Nefolwyrth
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Chapitre 54 – Sbires contre sbires
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-1-

Léonce

On entendait résonner des cris depuis l’intérieur de cette grotte qui disparaissait dans le crépuscule. Ce qui servait de hall au repère de Musmak était la plus grande pièce dans laquelle j’avais mis les pieds. Les colonnes qui soutenaient le plafond rocheux culminaient à plus de dix mètres.

Après quelques minutes déjà, nous nous étions dispersés dans le feu de l’action.

Je pouvais apercevoir au loin Frem et Baldus faire face à Mandresy, mais j’ignorais où se trouvait le troisième de ce trio, ainsi que Laukai.

Plus près de moi, vers l’entrée du temple, se trouvait Duxert, Brakmaa, et la grand-mère avec eux. Ils combattaient Lothaire à la seule force de leurs muscles.

Il ne m’avait fallu que quelques échanges pour comprendre que mes alliés avaient déjà subi une cuisante défaite face aux sbires de Musmak. Choisir mon adversaire pouvait s’avérer déterminant lors de cet affrontement, mais je ne pouvais pas rester en retrait plus longtemps.

Cela dit, nous n’avions pas à être défaitiste. Grâce à Ellébore, Alaia n’était pas de la partie, et cela pouvait faire une grande différence. Et puis, la frustration de mon équipe pouvait aussi changer la donne.

Quant à moi, quoi qu’il arrive, je comptais vaincre.

Duxert dérapa en arrière, sur la pointe de ses semelles. Il avait caché son visage derrière ses deux bras en croix qui rougissaient de douleur.

Les coups de Lothaire étaient aussi puissants que ne le suggérait son gabarit.

Duxert : « Tu fais bobo ! »

La voix de ces deux culturistes les décrédibilisaient tellement que je considérai me joindre à eux contre cet adversaire.

Ils avaient tendance à se retourner régulièrement vers celle qu’ils appelaient Mamie, que j’identifiais comme le cerveau du groupe.

Mamie : « Parfois, on ne gagne pas sur son terrain de prédilection. Ce grand dadais aura forcément le dessus en force brute, ne vous reposez pas là-dessus les enfants ! »

DuxBrak : « Oui Mamie ! »

Il a beau être plutôt disgracieux, je dois bien reconnaître que le corps de ce type a des proportions terribles. Mais il n’y a pas que ça… Rien ne laisse penser que ce Lothaire est idiot. Alors que bon, on peut pas dire que Duxert et Brakmaa se reposent sur leurs facultés mentales, eux. Il faudrait qu’ils misent sur leur supériorité numérique et leur technique.

Lothaire : « Vous n’arriverez à rien en vous battant comme ça. »

Les larmes qui coulaient en permanence de ses joues carrées m’intriguaient. Elles lui donnaient l’air si misérable, et pourtant, cela s’entendait à peine dans sa voix. Peut-être était-il juste malade.

Sa pose de combat, à l’inverse, démontrait son sérieux. Nous ne serions pas trop de quatre contre lui.

Je portai ma main jusqu’au manche du hachoir.

Nÿzel faisait face à Laukai. Il se propulsait avec aisance. Ses pieds effleuraient le sol tandis qu’il tournait autour de son adversaire. Celui-ci restait immobile, une main sur le fourreau de son katana, et l’autre contre le pommeau de celui-ci.

Quand Nÿzel se décidait à entrer dans la garde de son adversaire, Laukai attendait le dernier instant pour dégainer, et rengainait aussitôt après avoir paré le coup. Il avait tant répété cette technique et ne jurait que par elle depuis le début de ce combat.

Mais ni l’un, ni l’autre ne parvenait à atteindre sa cible. Si Nÿzel se déplaçait plus vite, Laukai maniait le sabre plus rapidement. Bien que l’un soit sur l’offensive, et l’autre sur la défensive, les deux ennemis guettaient l’occasion d’apporter un tournant sanglant et définitif à ce match.

Nÿzel : « C’est quand même bien plus divertissant sans Alaia dans les parages. »

Laukai : « Ne fais pas l’erreur de croire que tu as une chance de vaincre. Votre supériorité numérique ne fera jamais la différence. Vous êtes bien trop faibles. »

Les deux étripes-chats se heurtèrent au katana de Laukai. Nÿzel reprit ses distances juste après.

Nÿzel : « De quoi te plains-tu ? Je t’affronte en duel à la loyale, non ? Mais est-ce que cela te convient vraiment d’être tombé contre moi ? »

Le charmant bandit montra son grand sourire tandis qu’il se recoiffait de sa main armée.

Laukai : « Quelle naïveté, quelle outrecuidance. Tu penses que la répartition s’est faite par hasard ? Sache que Lothaire n’aura aucun mal à écraser ces quatre guignols, et pour Mandresy, est-ce la peine de préciser que tes alliés ne pourront rien contre lui ? Quant à toi, ils t’ont jugé sans intérêt, et te tuer ne sera qu’une formalité pour moi. »

Laukai se montrait tout aussi confiant que son adversaire.

Nÿzel : « Voyez-vous ça… Je crois que vous allez être surpris, tous autant que vous êtes. »

Mandresy inspirait un grand coup, s’enivrant de l’instant. Il entendait le fracas des armes et les cris. Il pouvait apercevoir grâce aux quelques torches allumées sur les colonnes les luttes féroces que menaient chacun d’entre nous.

Un rire glauque s’échappa de son sourire macabre.

Mandresy : « Ah, je sens que je vais passer une bonne soirée ! »

Ses jubilations malsaines attisaient le dégoût de Frem et Baldus.

Baldus : « Tant mieux pour toi, l’affreux. Parce que ce sera ta dernière ! »

Même si l’homme à la calvitie précoce ne recourrait plus à son arsenal soporifique, à l’exception de sa dague, et même s’il faisait face au plus effrayant de ses ennemis, Baldus était serein.

Ses dernières défaites ne l’avaient pas affecté. Ce bandit n’avait en apparence rien de particulier, mais dans son attitude, il s’imposait comme le meneur de ce groupe.

Frem, la grande gueule de l’équipe, montrait un sérieux que je ne lui imaginais pas. Je l’aurais pensé tête brûlée, et même s’il l’était, il restait prudemment sur ses appuis, tandis qu’il soulevait l’immense marteau de pierre entre ses mains.

Je les apercevais au loin se jeter sur leur adversaire. Leur assurance me laissa penser que j’étais malgré tout le plus faible de ce bataillon improvisé.

J’aime pas savoir qu’on est plus nombreux qu’eux, mais il va falloir faire avec. Je dois bien reconnaître que ces types ont l’air super balèzes. Je ferais mieux de me concentrer sur le plus proche de moi.

Je dégainais le hachoir qu’on m’avait offert, avec fierté et nostalgie, sans quitter des yeux Lothaire, qui repoussait les coups des deux têtes de muscles.

Si je gagne ce combat rapidement et que tout le monde s’en sort, j’aurais la meilleure histoire de tous les temps à raconter.

-2-

Lothaire repoussa un coup de Brakmaa, et s’esquiva sur le côté, passant juste sous l’un des yeux flottants de Mamie qui se durcit avant de tomber sur lui.

De sa main épaisse, Lothaire l’attrapa et le brisa entre ses doigts.

Mamie : « Quel instinct il a, ce colosse ! »

Le colosse en question était calme et discret en comparaison à ses complices. Son tempérament donnait l’impression qu’il était le plus faible de nos adversaires, bien qu’il ait le gabarit le plus impressionnant. On aurait pu penser qu’il s’en servirait pour frapper sans réfléchir, mais les apparences s’avéraient trompeuses, et la grand-mère fut la première à réaliser la force mentale qu’il dégageait.

Duxert : « En avant, Brak ! »

Brakmaa : « C’est parti, Dux ! »

Les deux grands gaillards attaquèrent de front. Lothaire se mit épaule en avant, comme s’il se cachait derrière ce bloc de muscle. Ce n’était pas la première fois qu’il se tenait ainsi. Les deux poings de ses adversaires s’y heurtèrent sans succès, comme si celui-ci était provisoirement devenu un mur d’énergie.

D’un mouvement rapide et puissant, Lothaire répondit avec ses phalanges, élançant son bras vers le plus lent de ses adversaires : Duxert.

Son sens de l’observation lui avait permis de frapper dès la première ouverture.

Mon allié se laissa rouler en arrière pour absorber le choc, et revint sur ses pieds comme s’il n’avait rien.

Duxert : « Il envoie de ces patates, mamie ! »

Brakmaa : « J’ai l’impression de cogner des briques, mamie ! »

Mamie : « Héhéhé, pas d’inquiétude. On va lui montrer qu’on a pas chômé pendant ces derniers mois ! »

DuxBrak étaient de retour dans l’action. Les disciples de la grand-mère s’étaient souvenus de leur entraînement rigoureux. Ils jouaient de leur mobilité pour tenter de déborder leur adversaire.

Ces deux-là n’étaient pas si rapides dans leurs mouvements, mais chacune des actions de l’un complétait celles de l’autre. C’était une danse à deux devenue un art martial qui leur était propre. Je n’osais pas intervenir depuis le début, n’ayant pas ma place dans cette valse brutale.

Lothaire restait sur ses gardes sans pour autant se montrer inquiet.

Mamie : « Je te trouve bien sûr de toi, mon lapin. »

Le véritable atout que gardait ce trio sut surprendre le guerrier. Un œil gonfla sur son visage, recouvrant ses yeux et son nez.

Ce sort coûteux en mana se heurtait à la résistance magique de Lothaire, mais je compris aussitôt : elle pouvait le forcer à partager sa propre vision.

Le pauvre homme se retrouva contraint de voir à travers les yeux d’un autre. Il pouvait s’apercevoir lui-même, encerclé par ses deux adversaires. Des larmes coulaient sous son œil unique. Cette vision pathétique fit soupirer Lothaire.

Lothaire : « Voilà qui est embêtant. »

Néanmoins, après avoir encaissé un ou deux coups, il sut esquiver, et même contre-attaquer. Il n’avait plus d’angle mort. Ce génie du combat rapproché avait su s’adapter en si peu de temps…

Mamie : « Pas mal. Mais que dis-tu de ça, mon chou ? »

Mamie ferma les yeux.

L’homme s’étonna à ne plus rien voir du tout.

Il entendait claquer les semelles de ses adversaires autour de lui. Il était effleuré par le souffle de leurs mouvements.

Quand il sentit de l’hostilité dans le pas qui résonnait derrière lui, il se raidit, et tourna brutalement sur lui-même, les poings serrés au bout de ses bras écartés de chaque côté. La force de cette attaque circulaire avait repoussé les deux assaillants.

Duxert : « Il est fort, mamie ! »

Brakmaa : « Très fort ! »

Surprise par ce qu’elle venait d’entendre, la grand-mère rouvrit les yeux, permettant à Lothaire de voir la giclée de sang qui venait de jaillir de son torse.

J’avais profité de l’occasion pour frapper à pleine puissance. Cette entrée en scène avait pris de cours notre adversaire. L’œil sur son visage disparut, et il put voir le regard de celui qui venait de lui infliger cette blessure.

Léonce : « Désolé pour ce coup en traître, mais nous n’avons pas de temps à perdre avec toi ! »

Sa moue larmoyante m’inspirait de la mélancolie, et à l’inverse, être si proche de lui m’intimidait.

Lothaire : « Tu aurais dû frapper plus fort que ça. »

Son calme était d’autant plus inquiétant. Sans l’intention de me provoquer, il ne faisait que s’interroger sur ma décision. La longue lacération sur son torse ne semblait pas le décontenancer. Souffrait-il seulement ?

Je réalisais soudain.

Même à pleine puissance, je ne serais pas venu à bout de lui. Sa peau est extrêmement robuste. Un humain aurait été hors-combat après un tel coup.

Il voyait sur mon visage un soulagement qu’il n’attendait pas.

Léonce : « En effet… Et c’est pas plus mal ! Je vais pouvoir y aller à fond sans craindre de te tuer trop facilement ! »

La grand-mère en retrait soupira. Ce sort lui demandait beaucoup, et même si elle était fière d’avoir maîtrisé cette technique, elle désespéra de ne plus avoir l’âge de pouvoir faire plus que nous assister.

Mamie : « Vous êtes décidément trop tendres les jeunes d’aujourd’hui. »

Elle avait visiblement espéré que je me montre plus impitoyable que tous ses alliés.

Lothaire me toisait avec intérêt.

Lothaire : « Tu n’as pourtant pas encore atteint l’implétion. »

Il tira son poing en arrière, ne me laissant pas le temps de comprendre ce qu’il venait de dire.

Je bondis pour m’écarter et me remis aussitôt en garde.

Mamie : « Maintenant ! »

Sur ces mots, Lothaire se retrouva de nouveau plongé dans le noir. La grand-mère, les yeux clos, suait abondamment.

Mamie : Il faut bien montrer l’exemple à la jeunesse.

Même avant d’être à portée de leur adversaire, Duxert et Brakmaa se lancèrent dans cette danse, comme s’ils s’accordaient avant de pouvoir frapper.

Leur jeu de jambes était de plus en plus rapide. Ils étaient tout autour de lui, et le son de leurs pas résonnaient. Il était difficile pour Lothaire de suivre la cadence. Dans sa position, il considéra que s’il bougeait, il s’exposait à leurs attaques.

Soudain, les pas s’étaient tus.

Duxert : « Ouyaaaah !! »

L’un de ses ennemis avait crié, révélant volontairement sa position, tandis que l’autre se tenait debout sur ses épaules, et réalisa un salto arrière, passant au-dessus de sa cible.

Duxert, qui servait d’appât, bondit en retrait pour éviter le coup de coude du grand pleureur.

Brakmaa profita de l’occasion pour envoyer son pied droit dans la mâchoire de Lothaire.

Une main massive agrippa son mollet avant qu’il ne parvienne à l’atteindre.

C-comment il a fait ça ?!

Le style de combat de DuxBrak m’empêchait pratiquement de me battre avec eux, mais les réflexes surhumains de Lothaire auraient aussi pu me clouer sur place.

Lothaire pivota sur ses appuis, et, sans lâcher la jambe de Brakmaa, l’écrasa face contre terre, pensant frapper son binôme.

Duxert s’était esquivé sur le côté, et sans se laisser surprendre par ce qui venait d’arriver à son frère d’arme, tira profit de l’opportunité pour frapper.

Il bondit dans le dos de son adversaire, qui bascula son torse en avant pour lever d’un coup sec son pied vers le plafond, démontrant une souplesse que personne n’aurait pu lui imaginer. Lothaire enfonça ainsi sa semelle dans le menton de Duxert, et entendit son troisième adversaire s’élancer.

C’est maintenant que ça se joue !

Mon timing était optimal. J’avais bondi aussi haut que possible pour abattre le hachoir.

Lothaire s’était retrouvé un bras au sol, avec lequel il tenait la jambe de Brakmaa, et un pied levé derrière lui. Il était à ma merci.

Lors de mon premier coup, j’avais revu le visage de Myrthi, et cette fois-ci encore, mon bras ralentit. Même si son corps était une machine de destruction, je ne pouvais pas m’empêcher de le voir comme désarmé. Mais son épaule droite ne demandait qu’à être tranchée.

Il n’y a pas à hésiter ! Chaque seconde compte ! Lucéard aura besoin de notre soutien le plus tôt possible !

Lothaire tenait en équilibre sur un pied, aveuglé, une main occupée. Si j’avais pu voir son visage à cet instant, j’aurais retenu mon coup.

Le guerrier accompli lâcha Brakmaa, pivota sur son torse, envoyant son poing gauche à revers pour frapper le plat de ma lame qui s’écarta de sa trajectoire.

Dans ce mouvement parfaitement exécuté, il avait atterri à ma gauche sur son autre jambe, tandis que je me retrouvais à sauter à cloche-pied, déséquilibré par sa parade.

Il ramena ensuite son genou encore en l’air devant lui, et l’enfonça dans mes côtés.

Je fus éjecté par le coup, et me heurtai au sol si fort au sol que je lâchai mon arme.

Quand Mamie fut contrainte de rouvrir les yeux, ses trois alliés étaient au sol, et Lothaire se tenait devant elle, son poing s’élançait déjà. Une grimace d’appréhension tendit les rides de la grand-mère.

Elle ricocha sur les pierres froides de la grande salle dans un râle.

Cette stratégie déloyale s’était soldée par une humiliation générale. Non seulement nous n’étions pas près de venir au secours de Lucéard, mais nous n’étions même pas sûrs de pouvoir gagner ce combat.

Lothaire regardait autour de lui. Il nous laissait nous relever, les bras ballants.

Duxert : « Tu vas voir, on va te taper très très fort ! Et te retaper encore ! »

Brakmaa : « Et puis tu seras mort ! »

Je récupérai mon arme, et la pointai vers lui. Mon regard était de plus en plus pénétrant.

Léonce : « L’échauffement est fini ! »

Lothaire : « Oh ? Vous n’étiez pas à fond ? »

Sans chercher à être sarcastique, Lothaire avait réussi à nous provoquer. On revint tous les trois à la charge simultanément.

-3-

Mandresy lançait un furtif coup d’œil dans notre direction, amusé.

Mandresy : « Comme je le pensais, cette fois, je vais pouvoir m’occuper de toi sans être dérangé, Baldus. »

Sa façon d’insister sur le prénom de son adversaire agaçait l’homme en question.

Baldus : « Tu vas arrêter de penser qu’à ta petite gueule, un peu ! »

Frem : « EH OH ! Je suis là aussi, crevure ! »

Le bandit à la masse était furieux d’être ignoré.

Mandresy : « Dis à ton pion de baisser d’un ton, il me vrille les tympans. »

Baldus : « Ça sera bientôt le dernier de tes soucis, l’affreux ! »

Frem : « Putain ! Je vais lui vriller le cou ! »

Incapable de garder son sang-froid plus longtemps, Frem accourut vers Mandresy, brandissant cette immense masse dans tous les sens, comme si elle ne pesait rien. Pourtant, cela faisait déjà quelques minutes qu’ils se battaient, sans avoir pu ne serait-ce qu’effleurer ce dérangeant adversaire.

Celui-ci montrait un sourire plus large que ce qu’un humain pouvait produire. Il fit gonfler un orbe d’énergie dans sa paume.

Frem : « Tu fous la gerbe ! »

Sur cette insulte, le jeune homme frappa à l’horizontale, espérant briser toutes les côtes de Mandresy, qui se contorsionna sans effort pour passer sous le marteau, avant de relâcher son sort, dont l’explosion éjecta Frem qui atterrit sur sa propre masse.

Même s’il l’avait lancé à bout portant, la déflagration n’avait pas blessé le bras de Mandresy. Il fixait sa main fumante, comme stupéfait de sa résistance.

Mandresy : « Et voilà le résultat que tous attendait ! »

Malgré la douleur et la calcination de sa tunique, Frem se relevait, plus prêt à en découdre que jamais.

Frem : « Te fous pas de moi ! Je vais te fracturer ton crâne difforme ! »

Baldus : « Te précipite pas, débile. Il a un coup d’avance sur nous. »

Frem : « Hein ?! »

Frem s’interrompit pour écouter Baldus, même si sa masse le démangeait.

Baldus : « Il résiste à mes dards, son corps est super résistant et beaucoup trop souple. Il ne montre aucun signe de faiblesse. Il est encore plus fort que la dernière fois. …Et il ne ressemble plus du tout au Mandresy d’avant…. »

Mandresy écoutait avec amusement cet amer constat. Il imaginait de la frustration dans les mots de Baldus, sans se soucier de ce qui l’animait vraiment à ce moment précis.

Mandresy : « Tout est vrai. Mais alors qu’est-ce qui vous fait croire que vous aurez plus de chance aujourd’hui ?! »

Tout comme Lothaire, Mandresy attendait patiemment qu’on ne l’attaque. Seulement, dans son cas, il ne pensait qu’à s’amuser.

Baldus : « S’il peut rendre sa peau dure comme de la pierre, peut-être qu’une simple ouverture pourrait suffire à ce que je l’endorme. »

Lui qui s’était engagé à ne plus recourir à ce poison gardait malgré tout quelques dards sur lui. Ces simples projectiles faisaient de lui notre plus puissant allié, mais qu’il considère les utiliser faisait de Mandresy notre pire menace.

Frem : « Donc, je le tabasse pour que tu puisses l’endormir, c’est ça ? »

Baldus : « Soyons clairs, Frem. Si à un moment ou un autre tu peux le tuer : tues-le. »

Les deux hommes échangèrent un long regard. Frem finit par grimacer.

Baldus : « Allez, c’est parti ! »

Le bandit fonçait vers son ennemi, révélant sa dague soporifique.

Avec Frem, ils prirent Mandresy en tenaille, mais celui-ci sut éviter chacune de leurs attaques.

Le sourire collé aux lèvres, il répondait à chacun de leurs assauts avec ses projectiles magiques explosifs.

-4-

Nÿzel sursauta en entendant ces détonations non loin. Son adversaire était toujours indemne. Ses deux mains ne s’éloignaient pas de son fourreau.

Laukai : « Il serait temps de comprendre que tu ne fais pas le poids. Tes coups de saltimbanques n’ont leur place que dans un cirque. Ta maîtrise de l’épée est une honte pour l’escrime. Ta posture est vulgaire. Tu n’es qu’un pitre dénué d’honneur. »

L’homme drapé de noir attendait calmement le prochain assaut de son ennemi. Il croyait dur comme fer pouvoir vaincre Nÿzel sans trop d’effort, mais avait conclu que le tuer avec cette technique serait le plus rapide.

Nÿzel : « Quel grossier personnage. C’est pour faire taire les gens comme toi que j’ai appris à manier mes étripes-chats. »

Et pourtant, le charmant bandit était encore en vie.

Laukai : « Alors qu’attends-tu ? »

Nÿzel fixait Laukai, mécontent. À chaque fois qu’il s’élançait dans les airs, il prenait le risque de tout perdre. Sa magie était parfaite pour se lancer à corps perdu sur ses adversaires, mais face à des ennemis de ce niveau, il se sentait totalement exposé à l’idée d’attaquer de front. Il pouvait signer son arrêt de mort aussitôt qu’il entrait dans la garde de Laukai. Et même s’il parvenait à le toucher, rien ne garantissait qu’il en sorte indemne.

Nÿzel : « Ne sois pas pressé de mourir. »

Et pourtant, Nÿzel plongea sur son adversaire, puis réitéra son sort avant de l’atteindre, se propulsant dans son angle mort.

Nÿzel : Ne sois pas si confiant, l’ami. J’ai appris un sort depuis la dernière fois, et c’est sur lui que je mise pour changer la donne ! Impulsion localisée !

Comme si une force le poussait d’un côté, Nÿzel entra en rotation sur lui-même. Les pointes de ses lames décrivaient un grand cercle autour de lui tandis qu’il prenait Laukai à revers.

Laukai : « Qu’espères-tu ? »

D’un mouvement expert, l’homme en noir dégaina son sabre. Le choc du métal produit des étincelles, et les deux adversaires ressentirent la secousse onduler dans leurs muscles contractés.

La force centrifuge décuplait la force des armes de Nÿzel, mais celui-ci dût néanmoins reculer aussitôt. Il n’était pas encore habitué à ce nouveau pouvoir.

Nÿzel : « Diantre. Déjà que la haute voltige me soulève le cœur, me voilà reconverti en toupie tranchante. »

Sur ce court apitoiement, Nÿzel repartit à l’assaut. Il tournait, et tournait encore, face à un adversaire imperturbable.

Laukai concentrait toute son attention sur le guerrier qui frappait aussi vite qu’il ne repartait. Il savait qu’en donnant le coup de grâce maintenant, il pourrait profiter de la pénombre pour assassiner les intrus restants et faire basculer le cours de cet affrontement.

Cependant, cela valait aussi pour Nÿzel. Ce duel était critique en ce que le vainqueur pèserait assez lourd sur la balance pour avantager son camp de manière décisive.

Presque à portée de katana, Nÿzel se projeta sur la droite de Laukai, puis sur sa gauche, en quelques dixièmes de seconde.

Après s’être laissé ballotté par son propre pouvoir, le charmant bandit se retrouva tête en bras, à quelques centimètres du sol, illustrant involontairement sa métaphore de la toupie.

Laukai réalisa la logique de son approche aussitôt qu’il le vit revenir à la charge. En le forçant à se repositionner, au moment où son ennemi se trouvait du côté de son fourreau, le temps qu’il lui fallait pour pivoter et dégainer efficacement était plus long.

Pourtant, ce génie du sabre réussit l’exploit de se tourner vers lui, et même sans dégainer entièrement la lame, sut faire barrage au coup qu’il l’attendait.

Quand l’un des étripes-chats était à portée du katana de Laukai, il s’arrêta juste avant de croiser le fer.

Nÿzel avait estimé avec justesse les capacités de son adversaire, et son attaque circulaire n’était qu’une feinte.

Il usa de ses deux techniques d’impulsion simultanément. La localisée pour pivoter dans l’autre sens, et la standard pour changer sa trajectoire, et se retrouver dans le dos de l’adversaire.

Avec beaucoup d’agilité, Nÿzel dérapa au sol jusqu’à interrompre la rotation qu’il infligeait à son corps.

Le jeune homme se recoiffa, tout en épongeant la sueur sur son front. Il s’était préparé à un affrontement laborieux, et savait qu’il devait redoubler d’ingéniosité pour devenir la clé de voûte de tout ce combat, de toute cette mission peut-être.

Laukai : « Comment… Un misérable comme toi… ? »

D’une de ses sombres manches, Laukai aperçut le sang couler.

Nÿzel ne s’enorgueillit pas de cette prouesse. Il respirait profondément.

Nÿzel : « Tu peux t’estimer heureux, j’ai failli rendre ma collation du soir au passage. »

Bien que son oreille interne s’habituait lentement à son style de combat, le jeune homme n’était plus bon à grand chose une fois l’adrénaline dissipée.

Nÿzel : Je suis sûr qu’il a d’autres tours en réserve, mais il est bien trop vaniteux pour les utiliser contre moi. Je dois le mettre hors d’état de nuire avant qu’il ne me prenne au sérieux. Et maintenant qu’il est déstabilisé, je dois frapper fort ! Plus tôt ce combat prend fin, plus grand sera notre avantage !

Nÿzel : « Je suis navré, Laukai, mais je n’ai pas le loisir de retenir mes coups aujourd’hui. La vie de mon groupe et le succès de ma mission passent avant toi. J’espère que tu comprendras. »

Il prit la pose qui précédait ses décollages, mais tendit cette fois-ci ses lames en avant.

Laukai tentait de garder son calme. Il se doutait que cette mise en garde n’était qu’une tentative de le perturber davantage. Mais il comptait sur son sens de la discipline pour voir au travers du jeu de Nÿzel, et se baissa encore un peu plus sur ses appuis.

Laukai : « Ton arrogance prend fin… Ici. Et maintenant. »

Nÿzel : « Mon pauvre, tu as un sacré complexe ! »

Sans utiliser sa rotation, le bandit fonça droit sur son adversaire.

Laukai : « Disparais ! »

Au tout dernier instant, Laukai fit glisser la lame le long de son fourreau. Ce mouvement était si adroit que l’acier semblait aussi souple que l’eau, et si rapide qu’il semblait ne faire qu’un avec la foudre.

Face à une technique qu’il était parvenu à réaliser à la perfection, Nÿzel n’avait pas la moindre chance.

Mais ça, il le savait.

Le noble bandit s’arrêta en un instant comme si les lois de la physique ne le concernaient plus.

Le mage venait de réaliser une impulsion dans la direction opposée à sa trajectoire. Ce mouvement était plus expertement dosé encore que celui de son adversaire. Le timing était d’une précision chirurgicale.

En l’effectuant trop tard, il aurait été tranché. S’il avait produit une impulsion trop faible, il aurait été tranché. S’il l’avait effectué trop tôt, il aurait laissé passer sa chance, et ç’aurait été le même résultat s’il s’était propulsé trop fort en arrière.

Mais sans s’être autorisé à douter de son succès, Nÿzel s’immobilisa, comme s’il lévitait. La lame du katana lui effleura le torse tandis qu’il ramenait les lames de ces étripes-chats aux côtés de ses flancs.

Ce duel de haute volée reposait sur les techniques que ces deux combattants avaient le plus pratiqué. Et les dés en étaient jetés.

Dès l’instant où la lame du katana ne menaçait plus que l’air, Nÿzel se propulsa droit sur lui, et perfora les deux épaules de son adversaire.

Il usa ensuite de l’impulsion localisée pour projeter son propre corps vers le haut, pied par-dessus tête, et retira ses armes, lacérant davantage son adversaire.

Nÿzel atterrit dans le dos de son adversaire, désormais immobile. Le jeune homme constatait l’immense quantité de sang sur ses étripes-chats avec calme.

Nÿzel : « J’y suis arrivé… Même seul, j’ai vaincu Laukai. »

Un sourire finit par lui monter aux lèvres.

Nÿzel : « Je suis peut-être fait pour toute cette violence, moi aussi. »

Il entendit une forte respiration derrière lui, et se tourna précipitamment.

Laukai était sur un genou, face à lui, et pointait son sabre tremblant dans sa direction.

Nÿzel : « Et par-dessus le marché, j’ai pu t’épargner, on dirait. Ne vas pas gâcher mes efforts, Laukai. »

Sur ces mots, il rangea ses lames, et Laukai s’effondra au sol.

Cette première victoire était passée inaperçue. Les autres combattants étaient tous focalisés sur leurs combats respectifs.

-5-

De notre côté, nous n’arrivions toujours pas à amocher Lothaire, malgré nos nombreuses tentatives.

Duxert : « On va mourir avant de s’être baignés dans la mer… »

Duxert respirait difficilement. La blessure que lui avait infligée Musmak avait été un handicap pendant tout ce combat.

Brakmaa : « On va mourir avant que j’ai pu terminer le dessin qu’on a commencé avec Bléka… »

Son allié était encore vaillant, mais il avait lui aussi encaissé beaucoup d’attaques.

Mamie : « Toute cette souffrance me rappelle ma folle jeunesse… »

Même si la grand-mère n’avait encaissé qu’un coup, elle avait réalisé que son corps n’était plus aussi robuste qu’avant.

Lothaire : « Vous devriez songer à rentrer chez vous, maintenant. »

Quel que soit l’art martial employé, se battre à mains nues contre un épéiste, qui plus est un adversaire avec une arme aussi massive et longue que la mienne, était de la folie. Et pourtant, toutes mes attaques avaient fait chou blanc jusque là.

Léonce : « Aaah ! »

Je retentais de frapper, mais du dos de sa main, il dévia mon attaque.

Ne me laissant plus surprendre par ces tours de force, je revenais aussitôt à la charge.

Il se mit une fois de plus dans cette position : caché derrière son épaule, comme s’il s’en servait de bouclier, comme s’il cherchait à enfoncer une porte.

La lame du hachoir ricocha sur ses muscles, ceux-ci étaient d’acier.

C’est pas vrai ! Comment il fait ça ?! N’importe qui serait mort à sa place !

Je bondis en arrière, confirmant qu’il n’avait pas la moindre égratignure.

Je ne vois pas mille explications… Même s’il en a pas l’air, c’est un mage !

Lothaire : « Tu n’es pas près de pouvoir me vaincre. Mais tu t’améliores vite. »

Plutôt que de contre-attaquer, il engagea le dialogue, à ma grande surprise.

Léonce : « Heu… Merci. Tu es pratiquement invincible, toi. Quel genre de magie tu utilises ? »

Mon interlocuteur se frottait les yeux, puis renifla bruyamment. Il avait soudain un air rêveur.

Lothaire : « Je ne suis pas mage, hélas. J’aurais bien aimé… »

Je me retrouvais perplexe.

Ce type me désespère. Il me donne pas du tout envie de l’attaquer.

Lothaire : « Bon, on reprend. »

Il mit son épaule en avant, et fonça droit sur moi. Je compris enfin ce qu’avait vécu Ellébore quand elle s’était retrouvée face à lui.

Avec la force d’un pachyderme, ce type semblait fendre l’air. Voir ainsi le souffle de sa charge n’était pas naturel.

À quel moment c’est pas de la magie, ça ?!

Je me tentais néanmoins à l’attaquer de front. Je levai mon hachoir, prêt à frapper à pleine puissance.

Mais ma lame rebondit sur le guerrier inarrêtable, et je me retrouvais renversé par sa force. Après avoir rebondi sur les pierres froides, je restais immobile, plaqué au sol à côté de mon hachoir. Le choc m’avait laissé paralysé.

…J’aurais pas dû tenter ça du tout…

DuxBrak : « Double tempête de muscles ! »

Les deux hommes jaillirent de chaque côté de notre adversaire dans un cyclone de testostérone. Ils frappèrent notre adversaire de chaque côté.

Lothaire eut à peine le temps de se remettre en garde, et après avoir encaissé de telles attaques, il se retrouva avec des ecchymoses sur les deux bras.

Mamie : « C’est ça, les garçons ! »

Je me relevai lentement, sonné, pour voir mes alliés à l’œuvre.

Mamie ne perturbait la vue de notre adversaire que de temps en temps, ne lui laissant pas le temps de s’adapter, consommant son mana avec parcimonie.

Elle faisait apparaître des yeux autour de lui pour le perturber davantage, permettant à ses deux disciples de réaliser une de leurs chorégraphies martiales.

Leur harmonie était plaisante à contempler, et je n’avais plus la place de me joindre au combat sans les déranger. Je pouvais ainsi les observer et remarquai bien assez vite que quelque chose dissonait dans leur performance.

Duxert peinait à suivre le rythme de son binôme. Il montrait des signes de fatigue.

Duxert : À cause de mon bobo, je n’arrive pas à me battre bien comme Brakmaa. À cause de moi, on est en train de perdre.

Ce simple constat suffit à engourdir son corps. Il reçut un nouveau coup en plein visage et s’écrasa à terre quelques mètres plus loin.

À lui seul, Brakmaa ne pouvait rien accomplir avec ce style de combat, et se retrouva au sol à son tour. Un déluge oculaire s’abattit sur Lothaire. La grand-mère craignait qu’il profite de cette occasion pour donner le coup de grâce à ses protégés.

Lothaire, sut repousser les yeux à la force de ses poings, et de ses esquives, tout en s’approchant de ceux qui peinaient à se relever.

Je ramassai mon arme, trouvant la force de me hisser sur mes jambes.

Lothaire : « Vous choyez votre corps, et il vous procure tous ses bienfaits. C’est aussi comme ça que j’ai appris à en faire une arme. Vous marchez dans mes empreintes. Mais ces empreintes se sont pratiquement effacées depuis tout ce temps. Si vous voulez me rattraper, il va vous falloir courir dans une nouvelle direction. »

Cette étrange métaphore fut suivie d’un court silence. Brakmaa se redressait, tout en cherchant des traces de pas autour de lui.

Mamie : « Éloigne-toi de mes garçons ! »

La grand-mère venait de s’interposer.

DuxBrak : « Mamie ! »

Sa force magique avait déjà été mise à rude épreuve. Les limites de son corps vieillissant se faisaient sentir, mais elle montra à son adversaire un regard plein de fougue.

Mamie : « Ils sont bien plus forts que tu le penses ! »

La vieillarde bondit de deux fois sa taille, le visage déformé par l’adversité.

Avant qu’elle ne puisse attaquer, Lothaire la balaya d’un coup de poing impitoyable, et l’envoya au tapis. Elle ne bougeait plus.

DuxBrak : « Mamie !! »

Les yeux débordant de larmes, Lothaire soupira.

Lothaire : « Et de une. »

Les deux garçons n’avaient jamais vu leur mentor recevoir une telle dérouillée. Ce simple coup aurait suffit à ce qu’une dame de son âge rende l’âme.

Ils se relevèrent furieux.

Duxert : « Laisse-la en dehors de ça ! »

Brakmaa : « C’est pas Mamie ton adversaire ! C’est nous ! »

Duxert et Brakmaa attaquèrent avec plus de hargne que jamais. Leurs attaques étaient plus rapides, plus explosives. Totalement imprévisibles.

Prêt à rejoindre ce combat, je réalisais qu’être à plusieurs sur le même adversaire pouvait être un handicap.

Je me retrouvais contraint d’observer ce combat sans pouvoir y trouver ma place. Néanmoins, je remarquais que ce nouveau souffle de mes deux alliés n’avait pas de quoi me rendre si optimiste.

Ils enchaînent les coups, mais ils ont complètement laissé tomber ce qui faisait le cœur de leur technique.

Cette symbiose parfaite qu’ils entretenaient ne s’exprimait qu’au travers de gracieux mouvements.

Combattre les amusaient, et comme une ode à la gloire de leurs corps taillés, cette performance artistique était plaisante à regarder. On lisait dans cet équilibre, cette précision, et ce timing tout l’entraînement, toutes les innombrables répétitions qu’il avaient effectué.

Mais dès qu’il s’agissait d’attaquer seul, indépendamment de l’autre, ils étaient bien moins forts.

Lothaire crispa soudain sa pose, encaissant un coup de Brakmaa sans broncher, puis lui rendit au décuplé. Alors que celui-ci était sonné, Lothaire intercepta le poing de Duxert, et le projeta sur son allié après l’avoir soulevé dans les airs.

Brakmaa se relevait aussitôt que possible, et repartit à l’assaut, dominé par ses sentiments.

Brakmaa : « Vilain, vilain, vilain ! »

Duxert se redressait à son tour, mais la rage semblait l’avoir quittée. Il fixait le sol, l’air morose. Nos regards finirent par se croiser. Je pouvais voir quelque chose d’autre dans ses yeux quand il me fixait.

Duxert : « Toi. Tu peux le battre, non ? »

Plus encore que la question, ce ton solennel me surprit. Mais la réponse était déjà au bout de ma langue.

Léonce : « Ouais. Et je le battrai. »

Brakmaa fut projeté dans les airs par un uppercut.

Brakmaa : « Gyaah ! »

À peine eut-il atterrit qu’il revint à la charge. Ses assauts étaient de plus en plus brouillons.

Brakmaa : « T’aurais pas dû faire bobo à Mamie !! »

D’un revers de la main, Lothaire le renvoya au sol.

Duxert continuait de me dévisager, intensément.

Duxert : « …D’accord. »

Il me quitta des yeux. Tout comme moi, il savait que le temps jouait contre nous. Actuellement, nous étions loin de pouvoir porter assistance à Lucéard.

Le bandit à la voix aiguë se tourna vers le combat. Brakmaa venait encore d’être projeté dans les airs, mais avant de heurter le sol, il se retrouva dans les bras de Duxert.

Pendant un court silence, Brakmaa réalisa sur le visage grave de son binôme la teneur de la situation, et se calma en conséquence.

Duxert : « Brak, écoute… »

Brakmaa : « Qu’est-ce qu’y a, Dux ? »

Duxert : « Brak. »

Brakmaa : « Dux… »

Duxert : « Brak. »

Ce n’est qu’une fois qu’il reposa Brakmaa que je me rendis compte que leur discussion était finie. Je n’avais évidemment aucune idée de ce qui venait de se passer.

Mais de l’aura qui émanait d’eux, et des poses puissantes qu’ils prirent, je reconnus que tout avait été dit.

Duxert : « Posture de la congestion finale. »

Brakmaa : « Posture de la suée torrentielle. »

Il y avait quelque chose de si intense dans leur mise en scène qu’on aurait pratiquement oublié qu’ils étaient ridicules.

Lothaire : « Impressionnant. »

Les larmes affluaient des yeux de Lothaire plus puissamment encore que la sueur par les pores de Brakmaa.

Je rêve ou il est ému ?!

Leurs corps bougeaient à nouveau avec harmonie. Ils encerclaient Lothaire avec des mouvements paisibles, sans jamais s’arrêter de tourner autour de lui.

Il y avait quelque chose de lent et prévisible dans ce style de combat, mais quelque chose de surnaturel enveloppait cette danse, comme si la nature leur avait accordé sa bénédiction.

Lothaire : « Vous y êtes. »

Les coups se mirent à pleuvoir. Le duo frappait de toute part. Même si Lothaire parvenait à parer avec brio chacun des coups, il était enfin acculé.

L’impressionnant combattant bondit sur ses deux mains, entra en rotation sur lui-même, et réalisa un coup de pieds rotatif en grand écart, mais frappa dans le vide.

Duxert et Brakmaa étaient pourtant tout autour de lui.

Il réessaya cette même attaque, mais avec ses poings cette fois-ci.

Et il ne put les atteindre. Ce duo qui l’assaillait était devenu de la fumée. Plus ils tournaient autour de lui, plus Duxert et Brakmaa paraissaient rapides. Lothaire crut même voir plus de deux culturistes en même temps.

Les coups pleuvaient tout autour de lui. Les poings, coudes, genoux, et pieds semblaient venir de nulle part. Lothaire ne pouvait qu’apercevoir ces phénomènes surprenants. Ces attaques semblaient se teindre de différentes couleurs. Les images rémanentes de ces adversaires ne faisaient que se multiplier, toutes dans des poses qui mettaient en valeur leurs musculatures huilées par la sueur.

Lothaire : « C’est ça. Mais il vous faut encore aller plus loin. »

Lothaire frappa sa semelle au sol, ce qui provoqua une secousse, et enfonça les dalles épaisses de ce temple, interrompant brutalement cette danse aux mille couleurs.

Le plus massif des combattants était face à Duxert, le poing serré en arrière.

Quand il l’élança, le coup parti comme un boulet de canon.

Lothaire : « Et de deux. »

Dans un flot de larmes, son poing s’enfonça dans la blessure en croix de Duxert, qui cracha du sang.

Duxert : Je suis qu’un poids… Et si je suis nul, Brak devient nul à cause de moi.

Alors que les phalanges de son adversaire pressaient sur ses côtes jusqu’à les fissurer, le temps semblait s’arrêter pour Duxert.

Duxert : Mais c’est pas grave.

Avant d’être expédié au loin par ce coup de grâce, le triste combattant s’agrippa fermement au bras de Lothaire.

Duxert : « Je peux quand même lui donner la victoire !! »

Lothaire comprit trop tard ce dont il était question. Cette étrange discussion qu’ils avaient eu avait pour but d’établir une stratégie de dernier recours.

Brakmaa était dans les airs, au-dessus des deux armoires à glace.

Brakmaa : « Tu peux pas être en super défense après une super attaque ! »

Les genoux recroquevillés contre ses pectoraux, Brak retombait avec la grâce d’un chérubin bodybuildé, et étendit ses jambes de toutes ses forces en un mouvement sec.

Dans un ultime effort, Duxert avait tordu le bras de Lothaire pour exposer son coude vers le haut. Les pieds de Brakmaa s’y heurtèrent si brutalement qu’on entendit tous distinctement les os de Lothaire se fracturer.

J’étais bluffé par ce coup de maître.

Léonce : « Bien joué, les gars ! »

Duxert : Je vous laisse la suite. J’ai été déjà assez cool. Pas vrai… Mamie ? »

La grand-mère ne parvenait pas à se relever, mais n’avait pas raté une miette de ce grand spectacle.

Le regard du jeune homme devint vitreux, et la force de ses jambes le quittait, tandis que Lothaire retirait son bras cassé pour attaquer avec celui qui lui restait.

Lothaire : « …Vous deux, vous êtes des menaces. »

À moitié inconscient, Duxert ne pouvait que voir le poing s’approcher de lui.

Brakmaa : « Moi aussi je veux être cool ! »

Après avoir rebondi, Brakmaa s’était retrouvé entre le poing de Lothaire et Duxert. Il se sacrifiait à son tour.

Duxert : « Mais non ! Tu gâches tout là ! »

Brakmaa réussit le même tour de force que son allié.

Brakmaa : « J’ai bobo, mais j’ai la classe ! »

Les deux mains de Duxert agrippèrent ses épaules.

Duxert : « Si c’est comme ça, je peux pas m’arrêter non plus ! »

Il se hissa ensuite à la force du haut de son corps, et se projeta en l’air dans un sublime salto avant.

Lothaire : « …Magnifique. »

Les larmes coulaient à flot. Lothaire ne pouvait plus compter sur ses bras pour répondre à l’assaut aérien de Duxert.

Mais il sut pivoter sur ses appuis, et envoya son pied droit vers le ciel, heurtant une fois de plus mon allié en plein cœur. Il tenta de le balayer dans ce même mouvement pour l’expédier sur sa droite.

Duxert : « Allez…! »

Le combattant resta cramponné de tout son corps à la jambe de son adversaire qui fut déséquilibré par sa propre force.

Lothaire dérapa et rebondissait sur son unique jambe au sol, essayant de retrouver l’équilibre. Tous ses membres étaient neutralisés.

C’était le moment.

Léonce : « Vos efforts vont payer, je vous le promets ! »

Happé par la puissance de leur volonté, tout mon corps s’était embrasé. J’étais prêt à leur apporter la victoire qu’ils convoitaient.

Brakmaa : « Finis-le, monsieur grosse épée ! »

Je bondis à mon tour, et réalisai ce même mouvement qui s’était soldé par un échec quelques minutes plus tôt. Mais cette fois-ci, il n’avait rien pour se défendre.

Léonce : « Yaaah ! »

J’abattis de toutes mes forces le hachoir sur son épaule gauche.

Avec la force d’une bête sauvage, il réussit à se mouvoir sur sa seule jambe, et son visage noyé de larmes se retrouvait sous ma lame.

Un son métallique résonna tout autour de nous.

J’étais toujours dans les airs, pressant tout le poids de mon corps sur le manche de mon arme.

Quant à ma lame, elle était fermement retenue entre les dents de Lothaire, dont le simple regard aurait pu me brûler la peau.

Léonce : « J-je rêve ! C’est pas possible, ça ! »

Ses capacités physiques n’expliquaient pas le miracle qui venait d’avoir lieu. Non, ça n’avait rien d’un miracle. Cette fureur de vivre dans ses yeux, elle me rappelait l’un de mes combats.

Celui qui se dressait contre nous n’était pas un bandit. Ce type était au-delà de tout ceux que j’avais pu rencontrer avant. Au fond de moi, je savais déjà à qui j’avais affaire.

Mon ennemi forçait sur sa mâchoire sans relâche. Il s’accrochait à la vie avec une ardeur qui parvint à me déstabiliser.

…Je peux vraiment battre ce colosse ?

Un son derrière moi attira mon attention. Duxert, le regard embrumé, tourna sa tête pour apercevoir la silhouette qui se tenait face à Lothaire.

Brakmaa : « …Ma…mie ? »

Voir ses disciples à bout de force avait éveillé quelque chose chez la vieille femme.

Mamie : « Vous vous êtes bien battus les enfants. Je suis fière de vous. Maintenant, c’est à Mamie de se dépasser ! »

Entre ses mains tendues devant elle, un œil luisait en son iris. Une lumière puissante s’était accumulée dans sa pupille.

Mamie : « Tu vas voir mon lapin, même à mon grand âge, je peux encore tout faire ! Et tu vas le sentir passer ! Oculaser !! »

Une rayon de lumière jaillit du globe oculaire. Elle n’avait hésité à aucun moment à viser son cou.

Nous n’avions plus qu’à le contenir.

Duxert : « Pour… Mamie… »

Brakmaa : « Pour Mamie… ! »

Léonce : « Aaah ! »

Lothaire contracta tous ses muscles, et bondit, nous projetant tous en l’air dans une lutte brutale.

Le laser inarrêtable traversa notre ennemi, puis une des épaisses colonnes derrière lui, et continua son chemin à travers la roche, perçant jusqu’à l’extérieur avant de disparaître parmi les étoiles.

Lothaire s’écroula, touchant le sol en même temps que nous.

Mamie : « Duxert… Brakmaa… »

La vieille dame tomba sur ses genoux. La paralysie magique l’empêchait de bouger.

Je fus le premier à me relever.

Ni Dux ni Brak ne bougeaient. Ce dernier choc les avaient définitivement mis hors-combat.

Mais cet affrontement n’était pas fini.

Lothaire s’appuya sur une jambe pour se redresser. Un trou net et circulaire avait perforé son épaule gauche, mais il parvenait encore à bouger son bras, et se remit en garde.

Léonce : « C’est pas vrai… ! »

Lothaire : « Votre dernier assaut était splendide. Il n’y a pas à en avoir honte. »

Des larmes et du sang coulaient jusqu’au sol. Ce colosse me paraissait plus impressionnant que jamais.

Lothaire : « Il ne reste plus que toi. Donne tout ce que tu as. »

Je tenais fermement mon arme, et le laissai se décaler, pour que notre duel ait lieu loin de mes alliés vaincus.

Léonce : « Ne crois pas que j’ai dit mon dernier mot. Je gagnerai quoi qu’il arrive ! »

Lothaire : « J’ai bien compris. Et je suis curieux de voir jusqu’où tu iras. »

-6-

Baldus, Frem, et Mandresy s’étaient retournés en entendant le son strident que venait de produire le laser.

Baldus : « Eh ben, elle rigole pas la vioque. Ça commence à sentir la grosse raclée pour vous ! »

Il avait beau dire ça, Frem et lui étaient déjà amochés, contrairement à Mandresy qui lui était parfaitement indemne. D’un air supérieur, celui-ci se mit à sourire.

Mandresy : « Qu’est-ce que tu racontes, Baldus ? Tu n’arriveras jamais à me vaincre. »

Baldus : « Quand ils en auront fini de leur côté et qu’on sera tous sur toi, tu feras moins le malin ! »

Mandresy hurla de rire à s’en décrocher la mâchoire.

Mandresy : « Merci ! Merci de penser que je suis le plus fort ici ! C’est trop d’honneur ! Mais crois-tu qu’être les bras droits fait de nous les plus forts, Baldus ? Regarde-toi, tu n’es qu’un bon à rien ! »

Frem : « Pourquoi on arrive pas à lui rabattre son caquet à ce débile ?! »

Baldus grimaça. Les mots de son adversaire avaient retenu son attention.

Baldus : « T’es en train de dire que ce Lothaire c’est pas juste votre quota de brute épaisse ? »

Mandresy : « C’est ce que tu pensais ? »

L’effrayant personnage se tournait vers l’homme dont il était question, qui se tenait debout, face à son dernier adversaire restant.

Du point de vue de Baldus, Lothaire était assez lambda, et sa manie de pleurer au mieux amusante. Mais face à cette scène, comme nous qui venions de l’affronter, il reconnut que ce puissant guerrier semblait être un mur inébranlable.

Mandresy : « Une fois… »

Son sourire hideux redescendit un instant.

Mandresy : « …Nous nous sommes affrontés. »

Frem et Baldus s’étonnaient d’entendre une telle histoire.

Mandresy : « Nous étions quatre contre lui seul. Et devine quoi ? Il nous a tous étalés. Alaia, Laukai, Berlande, et moi. Sans l’arrivée de Musmak, nous aurions perdu. Et encore, j’ai failli y rester. Inutile de te dire que c’est exactement après cette défaite que Berlande a quitté l’organisation, il y a un an de cela. C’était un sacré revers pour nous tous. »

Baldus fut parcouru de sueurs froides. Il n’osait rien répliquer, et fixait Lothaire, qui venait de m’éjecter au sol une fois de plus. L’idée même que Mandresy reconnaisse Lothaire comme un adversaire de premier choix avait de quoi le surprendre.

Frem : « Bah, il a pas l’air si terrible que ça ! Et si t’es plus faible que lui, ça veut dire qu’on va te mettre une tannée ! »

Mandresy : « Si ta logique se tient, alors toi et Baldus êtes pire que nuls, puisque vous n’arrivez même pas à me toucher. »

Frem devint rouge de rage dans la seconde qui suivit. Pourtant, Mandresy n’avait pas tort et les tenait en échec depuis le début.

Frem : « Je vais t’éclater, j’te jure ! »

Dans un cri de guerre, il se rua sur Mandresy qui l’accueillit à bras ouverts.

Avec l’intention d’aplatir son adversaire, Frem mit tout son poids sur le manche de son marteau géant lorsqu’il l’abattit.

Mandresy : « De pire en pire. »

D’un bond sur le côté, il esquiva sans effort.

Mais Frem ne pouvait pas stopper son mouvement et continua de pousser de toutes ses forces, jusqu’à ce que l’arme heurte le sol.

L’impact fut si puissant qu’un cratère s’étendit sous les pieds des deux ennemis.

Mandresy : « Ho ! »

Déséquilibré par l’onde qui avait ravagé les pierres sous ses pieds, Mandresy montra pour la première fois un signe de faiblesse. Mais Frem ne put en profiter.

Celui-ci lâcha son arme pour se tenir l’entrejambe des deux mains.

Frem : « Gnn ! Plus jamais je fais ça ! »

Un éclat de roche issu de sa propre attaque l’avait atteint sous la ceinture.

Après un instant de perplexité, Mandresy éclata de rire.

Mandresy : « Wahahahahaha ! Je comprends maintenant pourquoi tu traînes avec ce guignol, Baldus ! »

Ce dernier soupirait en toisant son binôme. Il sentait que sa propre crédibilité était menacée par Frem.

Soudain, une lame filant comme l’éclair mit fin à ces ricanements sordides.

Une déchirure s’ouvrit le long du cou de Mandresy.

Mandresy : « Heu. »

Cette sensation ne lui était plus familière.

Dérapant sur ses talons, un jeune homme venait de rejoindre Frem et Baldus.

Frem : « N-n-n-n-nÿzel ?? »

En une fraction de secondes, toutes les personnes présentes réalisèrent ce qui venait de se passer. Non seulement Nÿzel avait déjà vaincu Laukai, mais il venait de se hisser au niveau de Mandresy.

Le charmant bandit regardait au loin, l’air énigmatique, comme si sa sagesse et son pouvoir n’avaient plus de limite.

Baldus : « Nÿzel… Pourquoi… ? »

Quand le bel homme se tourna vers Baldus, ses traits étaient ceux d’un preux chevalier. Baldus était subjugué.

Baldus : « Pourquoi… T’es en caleçon ? »

L’atmosphère héroïque s’évanouit en un instant. Frem restait ébahi par cette vision.

Le corps finement taillé de Nÿzel n’était pourtant pas des plus déplaisants à voir.

Frem : « J’hallucine… »

Nÿzel : « Si vous faites une remarque, je vous bute aussi. »

Il ne s’était manifestement pas dénudé de bon cœur, et tentait de cacher son anatomie autant que possible.

Nÿzel : « Je sais qu’on m’entend de loin quand j’utilise mon impulsion, à cause de mes vêtements. Je n’ai eu d’autre choix que de sacrifier mes atours, mes valeurs, ma pudeur, tout ce qu’on m’a inculqué. J’espère que vous comprenez que j’ai fait ça pour en finir une bonne fois pour toutes avec ce monstre, pour notre promesse, et pour pouvoir porter secours à Lucéard au plus tôt. »

Frem était encore immobile, comme s’il n’avait même pas écouté les justifications de son ami.

Frem : « Si je meurs aujourd’hui, ce sera sûrement la dernière chose que je verrai en fermant les yeux. »

Nÿzel commençait à rougir, plus embarrassé que jamais.

Nÿzel : « Personne ne te force à me regarder, Frem. Faut se concentrer sur Lothaire maintenant ! On y est presque. »

Baldus : « J’ai bien peur que non… »

Le bandit à moitié nu ne s’était pas montré imprudent. Après tout, il avait bien raison de penser qu’une tranche si profonde dans le cou de Mandresy n’avait pu que le tuer.

Mais le monstre en question souriait toujours. La lacération s’étendait jusqu’à la moitié de sa nuque. On ne pouvait qu’à peine entrevoir la chair noire sous sa peau.

Baldus eut enfin la confirmation qu’il redoutait.

Baldus : « Alors c’est ça, Mandresy… Tu t’es vraiment abaissé à ça. »

Nÿzel : « Il a pactisé… »

Mandresy : « Hi hi hi… ! »

Avec une fierté dérangeante, Mandresy enfonça ses doigts dans la plaie et révéla l’intérieur de son cou. Quelque chose grouillait sous cette masse noire. On pouvait aussi apercevoir de petits os dépasser de sa chair, leur forme et leur disposition n’avait aucune logique. Ce n’était pas des os humains, et le reste de son corps contenait sans aucun doute les mêmes immondices.

Frem : « Berk ! Plus jamais je laisserai un gars aussi dégueu me toucher ! »

Mandresy : « Tu le savais, Baldus. Mon corps a toujours été trop faible pour la vie qu’on souhaitait mener. C’est pareil pour toi, non ? Sans tes expériences bizarres, tu n’es rien de plus qu’un bouffon avec une dague. »

Baldus et Mandresy échangeaient un long regard. La grimace de l’ancien bras droit de Lusio était emplie de douleur.

La masse géante et les étripes-chats se mirent entre eux.

Nÿzel : « Je dois bien reconnaître que je vois le rapprochement que tu fais entre Baldus et un bouffon, mais un être aussi abject que toi ferait mieux de s’adonner à de l’introspection plutôt que de critiquer autrui. »

Frem : « Ouais ! Et puis, Baldus est peut-être un bouffon, mais toi t’es genre cent fois pire ! Mais tu t’es vu, sérieux ?! »

Nÿzel : « C’est exactement ce que je viens de dire, crétin ! »

Baldus : « …Merci les gars pour le soutien, ça fait plaisir… »

Baldus soupira, avant de pointer son arme vers Mandresy.

Baldus : « T’as sérieusement déconné, Mandresy. J’ai vraiment essayé de me dire que c’était pas ce que je pensais… Même moi je te pensais pas si con. »

Mandresy : « Considère que j’ai préféré être con que mort. »

Affirma-t-il sèchement en tendant sa main ouverte devant lui. Des orbes d’énergies gonflaient au bout de ses doigts squelettiques.

Au moment où il les projeta d’un revers du poignet, les trois bandits s’écartèrent précipitamment.

Nÿzel se propulsa aussi haut que possible dans les airs.

Son adversaire consacra une de ses mains à mitrailler le jeune homme qui se déplaçait au-dessus de lui en caleçon, mais ce dernier évitait les projectiles sans effort, sans parvenir à approcher son adversaire.

Frem, lui, peinait à éviter les sphères explosives, contrairement à Baldus dont la mobilité était stupéfiante considérant son embonpoint et son indolence habituelle.

On entendit les premières explosions au-dessus de nos têtes.

Bien plus haut que ne pouvait éclairer les quelques torches de cette pièce, des débris chutaient, compliquant la tâche à Nÿzel, qui risquait sa vie à chaque impulsion.

Il devait se mouvoir si vite que son corps se faisait ballotter par son propre pouvoir.

Nÿzel : On dit que le ridicule ne tue pas, mais c’est si embarrassant qu’il serait peut-être plus raisonnable de mourir.

Malgré ses élucubrations, le charmant bandit guettait une ouverture. Il suffisait que Baldus ou Frem soient assez prêts pour accaparer l’attention de Mandresy, et il aurait une chance de frapper.

Quand l’occasion se présenta, il resserra sa poigne sur les étripes-chats.

Nÿzel : Tout bien réfléchi, pas question de mourir en sous-vêtements !

Tel un oiseau de proie, il descendit en piqué sur son adversaire, qui lui était concentré sur l’approche menaçante de Baldus.

Le boulet de canon humain se rapprochait, les lames en croix devant lui.

Un des yeux globuleux de Mandresy se tourna vers lui.

Mandresy : « Je n’aurais besoin que d’une main pour t’arrêter. »

Prévint-il en un large sourire, tout en continuant ses attaques magiques.

Nÿzel : « Encore faut-il que tu l’utilises à temps ! »

Après avoir évité un orbe explosif à l’aide d’une impulsion localisée, le jeune homme en caleçon se décida à abattre sa dernière carte.

Nÿzel : Impulsion renforcée !

Ses prouesses en combat lui avaient fait pousser des ailes, et il était prêt à tenter le tout pour le tout. Cette accélération prodigieuse lui promettait un atterrissage douloureux, mais c’était un pari qui pouvait tout changer.

Mandresy levait sa main gauche, interrompant ses tirs. Une boule d’énergie aspirait tout le mana autour de lui. Elle gonflait trop lentement pour être prête à temps.

Nÿzel : « Non ! »

Mandresy : « Boum. »

Avant même qu’elle ne se stabilise, il la laissa exploser entre ses doigts.

Nÿzel fut soufflé par la déflagration éblouissante, et tomba sur le dos, à moitié désarmé.

Frem : « Mec, t’es mort ?! »

Le souffle coupé, Nÿzel roula sur le ventre pour pouvoir se hisser sur son avant-bras. Il ne quittait pas Mandresy des yeux.

Ce dernier avait toujours le bras tendu devant lui, et son sourire malsain se discerna bien assez vite de la pénombre.

Nÿzel : « …Je te l’avais dit. »

Nÿzel répondait d’un rictus victorieux.

Nÿzel : « Je suis plus rapide que toi. »

Le poignet de Mandresy avait été si profondément sectionné que main pendait mollement, seulement rattachée à son corps par sa chair maudite et la fine peau grisâtre qui la recouvrait.

Mandresy : « Hihi… Haha… ! »

Nÿzel déchanta aussitôt. Cette vision cauchemardesque était une triste récompense pour l’avoir estropié.

Baldus ne parvenait pas non plus à détacher son regard de l’intérieur du bras de Mandresy.

Des os fins, pareils à des arêtes de poissons, et d’autres plus épais, rappelant les derniers restes de charognes, se noyaient dans la masse sombre et grouillante qui avait remplacé sa musculature.

On pouvait même apercevoir ce que Baldus identifiait comme le crâne d’un petit rongeur. L’odeur qui émanait de son poignet tranché était des plus nauséabondes.

Mandresy lui-même se désintéressait du combat, fasciné par ce qu’était devenu son corps.

Il n’avait jamais eu l’occasion de voir cette nouvelle anatomie depuis qu’il s’était corrompu avec cette force démoniaque. Il se doutait que plus rien en lui n’était humain. Il ne restait plus une cellule du corps dans lequel il avait grandi. Le visage transi par la folie, il comprit que sa limite était atteinte.

Baldus : « Mandresy… »

La mine déconfite, Baldus n’osait plus s’approcher.

Mandresy : « …Hihi… »

Après un regard profond qu’il lança à Baldus, ce monstre se tourna vers Nÿzel pour le féliciter.

Mandresy : « Tu- »

Mais fut interrompu par un puissant coup de massue en pleine tête.

Le corps de Mandresy ricocha sur plusieurs mètres, fracturant le sol à chaque impact, et s’arrêta loin de la zone éclairée par les torches.

Frem : « J’ai cru que ses attaques explosives n’en finiraient jamais ! »

Hermétique à l’ambiance actuelle, Frem n’avait même pas pu voir le poignet de son ennemi, ce qui lui avait permis de rester concentré sur l’affrontement.

Nÿzel : « Tu l’as eu… ? »

Les trois alliés se rassemblèrent derrière leurs armes avec crainte. Dans la pénombre, on pouvait tout juste apercevoir une silhouette debout.

Quelque chose semblait pulluler dans son cou et au bout de son bras gauche.

La tête et la main de Mandresy se rattachèrent à son corps dans un son désagréable.

La lueur d’un de ses yeux scintillait dans l’obscurité. Le trio aperçut enfin son visage.

Le coup de masse avait enfoncé sa tête d’un côté, et lui avait fait perdre quelques dents, ce qui rendit son sourire plus abject encore.

Mandresy : « …Regardez dans quel état vous m’avez mis. »

Il avança un pied, puis le suivant. Son corps chétif s’approchait lentement. Ses pas faisaient trembler le sol.

Mandresy : « Vous l’avez réveillé. Et maintenant, vous allez tous crever, vous n’êtes plus que des mouches prises dans ma toile. »

Sans un mot, les bandits se mirent en garde. Ils avaient compris d’instinct qu’ils avaient face à eux la créature la plus dangereuse qu’ils n’aient jamais affrontée.



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