Nefolwyrth
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Chapitre 56 – Le collier tissé d’esprits
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-1-

Ellébore

Des rires d’enfants résonnaient. Depuis la porte entrouverte, deux femmes discutaient. Je revoyais presque les lèvres de la plus âgée décrire les mots terribles qu’elle avait prononcés.

De l’autre côté, une petite fille s’arrêta. Elle qui venait présenter ses excuses s’était retrouvée pétrifiée en entendant ce qui avait été si froidement déclaré. Elle finit par repartir seule. Ce souvenir s’estompa dans les ténèbres.

Je rouvrais lentement les yeux, la tête basse.

En allant vers le nord, les racines étaient de plus en plus épaisses, et se faisaient le plancher de cette forêt.

À l’abri de la lune, je tentais de percevoir le moindre son. Hélas, je n’entendais que ma respiration résonner dans mes oreilles après avoir tant couru.

…Qu’est-ce que je fais… ? Elle finira toujours par me rattraper… Je ne pourrais pas lui échapper… Je ne suis capable de rien…

Pourtant, n’était-ce pas ce que je voulais ? J’avais bien compris qu’elle n’était pas du genre à lâcher l’affaire après un tel affront. Elle était forcément à ma poursuite.

Ces quelques minutes glanées pouvaient permettre à Lucéard et les autres de récupérer Ceirios.

Puisqu’Alaia ne m’avait pas narguée en évoquant Semion, je devinais qu’elle n’avait pas pu le tuer. Je lui donnais aussi le temps de se mettre en sécurité. Mais n’allait-il pas se lancer à ma rescousse ? Je n’en valais pourtant pas la peine.

…Les sbires de Musmak sont redoutables. Si je peux au moins leur faire gagner quelques minutes, ce sera déjà ça… Tant qu’elle sera en colère, elle me poursuivra, mais si je la rends folle de rage, qui sait de quoi elle sera capable ?

Je soupirais.

Même en étant totalement maîtresse d’elle-même, elle pourrait me tuer facilement. Malgré tout ce temps que j’ai passé à m’entraîner, je ne suis toujours pas une menace pour qui que ce soit…

Juste après le flash, j’avais eu une occasion d’attaquer de front. Avec l’effet de surprise, j’aurais pu tenter quelque chose.

Il n’y a vraiment rien que je puisse faire de plus…

J’apposai ma main contre ma poitrine, et ressentais les aspérités sous mes vêtements.

Alaia : « Où t’es, petite peste ?! »

J’entendais cette voix distante, à une centaine de mètres peut-être, sans parvenir à en deviner la direction.

Je m’accroupis derrière une racine, aussi silencieusement que possible, mais me retrouvai nez-à-nez avec Alaia.

Alaia : « Crève. »

Je me fis soulever en l’air, puis éjectée contre un tronc avant d’avoir pu réagir.

Le souffle coupé, je me retrouvais au sol, haletante.

Alaia : « Tu aurais pu te briser la nuque, quand même. Tu ne fais vraiment pas d’effort. »

Je me relevais péniblement. Mon regard rencontra le sien, et un sourire se dessinait sur ses lèvres pulpeuses.

Alaia : « Comment ai-je fait pour venir aussi vite ? C’est ça ta question ? »

Ellébore : « …Ne me dis pas que tu lis dans les pensées aussi ? »

Alaia : « Oh non. Je n’ai jamais essayé, parce que je m’en fous royalement de ce que les autres peuvent penser. Cela dit, je peux introduire ma voix dans ton esprit. »

Ellébore : « … »

Alaia : « Oui, c’est pour ça que tu as été prise de court. Tu t’attendais à ce que je sois encore loin. »

Elle venait encore de lire dans mes pensées.

Alaia : « Grâce à ça, je suis désormais sûre que le pouvoir que tu utilises pour te libérer de mon étreinte te demande de la concentration. Alors dis-moi : quel sort tu utilises ? »

Je reculais d’un pas. Sur tous les plans, elle avait le dessus sur moi. Elle m’avait surprise pour me tester, mais surtout, elle m’avait retrouvée sans même me voir.

Alaia : « Tu ne comprends toujours pas ? Tu ne pourras pas t’échapper ! Quoi que tu- »

Ellébore : « FLASH ! »

J’avais encore réussi mon coup, et profitai de son aveuglement pour m’enfuir de nouveau.

Alaia : « Mais qu’elle est chiante ! Toutes tes techniques sont ridicules ! Elles me gavent ! »

Hurla-t-elle en se frottant les yeux.

Quand sa vision se réhabitua, je n’étais déjà plus là. Quelques bruits dans la végétation se faisaient entendre, mais rien ne m’identifia clairement.

La jeune femme ferma les yeux.

Alaia : Si tu m’avais écoutée jusqu’au bout, tu aurais peut-être compris que je parviens aussi à ressentir les ondes cérébrales. Et je peux clairement dissocier celles d’un humain de celles d’un animal.

Alaia : « Hein ? »

Après quelques secondes, elle ne parvenait pas à me trouver.

Alaia : Elle ne serait tout de même pas capable de brouiller mes pouvoirs ? Ou peut-être qu’elle se rend indétectable. Dans ce cas, ce pourrait-être le même sort qu’elle utilise contre l’étreinte… Non, sa magie ne devrait pas pouvoir interférer avec mes pouvoirs psy…

Malgré le doute, Alaia n’était pas crédule, et finit par sourire. Elle rouvrit les yeux. D’ici, elle pouvait apercevoir les lumières de son camp.

Alaia : Risqué, mais malin ! Hélas pour toi, ça n’arrange pas tes affaires, crétine !

Des poutres avaient été plantées tout autour d’un campement de façon assez rudimentaire. On aurait pu y imaginer un village d’un autre temps. Néanmoins, le grand bâtiment central paraissait bien plus robuste.

Quelques charrettes étaient alignées à l’extérieur. Mais il y avait aussi toutes sortes de machines de siège. De tels engins ne pouvaient certainement pas servir à des bandits, mais en voir ici avait quelque chose d’intimidant qui pouvait peut-être dissuader des groupes rivaux.

Je remarquais notamment une grande catapulte qu’on avait négligemment laissée armée. Elle n’avait pas pu être dérobée à l’armée qui n’en utilisait plus depuis des siècles.

Il ne faisait aucun doute que des hommes de Musmak contrôlaient la route menant au repaire depuis cette base.

C’était certainement ici que les sbires d’Alaia vivaient. Les gens des environs ne me seraient donc d’aucun secours.

Alaia peut sûrement me retrouver avec ses pouvoirs. Mais rien ne dit qu’elle peut me discerner de quelqu’un d’autre. Si tous les humains dégagent plus ou moins la même chose, cette donnée que seule une esper peut percevoir ne diffère peut-être pas ou très peu d’un individu à un autre.

Une dizaine d’hommes montait la garde aux entrées de ce camp.

Mais si elle remarque que quelqu’un traîne en dehors de la base, elle me retrouvera aussitôt…

Quelques hommes jouaient aux cartes autour d’un feu. Je nous revoyais, mon père et moi, passer nos soirées ainsi, au milieu des rires et du crépitement des flammes.

…Papa…

Je me râclai la gorge, et pris une grande inspiration.

Ellébore : « Bande de feignasses !! Une petite chipie s’est enfuie, retrouvez-la !! Maintenant !! »

Les bandits attablés levèrent la tête. Ils n’avaient pas clairement entendu ce qui venait d’être dit.

Je m’étais cachée derrière un arbre.

Garde : « Orin, t’as entendu ? C’était Alaia ? »

Un trentenaire, affalé sur une table en bois, redressa la tête. Il avait l’air à moitié réveillé, ses cheveux étaient hirsutes, et sa courte barbe négligée.

Il se leva mollement. Un oreiller était accroché autour de sa tête avec des cordelettes, ce qui lui couvrait les oreilles, tout en lui servant de chapeau.

Orin : « Ouaip, Chuis pas trop sûr. D’habitude, elle me vrille les tympans quand elle parle. »

Ce bandit traînant bailla à s’en décrocher la mâchoire. Sa chemise était à l’envers, et on ne pouvait pas y lire son nom.

Je regrettais déjà cette initiative bien trop risquée.

Il s’approcha d’un vieux gourdin tordu dont il enflamma le bout avec une torche. Ce gourdin en était peut-être une aussi.

Des regards méfiants se dirigeaient vers l’extérieur du camp. Ils s’approchaient de l’arbre derrière lequel je me planquais.

…Oh non, ne venez pas… ! Aaah, qu’est-ce que j’ai fait… ?

Une dizaine d’entre eux étaient sortis.

Je repensais à la force de la voix de cette femme.

Tu n’as plus le choix, Ellébore. Tu dois le faire… !

Je pris mon inspiration.

Visualise. Le souffle puissant. Le son vibrant, porté par le vent. Diffus, net. Comme si mes poumons entraient en éruption. Mes mots sont du magma. Ma magie et ma voix ne font plus qu’un. Mon cri est explosion !

Ellébore : « VERS LE SUD ! PAS VERS MOI ! BANDE DE SINGES ! RATTRAPEZ LA FILLE ! SI ELLE SE BARRE ! VOUS ÊTES TOUS MORTS !! »

Les bandits se raidirent, puis se regardèrent entre eux, tétanisés.

Garde : « Plus de doute maintenant… Les gars ! Roulement ! Ceux de garde, avec moi ! Les autres, prenez nos places ! »

Le veilleur le plus expérimenté de l’équipe se grattait la barbe. Ses yeux le piquaient encore.

Orin : « …De plus en plus bizarre tout ce cirque. Entre ça et la moitié d’entre nous qui sont toujours pas revenus… Y s’passe quoi ce soir ? »

Les torches s’éloignaient déjà dans la forêt. Ils avaient agi sous mes ordres.

…Je ne m’attendais pas réellement à ce que ça marche…

Agréablement surprise, je les regardais se disperser jusqu’à disparaître de ma vue, puis me dirigeai vers l’ouest.

Ma priorité est de retrouver Semion maintenant.

-2-

Après m’être enfoncée dans la forêt de nouveau, mon corps s’immobilisa. Avant même de réaliser, je me fis éjectée à quelques mètres, et roula sur le sol.

Je me redressais aussi vite que possible, faisant fi de la douleur.

Ellébore : « Alaia ?? Mais com- »

Alaia : « Tu vas la boucler, oui ?! »

Mon ennemie lévitait toujours à la force de sa haine.

Alaia : « Tu crois que j’ai pas entendu cette imitation minable ?! Forcément que j’allais te repérer ! Mais quelle cruche tu fais ! »

Je déglutis à l’idée d’avoir saboté ma propre stratégie.

J’attrapais précipitamment une pierre au sol, et après une courte hésitation, la lança sur elle.

La pierre s’arrêta en l’air, et me repartit en plein visage.

L’instant d’après, j’étais immobilisée, et fus projetée droit en l’air. Surprise par la propre rotation de mon corps, je m’écrasai au sol après une chute de trois mètres.

Mon visage était presque ébloui par la lune. Le choc m’avait laissée paralysée. L’esper s’approchait de moi.

Alaia : « Maintenant que j’y pense, je t’ai déjà vue à Lucécie… »

Son attitude envers moi me surprenait. Je n’avais aucune idée de ce qui lui passait par la tête.

Ellébore : « …Tu t’en souviens ? …Tu te souviens de la jeune fille sur qui tu as utilisé tes pouvoirs ? »

Alaia grimaça.

Alaia : « Comment oublier ? Yeux roses, longs cheveux noirs, deux rubans rouges. Cette peste a reçu une bonne leçon ! »

Constatant que son ton me contrariait, elle s’amusa à poursuivre.

Alaia : « Une faiblarde comme elle qui ose abîmer mon visage avec un stupide caillou. Quoi qu’au moins, elle savait viser, elle ! »

Ellébore : « …Tu n’imagines pas à quel point ton éclatement psychique a fait souffrir ses proches. Cette peste, comme tu dis, c’est mon amie. Et c’est une fille si gentille… Elle ne méritait rien de tout ça… ! »

Alaia haussa les sourcils. Elle ne parvenait qu’à attiser ma tristesse, plutôt que ma colère.

Alaia : « Ah, tu m’en vois ravie. Même si, honnêtement, je m’en fous un peu d’elle. Y a vraiment que des tarés comme Musmak ou Mandresy qui s’amusent à imaginer ce que deviennent leurs victimes. Mais si je lui apportais ton cadavre au pas de sa porte, je pourrais en profiter pour prendre des nouvelles ! »

Alors que j’essayais de me relever, elle balaya ma jambe avec son étreinte, et je me retrouvais de nouveau à ses pieds.

Alaia : « Au fait, tant que j’y suis : que ton amie soit gentille ou non, je m’en tape. Ce n’est pas quelque chose dont elle devrait être fière, et il me semble que ça ne lui a pas servi à grand-chose face à moi ! Avec un peu de chance, elle se maudit tous les jours d’avoir voulu jouer aux héroïnes ! »

Ses paroles étaient blessantes, et me faire malmener ainsi me donnait l’impression de me vider de mon énergie.

Ellébore : « Pas la peine de te demander comment la guérir, alors… ? »

Après un rictus forcé, Alaia fit mine d’être impressionnée par ma question.

Alaia : « Incroyable ! Bien deviné ! Tu es sûre que tu n’es pas détective ? Je vais t’apprendre un truc, merdeuse : c’est pas parce que tu sais détruire quelque chose que tu sais le réparer ! »

Je me fis encore éjectée en rotation sur moi-même. Elle concentrait son emprise psychique sur de fortes impulsions pour ne pas me laisser le temps d’utiliser ma téléportation.

Déboussolée par ces sensations fortes et l’impact qui s’en suivit, je redressai la tête en entendant du bois grincer.

À la force de son esprit, Alaia déterra un tronc qui jonchait le sol depuis des années.

Affaiblie, je ne pouvais pas me relever aussi vite que je l’aurais souhaité.

Alaia : « Mange ça ! »

Juste après l’avoir lancé, je me retrouvais sous son étreinte. Il ne me fallait qu’une seconde pour m’en défaire, mais mes réactions étaient de plus en plus lentes. Je n’avais plus le courage de me battre.

Ne pouvant pas l’éviter, je bondis en arrière, espérant encore passer au-dessus du projectile, mais mes jambes s’y heurtèrent, et je me retrouvais face contre terre une fois de plus.

Dans l’instant d’après, j’étais éjectée au loin, encore une fois.

Alaia : « Alors, c’est frustrant, hein ? »

Je m’adossai à un arbre pour échapper à sa vue.

…Il n’y a vraiment rien que je puisse faire…

Mes mains tremblaient en ramenant mes doigts jusqu’à mon cou.

…À quoi bon… ? Je n’ai aucune raison de penser que je pourrais la vaincre, ni même la fuir…

Alaia ne se pressait pas. Elle lévitait au ras du sol, se rapprochant négligemment de l’endroit où je me terrais.

Ellébore : « Crochenwaith Summon… »

Murmurai-je, sans qu’elle n’ait pu m’entendre. Je ne trouvais rien de mieux à faire contre une telle adversaire, tout en sachant que c’était vain.

Ce qui apparut entre mes mains me fit basculer en avant, ce qui m’aida à me ressaisir.

Je fixai le bol qui avait failli me faire perdre l’équilibre. Il était plus noir que cette nuit, et malgré ses dimensions banales, il était excessivement lourd. Cette sensation contre ma peau finit par m’aiguiller.

…Du plomb…

Des quelques raretés que j’avais pu invoquer avec ce sort, celle-ci était la meilleure. C’était une aubaine. Mais un bol à lui seul ne suffirait pas.

Alaia : « Tu penses que je ne sais pas où tu es ? Tu es vraiment pas maligne, ma pauvre. »

Une idée me vint. Les moqueries de la jeune femme m’indiquait sa position.

En faisant comme ça, je suis sûre de réussir.

Il me suffisait d’un flash bien placé, et d’un jet à bout portant pour être sûre de l’emporter.

Je serrais le bol entre mes mains.

Ellébore : « …S’il te plaît, arrête-toi. »

L’esper n’apprécia pas ma requête, mais fit mine de s’en réjouir.

Alaia : « Oh ? Ça y est ? Tu te décides enfin à me supplier de t’épargner ? »

Ellébore : « …J’ai trouvé un moyen de te battre. J’ai déjà prononcé l’incantation qui me fera gagner à coup sûr. Mais je ne tiens pas à y recourir. Je ne veux pas mettre ta vie en danger. Alors, restons-en là… »

Ses yeux luisants m’apparurent au coin de l’arbre, gorgés de fureur.

Alaia : « Je rêve où tu viens de me demander d’abandonner ? »

Ma remarque avait pu paraître condescendante, mais il n’en était évidemment rien.

J’osais à peine répondre à son regard.

Ellébore : « Je n’essaye pas de te provoquer… Mais si je fais ce que j’ai en tête, tu pourrais être gravement blessée, et- »

Alaia : « Tu t’fous de ma gueule ?! »

Elle me cracha sa réponse, excédée.

Elle n’avait pu que voir sur mon visage que j’étais sincère. Je n’essayais pas de la tromper. Et pourtant, elle aurait préféré que ce soit le cas.

Je me retrouvais plaquée contre l’arbre, mon cou se serra subitement.

Alaia : « Si tu as avais pu me tuer, tu aurais dû le faire sans hésiter !! »

Alors que je me libérais de son emprise, je me retrouvais l’instant d’après la tête en bas. Je me heurtais à une branche avant de retomber à terre.

Alaia : « Ta naïveté vient de causer ta perte ! Toutes ces obligations morales que tu t’infliges pour être « gentille » t’ont rendue si faible ! »

Sonnée par le choc, je dus trouver la force de me relever. Une inquiétante aura enveloppait l’esper. Ses cheveux s’élevaient lentement au-dessus d’elle.

Alaia : « Il n’y a vraiment rien pour te faire comprendre ?! »

Le tronc se souleva de nouveau derrière elle.

Ses mots étaient confus dans ma tête, mais je ressentais l’immense danger qui émanait d’elle.

J’aurais vraiment essayé…

Quand j’osais me confronter à son regard étincelant, j’y lus plus de déception que de haine.

Ellébore : « FLASH ! »

Le sort de lumière s’était déclenché avant que je ne prononce cette fausse incantation.

Le tronc retomba au sol. L’esper se cachait les yeux.

Alaia : « Sale garce ! Tu pouvais le lancer sans un mot depuis le début ! »

L’esper provoqua une onde de choc psychique tout autour d’elle, pour ne pas me laisser profiter de cette ouverture.

Je m’étais reculée d’un bond, mais une brindille portée par la déflagration s’était plantée dans ma cuisse.

Dans l’instant qui suivit son attaque, elle était sans défense. J’empoignais le bol de plomb et le tirai derrière moi, prête à lui lancer de toutes mes forces.

Juste avant de lâcher ce boulet de canon, j’aperçus la grimace sur son visage, comme si elle redoutait ce que je lui réservais.

Le bol fusa à travers l’air, et se heurta contre son épaule.

Alaia : « AAAAAAAAAH !! Petite conne ! »

J’avais encore raté.

J’aurais pu encore tenter de me jeter sur elle, mais cet énième échec me paralysa. Qu’est-ce qui aurait pu me faire croire que j’avais une chance après avoir encore démontré mon impuissance ?

Je ne demandais qu’à faire de mon mieux, alors pourquoi ? Pourquoi continuais-je d’échouer ?

Alaia : « Tu n’es vraiment bonne à rien ! Tu n’es qu’une demeurée inutile ! Rends-toi à la raison ! Il n’y a aucune place pour toi dans ce monde pourri ! »

Le vent se levait autour d’elle. La colère issue de la douleur prenait enfin le dessus.

Cette tempête semblait émaner d’Alaia, dont les vêtements s’agitaient, tandis qu’elle lévitait aux milieu des feuilles en tornade.

Je me sentais soudain aspirée. Quelque chose derrière moi semblait drainer mon corps et mon esprit. C’était cette sensation.

Alaia : « Alors rends-toi service, et crève !! »

Un son bien trop aigu, différent de tout ce que j’avais pu entendre jusqu’à aujourd’hui, me fit trembler. Je me retournais d’un bond pour voir l’arbre derrière moi parcouru par une large et profonde lacération. La coupure était si propre, et les copeaux de bois flottaient encore en l’air.

Qu’est-ce que-

Alors que cette sensation s’était résorbée, je me sentais aspirée à plusieurs endroits en même temps. Mon corps était pourtant parfaitement immobile.

De nouvelles lames nées du vide tranchèrent tout autour de moi. Je pouvais ressentir une seconde à l’avance l’endroit où elles allaient apparaître.

La plupart se matérialisaient en l’air, et produisaient un léger souffle. Elle ne me visait pas, ou plutôt, elle ne contrôlait pas ces attaques.

Troublée par les éléments qui se déchaînaient autour de moi, je me laissais surprendre par la lame qui trancha la terre à mes pieds.

Alaia : « …Pas maintenant… »

Elle venait de voir la terreur dans mes yeux. Cette expression la ramena des années en arrière.

Alaia : « …Pas encore !! »

Ellébore : « C-crochenwaith summon ! »

J’invoquai précipitamment un autre bol. Et à peine l’eus-je lancé qu’il s’arrêta, se désintégra en une boule compacte de terre cuite, comme si un géant l’avait serré dans sa poigne.

Sa puissance me paralysait.

Elle était face à moi, et même si ses yeux brillaient plus forts que n’importe quel astre, me voyait-elle encore ?

Elle pouvait cependant sentir chaque battement de mon cœur, ainsi que la terreur qu’elle m’infligeait.

L’esper entrait en transe.

Alaia : « AAAAAAAAAAAAAAAAAHHH !! »

Une onde de choc, bien plus puissante que la précédente, souffla tout autour d’elle sur un rayon de dix mètres.

Je fus balayée comme si je n’étais qu’une feuille morte parmi tant d’autres.

Les arbres grincèrent, agités jusqu’à leurs racines.

J’étais une fois de trop au sol. La douleur était terrible, mais la peur dominait mon corps à présent, qui choisit de se relever, et de courir le plus loin d’elle.

…Je vais mourir ici… !

Je courais dans la direction opposée, tout en devinant qu’il ne lui fallait qu’une poignée de secondes pour me rattraper.

-3-

J’ignorais comment fonctionnait l’état de transe, mais il n’y avait sûrement plus rien à faire pour l’arrêter. Il n’y avait plus que ma vie que je pouvais tenter de sauver.

Je sentais le sang couler sur ma jambe dans ma course boiteuse.

Il valait peut-être mieux traverser son camp pour gagner ne serait-ce qu’une poignée de secondes. Si elle me rattrapait, je mourrais avant de m’en être aperçue.

…Elle arrive…

Je sentais déjà la tempête se rapprocher. Les cimes s’agitaient.

Il faut que je parte d’ici immédiatement !

Garde : « Qui va là ?! »

Après un coup d’œil hâtif, je choisis ma destination, et contournai le camp.

Garde : « Eh ! »

Une poignée de bandits me rattrapèrent.

Garde : « Elle est là ! Sur la catapulte ! »

Alors qu’un des leurs pointa son arbalète vers moi. Il remarqua la flamme qui brûlait la corde du treuil.

Ellébore : « … »

La jeune fille sur la cuiller lança un regard vaincu au veilleur.

Garde : « Non, tu vas quand même pas- »

La corde lâcha.

Je m’étais mise en boule pour être projetée une dernière fois, plus haut et plus loin que jamais.

Je m’élevais au-dessus des arbres. Mon corps se gelait petit à petit. J’alternais entre mes deux magies gravitationnelles pour planer le plus longtemps possible, mais cette envolée me sembla durer un instant. J’écartais les bras pour ralentir autant que possible ma descension, mais finis par me plier en boule, endurcissant mon corps autant que je le pouvais.

Je m’écrasai avec violence au milieu des racines de cette dense forêt. L’atterrissage avait été aussi brutal que le décollage.

La glace brisée fondait déjà. Je restais immobile au sol.

Mes épaules tremblaient. Personne n’entendait le sanglot de la jeune fille, couverte de boue et de sang.

Pas une partie de mon corps n’était épargnée par la douleur. Pas un recoin de mon esprit n’était épargné par le désespoir.

Je continuais de pleurer, endurant la souffrance que j’avais tenté d’ignorer jusqu’ici.

Je n’avais plus l’énergie de lutter, ni même de fuir.

J’aurais pu me réjouir d’avoir survécu à cette chute, mais, à cet instant, j’avais honte d’être encore en vie.

Le nœud qui retenait mes cheveux en une queue de cheval avait cédé.

Je laissais ce précieux accessoire derrière moi, et me relevais enfin.

Je traînais la jambe, mais continuais d’avancer. Je m’enfonçais dans les ténèbres de la nuit, au milieu des troncs de plus en plus larges.

Un pas après l’autre, je m’éloignais de tout ce qui m’avait infligé ces souffrances.

Je ne pouvais rien pour Semion, je ne pouvais rien pour Lucéard, ni pour les autres. Je ne pouvais rien pour moi.

M’appuyant sur chacun des arbres sur mon chemin, je m’éloignais toujours plus. Nul doute qu’elle pouvait encore me retrouver à chaque instant.

Moi qui avais fêté mes 16 ans hier encore, je ne parvenais plus à imaginer un lendemain.

Le visage fermé, rompu de tristesse, je m’arrêtais dans cette mare asséchée.

Mon cœur était lourd, et ma volonté éteinte.

Un hululement distordu attira mon attention.

Toujours plus au nord, ce qui s’apparentait à une chouette m’avait appelé.

J’avais pu ressentir que ce cri m’était destiné. J’y avais compris qu’il voulait que je m’approche.

Je restais quelques instants ici, perdue.

Le hululement se fit entendre de nouveau. Il m’invitait à le rejoindre.

D’un premier pas hésitant, je me tournais dans sa direction, sans apercevoir le sous-bois où cette créature se terrait.

Orin : « Si j’étais toi, j’y irais pas. »

Cette voix dans mon dos sonnait plus comme un conseil qu’une menace, mais l’entendre me poussa à me retourner.

Ellébore : « …Qui êtes-vous ? »

Je me retournais vers cet homme que j’avais aperçu plus tôt, désespérée. Il était à une dizaine de mètres, dissimulé dans la pénombre.

Orin : « Tu n’as jamais entendu dire qu’il ne fallait pas s’approcher des forêts anciennes par nuit sans lune ? Bon, aujourd’hui, c’est la pleine lune, d’accord, mais je m’y tenterais pas, personnellement. »

Plus les arbres étaient anciens, plus la magie qu’ils détenaient était puissante et plus leur feuillage était dense. Ce genre de forêt avait de quoi abriter toutes sortes de rencontres dont je pouvais me passer.

Mais dans l’autre direction, un humain m’attendait. Et je ne me sentais même pas de taille contre lui.

Ellébore : « Comment… Avez-vous fait pour me trouver… ? »

Sa première réponse fut de me montrer son gourdin. Il était surmonté d’un petit voile quasi transparent. Il le retira d’une main, révélant la flamme qu’il cachait.

Il enfonça ce tissu magique dans sa poche puis bailla, la bouche pâteuse.

Orin : « Utiliser de la lumière pour repérer des fugitifs, c’est débile. Chuis habitué à l’obscurité. Ensuite, il suffit de savoir être discret. »

Il s’étira avant de reprendre sa posture habituelle que je qualifierai d’assez molle.

Orin : « Quant à comment je t’ai trouvé, la réponse est simple. Prends des notes, Volf, c’est important. »

Volf : « Vous m’avez pas dit y a quelques minutes que vous suiviez votre intuition ? »

Un jeune homme à l’air mauvais accompagnait Orin. Il ne semblait rien attendre de son instructeur, mais notait que malgré son idée stupide de chercher vers le nord, Orin était celui qui m’avait trouvée.

Orin : « J’ai entendu un bruit dans le coin, et je suis allé voir. »

…C’est assez basique…

Volf : « Quoi ? C’est tout ? »

Orin était agacé par sa remarque.

Orin : « Exact. Mais toi tu l’as pas entendu, et je vais te dire pourquoi : tu fais que piailler, blah et blah ! J’ai horreur qu’on me parle quand je viens de me réveiller. »

Nous étions tous les deux surpris de sa conclusion.

Comment ça, il vient de se réveiller ?!

Volf : « Eh, j’ai pas parlé tant que ça ! »

Orin : « Ouais mais t’as parlé, et c’est vraiment débile de faire ça quand on prend en chasse quelqu’un. Tu parles quand tu chasses du gibier ? »

Je regardais autour de moi. Cette interaction m’avait un peu calmée, et je guettais une idée pour m’enfuir.

Ellébore : « Eh bien, félicitations, vous m’avez trouvée… Mais vous ne pourriez pas me laisser partir ? Votre chef sera sûrement reconnaissante si vous la laissez me trouver elle-même. »

J’appréciais qu’ils m’écoutent, mais leurs visages étaient perplexes.

Volf : « Qu’est-ce qu’on fait ? »

Orin : « Bah on la chope. »

Ellébore : « A-attendez ! »

Je fis de grands signes de mains, les invitant à ne pas s’approcher.

Volf : « C’est quoi ton problème ? Si t’as peur, laisse-toi faire. C’est pas nous qui allons te faire du mal. »

Le plus jeune s’approcha de moi, et me montra une corde pour clarifier ses intentions.

Je reculai d’un pas, inquiète.

Orin : « Hm… Volf, attends. »

La soudaine réflexion du vétéran interrompit le plus jeune.

Orin : « C’est peut-être pas une bonne idée de trop l’approcher. »

Sa barbe semblait le démanger.

Volf : « Mais tu nous fais quoi, Orin ? Les ordres c’est les ordres, non ? »

Orin : « Ouaip, ça c’est une bonne leçon de retenue, Volf. Mais c’est pas la question. Je me dis juste que cette fille a un rapport avec la disparition de la moitié d’entre nous. »

Volf : « Hein ? »

Orin : « Réfléchis : aucune nouvelle d’eux, juste la chef qui revient énervée par une gamine toute seule, visiblement désarmée. Tu prends tout ça, tu le mélanges dans ta petite tête, et boum, tu en déduis qu’elle est mage, non ? »

Volf se tritura les méninges. Jusque là, Alaia n’avait jamais demandé d’aide à qui que ce soit pour ses affaires personnelles, car elle pouvait aisément battre n’importe qui en un contre un.

Volf : « Ah mais pas con. »

Orin : « Mais alors pourquoi tu nous mets pas une raclée, petite ? »

Cette question s’adressait à moi, et il pointa son gourdin dans ma direction pour tenter de mieux voir mon visage. Il n’y vit que de la tristesse et de la peur.

Ellébore : « Je… Je ne suis pas aussi forte que vous le pensez, monsieur… »

Je ne parvenais pas à montrer la moindre animosité envers eux. Qu’importe quelles horreurs ils avaient pu commettre dans leur vie, rien ne me poussait à engager le combat.

Orin : « Tu réalises que si on te capture, tu meurs ? »

Dans l’indifférence la plus totale, Orin me rappela à la réalité, ce qui surprit aussi son binôme.

-4-

Orin : « Vu comme elle a les boules, si on t’ramène à Alaia maintenant, elle te déchiquette. »

Même Volf était surpris de le voir tenir un tel discours avec autant de calme.

Volf : « …T’as pas tort sur le fond, mais t’es pas bien de lui dire ça ? »

Orin : « C’est une mage. Si elle nous a pas encore mis en miettes, c’est parce qu’elle ose pas s’en prendre à nous. C’est quand même ballot vu que sa vie est en jeu. »

Je restais sans voix. Il ne me donnait pas l’impression de me mettre en garde. C’était comme s’il disait tout ce qui lui passait par la tête, sans la moindre arrière-pensée.

Orin : « …Tu sais pourquoi je fais tout ça, petite ? »

Volf était intéressé par la réponse qui allait suivre. L’expression sévère du bandit au gourdin se mua en un sourire benêt.

Orin : « Parce qu’y a rien de tel que pioncer toute la journée. »

Volf et moi en restions pantois.

Orin : « Je suis nourri, et logé. Et tout ce qu’on me demande, c’est d’être éveillé le soir, après ça, je peux pioncer tooouuute la journée, où je veux. Je pourrais pas imaginer une meilleure vie. »

Pourquoi il déballe tout ça ici ?

Orin : « Mais bon, j’dois aussi suivre les ordres pour pouvoir me la couler douce. Et c’est là où je veux en venir. Je dois te capturer pour que ma petite vie reste paisible. »

Son quasi-sérieux était revenu.

Ellébore : « …A-ah ? »

Orin : « Ouaip. Sauf que bon, dernièrement, j’ai un peu trop assuré, et les bons guerriers sont pas ceux choisis pour veiller de nuit, donc je dois faire profil bas. Pas question que je fasse des opérations diurnes. Non merci. »

Volf : « Quoi ?! Mais t’es vraiment qu’une feignasse ! »

Orin tourna son regard de poisson mort vers Volf.

Orin : « Ou alors, on aura qu’à dire que tu l’as capturée tout seul, Volf. T’en dis quoi ? »

Volf : « J’ai clairement plus d’ambition que toi, mais proposé comme ça, j’ai pas du tout envie de t’aider. »

Les voir se chamailler m’apaisa un peu.

Un couteau se planta à quelques centimètres de moi, dans l’épaisse écorce d’un arbre. Je sursautai.

Orin : « T’as vraiment rien pigé, toi. »

Le bras tendu, Orin me perçait du regard. Il venait de me rappeler la situation dans laquelle j’étais.

Orin : « C’est pourtant très simple comme cas de figure : soit on gagne, soit tu gagnes. Soit je préserve ma vie de rêve et Volf reçoit une promotion éclair, soit tu restes en vie. T’as pas l’air du genre à te laisser mourir, alors qu’est-ce que tu fous, là ? »

Je reculais encore. L’idée de m’exposer à une nouvelle défaite me terrifiait.

Ellébore : « …Je ne veux pas vous combattre… »

Orin s’avança d’un pas menaçant, et récupéra sa lame.

Orin : « La dernière fois que j’ai paumé mon couteau à sauciflard comme ça, j’ai passé des nuits à l’chercher. »

Volf : « On s’en tape de ton couteau. On fait quoi ? »

Volf venait de dégainer une épée rouillée, prête à casser à tout moment.

Orin : « T’as pas plutôt ces lames qui paralysent, là ? »

Volf : « Bah non, ils les donnent pas comme ça. Mais toi, t’es un ancien, tu dois en avoir une. »

Orin bailla au visage de son binôme.

Orin : « Ouais, j’crois. Mais je l’ai jamais utilisée. J’sais même pas où elle est. »

Volf : « Pourquoi j’ai été assigné avec toi ? »

Alors qu’ils se chamaillaient, je ne pensais qu’à m’éclipser.

Ce monsieur a raison…

Le souvenir récent d’avoir blessé un homme avec une lame me revint.

Je ne veux plus avoir à refaire ça… Je ne veux risquer aucune vie…

Orin : « Oh, et puis, t’sais quoi, vas-y, Volf, attrape-la. »

Volf : « Je sais même pas pourquoi j’attendais ton accord. »

Il avança de manière inquiétante vers moi.

Ellébore : « A-arrêtez. Je suis sûre que nous pouvons régler ça autrement. Nous n’avons pas à nous battre. »

Volf brandit sa lame sans m’écouter, et une large plaie s’ouvrit sur mon épaule.

Ellébore : « Ah ! »

Je tombai au sol. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’une blessure par lame pouvait être aussi douloureuse. Je me retenais de me tordre de douleur. Ce n’était pourtant pas si profond.

L’homme face à moi n’avait pas hésité un instant. Je lus dans son regard qu’il pouvait me tuer. J’avais naïvement cru à sa bonté. Je n’imaginais pas qu’ils puissent m’attaquer en voyant que je me montrais pacifique.

Volf : « Bon, tu coopères ou pas ? »

Il n’en était rien.

Orin : « T’as vu ? Il aurait pu te tuer, même si on a l’ordre de te ramener. Et toi tu t’es laissée faire. Et même si tu te rends tu mourras, alors autant te battre, non ? »

Je peinais à me concentrer sur autre chose que l’infâme sensation qui brûlait en profondeur dans ma chair.

Je devais avoir l’air pitoyable. Pourtant, Volf restait en garde tandis qu’il me dévisageait.

Volf : « Lui donne pas des idées ! On l’embarque et c’est tout. Pas la peine de tout compliquer. »

Devant l’imminence du danger, je tendis la main devant moi.

Ellébore : « CROCHEN- »

Je reçus son pied en plein visage et me retrouvai à plat au sol.

Volf : « Bravo, Orin ! À cause de toi, elle tente des trucs maintenant. »

Orin : « J’aurais bien aimé voir c’que sa magie donnait, quand même… »

Je me redressais sur un coude. J’accumulais les douleurs, mais mon cœur était plus meurtri que tout le reste. Je ne savais plus quoi faire.

Tout avait commencé parce que j’avais voulu défier Alaia. Mes amis s’étaient reposés sur cette stratégie. Ils avaient placé leurs confiances en moi.

Pourquoi avoir fait ça… ? Par soif d’héroïsme… ?

Volf : « Bon, on dirait qu’elle a percuté, cette fois. Mets tes bras dans le dos, maintenant. »

J’avais mêlé Semion à ça, tout en sachant le danger auquel je nous exposais. Et finalement, c’était moi et moi seule qui l’avait laissé à son sort.

En agissant ainsi, j’ai mis tout le monde en danger.

Volf me tendit la corde d’une main. Orin restait quelques mètres derrière, les bras croisés.

Ellébore : « Que je fuis ou que je me batte, ça n’aboutira toujours qu’à la même chose… »

Volf se réjouissait de me voir abandonner. Orin soupira.

Ellébore : « Je n’ai vraiment pas envie de blesser qui que ce soit, de toute façon… Ce n’est pas ce à quoi j’aspire… »

Je croyais être prête pour ça. Mais ça n’était pas du tout le cas.

Pendant tout mon entraînement, j’avais répété les mêmes sorts, encore et encore dans le but de les employer un jour contre de véritables adversaires. Je savais qu’un jour, ces pouvoirs ne me permettraient que de faire souffrir.

Volf : « Tourne-toi, j’ai dit ! »

Il m’attrapa par les cheveux, et me renvoya au sol d’un mouvement brusque. J’étais inconsolable.

Alaia a entièrement raison… Je ne suis qu’une bonne à rien… Je suis si faible…

Je serrais la terre entre mes doigts. Je me retrouvais dans les ténèbres.

Je ne pourrais jamais rien accomplir. Ma magie est nulle, je n’ai aucune prédisposition pour les arts martiaux. Je suis maladroite, je suis lâche… Je n’aurais jamais dû lui faire face…

Ce choix que j’avais fait avait changé mon destin, et celui de bien d’autres. Je ne savais même plus quel sentiment m’animait quand je m’étais dressée face à Alaia.

Eilwen : « …Je ne partirai pas… »

Mes yeux s’ouvrirent en grand.

Je revoyais ses cheveux emportés par la brise produite par l’esper. Eilwen était restée debout jusqu’au bout. Elle ne lui avait jamais ne serait-ce que tourné le dos. Mais tout comme moi, Alaia avait parlé d’elle comme d’une faiblarde.

Elle, elle n’était pas faible… Elle n’a pas hésité à mettre sa vie en jeu. Se battre sans aucun pouvoir pour sauver quelqu’un qu’on aime, je n’y vois rien de faible. Ce qu’elle a montré ce jour-là était le plus pur des courage.

Ceirios : « Tu verras, Ellébore, la prochaine fois où l’on se verra, je serai devenu si fort que plus personne ne me résistera. »

Je me revoyais dans le donjon astral. Le regard de mon ami s’était embrasé.

Ceirios : « Je vais en finir. Maintenant. Je vais gagner. »

Moi aussi…

J’essuyais mes larmes d’une main, me hissant sur mon bras de nouveau.

Moi aussi, j’ai des gens que j’aime à sauver.

Ellébore : « …J’aurais mieux aimé être amie avec vous. Je trouve ça triste et absurde de devoir nous affronter… »

Las de m’entendre, Volf lâcha la corde, et serra le pommeau de son épée.

Ellébore : « …Je suis une bonne à rien. Mais je ne le serai pas toute ma vie. Un jour, j’aurais la force de résoudre tous mes problèmes sans recourir à la violence. »

Je me redressais vers Volf, et défiai son regard.

Ellébore : « Mais aujourd’hui, je suis encore trop faible. Et si me battre est ma seule chance de survivre… »

Volf : « Tu n’auras même pas à te battre ! »

Je fis apparaître un bouclier magique que j’utilisai pour dévier sa lame, avant de m’écarter.

Volf : « C’est trop tard pour se rebeller ! »

Alors qu’il s’élança vers moi, il trébucha aussitôt sur une motte de terre.

Ellébore : « Désolée ! »

Je serrais mon poing, qui s’était recouvert de givre, et lui lançai au visage.

Même en renforçant ma robustesse et ma vitesse, le bandit était parvenu à attraper mon poignet tout en retrouvant l’équilibre.

Volf : « Bien tenté ! »

Il profita de l’instant pour abattre sa lame rouillée.

Ellébore : « FLASH ! »

J’entendis Orin hurler de douleur tendit qu’un choc électrique poussa Volf à me lâcher.

Je bondis en arrière une fois de plus.

Ellébore : « CROCHENWAITH SUMMON ! »

Le bol qui apparut dans ma main attisa la curiosité d’Orin qui se frottait les yeux.

J’ai compris, maintenant…

Je lançais le récipient, non pas sans hésitation, avant de courir le plus loin d’eux.

Je n’ai jamais osé viser sa tête…

Volf para le bol avec son épée.

Orin : « J’reconnais que c’est pas de la magie incroyable, tout ça… »

Volf : « Si c’est ton maximum, tu ferais mieux de te laisser ligoter fissa ! »

Orin : « Volf. Reste sur tes gardes. »

Le veilleur alerta son coéquipier, qui s’apprêtait à partir à ma poursuite.

Orin : « Je l’sens pas, ce truc. »

Entendre de l’inquiétude dans la voix d’Orin poussa Volf à m’observer.

Si je ne suis pas prête à franchir ce pas, je continuerais de saboter toutes mes chances de m’en sortir.

Volf : « Qu’est-ce que c’est, ça… ? »

Si je n’ai fait qu’échouer depuis le début… C’est parce que je n’ai pas osé réussir.

Je faisais face à mes deux adversaires. Ils se plongèrent dans mon regard. Quelque chose venait enfin d’y renaître. Des cendres de mes doutes, une flamme s’était exhumée.

J’ai attendu un timing qui ne viendrait jamais. J’ai gardé ma dernière carte pour la fin sans savoir quand le moment était venu.

Orin et Volf ne bougeaient plus, ils craignaient de faire un pas de plus.

Cet atout est à double tranchant, et je me retrouve à devoir l’utiliser non pas contre celle que je devais affronter, mais contre deux de ses nombreux sbires.

Du bout du pouce, je poussais sur le fil autour de mon cou, presque à m’en étrangler, révélant les étranges perles sombres aux visages tourmentés.

Orin : « Bordel, ça fait flipper. »

Mais il n’y a plus d’après, maintenant. Soit je l’utilise, soit je meurs.

-5-

Cet hiver, je n’avais pas fait que perfectionner mes techniques. J’avais aussi ardemment cherché un moyen de devenir plus forte que jamais.

Heraldos : « Éléonore, as-tu déjà entendu parler des libérations et déchaînements magiques ? »

Je ne me souciais plus d’entendre ce nom depuis bien longtemps.

Ellébore : « Pas du tout, non… »

Essoufflée à force de projeter des flammèches à moins de trois centimètres de mon doigt, je me tournais vers le vieil homme.

Heraldos : « Certaines techniques permettent d’élever la puissance des sorts. Ainsi, un sort mineur devient un sort régulier. »

Il n’en fallait pas plus pour que je bondisse de joie.

Ellébore : « V-vraiment ?! Mais alors, moi qui n’arrive qu’à lancer des sorts mineurs, je pourrais employer de la vraie magie ?! Pourquoi vous ne m’en avez pas parlé plus tôt ?! » »

J’étais nullement frustrée d’en entendre parler que maintenant. Mon sourire était rayonnant. Le vieil homme caressait sa barbe avec satisfaction.

Heraldos : « Eh bien, tout simplement parce qu’un sort aussi prodigieux n’est évidemment pas de la magie mineure, ce qui signifie que tu ne pourrais pas l’utiliser. »

Cette annonce me donna l’impression de tomber dans un gouffre sans fond.

Ellébore : « C’est logique… …Mais surtout c’est rageant… ! »

Heraldos : « Voilà, à ce soir. »

Et il repartit dans sa traînée de neige.

Ellébore : « A-attendez ! Vous n’êtes pas venu juste pour me dire ça, quand même ?! »

Heraldos : « Perspicace, comme toujours. »

Restant dos à moi, il enchaîna avec une énigme.

Heraldos : « Peux-tu lancer un sort autre que mineur ? »

Il avait lui-même réfléchi à la question. Je n’avais aucune affinité magique. Rien ne m’était venu facilement. Chaque élément me demandait de gros efforts à employer. La plupart des sorts mineurs ne devaient même pas être à ma portée.

Ellébore : « Je peux, oui. »

Sous les regards de Volf et Orin, je tendais davantage le collier. Une flamme apparut au bout de ce pouce.

Monsieur Heraldos se tourna vers moi dans l’expectative.

Ellébore : « Certains équipements enchantés permettent d’utiliser des sorts, qu’on soit mage ou non. La magie est contenue dans l’artefact. Par exemple, si je détenais le sceptre de la garce fâchée, je pourrais brûler des villages entiers sans recourir à mes propres pouvoirs. …Mais les objets enchantés valent souvent une fortune, en plus d’être rares… »

Heraldos : « Dans ce cas, pourquoi ne pas enchanter toi-même des objets ? »

Ellébore : « Oh ? Comment ? »

Ce genre d’activité m’intéressait énormément, mais Drevo ne m’avait jamais laissé fouiller dans ses affaires.

Heraldos : « Regarde ceci. »

Il me tendit au creux de sa main une boule difforme. Je n’aurais pas su dire s’il s’agissait de pierre ou de bois, mais elle avait quelque chose d’inquiétant, j’y voyais un visage déformé par la douleur.

Ellébore : « Je vous remercie d’avoir été si prévenants avec moi. Et vous avez entièrement raison : je ne peux vraiment plus me permettre de retenir mes coups. Je dois être prête à tout. »

Orin déglutit.

Heraldos : « C’est un grigri de terre. Le réceptacle le plus basique qui soit. Les esprits mineurs s’empresseront de les posséder. Il suffit d’un peu de dextérité et de suivre un rituel pour en créer un. Mais d’un point de vue pratique, une boule de terre suffit. »

Il me fallait plus d’une heure pour en faire trois. Et monsieur Heraldos estima qu’il m’en fallait vingt pour avoir la magie nécessaire.

Heraldos : « Maintenant, il est temps d’apprendre le sort. »

Je levais mon tout premier collier devant moi, émerveillée par ma propre œuvre. Le résultat était pourtant sordide.

Au milieu de la nuit, éclairée par quelques rayons lunaires, la flamme brûlait au bout de mon doigt.

Volf : « …C’est quoi ce truc ? »

Sans quitter mon adversaire des yeux, je poussais encore sur ce doigt, et la corde lâcha.

Ellébore : « …C’est mon dernier recours. »

Chacun des vingt grigris tombèrent au sol, le temps nous parut ralentir.

Ellébore : « Esprits, Je vous ai fait demeure, mais voilà qu’est venue l’heure. Quand votre farandole prendra fin, faites vos pouvoirs miens ! »

Ils se brisèrent au sol, et libérèrent une fumée inquiétante. Comme des lucioles, des lueurs de toutes les couleurs s’élevèrent autour de moi.

Orin : « Oh oh. »

La bénédiction des esprits ne durait que quelques secondes, mais c’était bien plus que ce qu’il ne me fallait.

Je pris la pose, et inspirai un grand coup.

Ellébore : « Libération élémentaire. »

Un souffle repoussa la fumée tout autour de moi.

Volf : « Trop lente ! »

Le bandit s’était décidé à profiter de l’occasion pour abattre sa lame sur moi. Les ordres ne valaient plus rien pour lui, sa propre vie était en jeu.

J’arrêtais d’une main son arme avec plus de vitesse et de force qu’un humain normal.

Volf : « Hein ? »

Ma main était entièrement gelée. Il ne m’avait fallu qu’une seule seconde pour créer une couche de glace assez épaisse pour amortir le coup. Mais surtout, je ne subissais plus les effets négatifs.

Je lui envoyais mon autre poing aussitôt. Il parvint encore à attraper mon poignet.

Volf : « T’as gagné en force, je te l’accorde ! Mais t’es toujours ni assez rapide, ni assez puissante ! »

Ellébore : « Même avec la libération magique, mes sorts sont faibles, c’est dire à quel point je suis peu douée. »

J’ouvrais mon poing pour révéler une flamme au creux de ma paume. Elle grossit jusqu’à remplir ma main.

Ellébore : « …Mais c’est cent fois plus que ce dont je suis capable sans ! »

Volf : « Non ! »

La boule jaillit de ma main et explosa au visage de Volf.

Volf : « Gyaaaah !!! »

Je tournais mon autre poignet pour briser la lame prise dans la glace.

Je poussais ensuite sur mon pied au sol, le renforçant au maximum, tandis que mon autre genou se leva d’un bond. Celui-ci devint solide comme la pierre.

Je frappai Volf en plein torse. Le bandit se plia légèrement avant d’être éjecté en arrière.

Il s’écroula au sol, le souffle coupé. La précision de cette attaque l’avait mis hors-combat.

Mon regard se tourna vers Orin. Je restais en mouvement, bondissant en avant et en arrière pour accumuler de la vitesse.

Orin : « Les choses sérieuses commencent. »

Le veilleur se mit en garde, caché derrière son gourdin enflammé.

-6-

Orin : « Je dois dire qu’y a rien de si bluffant, mais j’ai quand même peur de pas faire le poids. Si je lève le pouce pendant le combat, considère que j’abandonne, d’accord ? »

Ellébore : « Facilitez-moi les choses, et levez-le maintenant ! »

J’accourus dans sa direction. Avec mes capacités physiques actuelles, j’étais déjà hors-compétition dans toutes les disciplines d’athlétisme en catégorie amagiste.

Orin s’étonna de mon accélération, mais sut parer mon poing de glace avec son gourdin.

J’avais aussi gelé mon autre poing, et enchaînai les coups.

Orin avait plus de force que ce que j’imaginais, et savait frapper pour fragiliser la couche protectrice que je régénérais sans cesse.

Orin : « Me faire tout donner si tôt, quelle plaie ! »

Une soudaine sensation interrompit notre combat.

Une puissante chaleur et une sensation de bien-être enveloppa mon corps et mon esprit. Ce qui venait de me traverser m’avait laissée apaisée.

Alaia serait déjà là ?

Orin était confus, lui aussi.

Non, ça n’avait rien à voir…

Orin : « C’est toi qui vient de faire ça ? »

Ellébore : « Non, mais c’était bizarre. »

Orin : « L’espace d’un instant, je me suis senti bien reposé. »

Ellébore : « Peut-être que vous devriez arrêter de travailler de nuit, alors. »

Mon adversaire fronça les sourcils.

Orin : « Après un tel affront, je ne retiendrai pas mes coups. »

Il passa à l’offensive, démontrant une agilité toute aussi étonnante.

La glace de mon poing se brisa dans ma parade.

Ellébore : « FLASH ! »

Je fermais toujours les yeux avant de faire cette attaque, mais même ainsi, je pus voir la différence.

Orin : « AAAAAAAAHH !! Mon unique point faible !! »

Je lui envoyais mon autre poing en plein visage.

Le veilleur recula, et agita son gourdin dans tous les sens, complètement aveuglé. Dans son agitation, il se retrouva l’oreiller par-dessus le visage.

Je le contournais pour lui envoyer une boule de feu. Mon projectile était lent et peu impressionnant, et il réussit à l’éviter, les yeux fermés.

Orin : « Au réveil, chaque son m’est si désagréable. C’est comme si mon ouïe était décuplée ! »

Affirmait-il fièrement.

D’où le coussin, j’ai compris…

D’un mouvement expert, il renvoya l’oreiller derrière sa tête.

Orin : « Il va te falloir plus que ça ! »

Il m’attaqua de front, et se heurta à un bouclier d’énergie satisfaisant.

Contre un humain normal, j’ai quasiment toutes mes chances, maintenant !

L’espoir renaissait lentement depuis le début de ce combat. Pouvoir me dire que tout ce temps à m’améliorer n’avait pas été vain, me fit pousser des ailes.

Mais j’ai toujours peur de le blesser. Si je veux gagner, il faut d’abord que je me fasse violence à moi-même !

Je parais un autre de ses coups.

Orin : « Eh, ça fait du bien de bouger ! Je me sens frais ! Je vais pouvoir utiliser mon attaque ultime ! »

Il gonfla ses poumons. Puis souffla de toutes ses forces sur son gourdin. La flamme embrasa quasiment toute l’arme.

Orin : « Oh, j’y suis peut-être allé un peu fort. »

Ellébore : « Vos techniques sont pas plus bluffantes que les miennes… »

Il frappa de son arme enflammée, projetant la chaleur jusqu’à moi. Mes poings de glace fondaient au contact.

Je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme. C’est vraiment pas de chance d’être tombée sur un bandit qui utilise du feu.

Orin : « Tant qu’elles fonctionnent ! »

Ellébore : « Je vais devoir faire profit de votre second point faible ! »

Orin : « Mon second po- »

Ellébore : « AAAAAAAAAAAHH !!! »

La dernière technique magique que j’avais apprise : l’amplification sonique.

Le souffle de mon cri brûla même le visage de mon adversaire, qui s’était caché derrière son gourdin.

Orin : « Aaah ! Pourquoi j’ai fait ça !! »

Son oreiller venait de prendre feu. Il ne semblait pas l’avoir remarqué.

Ellébore : « Ne bougez pas ! Votre coussin est en feu ! »

Je fis couler de l’eau dans mes mains, et tentai de lui donner une forme sphérique.

Ellébore : « Yah ! »

La boule d’eau se brisa à mi-parcours, mais éclaboussa l’oreiller.

Orin : « Mais c’est pas mieux ! Je connais rien de pire qu’un oreiller mouillé ! »

Une seconde boule d’eau explosa sur son gourdin.

Orin : « A-arrête ! »

Ellébore : « Désolée, mais maintenant que ça va mieux, je dois aller aider mes amis ! Merci de m’avoir consacré votre temps ! »

J’en envoyais une troisième. Je courais tout autour de lui, multipliant les projectiles aqueux.

Orin : « Je vais choper la crève si tu continues ! »

Il brandissait son gourdin, espérant renvoyer mes sorts, mais il ne put qu’en intercepter quelques.

Il ne savait plus où donner de la tête, et recevait projectile après projectile.

Quand il tentait de bouger, une motte de terre lui barrait la route. Il était aveuglé par l’eau.

Ellébore : « FLASH !!! »

Combinant la magie sonique et celle de lumière, je surchargeais les sens de mon adversaire, qui était complètement perdu.

Il tournait sur lui-même jusqu’à perdre l’équilibre, totalement détrempé.

Orin : « Aaaah !! »

Une motte de terre s’éleva, assez robuste pour le faire basculer en arrière.

Il tomba dans la flaque, perdant son arme en dehors du cratère que j’avais formé avec ma magie de terre.

Orin : « C-c’est toi qui a fait ça ?! »

Je bondis sur lui, immobilisant ses bras dans la mare que j’avais créée.

Ellébore : « Désolée… Non, pas vraiment désolée ! Vous êtes un bandit ! »

La glace sur mes bras se propagea sur son corps tandis qu’il se débattait.

Orin : « Aaaah ! Mais comment tu fais pour être si lourde ?! »

Ellébore : « Eh, faites preuve d’un peu de tact, s’il vous plaît. D’accord, j’utilise de la magie pour paraître plus massive, mais j’essaye de perdre du poids… ! »

La glace s’était propagée sans problème sur ses vêtements détrempés.

Le corps piégé dans la glace, Orin avait néanmoins la tête sur son coussin, et semblait prendre avec philosophie l’issue de ce combat.

Je me relevais, laissant fondre la glace sur moi.

Ellébore : « …Hmm… Malgré tout… Désolé quand même. »

Je m’apprêtais à repartir aussitôt.

Orin : « E-eh, t-toi. »

Sa voix frissonnante me fit me retourner aussitôt.

Il attira ensuite mon attention sur le bout de sa main gauche.

Son pouce était levé. Et ses dents claquaient.

Orin : « A-allez, p-pars. »

Je hochais la tête, avant de repartir vers le sud.

-7-

Lancée à travers la forêt, je fonçais, plus véloce que jamais. La libération magique avait soulagé mes douleurs.

Plus qu’à retrouver Semion. Les effets s’estomperont d’ici quelques minutes, je n’aurais sûrement pas le temps de venir en aide aux autres. Après la fin de la libération, je ne suis vraiment plus bonne à rien…

Volf : « Eh ! »

Quelqu’un était derrière moi. Volf avait réussi à me rattraper.

Volf : « Je te laisserais pas t’enfuir ! »

Il était déjà sur pied, et portait le gourdin noirci de son binôme.

Ellébore : « Si vous le dites ! »

Malgré mes blessures, je pouvais encore accélérer.

Tandis que je reprenais lentement confiance en moi, une sensation me prit au cœur. Volf aussi l’avait senti.

Volf : « Oh oh… Elle est en rogne ! Qu’est-ce tu lui as fait ?! »

Je m’arrêtais, intimidée.

Ellébore : « Si je le savais… »

Mais elle a véritablement un problème avec moi, pour une raison ou une autre.

J’étais trop perturbée pour l’avoir remarqué avant, mais en effet, ses réactions en ma présence étaient singulières.

Je me sentais soudain aspirée. J’entendais la forêt s’agiter. Elle se rapprochait rapidement.

Alaia : « Trouvée ! »

L’esper était au-dessus de nous. Elle se plaisait à nous regarder de haut.

On ne pouvait pas dire qu’elle se soit calmée, mais être dans cet état pendant quelques minutes lui avait permis de reprendre le contrôle.

C’était maintenant certain : Il ne valait mieux pas laisser un combat contre un esper s’éterniser.

Après m’avoir observé de son regard perçant, elle grimaça.

Alaia : « Tu as encore essayé de revenir ! »

Je me sentais aspirée tout autour de moi. Volf aussi s’étonnait de cette sensation unique.

Des lames psychiques tranchaient arbres, ciel, et terre. Volf éleva la voix pour pouvoir se faire entendre.

Volf : « Orin et moi l’avons trouvé à l’orée de la forêt ancienne ! On l’a poussée à fuir dans l’autre direction ! »

…Qu’est-ce que vous faites ?

Il ne pensait pas ce qu’il disait, et je me doutais de ses intentions, ce qui m’attendrit.

Alaia : « Je ne t’ai rien demandé ! Ni à toi, ni à l’autre emplumé ! Restez en dehors de ça ! »

Volf était dubitatif.

Un immense rocher se leva derrière lui.

Ellébore : « Volf, attention ! »

Une force semblait compresser la pierre, qui se fissurait de toute part.

Volf : « ! »

Le rocher finit par se briser, mais ses innombrables morceaux flottaient encore comme un seul bloc.

Me voir prévenir Volf semblait l’avoir mise hors d’elle.

Alaia : « Ah… Aaaah ! »

Une pluie de météorite s’abattit sur nous.

Volf et moi disparûmes dans un nuage de fumée éclairé par les rayons lunaires.

Je devais ma survie à ma libération magique. Mais cette attaque m’avait néanmoins laissée au sol, tremblante de douleur. La plaie sur mon épaule saignait abondamment.

Volf se relevait, confus. Le gourdin à ses pieds était brisé.

Volf : « Mais pourquoi elle perd la boule comme ça ? »

Alaia flottait face à moi.

Les longs cheveux blonds de l’adolescente sous ses yeux se répandaient sur la terre froide, tachés d’une couleur sombre.

Le sentiment que lui inspira cette vision la plongea dans la tourmente.

Alaia : « Toujours pas… »

Elle attrapa sa tête des deux mains, comme pour refréner la puissance infinie qui sommeillait en elle.

Alaia : « Je n’y arrive… Toujours pas !! »

Un arbre s’effondra, tranché à sa base.

Une lame venait de lacérer une pierre juste à côté de moi.

Ces lames folles détruisaient la forêt tout autour de nous.

…Qu’est-ce qu’elle essaye de faire… ?

À force de finir au sol, j’étais devenue une experte pour me relever, Quand j’étais prête à aller de l’avant, me dresser de nouveau était surprenamment facile, malgré la douleur.

Ellébore : « Il faut qu’on parte d’ici, Monsieur Volf ! »

Volf : « … ! »

J’aperçus le bandit dans la pénombre.

Il tournait la tête sur sa droite. Ce n’était qu’une silhouette pour moi, mais je le remarquai immédiatement : son bras, et une partie de son épaule avaient été coupés net.

Je retenais ma respiration.

Volf : « … ! »

Dans un dernier son, il tourna son regard vers moi. Je lus dans ses yeux qu’il avait compris : il était déjà trop tard. L’homme s’écroula dans un bain de sang.

Horrifiée, mon corps tremblait face au cadavre sous mes yeux. Je ne parvenais pas à détourner le regard.

Ellébore : « …Non… ! »

Je n’osai pas m’approcher, mais finis par montrer un visage plein de détresse à Alaia.

Ellébore : « Tu l’as… »

Alaia : « Je m’en fous ! Je m’en fous ! Je m’en fous !! »

Elle peinait de plus en plus à contenir ce sentiment qui la rongeait depuis si longtemps.

Alaia : « Pourquoi tu ne comprends pas ?! Tu vas finir par maudire ta gentillesse ! Tu vas finir par te maudire toute entière !! »

La haine dans son regard brûlait avec une telle férocité.

Dans l’éblouissant éclat de ses yeux, je pouvais apercevoir une silhouette.

Ellébore : « … »

Je n’osais pas répondre. J’ignorais ce qu’elle attendait de moi. Ce que je venais de voir m’avait laissée confuse, consternée.

Je sentais encore mon esprit se faire aspirer. Cette fois-ci, c’était vers mon propre cœur. Quand je réalisai enfin ce que ça signifiait, mon corps tarda à bouger.

Mon regard paniqué croisa celui d’Alaia, sa mâchoire se décrocha lentement.

Une giclée de sang jaillit sous les étoiles.

-8-

Deryn

Le soleil baignait dans le bleu du ciel de cette douce après-midi. Je levais la tête pour apercevoir les quelques nuages et les pétales des cerisiers portés par cette brise printanière. La chaleur dans mon dos annonçait les beaux jours et mon corps se gorgeait de la douceur de cette saison.

J’avançais le long du trottoir, mon sac pendait à mon épaule. Bien assez tôt, j’accompagnais une allée de pierre, à l’ombre de grands arbres alignés de ses deux côtés. Leurs cimes se rejoignaient au centre. Cette partie de mon chemin restait fraîche toute l’année. Il y avait quelque chose de magique dans les quelques rayons qui atteignaient les pavés que je foulais.

Je finis cependant par tourner vers une impasse. Ce quartier fleuri était celui où j’avais grandi. Les jonquilles resplendissaient sur le parterre central que les carrosses contournaient lorsqu’ils déposaient leurs passagers dans cette rue en U.

Je longeais les murets et les grands portails, et atteignis rapidement ma destination.

Cette maison était des plus charmantes, tout comme son jardin, sans pour autant se démarquer des habitations voisines. Personne n’aurait pu penser qu’il s’agissait de la demeure du comte.

Je poussais le petit portail de bois, comme chaque jour, mais le refermai plus hâtivement qu’à l’accoutumée. Moi qui aimais bien traîner sur le chemin du retour de l’école, j’étais aujourd’hui fébrile.

Je sentais mon cœur battre contre ma poitrine, et ce depuis hier, presque sans interruption. Pour être honnête, cela faisait déjà quelques jours que ce sentiment si troublant s’était immiscé en moi.

C’était encore un de ces jours où mon vœu le plus cher allait être mis à l’épreuve. Et même si je n’avais jamais réussi, je ne pensais pas tant à l’échec, mais plus à la perspective d’enfin réussir. C’était le dernier rempart avant que je ne me résigne à la fatalité.

Ma domestique m’attendait sur le perron, et m’ouvrait la porte. Je la saluai timidement, dissimulant mon impatience. Mais une fois entrée, j’ôtai mes chaussures sans me baisser, et montai en chaussettes les petits escaliers grinçants.

La moquette du premier étage étouffait le bruit de mes pas. Je fermai la porte de ma chambre derrière moi, tournai une fois la clé dans sa serrure, puis tirai sur la poignée pour m’assurer que personne ne pouvait entrer.

Ma chambre était bien rangée. Il faut dire que ma bibliothèque représentait l’essentiel de ma décoration. J’avais l’habitude de m’affaler sur mon lit après une journée de cours, mais aujourd’hui, je me précipitais sans détour vers ma garde-robe. J’y extrais un petit sac de lin, et un orbe transparent que je posai sur mon bureau. De cette poche presque vide, j’avais extrait quelques minuscules fragments, pareils à du verre.

J’allumai une bougie, bien qu’il ne fasse pas nuit. Je voulais y voir le mieux possible.

La lueur de cette flamme se reflétait dans mes yeux.

Allez Deryn, c’est le moment de ne pas se louper.

Je tentais de contrôler ma respiration, mais mes mains ne faisaient que trembler.

Je posai aussi délicatement que possible un des fragments dans l’une des fissures de cette sphère. Il semblait y avoir parfaitement sa place, et à peine fut-il totalement encastré que la surface paraissait lisse. C’était cet étrange phénomène qui me donnait espoir.

Je posai une à une chaque petite pièce, comme si ma vie en dépendait. Au point où j’en étais, il m’était aisé de savoir où elles allaient.

Je me revoyais à genoux au fond de cette sinistre mine, à récupérer chacun des éclats, un à un.

Je me revoyais mettre les tout premiers morceaux, puis, quelques jours plus tard, briser l’orbe davantage, par maladresse, avant qu’elle ne soit complète.

Espoir. Désespoir. Ces deux impulsions se répondaient, se perpétuaient, une à la fois, sans jamais être loin de cohabiter en moi. Aujourd’hui, l’une des deux était appelée à prendre le dessus, et ce pour longtemps. Peut-être même pour toujours.

Du bout des doigts, je posai la dernière pièce de ce puzzle sphérique. Il était devenu la clé de ce joyau.

Je n’avais pas vu le temps filer. J’avais écourté le dîner autant que possible. Nous étions en fin de soirée, et je fixais l’orbe entier, le tournant précautionneusement entre mes mains.

Mes doigts tremblaient de fatigue, et mes yeux me piquaient. Je leur en avais beaucoup demandé ces derniers mois, et dus les plisser pour tenter d’apercevoir quelque chose.

Je n’en étais pas certaine, mais la surface me paraissait entièrement lisse. Combien de fois avais-je rêvé qu’un fragment manquait à la fin ? Je me réveillais à la fois soulagée, et à la fois anxieuse que ça puisse arriver.

Mais elle me semblait parfaite.

Et en son centre, il me semblait voir une lumière dormante.

Je couvrais la cloche de la bougie d’un tissu opaque. Mon cœur s’emballa.

Dans l’obscurité de la nuit, je ne pouvais que me rendre à l’évidence : ça n’était pas mon imagination.

Un pouvoir mystérieux s’était incarné dans ce simple artefact en une faible lueur.

Cette sensation me brûlait la poitrine.

Deryn : « Ça y est… »

Le miracle avait eu lieu.

Deryn : « Enfin… ! »

Je n’osais plus le toucher. Tout pouvait encore basculer. Si près du but, un éventuel échec serait décisif.

J’allais peut-être découvrir que tout ce que j’avais entrepris ne menait à rien. Et si je l’apprenais, j’étais certaine d’en retenir la leçon.

J’approchais mes mains ouvertes. Mes lèvres tressaillaient. Un son fort et étouffé m’interrompit.

Irmy : « Deryn ! »

Deryn : « Hih ! »

Cette voix venue du rez-de-chaussée m’avait faite bondir de ma chaise.

Irmy : « Tu peux venir un instant ? »

Je restais quelques secondes sans répondre.

Je m’étais mise dans un tel état. Jamais je n’aurais pensé pousser un cri comme celui-ci dans ma vie, ni sursauter aussi fort.

Après être revenue à mes esprits, je pouffais de rire discrètement, et me levai.

Deryn : « J’arrive… »

Répondis-je avec lassitude.

Comme d’habitude, c’est au pire moment possible qu’elle m’appelle.

Je déverrouillai la porte, puis me tournai vers l’orbe luisant.

Ce n’est peut-être pas plus mal. Me changer les idées me permettra de revenir plus calme. Et puis, Mère ne me laissera pas tranquille tant que je ne serai pas descendue.

Après m’être faite une raison, j’ouvris la porte.

Pressée de remonter, j’avais laissé l’accès à ma chambre entrouvert. La porte se rouvrit lentement tandis que je dévalais les marches.

Une silhouette apparut dans l’interstice de la porte. Un œil rose fixait mon bureau depuis la pénombre du couloir.



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