En pensant à l’expression de Kankurou lorsqu’il vit Shin pour la première fois, il était clair qu’il comprit son identité dès le début.
“Le seigneur Jinkurou m’a donné ceci avant de mourir. Seigneur Shin, pourquoi êtes-vous revenu ?”
Shin repoussa le coup diagonal de Kankurou et répondit en soupirant.
“Je ne suis pas vraiment revenu… pour être honnête, j’aimerais aussi savoir pourquoi je suis ici.”
“C’est vrai. Il se pourrait qu’il y ait quelque chose que vous ignorez vous-même, monsieur Shin.”
“Quelque chose, dis-tu ?”
“Oui, le saviez-vous, monsieur ? Les gens qui ont servi les joueurs oublient ceux qu’ils ont servis après un certain temps.”
“Hein ?”
Le bras armé de Shin trembla légèrement après avoir entendu les mots de Kankurou. Il le para de force grâce à son avantage de statut, mais ne put s’empêcher d’être ébranlé.
“Qu’est-ce que ça veut dire ?”
“Les souvenirs s’estompent de plus en plus. Ou plutôt, je devrais dire que l’on ne se concentre plus sur eux. Les souvenirs ne s’effacent pas, mais la loyauté, l’affection, tout ce que l’on ressentait auparavant devient peu ou pas important. Moi aussi, je dois dire que j’en suis victime. Je n’aurais jamais pensé à servir la maison Kujou dans la période qui a suivi le départ du seigneur Jinkurou.”
Kankurou parlait sans détour, mais avec une pointe de tristesse.
Le son de leurs épées s’entrechoquant devint légèrement plus faible.
“Pourquoi m’as-tu raconté tout cela ?”
“J’ai eu la chance de rencontrer dame Schnee il y a une cinquantaine d’années. Je pensais qu’elle serait dans la même situation que moi. Ses sentiments à votre égard semblaient pourtant inchangés. En m’interrogeant, je suis allé rencontrer d’autres personnes qui étaient à votre service, messieurs Girard et Shibaid. Mais le résultat a été le même.”
Personne ne perdit ses sentiments à l’égard de Shin….. Lorsqu’il en parla, les yeux de Kankurou brillèrent de jalousie.
“Lors de mes voyages en dehors de Hinomoto, j’ai eu la chance de rencontrer d’autres personnes qui servaient les “Six Cieux”. Leur mode de vie était peut-être différent, mais tous étaient invariablement loyaux envers leurs maîtres. Cela pourrait être lié à la raison pour laquelle vous êtes revenu, monsieur Shin.”
“………….”
“Seigneur Shin. S’il vous plaît, récompensez leur loyauté. C’est tout ce que je voulais dire.”
En prononçant ces mots, Kankurou cessa de brandir son épée.
Shin fit de même et arrêta également son bras armé. Cette vérité inattendue avait rendu son expression aigre.
“Concluons le combat ici.”
“Oui, allons-y. Tu m’as vraiment surpris. Je n’avais jamais entendu parler de tout cela auparavant.”
“Je doute que quelqu’un s’en rende compte, sans être conscient comme je l’étais….mais plutôt que cela, je vais garder votre identité cachée pour l’instant. La révéler pourrait causer des ennuis inutiles. Vous n’avez pas l’intention de l’affirmer ouvertement, n’est-ce pas ? ”
“Oui, cela m’aiderait beaucoup si tu le faisais.”
Shin se dirigea vers Tadahisa tout en discutant avec Kankurou. Il se sentait intérieurement en conflit.
Tadahisa les félicita pour leur combat, puis Shin quitta la maison des Kujou.
Karin, qui marchait à côté de lui, prit la parole en premier.
“Monsieur Shin, pendant la bataille, vous parliez de quelque chose avec monsieur Kankurou, n’est-ce pas ?”
“Oui, eh bien…je pensais avoir déjà vu le katana à sa taille quelque part. Mais je me suis trompé.”
“Quel katana pensiez-vous que c’était ?”
Shin n’avait pas l’intention de parler de sa conversation avec Kankurou, il décida donc de parler de son katana tout en évitant le sujet : “La『Lame Ondulante』, un katana ayant pour effet d’étendre la portée de ses entailles. Le seigneur Kankurou a dit qu’il s’agissait de sa version améliorée. J’étais vraiment surpris… Comment a-t-il dit qu’elle s’appelait ? Peut-être『Lune noire』?”
“On dit qu’aucun autre katana de Hinomoto ne peut le surpasser. C’est en effet une épée parmi les épées, certains l’appellent même une lame divine. Le seigneur Kankurou a dit que le légendaire Forgeron Noir l’avait forgé, mais à cause de cela, il y a aussi eu des problèmes.”
“Des problèmes, dites-vous ? Hier, j’ai entendu parler d’un problème de succession, c’est peut-être lié ?”
“Le seigneur Kankurou a dit qu’il devrait bientôt le transmettre à la génération suivante… On dit que le plus grand sabreur d’Hinomoto en héritera. Bien sûr, le seigneur Kankurou en est exclu.”
Karin ajouta que le titre “Les dix braves de Hinomoto” était donné aux meilleurs utilisateurs de katana de Hinomoto. Shin avait déjà entendu ce terme de la bouche de Kankurou.
Parmi ceux qui recevaient le titre, leur position était désignée par les termes 1er siège, 2e siège, et ainsi de suite. Actuellement, Kankurou occupait la première place, tandis que Karin occupait la troisième place.
“Les dix braves de Hinomoto” était un titre donné à ceux qui excellaient dans l’utilisation du katana, donc il y avait des membres inférieurs aux Dix Braves qui étaient plus puissants que leurs supérieurs, si l’on prenait en compte l’ensemble des capacités de combat.
La différence entre les membres supérieurs et inférieurs se situait autour du siège 5. Mais même parmi eux, Kankurou était un cas à part.
“Il est célèbre pour ses actes de bravoure, comme le fait d’avoir foncé tout seul dans un bataillon ennemi et d’avoir abattu un millier d’ennemis, par exemple. De par sa silhouette maniant le katana blanc à la gaine noire『Lune Noire』, certains l’appellent le ‘démon du sabre aux cheveux blancs’.”
“Démon du sabre aux cheveux blancs, hein…”
Une fois que l’on devient célèbre, de tels surnoms ne peuvent apparemment pas être évités.
Shin, dont le surnom de “forgeron noir” s’était répandu loin à la ronde, pouvait comprendre.
“Qui est le candidat favori à l’heure actuelle ?
“Les sièges 2 à 4 sont à égalité pour l’instant. Comme vaincre quelqu’un qui occupe un siège vous permet de vous faire connaître, j’ai été défié à plusieurs reprises.”
Karin regarda le ciel, comme si elle se remémorait un lointain souvenir, et soupira. C’était une situation plutôt gênante pour elle, semble-t-il.
Au fur et à mesure que la nouvelle de son retour à Hinomoto se répandait, de tels duels allaient probablement se multiplier.
Alors que les deux arrivaient à la maison Saegusa tout en parlant, quelque chose vola vers Shin.
“Kuu !!!”
“Whoa là, qu’est-ce qui ne va pas Yuzuha ?”
Ce qui vola vers la poitrine de Shin était Yuzuha en mode renard. Sa fourrure était mouillée pour une raison quelconque.
“Oh mon, ce n’est pas une bonne petite Yuzuha. Je dois vous laver… Oh, dame Karin, Seigneur Shin. Bienvenue.”
Chiyo sortit de la résidence après Yuzuha, portant une brosse.
“Qu’est-ce que tu faisais, Chiyo ? Cette pauvre chose est toute effrayée.”
“Je lui donnais juste un bain.”
“Qu’est-ce que c’est que ces mouvements de main suspects… ?”
Chiyo répond, surprise et blessée d’être accusée, mais Karin regarde avec inquiétude et exprime sa préoccupation.
Les doigts de la main qui ne tenait pas la brosse se pliaient puis se repliaient à plusieurs reprises, à très grande vitesse.
Shin était également d’accord pour dire que les mains ne bougeaient pas comme ça lorsqu’elles donnaient des bains.
“(Les mains, les mmmaaaiiinnnsss !)”
“Calme-toi Yuzuha. Bon, je vais faire le reste. Ces choses devraient être faites par celui à qui elle est liée par le contrat après tout.”
Shin fit sa proposition tout en calmant Yuzuha qui pleurait presque. Il sentait que les choses pourraient mal tourner s’il laissait Chiyo s’en occuper.
“Oh non… !!”
“Chiyo… pourquoi as-tu l’air si désespérée ?
Chiyo avait l’air très déçue, et Karin lui parla avec un soupir fatigué. A en juger par l’expression de Karin, Shin s’imaginait que des épisodes similaires s’étaient déjà produits auparavant, et il en rit ironiquement.
◆◆◆◆
Pendant que Shin et les autres étaient occupés à cette petite agitation, tous les vassaux, à l’exception de Karin, étaient rassemblés dans la résidence Kujou.
“Ainsi, Kankurou. J’espère que tu vas nous expliquer pourquoi tu as demandé un duel avec cet homme.”
L’aura de Tadahisa n’était plus aussi paisible que lors de sa rencontre avec Shin, elle était au contraire fortement intimidante.
D’une certaine manière, Haruna, la fille de Tadahisa, devait sa vie à Shin, et Kankurou le défia en duel malgré cette situation. N’importe qui d’autre que Kankurou aurait été expulsé de la résidence.
Kankurou répondit à Tadahisa sur son ton habituel, calme et posé : “Oui, il y avait quelque chose que je devais absolument confirmer. Je vous suis très reconnaissant de m’avoir autorisé à le faire.”
Il fit cette proposition en toute confiance ; Shin ne se mettrait pas en colère pour une telle chose, Kankurou le savait bien.
“Son apparence et son aura ressemblaient beaucoup à celles d’un ami de mon défunt seigneur Jinkurou, j’ai donc soupçonné qu’il s’agissait de cet ami… et j’ai eu raison.”
“Un ami de votre ancien seigneur…à en juger par sa façon de se battre, ce n’est pas surprenant.”
Tadahisa inclus, tous les vassaux présents acquiescèrent.
Beaucoup de ceux qui assistèrent au combat regardaient Shin avec une expression amère alors qu’il ne se contentait pas de parer les attaques de Kankurou, mais qu’il les repoussait facilement.
Même parmi les rangs expérimentés de la maison Kujou, peu d’entre eux étaient capables d’affronter Kankurou à l’entraînement. La vitesse à laquelle Shin et Kankurou croisaient le fer dépassait leurs capacités.
“C’est un jeune homme tout à fait unique, à ce niveau d’escarmouche, il est encore possible de parler. Ceci et une autre raison, plus importante.”
“Et quelle serait-elle ?”
“Ce jeune homme ne servira personne. Si quelqu’un parmi les personnes présentes ici envisageait de le mettre à son service, il n’est pas conseillé d’utiliser la coercition (ndt : pression, menace, chantage) . Dans le pire des cas, tout Hinomoto pourrait s’effondrer.”
Les paroles de Kankurou provoquèrent la surprise de toutes les personnes présentes, tant les conséquences pouvaient être importantes. Certains avaient l’air blasé, pensant qu’il s’agissait d’une mauvaise blague.
Même si son bras armé était à la hauteur de celui de Kankurou, il était exagéré de le placer au-dessus de tout le pays d’Hinomoto, pensaient d’autres.
“…. Je ne pense pas que vous plaisantiez dans une telle situation.”
“Seigneur Tadahisa, vous avez déjà rencontré Schnee Raizar et Girard Estaria par le passé, n’est-ce pas ?”
“Oui, avant de devenir chef de clan.”
“Vous connaissez leur puissance, n’est-ce pas ?”
“J’ai été témoin d’une bataille à laquelle Schnee Raizar a participé. Son anéantissement d’une nuée de monstres à elle seule était vraiment impressionnant, voire terrifiant. Je crois que son pouvoir surpasse celui des humains. Ce n’est certainement pas de la folie que de penser qu’elle pourrait terrasser un pays entier.”
Peut-être parce qu’il se souvenait de cet épisode passé, l’expression déjà stricte de Tadahisa était devenue encore plus amère. Il avait été témoin de la destruction par Schnee d’un essaim entier de monstres sans recevoir la moindre blessure.
“Le pouvoir de Monsieur Shin est du même niveau… non, il est même supérieur au leur. J’ai peut-être un avantage sur lui avec l’épée, mais s’il se battait avec tous ses moyens, il n’y aurait aucun moyen de l’arrêter. S’il se battait sérieusement, l’immobiliser quelques minutes serait une grande réussite.”
“Vous iriez aussi loin ?”
“Sans aucun doute. Seigneur Tadahisa, vous connaissez les légendes des Hauts Humains, n’est-ce pas ? La grande majorité de ces légendes, telles qu’elles sont racontées aujourd’hui, sont vraies. Comme elles le disent, le monde d’avant le Crépuscule était peuplé de guerriers si puissants qu’ils n’étaient pas comparables au monde d’aujourd’hui. De la même manière, Monsieur Shin ne peut pas être contenu dans nos paramètres actuels et notre sens commun. Les compétences perdues, les arts cachés… Je doute qu’il n’en connaisse que 10 ou 20. Heureusement, sa personnalité ne lui permet pas de dégainer l’épée à moins que quelque chose de vraiment grave ne se produise ; tant que nous le traitons normalement, il n’y a pas de crainte de provoquer sa colère.”
Les paroles de Kankurou, l’homme considéré comme le plus fort d’Hinomoto avant même le Crépuscule, ne prêtaient pas à rire. Son expression ne contenait pas le moindre indice qu’il puisse plaisanter.
Pendant un moment, personne ne prononça un mot.
Personne ne pouvait prendre la situation à la légère après avoir entendu des paroles aussi graves de la part du premier siège des “Dix Braves de Hinomoto”.
Shin ne devait pas être touché. Cette conclusion était déjà gravée dans le marbre.
◆◆◆◆
Au moment où le groupe de Shin arrivait sur le territoire de Kujou, dans une certaine résidence, deux hommes et une femme discutaient.
Les sièges les plus élevés étaient occupés par un homme-bête de type Ours et une belle femme dégageant une certaine atmosphère lascive (ndt: sensuelle) .
L’autre homme, vêtu d’une robe noire, était agenouillé devant eux, la tête baissée.
“Vous avez donc échoué. Elles n’auraient pas dû avoir de hautes défenses contre la magie pourtant… avaient-elles des contre-mesures ?”
“Non, mais un homme voyageait avec elles. Il semble qu’il ait détecté le danger.” expliqua l’homme vêtu de noir.
“Qui était-ce ?
“Un aventurier appelé Shin. Il est de plus en plus connu pour avoir considérablement endommagé une nuée de monstres qui attaquaient une ville du continent. C’est un Ancêtre revenu, sans aucun doute. ”
Les rumeurs concernant les exploits de Shin à Balmel se répandaient plus largement qu’il ne le pensait. Les informations concernant les puissants se répandaient à leur insu, comme toujours.
“J’ai essayé de l’observer en me fondant dans la foule, mais il est sûrement dangereux. Son apparence est celle d’un homme bon enfant, mais l’odeur du sang pèse lourdement sur lui. Il est plus près de nous.”
L’homme en tenue de ninja tremblait légèrement en parlant. Ses sens uniques d’habitant de la société souterraine lui faisaient sentir à quel point Shin pouvait être dangereux par son odeur.
“Oh là là, le grand Kai, l’homme le plus important de Rokuhara, craint un aventurier ?”
La femme à côté de l’homme assis sur le siège le plus élevé prit la parole à sa place. En tournant légèrement le cou de côté, ses longs cheveux blancs et ses oreilles d’animaux bruissèrent.
Derrière la femme, six queues à fourrure blanche, partant de son dos, bougeaient doucement.
“Si on me permet de mettre ma vie en jeu, je le prendrai.”
“Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas encore le moment de mettre votre vie en jeu. Si nous ne parvenons pas à éliminer les successeurs de la maison Kujou, tout cela n’aura aucun sens.”
D’un ton glacial, l’homme assis sur le siège le plus haut réfréna les paroles du dénommé Kai.
Son corps, deux fois plus grand que celui d’un ours de type moyen, et les cicatrices qui y étaient gravées, renforçaient encore son aura intimidante.
Kai s’inclina encore plus profondément après avoir entendu ses paroles.
“Tamamo. Vos techniques ne peuvent rien faire ? S’ils entrent dans le château, nous ne pourrons pas agir facilement.”
“Seigneur Juugo, je vous prêterai volontiers mon pouvoir.”
Tamamo afficha un sourire envoûtant en se penchant timidement vers l’homme. Son sourire avait des propriétés charmantes, et influençait les pensées de Juugo et de Kai, petit à petit.
Si elle ne l’avait pas fait, ils n’auraient jamais pensé que son apparence à 6 queues, impossible pour une femme-bête de type Renarde, était normale.
“Heh, après la mort de leur précieuse fille, la maison Kujou ne pourra pas garder la paix. La sœur n’est pas non plus éternelle dans ce monde, n’est-ce pas ?”
“Oui, la maladie va sûrement emporter Kujou Haruna très bientôt. J’aurais aimé éliminer le frère aîné aussi, mais malheureusement, il n’y a aucune chance de l’approcher.”
“Commençons par les cibles les plus proches. Hinomoto ne peut pas rester divisé éternellement.”
Les yeux de Juugo se mirent à briller de quelque chose qui ressemblait à de la folie.
Tamamo et Kai le remarquèrent, mais ne dirent rien.
Des étincelles de feu commençaient à couver à l’intérieur de Hinomoto…