Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 22 – Grimper sans se retourner
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Devant l’expression étrange de Lao Yang, je compris tout de suite que quelque chose n’allait pas et m’empressai de crier son nom. Il fut tellement surpris qu’il manqua de faire un bond de frayeur, mais il finit par réagir et tout tremblant, se figea sur place.

Nous nous précipitâmes vers lui et lui demandâmes ce qu’il avait l’intention de faire.

Lao Yang regarda l’arbre, puis se tourna vers nous :

― Aucune idée. C’est étrange, mais dès que j’ai vu cet arbre, j’ai ressenti une irrésistible envie de… grimper dessus.

Grimper ? Je le regardai d’un air dubitatif, puis levai les yeux vers l’arbre. Tu n’es tout de même pas un singe pour vouloir grimper dès que tu vois un arbre, pensai-je.

― Peut-être as-tu été affecté par l’imposante aura de cette chose ? Je sais que la plupart des gens ont envie de grimper quand ils voient quelque chose de grand.

Lao Yang secoua la tête :

― Honnêtement, je n’en sais rien.

― Ce truc est immense et un peu…. maléfique. Restons prudents et essayons de ne pas le toucher quand nous l’examinerons, dit maître Liang.

Je levai la torche et me dirigeai vers la base de l’arbre géant.

Les arbres de bronze étaient des reliques culturelles relativement rares. Pour autant que je sache, le seul qui ait pu être excavé se trouvait à Sanxingdui. (1) J’en avais appris un peu à leur sujet dans un documentaire. Apparemment, la communauté des archéologues n’avait pas d’opinion arrêtée sur leur origine, même s’il existait de nombreuses théories sur ce point.

En observant l’arbre de plus près, je vis que sa surface n’était pas lisse. Elle était couverte de motifs représentant un serpent à deux corps, symbole du caractère divin de cet objet de bronze.

Maître Liang l’examina un long moment.

― Cette immense chose était probablement un récipient sacrificiel datant des alentours des dynasties Shang et Zhou. Mais j’ignore à quoi il servait durant les rites. C’est vraiment trop ancien pour qu’on puisse le savoir.

Ce que venait de dire Maître Liang était très proche de ce que Grand-père Qi m’avait dit, mais si c’était à l’ère des dynasties Shang et Zhou… La dynastie Shang avait duré plus de 600 ans et la dynastie Zhou environ 522 ans, couvrant ainsi une période de plus de 1100 ans. Si l’on y ajoutait les plus de 400 ans de la dynastie Xia qui les avait précédées, cela représentait quasiment la moitié de l’histoire de la Chine. Pour l’essentiel, ses calculs ne nous aidaient pas.

Je lui demandai alors s’il pouvait être plus précis et nous dire de quelle partie de la dynastie Shang ou Zhou il provenait.

Maître Liang écarta les mains et, l’air démuni, nous répondit qu’il n’en savait rien.

― Ce genre de chose ne se voit pas à l’œil nu, c’est pourquoi je ne peux vous donner qu’une estimation approximative. Si vous regardez ici, vous verrez que la patine est noire et grise, ce qui signifie qu’il pourrait s’agir de bronze d’étain, de bronze de plomb-étain ou de bronze de plomb. Il est très probable qu’il s’agisse d’un objet datant de la dynastie des Zhou Occidentaux. Je dirais qu’il y a environ 50 % de chances. Mais pour les autres 50 %, je ne peux rien dire.  Vous connaissez les règles de notre métier. C’est la seule chose dont je sois sûr et si vous me demandez d’approfondir le sujet, ce ne sera que pure conjecture.

Dans le commerce des antiquités, il existait une ligne de démarcation entre les dynasties : un grand nombre d’antiquités avaient été créées après la dynastie Song, quelques-unes avant la dynastie Tang et pratiquement aucune durant les dynasties Shang et Zhou. Comme on savait très peu de choses sur cette période dans l’industrie, l’évaluation de Maître Liang n’était pas si mauvaise. Au moins en savait-il beaucoup plus que moi.

Après l’avoir écouté et ne comprenant pas mieux ce qu’était cet objet, je lui demandai :

― En supposant que cela date de la dynastie des Zhou Occidentaux, pensez-vous – théoriquement bien sûr – qu’avec leur niveau en matière de fabrication du bronze, ils auraient pu couler ceci ?

― Je ne peux pas répondre à cette question, répondit Maître Liang. Tout ce que je sais, c’est qu’à cette époque, les objets en bronze étaient fabriqués à partir de modèles en argile (moules en céramique). En théorie, tant que le modèle était réalisable, il était possible de couler le produit fini. Mais je crains que cet objet ne soit bien trop grand pour avoir été réalisé au moyen de techniques artisanales traditionnelles.

― Maître Liang, intervint soudain Lao Yang, pensez-vous qu’il pourrait s’agir d’une relique d’une civilisation préhistorique ? J’ai lu un jour dans un journal que des clous de fer datant de centaines de millions d’années avaient été déterrés dans des mines de charbon. Vu la taille de cet objet, les ‘gens’ de l’époque n’ont certainement pas pu le fabriquer, n’est-ce pas ?

― Je ne peux vraiment pas vous donner de réponse définitive, messieurs. La période allant de mille ans avant J.C. à environ la première année de l’ère chrétienne est appelée l’Âge des Miracles. Bon nombre de choses incroyables ont été construites à cette époque, comme la Grande Muraille de Chine, les pyramides, la tombe de Qin Shi Huang et la Tour de Babel. Il n’est donc pas forcément exact de penser qu’il aurait été impossible de couler cet arbre de bronze. En effet, nos ancêtres savaient déjà couler des objets en bronze en ces temps-là. Si l’empereur en donnait l’ordre, il n’est pas impossible d’envisager que ses subordonnés aient pu courber la tête et travailler d’arrache-pied durant des décennies.

Ce que disait Maître Liang avait du sens, mais la métallurgie à cette époque étant très peu développée, y aurait-il eu suffisamment de bronze disponible ? Qin Shi Huang, bien qu’il eût collecté des armes dans le monde entier, n’avait pu couler que douze statues. (2) À bien y regarder, on aurait pu couler une centaine de statues à partir de cet arbre. D’où pouvait bien provenir une telle quantité de bronze ?

J’eus beau m’y attarder un moment, aucune idée ne me venait. Cependant, quelque chose me   revint à l’esprit. Lorsque nous espionnions Li Pipa et les autres, nous l’avions entendu dire que cette tombe antique renfermait des objets bien plus précieux encore que ceux contenus dans celle de Qin Shi Huang. Jusque-là, nous n’avions rien vu de bon et nous étions déjà arrivés à ce qui semblait être la fin de la route. Le seul objet de valeur était manifestement ce grand arbre, mais nous n’étions pas des ferrailleurs. Nous ne pouvions pas simplement retirer ce bronze et le vendre, même si cet arbre aurait suffi à occuper un millier de ferrailleurs toute une vie durant…

Il devait y avoir quelque chose dans cette « Collection de rivières et d’arbres » qui l’avait poussé à venir ici. Seul quelque chose de significatif aurait pu faire parler ainsi un homme comme lui qui avait vu de nombreux trésors au cours de sa vie. Mais de quoi s’agissait-il et où cela se trouvait-il ?

En toute logique, nous devions être dans la partie principale du tombeau ou tout au moins en son centre. S’il y avait des choses intéressantes, elles auraient dû se trouver quelque part à proximité. Mais à part cet arbre, il n’y avait rien que des gens comme Li Pipa puissent apprécier… Attendez… l’arbre ?

Cette pensée ne m’avait pas plutôt traversé l’esprit que, pris d’une soudaine inspiration, je penchai la tête en arrière pour regarder le grand arbre. Se pouvait-il que ce qui piquait son intérêt soit caché au sommet de cet arbre de bronze ?

Pour les anciens du Royaume du Serpent, cet immense objet n’était pas seulement une structure gigantesque mais aussi un miracle. Il ne serait pas particulièrement surprenant que leur souverain ait installé sa tombe à l’endroit dont ils pensaient qu’il était le plus proche de leur dieu. Si vraiment il s’agissait de la tombe antique, le cercueil devait se trouver au sommet, avec tous ses objets funéraires.

Lorsque je fis part de mes réflexions aux deux autres, ils convinrent que c’était logique. Je leur demandai alors s’ils voulaient grimper pour jeter un œil.

― Nous sommes bien venus jusqu’ici, répondit Lao Yang, alors quelques pas de plus… Cet arbre a tellement de branches que ce sera comme monter des escaliers. Nous n’aurons pas trop d’efforts à faire.

Cela ne me dérangeait pas non plus de grimper, mais Maître Liang venait d’être rôti par le feu et n’avait plus la moindre force. Si nous lui demandions de faire cela, il risquait fort d’y rester. Nous courions aussi le risque d’avoir à nous occuper de lui s’il venait à flancher à un endroit où il ne pouvait ni monter ni descendre, et nous n’avions vraiment plus de force à revendre.

Je m’apprêtais à lui dire qu’il pouvait attendre en bas pendant que nous autres montions lorsque Maître Liang me tapota l’épaule et se frotta le visage :

― C’est bon. Voici enfin le dernier obstacle. Je veux aller voir moi aussi !

Ses yeux reflétaient une telle détermination que je compris que je ne pourrais pas l’en dissuader. J’attachai donc fermement mon sac à dos et brandis la torche :

― Alors allons-y, dis-je à Lao Yang.

Il sortit des gants de son sac, les enfila, posa le pied sur l’une des branches et se mit à grimper. Maître Liang et moi fîmes de même et escaladâmes l’arbre en suivant précisément son itinéraire.

Les branches au-dessus de nous n’étant pas très denses, notre progression s’en trouvait facilitée. Tout en grimpant, Lao Yang nous recommanda de faire attention à l’endroit où nous posions nos pieds et de ne pas commettre d’imprudence.

Appuyé contre le tronc, je pus enfin l’examiner de plus près. Les branches semblaient avoir été coulées en même temps que lui car leurs points de jonction ne présentaient aucune trace de forgeage. Toutefois et à ma grande surprise, entre les motifs représentant des serpents à deux corps qui ornaient le tronc, on pouvait voir des rainures si profondes qu’elles semblaient atteindre le cœur de l’arbre. Je me penchai pour y regarder de plus près, mais ne vis rien à l’intérieur de ces sillons.

Nous étions si concentrés sur nos mouvements que très vite, nous nous retrouvâmes trempés de sueur et haletants à profusion. Je jetai un coup d’œil vers le bas : je ne voyais plus le fond de la fosse mais par contre, je pouvais vaguement distinguer la faible lumière des bûchers que nous avions allumés près de l’entrée. À cette hauteur, nous avions l’impression de nous trouver au-dessus d’un abîme sans fond.

Au bout d’un certain temps et voyant que Maître Liang était complètement épuisé, je criai à Lao Yang de faire une halte. Il se retourna et d’un geste de la main, je lui fis comprendre de ne pas s’inquiéter, que Maître Liang avait juste besoin de se reposer un peu.

Ce dernier, se voyant en quelque sorte amnistié, s’accroupit aussitôt. Il était couvert de sueurs, blême de fatigue, ses jambes tremblaient et il avait du mal à garder son équilibre sur la branche. Je m’assis sur une autre, les pieds dans le vide, mais ma posture était si instable que je ne parvenais pas à me reposer.

Voyant à quel point nous étions nerveux, Lao Yang nous lança quelques rations sèches et nous recommanda de manger :

― Vous n’êtes pas assez forts. Il nous reste une centaine de mètres à parcourir, mais vu votre condition physique, nous allons sûrement devoir passer la nuit sur cet arbre. Vieux Wu, et si tu nous racontais une blague salace pour nous aider à nous détendre ?

J’étais si épuisé que je n’avais pas envie de parler :

― Dieu du ciel, tu n’es pas fatigué ? Regarde, même tes mollets tremblent. Si tu veux une blague salace, raconte-la toi-même. Je n’en ai pas la force.

Lao Yang prit une bouchée de pain :

― Je vais vous en raconter une, mais tu dois d’abord répondre à ma question. Vieux Wu, si nous informons le gouvernement de notre découverte, pourrons-nous obtenir qu’elle porte notre nom ?

Comme je n’en avais aucune idée, je me tournai vers Maître Liang qui respirait encore difficilement. Il fit un signe de la main :

― Maître Yang, avez-vous déjà entendu parler d’un objet appelé Fang Ding de Wang Ermazi ou Gobelet à Trépied de Zhao Tugen ? (3) Ceux qui ont découvert des trésors nationaux ont toujours été des fermiers ou des ouvriers du bâtiment, mais si ces trésors portaient leur nom, ce serait vraiment intéressant. Ce n’est pas une discrimination envers la classe ouvrière, mais les noms chinois ne sont pas comme ceux des étrangers. Si vraiment vous les utilisiez pour ce genre de choses, ne seriez-vous pas effrayé par les étranges combinaisons ?

Lao Yang réfléchit un moment, puis, estimant que c’était là une explication raisonnable, demanda :

― Alors j’aurai au moins le droit de la nommer, n’est-ce pas ? Ceux qui découvrent des îles en ont le droit en leur qualité de premier découvreur.

― Il me semble que cette règle existe, répondit Maître Liang, mais je n’ai pas vraiment étudié le sujet.

― Pourquoi poses-tu ces questions ? demandai-je à Lao Yang. Tu ne gagnes pas ton argent légalement et tu veux quand même devenir riche et célèbre ? Tu crois vraiment que quelqu’un qui n’a rien de mieux à faire pourrait trouver ce genre d’endroit ? Il suffit d’un coup d’œil pour savoir ce que tu fais.

― Je trouve cette chose plutôt intéressante, reprit Lao Yang sans prêter la moindre attention à ce que je venais de dire. Quel nom devrions-nous donner à un si grand pilier de bronze ? Les gars, vous devriez aussi essayer de trouver des idées. Comme ça, quand plus tard nous nous en vanterons, nous dirons tous la même chose.

N’ayant aucune envie de réfléchir à une chose aussi ennuyeuse, je répondis :

― Puisque tu l’as découvert le premier, c’est à toi de lui donner un nom. Je ne suis pas d’humeur à m’en occuper.

Lao Yang jeta un coup d’œil à l’arbre :

― Sitôt que j’ai vu cette chose, une phrase m’est venue à l’esprit. Que diriez-vous de l’appeler ‘J’aime Le Bois’ ? (4)

― Tu n’aurais pas regardé trop de films peu recommandables ? demandais-je, irrité. Si vraiment tu donnes ce nom à cet arbre, penses-tu honnêtement pouvoir échapper à la foudre en quittant cet endroit ?

Lao Yang sourit et Maître Liang lui même secoua gaiement la tête. Après ce petit échange, tout le monde se détendit enfin.

Le fait de manger nous ayant redonné beaucoup d’énergie, Lao Yang nous exhorta à poursuivre notre chemin. Alors que je levais le pied, prêt à reprendre l’escalade, je remarquai soudain que quelque chose avait changé en bas. Je regardai attentivement et me sentis confus. Comment les bûchers près de l’entrée avaient-ils pu s’éteindre ?

Lao Yang, qui s’en était aperçu lui-aussi, fronça les sourcils :

― Tu penses que c’est le vent ?

Je lui répondis par la négative. Contrairement à la torche que nous avions fabriquée, ces bûchers, construits professionnellement, donnaient de grandes flammes. Il était donc impossible que celles-ci aient été soufflées par le vent. Quelque chose s’était-il produit en contrebas ?

Au moment même où je me posais la question, je sentis l’arbre de bronze trembler légèrement, comme s’il avait été frappé par quelque chose. Maître Liang prit une grande inspiration et demanda ce qui se passait.

Lao Yang nous fit signe de garder le silence, puis il mit ses mains en coupelle, les plaça contre le tronc de bronze et y colla son oreille. Au bout d’un moment, son expression changea et il chuchota :

― Merde, on dirait que quelque chose est en train de grimper !

Notes explicatives :

(1) Le site archéologique de Sanxingdui, à l’extérieur de Chengdu (Sichuan), présentait de remarquables objets en bronze datant des 11-12e siècles avant Jésus-Christ. Les archéologues ont identifié le lieu avec l’ancien royaume de Shu. L’arbre mentionné par Wu Xie est un arbre en bronze avec des oiseaux, des fleurs et des ornements (396 cm), que certains ont identifié comme des représentations de l’arbre fusang de la mythologie chinoise.

(2) Également appelées les « douze colosses de métal », il s’agit de douze statues de métal coulées après 221 avant notre ère. Après avoir vaincu les six autres États en guerre pendant les guerres d’unification de Qin, Qin Shi Huang a fait collecter leurs armes et les a fondues pour les refondre en cloches et en statues. Parmi elles, douze statues humaines, dont on dit qu’elles pesaient chacune mille dan, sont particulièrement remarquables.

(3) Un fang ding est un récipient sacrificiel rectangulaire reposant sur 4 pieds cylindriques.  Le gobelet tripode (ou tripode « gu ») est un récipient utilisé pour boire du vin ou offrir des libations rituelles.

(4) La phrase provient du film de Stephen Chow « Royal Tramp » (1992), qui est une comédie wuxia de Hong Kong basée sur le roman de Louis Cha «  Le Cerf et le Chaudron ». Selon Baidu, « J’aime le Bois » est l’aphrodisiaque utilisé par le protagoniste, Wei Xiaobao (Wai Siu-bo dans l’article du wiki), pour séduire Ake. Comme son nom l’indique, lorsqu’une personne ingère « J’aime le Bois », elle s’accroche à des objets en forme de barre ou de bâton et les poursuit pour obtenir un baiser (ou d’autres actions cochonnes *…*).



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