Chapitre 04 – La traque se poursuit
Après avoir acheté leurs billets, les membres du groupe pénétrèrent dans le site au point de vue panoramique. Nous les suivîmes à distance.
Craignant qu’ils ne nous découvrent dans la mesure où il n’y avait personne aux alentours, nous nous cachâmes rapidement derrière des buissons. Nous nous trouvions dans une posture inconfortable, à la fois douloureuse et irritante du fait des mauvaises herbes et buissons épineux qui ne cessaient de nous griffer et de nous piquer. Au bout d’un moment, nous étions déjà un peu dépassés par la situation.
Bien que nous fussions au pied de la Montagne de la Tête de Serpent, nous étions déjà dans son périmètre. Plusieurs des chemins menant aux sites touristiques étaient pavés de pierre, de sorte qu’il n’était vraiment pas difficile d’avancer. Ces chemins serpentaient autour du terrain montagneux, révélant d’un côté des ruisseaux et de l’autre, sur les falaises, de nombreuses sculptures de personnages célèbres. Le paysage était magnifique, mais le groupe que nous suivions continuait à marcher sans s’y arrêter. On aurait dit que le décor ne les intéressait pas le moins du monde.
Comme j’étais en bonne forme ces derniers temps, je ne ressentis pas grand-chose durant notre marche. Lao Yang, en revanche, n’avait pas eu le temps de faire de l’exercice depuis la prison et son système cardio-respiratoire était moins bon que le mien. Au bout d’un moment, manifestement épuisé, il se mit à haleter.
Les montagnes se faisant de plus en plus silencieuses, nous n’osâmes pas parler et continuâmes à les suivre jusqu’à la tombée de la nuit. La lune était à mi-course dans le ciel lorsqu’enfin, le groupe s’arrêta.
Restés à distance, nous nous accroupîmes derrière des buissons et les observâmes. C’est alors que Lao Yang me tira par le bras. Je me retournai et vis qu’il était pâle et transpirait abondamment. Conscient qu’il ne pourrait pas tenir plus longtemps, je lui donnai de l’eau et lui conseillai de se reposer un peu.
― Vieux Wu, me dit-il, à bout de souffle, je pense que ça suffit. Oublions ça. Ils volent tout ce qu’ils trouvent et nous tout ce que nous trouvons. Je vais mourir si on continue à les suivre.
J’allais plus ou moins bien, aussi, en l’entendant dire cela, je me mis en colère :
― Merde, tu n’es resté en prison que trois ans et tu ne vaux déjà plus rien ? Voilà que tu veux cesser de les suivre… nous aurions donc vécu tout ça en vain ? Prends sur toi et accroche-toi.
― Combien de temps penses-tu qu’il leur faudra pour arriver à destination ? Se sont-ils arrêtés parce qu’ils sont arrivés ?
― Non, nous ne sommes pas assez loin dans les montagnes, dis-je en jetant un coup d’œil au groupe. Nous avons encore un long chemin à parcourir si nous voulons les traverser. Je suppose qu’ils sont fatigués et qu’ils ont décidé de se reposer. Tu vois ? Ils ont fait un feu. On dirait qu’ils comptent passer la nuit ici. Ne perdons pas de temps nous non plus. Nous allons manger et dormir un peu.
Nous nous installâmes dans l’herbe, mais sans allumer de feu car en pleine nuit, ils nous auraient aussitôt repérés. Comme nous ne pouvions pas faire sécher nos vêtements, nos chaussures trempées de sueur ni réchauffer nos rations sèches, nous dûmes nous contenter de nourriture froide et de vêtements humides. Lao Yang soupira et commença à se plaindre de la mauvaise idée que j’avais eue.
Même si je la regrettais moi aussi et étais un peu contrarié, je ne voulais pas l’entendre de sa bouche. C’est moi qui suis venu ici pour t’aider dans cette stupidité , grommelais-je intérieurement. Si tu n’en peux plus, nous ferions mieux de repartir. Si nous nous aventurons plus loin dans les montagnes, nous serons probablement contraints de fuir.
Après un long moment de déprime, Lao Yang me dit :
― Attends, Vieux Wu, ce n’est pas une bonne idée que de les suivre passivement comme ça. Nous ne savons pas s’ils comptent traverser la montagne. S’ils se dirigent vers les bois au sommet, on sera vraiment dans la merde.
Réalisant qu’il avait raison, je me crispai. J’avais pris pour acquis que quiconque s’aventurait dans la montagne avait l’intention de la traverser, mais si ce n’était pas le cas de ces gens et qu’ils veuillent plutôt se promener dans la région, notre plan ne tomberait-il pas à l’eau ?
C’était vraiment un problème car nous ne pouvions tout de même pas monter leur demander ce qu’ils comptaient faire. Perdu dans mes pensées, je regardais brûler le feu au loin.
Voyant que moi non plus, je ne savais que faire, Lao Yang poussa un gros soupir. Après avoir réfléchi un moment, il me dit que si c’était moi qui décidais, nous étions fichus. Mieux valait se fier à lui. Il allait s’approcher de ces gens et tenter d’écouter leur conversation. Dans les montagnes, ils se montreraient sans doute moins prudents en discutant de leurs plans.
Je lui fis savoir que je n’avais rien contre, mais comme je ne lui faisais pas confiance, je le suivis.
Nous nous rapprochâmes furtivement et n’eûmes pas à aller bien loin. La montagne était tellement silencieuse que très vite, nous fûmes à portée de voix. Lao Yang m’agrippa et me fit signe de nous cacher, car il n’était pas nécessaire d’aller plus loin.
J’acquiesçai et nous nous accroupîmes, retenant notre souffle en les écoutant rire. À notre grande surprise, deux des personnes du groupe avaient un fort accent cantonais.
C’était vraiment étrange… Je n’avais jamais entendu parler de Cantonnais dans ce genre de travail.
Tous les membres du groupe discutaient et riaient lorsque nous entendîmes une jeune voix dire :
― Oncle Tai, donne-nous une estimation. Combien de temps cela va-t-il prendre pour arriver là-bas ? Après toute la marche que nous avons faite aujourd’hui, j’ai l’impression que mes jambes vont tomber.
― Je t’avais dit de faire plus d’exercice avant de venir ici, répondit une voix rauque. Tu ne sais que manger, boire, faire la pute, jouer et passer du temps avec les femmes. Tu vas forcément souffrir cette fois. Eh bien écoute moi : si tu suis les routes, il te faudra deux jours pour traverser la Montagne de la Tête de Serpent, mais si celles-ci sont impraticables, je ne saurais le dire. Alors, si tu n’en peux plus, redescend tout de suite. Ne nous ralentis pas.
Manifestement, le jeune homme était un peu intimidé par cet Oncle Tai :
― J’ai peut-être été un peu distrait ces derniers temps, mais ne t’inquiète pas. Une fois ce marché conclu, nous n’aurons plus besoin de revenir dans ces vallées montagneuses. Nous pourrons suivre Boss Wang et Boss Li à Hong Kong et vivre comme des gens de la haute, n’est-ce pas ?
― Oui, oui, ce n’est pas un problème du tout ! répondit l’un des hommes à l’accent cantonais. Nous nous sommes convenus que tant que vous assurez le travail, nous vous paierons tout ce que vous voulez. C’est l’affaire d’une vie. Quand ce sera fait, tout le monde pourra prendre sa retraite et le moment venu, à nous la vie colorée de Hong Kong. Il y a plein d’endroits où dépenser beaucoup d’argent. Ce dur labeur en vaut vraiment la peine.
― Boss Li, dit l’oncle Tai, il est trop tôt pour un si beau discours. Nous ne sommes pas certains de l’existence de cette tombe et tout ce que nous avons, c’est votre promesse. Et si c’était une fausse information, s’il n’y avait rien ?
― Aiya, répondit Boss Li, vous êtes trop sceptique, Vieux Tai. Nous travaillons ensemble depuis si longtemps. Quand vous ai-je déjà déçu ? Pour vous dire la vérité, si nous arrivons au bon endroit, vous n’aurez même pas à mettre au jour la tombe de l’empereur Qin Shi Huang. (1)
L’oncle Tai qui, de toute évidence, n’appréciait pas ce beau discours, ricana :
― Je n’y crois pas. Ne soyez pas si prompt à promettre si vous ne pouvez pas tenir vos engagements. Mais maintenant que vous en parlez, nous travaillons ensemble depuis longtemps et je ne sais toujours pas d’où vous tenez cette information. Pour la dernière fois. Si vous n’avez rien à cacher, dites-nous vite ce que vous savez.
― Oui, dites-nous ! renchérit le jeune homme. Je pourrai m’en vanter devant les femmes !
Boss Li eut un sourire :
― Aiya, vous deux… Si vous voulez vraiment savoir, je vais vous le dire. Mais j’ai bien peur que vous ne le croyiez pas.
Note explicative :
(1) Rappel : Qin Shi Huang, ou Shi Huangdi, est le fondateur de la dynastie Qin, et le premier empereur d’une Chine unifiée. Plutôt que de conserver le titre de “roi” porté par les précédents souverains Shang et Zhou, il a régné en tant que premier empereur de la dynastie Qin de 221 à 210 avant notre ère.