Livre 5, Chapitre 80 – L’homme au pouvoir caché
Beck se leva de son lit, se dégageant des membres de ses servantes. Elles l’aidèrent à se préparer pour la journée et, une fois lavé et habillé, elles lui apportèrent son petit déjeuner. Pendant qu’il mangeait, sa gouvernante en profita pour communiquer au maître le programme de la journée et d’autres nouvelles importantes.
« Cloudhawk a refusé les femmes que vous lui avez envoyées. »
Beck savourait un repas composé de pommes, de pain et d’œufs au plat. Lorsqu’il entendit parler du refus de Cloudhawk, son front se plissa. En fronçant les sourcils, il mit son petit déjeuner de côté.
Un homme qui ne désire rien n’existe pas. Cloudhawk devait bien vouloir quelque chose.
Il ne se souciait ni de la richesse, ni des femmes, ni du statut. Un tel homme existait-il vraiment ? Non, cela n’avait aucun sens. Il n’y avait qu’une seule possibilité, et c’était que ce qu’il voulait ne pouvait pas être obtenu ici. Beck Roth ne pouvait rien lui donner.
La gouvernante posa une question d’une voix calme. « Cloudhawk semble avoir une relation particulière avec les membres de la compagnie Summer-Autumn. Puisque nous ne parvenons pas à l’acheter, nous pourrions peut-être menacer ses amis pour obtenir ce que nous voulons. Il serait dommage de ne pas pouvoir garder un homme de son talent pour nous. Il nous serait d’une grande aide dans le conflit qui nous oppose à la Seven Leaf ».
Beck but une tasse de lait chaud, s’accordant un moment de réflexion. Ensuite, il s’essuya la bouche sans se presser avec une serviette. Enfin, il se leva et répondit sans expression : « Pas besoin. »
Quand Beck voulait contrôler quelqu’un, la méthode la meilleure et la plus directe était de découvrir ce qu’il voulait et de l’utiliser à son avantage.
Les femmes ? Il pouvait fournir des dizaines de femmes parmi les plus belles de la ville !
De l’argent ? Il pouvait inonder les gens de plus d’argent qu’ils ne pouvaient l’imaginer.
Il avait les moyens de gratter toutes sortes de démangeaisons, y compris des hobbies plus spécifiques comme la collection et l’art. Bien sûr, la loyauté ne s’achetait pas, mais il pouvait acheter du temps.
Quoi qu’il en soit, Cloudhawk n’était venu ici que deux fois. Ce n’était pas assez long pour qu’il développe une relation suffisante avec la compagnie Summer-Autumn pour qu’il puisse l’intimider et obtenir le résultat escompté. Mieux valait abandonner ce plan plutôt que de subir des représailles.
La gouvernante était désemparée. Il ne comprenait pas pourquoi quelqu’un d’aussi fort semblait si déterminé à mener une vie frugale et inintéressante. Les gens avaient au mieux cent ans pour marcher sur cette terre – trente mille jours. La fortune est capricieuse et personne ne sait de quoi demain sera fait. Un homme qui se voit offrir une vie sûre et confortable sur un plateau d’argent et qui la refuse… eh bien, un tel homme était tout simplement stupide.
Beck sortit de la maison et vit un groupe de plusieurs personnes en train de s’affairer.
Cloudhawk, ses deux principaux porte-étendards et plusieurs autres personnes se trouvaient dans la cour. À leur vue, ses sourcils se froncèrent, car il se rendit compte que le Conseil des Élus ne se déroulait pas en sa faveur. Au premier tour, il avait perdu la plupart des membres de sa délégation. La Compagnie Seven Leaf était en position de force.
Sans la participation de Cloudhawk, Red Banner n’aurait aucun espoir de gagner. Par deux fois déjà, ils avaient perdu l’occasion de se présenter devant le roi. S’ils perdaient à nouveau, le fossé entre sa compagnie et Seven Leaf serait trop grand pour être comblé. Il pouvait oublier qu’il ne recevrait plus jamais la bénédiction du roi.
Un déclic se produisit soudain dans le cerveau de Beck.
Le but ultime de Cloudhawk était de voir le roi. Ni l’argent ni les femmes ne l’intéressaient, mais il souhaitait ardemment visiter Imperia. Pourquoi ? Il y avait tant de choses inconnues à propos de ce mystérieux étranger. On ne savait pas s’il était une bénédiction ou une malédiction – mieux valait le tuer avant qu’il ne tombe malade.
Bien sûr, avant de mourir, il pouvait encore être utile.
Le Conseil des Élus battait son plein, le deuxième jour d’une compétition qui faisait rage.
Le premier combat à avoir capté l’imagination des gens opposait Septième Feuille, de la compagnie Seven Leaf, au second porte-étendard de Red Banner.
Ces deux-là faisaient partie des meilleurs combattants de Redleaf, et leur combat allait donc être un véritable spectacle. Ce qui rendait la chose encore plus intéressante, c’était la mort récente de Quatrième Feuille. Tout le monde voulait savoir comment Seven Leaf allait réagir.
« Regardez, c’est Maître Sept ! »
« Maître Sept entre sur le terrain !
La vénérée Septième Feuille entra lentement sur le terrain. Sa carrure particulièrement robuste faisait forte impression. Avec ses deux mètres de haut, ses traits durs et son crâne rasé, il était particulièrement intimidant. En guise d’armes, il portait une paire de gantelets métalliques.
Le sol tremblait à chacun de ses pas. Les spectateurs le voyaient moins comme un homme que comme un géant.
Lorsqu’il entra sur le terrain, il se leva et arracha sa cape. L’étoffe fine cousue de sept feuilles immaculées tomba au sol aussi gracieusement qu’un papillon.
Lorsqu’il fut révélé au grand jour, la foule poussa un murmure de surprise. Maître sept était un homme d’une cinquantaine d’années. Malgré son âge, il était dans une forme incroyable. Ses muscles étaient tendus et prêts à se mettre en mouvement à tout moment. Sa peau avait une teinte saine et brunie, et la coupe de ses muscles était aussi parfaite que celle d’une sculpture de maître.
Ses moindres mouvements étaient ceux d’un tigre prêt à bondir. Il était aussi épais et solide qu’une forteresse de fer.
Le Vénéré Maître Sept de Redleaf ! Pour le grand public, il était largement admis qu’il était l’homme le plus fort de Redleaf. On lui avait donné le titre de “démolisseur”.
On racontait que son corps d’acier pouvait recevoir des coups de toutes sortes d’armes et rester indemne. D’un seul coup de poing, il pouvait réduire la moitié du corps d’un homme en pâte sanguinolente. Personne n’était plus rapide, plus fort ou plus solide que lui dans tout Redleaf.
Il n’y avait que deux ou trois hommes dans la ville qui pouvaient s’en approcher.
Septième Feuille se plaça au centre du terrain et frappa ses poings gantés l’un contre l’autre. La soif de sang brillait dans ses yeux. « Venez, ordures de Red Banner ! Voyons combien de temps tes os tiennent avant d’être réduits en poudre ! »
Le féroce guerrier était prêt et désireux de détruire chaque centimètre carré de son adversaire devant tout le monde. Il allait souligner la puissance et la fureur de la Compagnie en réduisant ce stupide Porte-Etendard en bouillie.
Beck regarda le dominateur Septième Feuille, puis Cloudhawk et son premier porte-étendard. Il prit une décision calculée et la transmit d’un coup d’œil à son second porte-étendard. Le guerrier, bien que réticent, reçut le message.
Septième Feuille rôdait sur le terrain, presque à bout de patience lorsqu’une voix s’éleva : « Red Banner déclare forfait ! »
Septième Feuille se figea sur place. Il se sentait comme quelqu’un qui frappe une flaque d’eau sans opposer de résistance. Il avait envie d’un bon combat dont le point final serait de déchirer son ennemi membre par membre. Eh bien, il obtint sa victoire bien plus facilement qu’il ne l’aurait souhaité.
« Lâche ! Red Banner est une bande de lâches ! » Frustrée, Septième Feuille enfonça son poing dans le champ de bataille. Le coup provoqua l’ouverture d’une fissure de dix mètres de long devant lui. Il lança un regard à Beck. « Vous pensez pouvoir éviter mon poing en abandonnant ? Je vais briser chacun d’entre vous. Surtout ce putain d’enfant ! Il paiera de son sang le fait d’avoir tué l’un des miens. »
Personne n’aurait pu prévoir la scène. Les différents présidents regardèrent Beck avec surprise. Red Banner admettait simplement sa défaite ?
Leur Second Porteur n’avait pas beaucoup de chances contre Septième Feuille, mais ce n’était pas désespéré. En déclarant forfait, Red Banner mettait hors course l’un de ses combattants les plus importants. Cela signifiait que leurs chances de participer à la finale étaient considérablement réduites. La représentation de Red Banner dans ce combat final serait réduite.
« Mon second porteur est souffrant. Il a demandé à renoncer à sa place dans la compétition. »
Le visage d’Otus Blanc était noir de colère. C’était inattendu, mais cela ne changeait rien. La vengeance finirait par arriver. Pour l’heure, c’était la victoire au Conseil des Élus qui primait.
Les autres combats se poursuivirent, et leurs vainqueurs furent désignés. Ils étaient les suivants :
Groupe 1 – Premier porte-étendard de Red Banner.
Groupe 2 – Cinquième feuille.
Groupe trois – Cloudhawk.
Groupe quatre – Septième feuille.
Groupe cinq – Sixième feuille.
Cloudhawk n’était pas surpris par ces résultats.
Il s’en doutait avant même que les combats ne commencent. Le dernier combat était celui du sixième groupe, qui était sur le point de commencer et qui capta toute l’attention de Cloudhawk.
Les six groupes avaient connu un certain nombre d’éliminations, et il ne restait plus que les deux derniers.
Les affrontements n’étaient pas très excitants. La deuxième feuille de la compagnie Seven Leaf était opposée à un groupe d’inconnus. Il se trouve que la plupart des concurrents du sixième champ étaient des faibles, et Seconde Feuille et ses capacités l’avaient emporté haut la main.
La compagnie Seven Leaf était prête à remporter le groupe, tout comme elle l’avait fait pour les groupes deux, quatre et cinq. Quatre représentants iront en finale, contre deux pour Red Banner.
Quatre contre deux. Les choses se présentent très bien pour la compagnie.
En face de Seconde Feuille pour le combat final se trouvait un homme d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années. Il avait une ligne de cheveux en forme de couteau et des sourcils dramatiques qui ressemblaient à des éclaboussures d’encre noire. C’était un parfait inconnu, quelqu’un que personne ne reconnaissait.
Deuxième Feuille l’a regardé avec mépris. « Si tu es arrivé jusqu’ici, c’est que tu as de la force. Mais cette fois, tu n’es pas du tout à la hauteur, crevette. Je ne veux pas perdre mon temps avec toi, alors déclares forfait et nous pourrons tous passer à autre chose. »
Le combattant, nommé Desmond, se tenait face à l’illustre Seconde Feuille sans broncher. Il n’y avait ni peur ni expression sur son visage. Il se contenta de secouer la tête. « Je n’ai jamais reculé devant rien dans ma vie. Je suis prêt à essayer. »
« Tu as une colonne vertébrale. Mais plus la colonne vertébrale est rigide, plus elle fait mal quand on la brise. » Seconde Feuille était calme. « Si tu as tellement envie de te faire mal, je ne te le refuserai pas. Éclair noir, vas-y. »
Deuxième Feuille pointa son doigt, et une panthère aussi sombre que l’ombre s’élança.
Lorsque le léopard apparut pour la première fois, il n’avait que la taille d’un chien moyen. Lorsque ses pattes touchèrent le sol pour la première fois, il avait atteint la taille d’un loup. Il fit un bond de dix mètres, et la deuxième fois que ses pattes touchèrent le sol, il était aussi grand qu’un rhinocéros. Le félin atteignit la position de Desmond et le surplomba.
Il lui avait fallu moins d’une demi-seconde pour franchir plusieurs dizaines de mètres.
Une fois devant Desmond, la panthère lui asséna dix coups de griffes semblables à des poignards. Avant même qu’elles n’entrent en contact, leur tranchant était presque palpable.
Desmond ne bougea pas. La foule commença à haleter, persuadée qu’il allait être englouti. Ils regardèrent la panthère s’abattre sur lui, ses mâchoires larges prêtes à le prendre dans son gosier avec un bruit de chair déchirée. Cet idiot était si faible, mais il était déterminé à se jeter sur le Conseil des Élus ?
Cloudhawk observait, le regard concentré. Alors que tout le monde était certain que l’homme était devenu la nourriture de la panthère, une surprise vint ébranler leurs attentes. La panthère remarqua d’abord que le corps qu’elle avait déchiré membre par membre était aussi froid que de l’argile et ne produisait pas les giclées de sang satisfaisantes qu’elle espérait.
L’expression de Seconde Feuille passa de la dérision à la surprise. « Cela… »
C’était clair. Desmond avait tendu un piège.
Il avait mis en place une marionnette qui lui ressemblait pour attirer l’attention de son adversaire. Cela avait fonctionné et avait désorienté Seconde Feuille. Préoccupé par sa bête, il s’était rendu compte de son erreur trop tard.
Par rapport à ses compétences de maître des bêtes, Seconde Feuille était physiquement faible. Il comptait sur la vitesse et la force de sa panthère pour gagner des combats. Sans l’animal à ses côtés, il était exposé. Son protecteur ne tarderait pas à revenir.
Trop tard !
Desmond apparut derrière Seconde Feuille. Il brandit un bouclier de taille moyenne et le frappa aussi fort qu’il le put à l’arrière du crâne du Vénéré.
La vision de Seconde Feuille devint noire. Il s’effondra sur le sol.
Le vainqueur du sixième groupe avait été désigné, et c’était… l’inconnu, Desmond !
Un tel résultat était impensable. Pour la deuxième fois, Otus Blanc se mit à grincer des dents de rage. Cloudhawk était un problème, mais pas insurmontable. Et voilà que ce deuxième idiot inconnu mettait sa compagnie dans l’embarras ? Que faisaient ces étrangers pour empoisonner le Conseil des Élus !
Otus grogna : « Espèce d’aveugle de merde ! C’est l’un des vôtres ! »
« Ne me blâmez pas, Maître Blanc. Je ne savais pas qu’il pouvait faire ça. » Le visage du vieil aveugle était un masque soigneusement dissimulé. « Si j’avais su, je ne l’aurais pas proposé comme représentant. »
Malgré toute la rage d’Otus, il ne pouvait rien faire. Ce qui était fait était fait. Mais peu importe, le fait d’être à court d’un seul homme ne changeait rien.
Cloudhawk regarda celui qui s’appelait Desmond avec des yeux bridés. Il avait senti depuis le début que celui-ci portait au moins quatre ou cinq reliques sur lui. Il était en fait assez fort – au moins assez pour tuer les autres représentants.
Selon les critères de Skycloud, il était probablement l’équivalent d’un chasseur de démons chevronné.
Cet homme était suffisamment fort pour que Cloudhawk ait dû se battre avec acharnement pour le vaincre. Bien sûr, depuis la bataille du Sanctuaire, les capacités mentales de Cloudhawk s’étaient rapprochées de celles d’un Maître Chasseur de Démons. Il était fort, mais pas assez pour inquiéter Cloudhawk.
Ce qui le rendait curieux, c’était de savoir ce qu’un homme de son calibre faisait dans ce petit endroit.
Il avait gardé un profil très bas pendant tout ce temps, cachant sa force. Cela rendait les choses beaucoup plus intéressantes.