-ils tous mourir de faim avant même de pouvoir progresser ?
Le septième jour après avoir atteint le Firmament, il avait réussi à guérir suffisamment pour laisser ses compagnons sortir de l’estomac de Petit Poussin. À peine libérés, l’espace plié dans lequel ils s’étaient trouvés s’était effondré sous la pression du monde. Tous les objets qu’ils avaient entreposés avaient été réduits en poussière.
Sept jours de jeûne n’auraient pas été si graves dans l’Azur. Mais au Firmament, c’était assez pour les pousser au bord de la mort.
Ils avaient dû avaler pas mal de salades sans vinaigrette avant de pouvoir récupérer.
Quant à Petit Poussin, avait-il des problèmes pour se remettre de ses blessures ? Ou n’était-il pas encore habitué au Firmament ? Difficile à dire. Il continuait à dormir dans son dantian, ne montrant aucun signe d’éveil.
Zhang Xuan avait initialement espéré l’utiliser comme appât pour attirer des bêtes sauvages pour ensuite les traquer et satisfaire ses envies de viande, mais il ne pouvait compter là-dessus.
Tout en réfléchissant à ces questions diverses, il arriva à la caverne qu’ils utilisaient comme logement temporaire.
– « Professeur ! » Zhao Ya s’approcha rapidement de lui pour le saluer. « Vite, venez vous reposer. Vous êtes toujours blessé, vous devriez mieux prendre soin de vous. »
Pendant qu’elle parlait, elle l’aida à transporter ce qu’il avait ramené et les rangea soigneusement dans un coin.
– « Vous devriez nous permettre de sortir pour rassembler de la nourriture avec vous. Nous ne sommes pas blessés, nous pouvons partager certaines tâches… »
Ils avaient été cachés à l’intérieur de Petit Poussin pendant que Zhang Xuan se frayait un chemin à travers les turbulences spatiales, ils n’avaient donc subi aucune blessure. L’incroyable pression du Firmament les poussait à se sentir aussi faibles que de petits enfants. Mais chercher des fruits et de l’herbe ou trouver un moyen de lyncher une petite bête devait toujours être dans leurs moyens.
– « Non. » Il secoua la tête avec énergie. « La vallée est remplie de bêtes divines. La moindre erreur peut facilement vous coûter la vie ! Restez-là pour le moment, et trouvez un moyen d’atteindre le même niveau que moi ! »
– « Mais… » Elle était anxieuse. Aucun d’entre eux n’avait imaginé qu’ils finiraient dans cette situation. Ils avaient suivi leur professeur au Firmament dans l’espoir de pouvoir partager sa charge, mais ils avaient fini par devenir un poids.
– « Une protestation ? »
– « Je n’oserai pas… »
– « Bien. N’en parlons plus. Jetez un œil à ce que je vous ai apporté cette fois-ci, » sourit-il en montrant les baies qu’il portait dans son sac.
En un instant, leur parfum rafraîchissant emplit la caverne.
– « Est-ce que ce sont… des fruits ? » Les yeux de Yuan Tao et Sun Qiang s’illuminèrent, de la salive coulant de leurs lèvres. Ils avaient mangé de l’herbe tous les jours. Ils en avaient assez. Voir autre chose au menu était comme se mettre sous la pluie après une longue sécheresse.
– « Dans le mille ! » rit Zhang Xuan. « Cependant, il n’y en a pas beaucoup, assurez-vous de les partager. Je ressortirai plus tard pour voir s’il y en a d’autres. Sun Qiang, je vous laisse les distribuer. Que tout le monde reçoive une part ! »
– « Oui, Jeune Maître ! »
En dehors de Zhang Xuan, il y avait quatorze personnes présentes dans la grotte. Ses onze disciples directs, Sun Qiang, et les Saints de l’Épée Xingmeng.
– « Il y a huit fruits. Jeune Maître, prenez-en un. Chacun d’entre nous en aura une moitié, » calcula rapidement son majordome.
– « Je viens d’en manger un dehors, partagez le reste entre vous. Et n’oubliez pas d’en laisser une portion pour Petit Poussin. Même s’il dort toujours, il se plaindra certainement si nous ne lui gardons rien de côté pour son réveil. »
Sun Qiang distribua les fruits en conséquence.
Même s’ils n’étaient pas mûrs, leur énergie spirituelle était bien plus élevée que celle des herbes sauvages. Dès qu’ils mordirent dedans, ils sentirent la fatigue accumulée au cours de la journée s’évanouir en un instant, comme si quelqu’un leur avait injecté de l’énergie et de la vitalité.
Zhang Xuan regarda leurs sourires depuis l’entrée de la caverne. Il hocha la tête, soulagé.
Wang Ying s’approcha de lui. « Professeur, prenez ma moitié… »
– « Ce n’est pas nécessaire, j’en ai pris un plus tôt. Mangez et augmentez votre cultivation le plus rapidement possible. Vous pourrez réellement m’aider une fois que vous aurez atteint la… » Mais alors, ses sourcils se haussèrent. Sinistre, il reprit : « Dites à tout le monde de rester ici tranquillement. Sauf si je vous appelle, ne sortez pas, quoi qu’il arrive ! »
Juste après, il se précipita immédiatement hors de la caverne et disparut dans la vallée.
Après son départ, Wang Ying ajusta rapidement les lianes suspendues à l’extérieur de l’entrée, afin de la dissimuler. Puis, elle se retourna et regarda les autres, les yeux légèrement embrumés.
Remarquant que quelque chose n’allait pas, Zhao Ya la rejoignit. Elle demanda avec inquiétude : « Quelque chose ne va pas ? »
– « … Rien. » Elle baissa la tête. « Notre Professeur nous demande d’être prudents et de ne pas sortir quoi qu’il arrive. Je pense qu’il est reparti trouver de la nourriture. »
Regardant la demi baie dans ses mains, elle se mit à pleurer. Le visage toujours incliné vers le bas, elle s’isola rapidement dans un coin de la caverne.
Les autres n’avaient peut-être pas remarqué, mais elle était une observatrice attentive. Elle savait que son Professeur n’avait pas touché à un seul de ces fruits.
Le Firmament étant si particulier, le Maître Enseignant revenait souvent dans la grotte complètement épuisé à la fin de la journée. Mais même ainsi, il leur réservait toujours la nourriture la plus délicieuse. En dépit d’être celui qui travaillait le plus dur, il était aussi celui qui mourait le plus de faim, davantage que n’importe lequel d’entre eux.
Rien que d’y penser, son cœur se serrait.
Entrer dans sa salle de classe et le reconnaître comme son Professeur était la meilleure décision qu’elle eût jamais prise !
Même si elle pleurait, elle se dit que la vie au Firmament n’était pas si amère, après tout. Elle était teintée d’un peu de douceur…