Mad’ attrape le verre qu’a utilisé Korail et le nettoie alors que je bois le mien tranquillement. Pete et Blue restent silencieux et ne semblent pas savoir où se mettre. Vu son regard fuyant, cette dernière s’en veut de m’avoir emmené dans un endroit dangereux… encore.
Pete a l’air d’être un peu secoué par le départ de Korail, mais si Madeleine a raison sur ce qu’elle a dit, c’est sans doute mieux qu’il affronte la réalité sur sa déesse. Je pense qu’il va revenir, mais j’ai déjà assez de problèmes avec les autres excentriques du groupe sans qu’elle en rajoute.
Je me demande juste si Madeleine va s’en prendre à moi maintenant. Pourtant, elle semble s’être calmée et avoir retrouvé son tempérament habituel qui ressemble à celui d’une barmaid avec un instinct maternel qui réchauffe un peu l’ambiance.
« Quand je te vois, tu as juste l’air d’être perdu, et cela se lit sur ton visage en ce moment même. Tu n’es pas la personne des rumeurs, le maître des meutes, l’assassin sans cœur, le fléau d’une légion, le fou qui fait ce qui lui chante. Dans ce bar, tu as l’assurance que ce n’est pas un problème et qu’il ne t’arrivera rien. Sois en certain. »
Mad’ s’arrête là et se met à sourire légèrement pour ponctuer sa dernière phrase. Je soupire en prenant une autre gorgée pour finir mon verre. Elle me tend la bouteille en souriant et je l’attrape sans trop réfléchir.
« Laisse-moi clarifier ce que tu viens de faire. En te battant dans la Fosse, tu as gagné du temps. En tuant Adam, tu as obtenu la protection de Miss Jonah. L’ascenseur pour toi et les autres est presque un bonus en comparaison. Combien de personnes qui s’intéressent à toi s’arrêteront sur un mot de sa part ? Son influence au pied de la tour a ce pouvoir, car sa passion pour les Assassins la motive suffisamment pour s’occuper de tes problèmes pour toi. Dans quelque temps, les guildes apprendront d’elle qu’un jeune et brave Dresseur a tenté de la protéger en tuant un goujat et qu’elle se sent endettée envers toi… ou je ne sais quoi. »
… Cela fait du sens, mais j’aurais préféré le savoir dès le début que je me battais pour une protection. Cela aurait rendu plus facile à accepter de me battre dans la Fosse.
[Tu es plus impressionnant quand tu en veux à la terre entière.]
… Yuu, ce n’est pas le moment. Tu n’as qu’à réfléchir à quelque chose d’inutile comme ma relation avec Mad’. Je suis certain que ça te démange.
[Si tu me prends par les sentiments. Fufu…]
Je bois un verre en ignorant Yuu qui commence à partager avec moi sa réflexion sur Madeleine et mon affinité avec elle. Alors que je remplis mon verre en oubliant Yuu qui sert de bruit de fond, Mad’ reprend la parole.
— Je dois aussi dire que ta façon de te battre a impressionné plus d’une personne là-dessous. Tu peux être fier de toi, même si tu le regrettes quand même.
— J’imagine qu’Arcana sait que j’ai un pied dans Erèbe maintenant. J’ai perdu l’effet de surprise. J’aimerais régler cette histoire sans avoir à me battre frontalement pour changer. Ce sera moins risqué. Pour l’instant, je vais réfléchir à ma vie inutilement et je vais boire jusqu’à ce que mes deux compagnons ici présents décident de me rejoindre ou de me guider vers un endroit où je dégriserai.
Je fais un signe de main à Blue et Pete pour qu’ils approchent et Madeleine pose deux verres de plus sur le bar.
*
— Et donc ce type qui jette des flammes est ton père ?
— Ouep.
— On parle bien du type qui a failli carboniser Nomad et toi ?
— Uhu.
— Et c’est un esclave ?
— Apparemment.
Tark se frotte la tête en ayant l’air perplexe. Ce n’est pas l’histoire la plus folle qu’il ait vue au pied de la tour… mais il doit admettre qu’elle est sur le podium. La première place reste l’histoire du type dont la mère grimpeuse a fini par prendre la classe de Catin. Rien que d’y penser, il frissonne d’horreur. Enfin bref, « une sorcière retrouve son père esclave et pyromane dans une Fosse pour des combats mortels sans règle ». Oublions la partie où il brûle des gens vivants pour donner de l’argent à son propriétaire ou encore qu’il a failli tuer sa fille et que Nomad lui a mis une sacrée raclée pour le calmer. Sur ce dernier point… Son visage a énormément gonflé depuis qu’il l’a sorti de la Fosse et il n’a toujours pas repris conscience.
Tark a hésité pendant un moment à lui donner la potion de sang de dragon que Nomad lui a donné par précaution, mais Kiki semble avoir une autre idée en tête…
« Réveille-toi abruti ! »
Elle le gifle avec suffisamment de force pour que sa tête parte d’un côté puis de l’autre. Même pour Tark, elle utilise un peu trop de force pour le réveiller. Il soupire en se demandant combien de temps ça va durer…
Le plus gros de la foule est déjà parti pendant que la Fosse est en train d’être nettoyée, mais cela n’empêche pas que chaque gifle supplémentaire attire l’attention et que cela fait cinq minutes qu’elle le gifle toutes les… trois secondes.
— On est d’accord que tu l’as attaché avec ton fil de pêche le plus solide ?
— Je peux pêcher la baleine avec ce fil.
— Le fil résiste au feu ?
— Je ne pense pas que ce soit dans les spécifications de ce modèle. C’est prévu pour l’eau.
— Donc c’est comme s’il n’était pas attaché.
— Tu ferais mieux de le gifler s’il décide de nous attaquer ou de se libérer. D’après ce que je vois, c’est un bon moyen pour qu’il reste inconscient.
Kiki dévisage Tark méchamment alors qu’il hausse les épaules en souriant, fier de sa remarque. Alors qu’elle se tourne pour le gifler une fois de plus, l’organisatrice du haut de sa plateforme vide un seau d’eau sur le père de Kiki.
« J’ai du nettoyage à faire et des heures de sommeils qui m’attendent, dégagez de là les jeunes. »
Alors qu’elle s’éloigne en flottant, le père de Kiki prend une grande inspiration et semble se réveiller en toussant. L’organisatrice bâille dramatiquement en donnant un dernier conseil alors qu’elle commence à lire ce qui a l’air d’être un rapport financier.
« Faites attention. Un esclave est généralement ronchon au réveil. Celui-là risque de s’enfuir pour aller voir son maître. Ils ont généralement des directives à suivre dans ce genre de situation. »
Alors qu’il reprend conscience, Kiki toussote en se frottant la tête comme si elle était gênée.
— J’avais oublié ce détail… Hey, Tark. Tu sais comment on fait pour briser le contrôle d’un esclavagiste ?
— De mémoire… Tu tues l’esclave ou le maître.
— Et merde.
— C’est aussi possible qu’en cas de capture, il ait pour directive de se suicider. Enfin, c’est ce que je ferais si j’étais un sale con.
— … Si tu as une idée pour m’aider c’est le moment. Dans le cas contraire, je t’étrangle.
Alors que l’esclave reprend finalement conscience, il se rend compte qu’il ne peut pas bouger et des flammes couvrent aussitôt son corps. Le fil de pêche brûle aussitôt en le libérant alors que Kiki et Tark reculent en se couvrant le visage pour se protéger des flammes.
Le vieil homme se lève en se frottant son nez brisé qui penche sur le côté alors que les flammes s’éteignent. D’une tape suffisamment forte, il le remet en place et du sang commence à en couler alors qu’il l’évacue en soufflant le plus fort possible. Cela ne l’empêche pas d’être dans un sale état après les coups de poing qu’il a pris.
« Hey… Heu. Papa, c’est moi. Je suis là. »
Sans même prêter attention à elle, le vieillard attrape un casque audio dans son inventaire et le place sur ses oreilles. Tark se met à rire en voyant la réaction du vieux et de Kiki qui le regarde en semblant à la fois surprise et en colère. Le dialogue semble impossible, finalement.
— Soit tu l’assommes une fois de plus, soit on le suit en espérant qu’il nous amène à son propriétaire.
— Ouais. J’imagine que c’est la meilleure chose à faire.
Alors qu’ils disent cela et que Kiki s’apprête à le frapper à sa posture, l’esclave pose un genou au sol. Derrière Kiki et Tark un petit groupe approche. À sa tête, un enfant d’une dizaine d’années couvert de piercings en tout genre approche. En portant un long blouson en cuir à sa taille, il n’a rien d’un enfant si ce n’est la taille et les traits de son visage, dont une partie est couverte par un tatouage longeant la ligne de sa mâchoire et montant jusqu’à sa tempe. Ses yeux d’un bleu électrique sont froids alors qu’il dévisage la Sorcière puis Tark en semblant indifférent. Son apparence est bien celle d’un enfant, mais il donne l’impression de tout faire pour en refléter le moins possible qu’il en est un.
Il passe une main dans ses cheveux noirs dont quelques mèches sont argentées alors qu’il s’arrête et fait un signe à ceux derrière lui d’encercler le petit groupe. Ils sont plusieurs à mettre en place ce cordon. Le premier est à moitié nu, imberbe et couvert de cicatrices de toutes les tailles. Le deuxième a des ongles dont la taille ridiculement longue suggère qu’il s’en sert comme d’une arme… ou qu’il a besoin d’une manucure. Le troisième est une masse de muscle dont le visage est déformé par de larges cicatrices dont une donne l’impression qu’il est borgne à sa paupière fermée. Le quatrième est encapuchonné complètement au point que même son visage soit caché par le tissu, mais sa bouche reste apparente et montre un sourire bien trop grand pour qu’il ne soit pas fou. Le cinquième, couvert de noir, a simplement l’air d’être un squelette. Le dernier… porte une sorte de masque en or et semble être manchot.
Kiki et Tark se dévisagent rapidement en comprenant que la situation n’est pas idéale. Une nouvelle menace vient d’apparaître et vu l’aura du groupe avec lui, il n’est pas à prendre à la légère. Ce n’est pourtant pas l’enfant qui parle en premier, mais l’organisatrice derrière qui semble avoir vu l’arrivée du petit groupe alors qu’elle continue de lire son rapport financier depuis sa plateforme en pierre à quelques mètres au-dessus du sol.
« Mars, à la moindre connerie, tu recevras autant de chevrotines que mon fusil peut t’expédier avant que le canon ne fonde. »
L’enfant, dont le nom semble être Mars, fait juste un vague geste en direction de l’organisatrice pour évincer sa demande.
« Relaxe, Lag. Je suis juste venu récupérer ma propriété. J’y suis sentimentalement attaché et je n’aime pas quand des étrangers tripotent ce qui m’appartient. J’ai une question pour vous deux et j’attends une réponse. Entre mourir lentement en souffrant terriblement et me présenter ce Dresseur dont j’ai tant entendu parler, qu’est-ce que vous préférez ? »