Nefolwyrth
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Chapitre 52 – Les grandes retrouvailles
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-1-

Une explosion retentit sur la célèbre place ovale, au nord d’Oloriel.

Une jeune garde qui pandiculait longuement sous son armure sursauta en entendant la détonation. Son service venait à peine de commencer.

Une dizaine de citoyens s’enfuyaient à quelques mètres d’elle, implorant que quelqu’un intervienne.

Elle se tourna vers l’origine de ce vent de panique. Il ne lui fallut qu’un instant pour empoigner le casque qu’elle avait posé. Mais avant d’avoir pu l’enfiler, elle réalisa qu’il y avait quelqu’un derrière elle.

Laukai : « Ton devoir prend fin ici. »

Un son métallique, et le sang se répandit sur les pavés de la ruelle qui s’éveillait à peine.

Sur la place ovale, Alaia, Lothaire, et Mandresy nous faisaient face. Comme si le poison de ce jour coulait encore dans mes veines, mon corps se raidit et mon cœur s’emballa. Je ressentais très nettement la menace terrible qui émanait d’eux.

Léonce : « …Combien de fois j’ai vu vos sales faces sur des avis de recherche ? J’ai attendu bien trop longtemps le jour où je pourrais vous refaire le portrait moi-même ! Et ce jour, c’est aujourd’hui ! »

Mon garde du corps pointa le hachoir qu’il avait reçu des Vespère en direction de nos adversaires. Il ne perdit pas un instant pour s’élancer.

Léonce : « Je vous connais pas personnellement, mais je sais tout ce que vous avez fait, et je vous lâcherai pas tant que vous aurez pas payé pour toutes ces horreurs ! »

Son corps s’immobilisa aussitôt.

Léonce : « Hein ?! »

Le visage d’Ellébore s’assombrit. Elle savait très bien à quoi elle assistait, et un frisson la parcourut.

Alaia : « Tu es bien grande gueule, je trouve ! Pour qui tu te prends enfoiré ?! T’es qui d’abord ?! Si tu sais à qui t’as affaire, alors agenouille-toi ! »

Le minois séduisant de la jeune femme se transforma bien assez tôt en une haineuse grimace. Elle prenait plaisir à le voir lutter.

Léonce : « C’est pas vrai… ! »

Mandresy : « Débarrasse-nous du menu fretin, Lothaire ! »

Lothaire : « Entendu. »

L’homme au physique inhumainement massif essuyait avec un vieux mouchoir détrempé ses joues humides, puis le rangea.

Il avançait en direction d’Ellébore, ne la quittant pas de son regard larmoyant. Les pavés qu’avait brisés Mandresy tremblaient sous ses pas.

Lloyd : « Ma parole, personne n’a encore battu ces vilains depuis le temps ?! »

La fille du docteur était comme obnubilée par les pouvoirs psychiques d’Alaia, mais sut revenir à ses esprits en réalisant que son père était aussi menacé.

Elle s’avança pour faire face à Lothaire, malgré la soudaine terreur.

Lucéard : « …Fuyez ! »

Léonce, qui luttait pour ne pas laisser ses genoux ployer se rendit compte que la panique m’avait aussi gagné. Le traumatisme que m’avait laissé ces gens me faisait imaginer le pire.

Lucéard : « Je me débrouillerai ! Mais vous, vous devez partir ! Ces types sont des monstres, ils vous massacreront ! »

Caresse vacillait entre mes mains. Je peinais à garder mon sang-froid. J’en avais à peine conscience, mais mon corps me trahissait d’entrée de jeu.

Ellébore : « Qu’est-ce que tu racontes ? »

D’un ton ferme, Ellébore m’invita à me ressaisir. Elle prit ensuite une inspiration, sans détourner les yeux de son adversaire.

La lame du hachoir se planta entre les pavés. Léonce se redressait à la force de ses bras avant d’être totalement accroupi.

Léonce : « Tu recommences, Lucéard ?! Tu n’as pas oublié Haven Gleymt, quand même ? On t’a paru aussi peu fiables là-bas ?! »

Alaia : « Oh ! Toi tu as de la résistance psychique ! Mais j’aime pas du tout ton regard, baisse la tête ! »

Elle exultait sa propre colère pour tenter de prendre le dessus sur le mental de Léonce.

Ellébore : « On partage ton fardeau depuis le début, Lucéard ! Ce sont nos ennemis aussi ! Et tout ce temps que j’ai passé à m’entraîner dans cette forêt, c’était aussi pour ce moment ! »

Sur ces mots, elle s’inclina en avant, puis sprinta à pleine vitesse vers Lothaire.

Celui-ci, nullement inquiété, s’apprêtait à frapper. Avant même d’être à portée de lui, Ellébore élança son poing, et relâcha l’eau qu’elle y avait matérialisé pour aveugler l’éternel pleureur, puis bondit plus haut qu’aucun de nous n’en était capable, atterrit sur les épaules musculeuses de son adversaire, et étendit le bras.

Ellébore : « CROCHENWAITH SUMMON ! »

Elle se servit de Lothaire comme d’un tremplin, et projeta le bol invoqué sur Alaia qui dut relâcher son contrôle pour l’éviter.

Alaia : « Quoi ?! Mais c’est encore toi ?! »

Ellébore : « Eh oui ! »

Derrière la jeune demoiselle qui chutait en douceur, un bras imposant s’étira pour l’attraper.

Lucéard : « Ellébore ! Derrière toi ! »

La lame du hachoir s’interposa sur sa trajectoire, et Lothaire dut reculer précipitamment.

Léonce : « Merci du coup de main, Ellébore ! »

Ellébore : « Merci du tien ! »

Mes deux amis se retrouvaient dos-à-dos, encerclés.

Mon regard se perdait dans cette vision. Tous mes sens m’alarmaient du danger imminent qui menaçait Ellébore et Léonce.

Je sais bien que vous avez vos propres raisons… Je sais bien que je vous déçois… Mais…

Mandresy : « À nous deux, le prince ! »

L’affreux personnage se précipita sur moi, comme attiré par la tourmente qui sévissait dans mon esprit. Ses membres semblaient se désarticuler dans sa course, ce qui rendait son approche terrifiante.

…Mais je ne supporterais pas de vous perdre. Sans vous, rien ne vaut plus le coup…

J’avais déjà vu l’étrange singularité physique de ce monstre à l’action. S’il m’effleurait, c’était fini.

Mandresy : « Tu penses réussir à t’échapper cette fois ?! »

J’inspirai profondément, sacrifiant deux précieuses secondes dans un moment critique. La seule lueur qui avait une place dans mon regard me revint. Je levai la main droite devant moi, pouce contre majeur.

Lucéard : « Non… Cette fois-ci, c’est vous qui ne vous échapperez pas ! LAMINA EIUS ! »

La lame de lumière le toucha pratiquement à bout portant. Il avait déjà goûté à ce sort auparavant, mais il ne lui fallut qu’un instant pour ressentir tout l’entraînement que j’avais reçu ces derniers mois dans l’intensité de ce coup.

Je n’avais pas pu l’éjecter avec mon sort de base, mais j’avais eu la force de le stopper dans son élan cette fois-ci.

Tous mes ennemis avaient entendu ma mise en garde, et leur attention était sur moi.

Lloyd : « Je vais ramener des types bien trop haut niveau pour vous, alors commencez à vous cassez d’ici si vous êtes pas trop débiles ! »

Cria le médecin pour les narguer. Il s’enfuit en direction du centre-ville. C’était la plus raisonnable des stratégies. Dans un chef-lieu, il y avait forcément des guerriers bien plus puissants que nous tous réunis, qu’ils soient de la garde ou non.

Mandresy : « Aaah ! Toujours des gêneurs pour nous empêcher de nous amuser ! »

Ce type tout droit sorti d’un cauchemar fiévreux se lança à la poursuite de monsieur Ystyr, hilare. Sa ruée dérangeante persuada le docteur d’accélérer autant qu’il le put.

Ellébore : « Papa ! »

Le garçon à côté de mon amie venait de s’immobiliser de nouveau.

Léonce : « Lâche-moi, bon sang ! »

Lothaire était derrière eux, les deux bras levés l’un contre l’autre. Il s’apprêtait à faire de ses mains jointes le fer d’un puissant marteau.

Alaia : « Aplatis-les ! »

Je m’étais déjà tourné vers Mandresy dans le but de le stopper, mais si je pouvais sauver le docteur, c’était en laissant mes amis à leur sort. Pouvais-je me permettre d’avoir confiance ? Ce dilemme me paralysa assez longtemps pour me faire perdre des secondes décisives.

Léonce s’escrimait à reprendre le contrôle en vain, tandis que le regard larmoyant de Lothaire croisait celui d’Ellébore. Il y vit qu’elle était prête à tout pour sauver le garçon à ses côtés. Elle levait lentement son bras jusqu’à son propre cou.

Alaia : « Allez ! »

Lothaire avait lui-même hésité, mais tira soudain ses bras en arrière pour mieux abattre ses poings.

Lucéard : « … ! »

Tout seul, je ne peux toujours rien…

Mandresy : « Les fuyards périront les premiers ! »

Arrivé à portée du docteur, Mandresy élança son poing, mais entre lui et sa cible, une immense masse d’arme venait d’apparaître et s’enfonça dans le corps du sbire de Musmak, ce qui l’expédia contre un bâtiment dont il traversa le mur dans un grand fracas.

Mais c’est !

Lothaire était à l’arrêt. Deux grands gaillards avaient attrapé ses bras, l’empêchant de porter son coup.

L’étreinte psychique qui pesait sur Léonce s’interrompit soudainement, le poussant à tourner le regard vers l’esper.

Sous le cou d’Alaia, se trouvait la lame d’un étripe-chat au bout de laquelle un beau jeune homme se coiffait d’une main.

Nÿzel : « Toute cette agitation ne vous va pas au teint, mademoiselle. »

Frem : « Oh, qu’ça fait du bien ! J’ai attendu toutes ces années pour enfin pouvoir enfoncer ma masse dans cette horreur qui te sert de visage, Mandresy ! »

Le docteur se tourna pour apercevoir les nouveaux venus.

Lloyd : « Rah, j’aurais aimé voir cette scène héroïque ! »

Un homme vêtu d’un épais tissu noir se révéla derrière lui.

Laukai : « Cette fois-ci, je ne manquerais pas l’occasion de te tuer. »

Dans un murmure, il dégaina le petit sabre qui accompagnait son katana, mais un énième combattant le poussa à changer de cible au dernier instant.

Le choc du métal fit sursauter le père d’Ellébore, qui se retourna précipitamment.

Baldus : « T’arrête pas, doc, va chercher du beau monde ! »

Le médecin soupira de soulagement en reconnaissant son ancien patient.

Lloyd : « Merci l’ami ! Si la bande est au complet, vous n’avez vraiment plus besoin de moi ici ! »

Profitant du duel entre Laukai et Baldus, monsieur Ystyr réussit à quitter la place sain et sauf, après un dernier regard vers sa fille.

Brakmaa : « Prêt, Dux ? »

Duxert : « Prêt, Brak ? »

Léonce, Ellébore et les deux têtes de muscles s’éloignèrent de Lothaire, qui se tourna vers Alaia pour attendre les ordres.

Alaia : « Encore vous ?! Combien de fois il va falloir vous écraser pour que vous creviez pour de bon ?! J’ai vu des cafards moins bornés que vous ! »

L’arme sous son cou ne l’intimidait pas un seul instant. Elle avait immobilisé le mage, et s’envola loin de lui, sur le toit de l’habitation la plus proche.

Baldus : « Eh toi, gamin ! Va mettre Ellébore en lieu sûr ! »

Après avoir eu l’attention de Léonce, le bandit reconnut le garçon qui avait terrassé Tyla d’un seul coup.

Baldus : « Oh, pas mal. »

Ellébore : « Hors de question, Baldus ! Je reste! Moi aussi j’ai des comptes à régler avec eux ! »

Léonce : « Ouais, et moi aussi ! …Même s’ils m’ont encore rien fait ! »

Baldus soupira, sans s’étonner de leur réaction.

Un mur explosa deux étages en dessous du trou qu’avait ouvert le corps de Mandresy dans la façade de cette bâtisse déjà bien abîmée.

Et ce dernier en sortit, comme si la pierre n’était pas plus que du papier sur son chemin. Son sourire bien trop denté jaillit de la poussière qu’il venait de soulever. Il était indemne.

Mandresy : « Vous nous avez suivis pour protéger le fils de Llynel ? C’est au-delà de mes espoirs ! Merci, merci, merci, merci ! »

Bien évidemment, il connaît ma mère…

Frem : « Ferme-la, gros dégueulasse ! T’en redemandes ?! »

Le mauvais garçon de service s’avança, visiblement contrarié par l’existence de Mandresy. Il avait beaucoup en commun avec l’une de nos ennemis.

Alaia : « C’est quoi cette insolence ?! Vous avez vraiment rien retenu de l’humiliation qu’on vous a infligée la dernière fois ?! »

Un globe oculaire flottait au-dessus de la tête de la psychique. Comme si une malédiction le frappait, il se changea soudain en pierre, puis chut jusque sur le crâne d’Alaia, ce qui permit à Nÿzel de rejoindre son groupe auquel venait de s’ajouter Mamie.

Mamie : « C’est précisément avec ce qu’on a retenu de ce jour-là qu’on va vous mettre une dérouillée, mes lapins ! »

Laukai se replia du côté de ses complices.

Nous étions neuf contre quatre. Nous devions à tout prix faire bon usage de cet avantage.

Laukai : « Ne perdons pas davantage de temps ! Vous auriez dû les tuer pendant que je faisais le ménage dans le quartier. »

Visiblement frustré, Laukai dégaina son katana, dont la lame suintait d’un rouge criard.

Monsieur Gatulecci et d’autres habitants assistaient impuissants à leurs fenêtres au combat à mort qui venait de débuter.

-2-

L’homme dont on ne pouvait voir le visage prit pour cible Ellébore sans le moindre scrupule, espérant l’abattre instantanément.

Nÿzel se projeta et sut s’arrêter juste devant Laukai pour parer le coup.

Nÿzel : « Quelle lâcheté ! T’en prendre à la seule d’entre nous qui est désarmée, tu fais peine à voir ! »

Après cette provocation justifiée, le corps du fringuant jeune homme se raidit. Ses muscles ne répondaient plus à sa volonté.

Alaia : « Je vais… Je vais vous le faire payer ! »

La psychique se tenait la tête. Le projectile qu’elle avait reçu sur le crâne lui avait causé une migraine qui ne faisait qu’accentuer sa colère.

Laukai : « Les faibles n’ont pas leur mot à dire. »

Profitant de l’immobilité de son adversaire, Laukai n’hésita nullement au moment de porter un coup fatal.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

La lame du katana fut repoussée par le bouclier autour de Nÿzel. Ce dernier s’étonna d’avoir été sauvé in extremis, mais quelque chose d’autre nourrissait sa stupéfaction.

Nÿzel : « Cette sensation… »

Avant que Laukai ne réalise avoir été trop lent, le hachoir de Léonce s’abattit sur lui, et il peina à le parer avec une lame aussi fine que la sienne.

Léonce : « Donc c’est toi, Laukai ? T’avais l’air cool sur le portrait de la garde ! J’étais loin de me douter que tu serais aussi minable ! »

Mandresy tenta d’intervenir mais se retrouva immédiatement encerclé par Frem, Baldus et moi.

Frem : « Hep hep hep ! On peut savoir où tu vas, l’affreux ?! »

Baldus : « Comme il dit. Tu vas rester ici bien sagement. »

De son côté, Lothaire affrontait Dux-Brak.

Brakmaa : « Arrête ça ! Si tu continues, je vais me mettre à pleurer, moi aussi ! »

Duxert : « Moi non, j’ai les yeux secs, Mamie m’a dit de pas pleurer. »

J’osais difficilement reconnaître que leurs voix idiotes m’avaient manquées.

Laukai peinait à faire face à Léonce. Il était extrêmement rapide, sa dextérité était prodigieuse, et son corps était rodé pour le combat, mais les attaques de mon garde du corps étaient impitoyables. Sa portée était plus grande, et dissuadait son adversaire de s’exposer.

Alors qu’il prenait le dessus, Léonce vit ses bras s’arrêter en pleine attaque.

Léonce : « Ça commence à bien faire ! »

Laukai : « Péris l’épée à la main. »

Sur ces mots, Laukai reçut un bol de porcelaine en plein visage, ce qui le coupa dans son élan.

Des yeux continuaient de se matérialiser au-dessus d’Alaia. Ils tombaient les uns après les autres sur les tuiles. L’esper peinait à se concentrer sur plus d’un adversaire à la fois, tandis que Mamie continuait de la prendre pour cible.

Alaia : « Mais elle va s’arrêter la vieille bique ?! »

La petite dame à l’immense chignon n’avait pas besoin de bouger le petit doigt pour utiliser ce sort, ce qui en faisait un contre parfait à ses pouvoirs psychiques.

Ellébore : « Nous ne vous laisserons plus faire ! »

Lui répondit Ellébore, qui faisait face à Laukai, en compagnie de Nÿzel et Léonce.

Alaia : « Toi et tes bols à la con, on vous a pas sonné ! Je te garde pour la fin ! Je veux avoir tout mon temps pour te faire souffrir ! »

Je constatais que sa fureur ne faisait que s’intensifier, ce qui, d’après Ellébore, lui conférait plus de force psychique.

Nÿzel s’élança dès qu’il put sur Laukai, mais fut aussitôt stoppé en plein vol.

Léonce prit le relais et força Laukai à bondir pour rejoindre un toit. Ce mystérieux personnage était capable de saut hors du commun. …Mais se retrouver dans les airs fit de lui une cible facile pour l’un des combattants.

Lucéard : « …Tu n’iras nulle part. »

Je sortis ma lyre d’entraînement après m’être écarté de Mandresy. Mon instrument était désormais fixé à ma tenue pour que je puisse l’attraper rapidement, voire frapper sur ses cordes sans avoir à utiliser mes deux mains.

Lucéard : « ANIMA EIUS ! »

Cette incantation surprit tous ceux qui s’y connaissaient un minimum en magie musicale.

La nébuleuse rose rattrapait Laukai plus vite qu’il ne se rapprochait des tuiles où il comptait atterrir.

Laukai : « Que crois-tu pouvoir faire contre moi, prince Lucéard ? Tu n’es même pas de taille à te prétendre mon adversaire. »

Avec une arrogance non dissimulée, il para mon sort d’un coup de sabre vif et précis. Et pourtant, le sort passa à travers, et avant que Laukai n’ait pu reconnaître son impuissance, le frappa en plein cœur.

Laukai : « C-comment ??! »

Déséquilibré au plus profond de son être, le guerrier de l’ombre ne sut pas atterrir droit, et glissa aussitôt par-dessus la gouttière du toit qu’il venait d’atteindre, se retrouvant à ma merci.

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

Une lame de lumière fusa au son de la lyre, et éjecta Laukai, qui s’écrasa contre un mur quelques mètres plus loin.

La mâchoire de Léonce se décrocha. J’avais pris le dessus sur un sbire de Musmak en seulement deux sorts.

Baldus : « Eh ben, le prince ! T’as pas chômé depuis la dernière fois ! »

Malgré tout, Laukai avait réussi son atterrissage. Il se retrouvait à quatre pattes, mais était capable de se relever. C’était bel et bien le plus agile du groupe.

Laukai : « …Ce premier sort était totalement indolore… Qu’est-ce que c’était… ? »

Cette attaque l’avait troublé. Mais en était-ce vraiment une ?

Alaia avait disparu de la vue de Mamie, mais elle parvenait encore à restreindre nos mouvements. La vieille dame fit appel à ses yeux pour tenter de la retrouver.

Le regard vitreux de Mandresy était rivé sur moi.

Mandresy : « Oh oui ! Super ! Je veux le tuer ! »

Il se jeta sur moi, hurlant sa joie.

Frem ne le lâchait pas depuis le début et tenta de le réceptionner avec sa masse.

Mandresy : « Toi, tu m’intéresses pas ! »

Une boule d’énergie s’élargit dans la paume de sa main squelettique, et le choc avec l’arme de Frem engendra une explosion qui projeta mon allié sur Nÿzel.

Nÿzel : « Mais qu’est-ce que tu fiches, crétin de Frem ?! »

Frem : « Boucle-la, t’avais qu’à te bouger ! »

Le plus inquiétant de nos ennemis était désormais face à moi, prêt à frapper.

Mandresy : « Tu es mien, le prince ! »

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Plutôt que de faire apparaître le bouclier sur moi, je bondis et l’invoquai à ma gauche. En gonflant, la sphère de lumière me projeta sur le côté, à quelques mètres de mon adversaire.

Pour remédier à la faiblesse de mon sort, je privilégiais l’esquive quand j’étais la cible d’une attaque, surtout si le coup qui me ciblait était contondant.

J’avais répété ce mouvement des centaines de fois, jusqu’à pouvoir atterrir sans perdre mon équilibre, tout en maximisant la portée de mon esquive.

Son poing fendit vainement l’air tandis que je me retrouvais dans son angle mort.

Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »

La puissance de ce lamina était supérieure à ceux que j’avais pu faire jusqu’alors, et je pus éjecter Mandresy avec presque autant de violence que la masse de Frem. Il s’enfonça dans la façade d’un autre bâtiment, tête vers le bas.

Je peux le faire… ! Je peux les vaincre !

Baldus n’en revenait pas, mais ne se laissa pas déconcentrer, et chargea notre adversaire qui se décollait lentement de la paroi.

Toujours jambes par-dessus tête, Mandresy arrêta la dague soporifique de Baldus à main nue, et se servit de son autre paume pour mettre une gifle magistrale à mon allié qui fut envoyé au sol à son tour.

Mandresy : « Vous autres, vous n’êtes que des pertes de temps ! Alaia, fais en sorte qu’ils ne bougent plus ! »

Avec un timing précis, les corps de Duxert et Brakmaa se bloquèrent en plein saut. Ils perdirent leur élan, et tout moyen de se défendre. Les deux poings en avant, Lothaire les expédia dans la fontaine du centre de la pièce d’un coup surpuissant.

Nÿzel et Léonce alternaient pour se défendre l’un l’autre contre Laukai, qui s’en prenait toujours à celui privé de ses mouvements.

Léonce : « ! »

Nÿzel : « ! »

Mais Alaia démontra qu’elle était capable de les bloquer tous les deux simultanément. En se concentrant pleinement, quitte à ne plus avoir conscience de ce qui l’entourait, Alaia pouvait même faire plus encore.

Frem dût s’interposer rapidement, bien qu’il aurait préféré éviter ce genre d’adversaire.

Frem : « Qu’elle saoule cette gonzesse et ses pouvoirs ! C’est toujours comme ça ! »

Je peinais à me rendre compte que la situation était en train de dégénérer, car j’étais moi-même focalisé sur mon combat. Baldus m’aidait à repousser les inépuisables assauts de Mandresy.

Mamie : « Trouvée. »

Depuis une des fenêtres à l’étage, Alaia nous observait. Un œil derrière elle commençait à s’illuminer.

Mandresy : « Lothaire, pauvre demeuré ! Tue la vieille ! »

Lothaire : « Euh, oui. »

Ce dernier, sans grande volonté, fonça le coude en avant vers la grand-mère sans défense.

Ellébore se retrouva sur son chemin. Elle n’avait aucune idée de comment arrêter une charge aussi dévastatrice, mais était prête à tout tenter.

Frem : « Merde !! »

Les trois adversaires de Laukai étaient immobiles. Alaia tentait le tout pour le tout. Et même si son contrôle n’était pas aussi fort sur chacun, les mouvements bien trop lents du trio en faisaient des adversaires aussi faibles que des cibles d’entraînement.

Laukai : « Trois d’un coup ce sera… »

Le guerrier rengaina son katana, et s’abaissa sur ses appuis, prêt à porter un coup qui les faucheraient tous simultanément.

Baldus : « Mamie, plus vite ! »

Baldus et moi évitions difficilement une salve de projectiles explosifs.

La grand-mère se concentrait autant qu’elle pouvait. L’oeil brillait intensément derrière Alaia.

Mandresy : « Lothaire ! »

Seule Ellébore était libre d’agir, mais face à la charge de Lothaire, elle se sentait impuissante. Bouger Mamie aurait suffi à briser sa concentration, mais elle n’avait rien pour arrêter son adversaire. Pourtant, elle ne pouvait pas abandonner et s’écarter de la trajectoire du colosse.

Ellébore : Vite, Ellébore, trouve quelque chose, vite !

Il n’y avait rien à faire. Elle ne pouvait pas changer les choses avec ses maigres pouvoirs.

Quand elle le réalisa, elle ne put que fermer les yeux, de toutes ses forces.

Une étrange sensation la traversa, puis dans un tumulte caractéristique, la foudre frappa entre le géant et elle.

L’onde de choc avait fait trembler la place ovale.

Mamie s’en retrouva déconcentrée et son œil s’évanouit dans l’air. Mais Alaia avait aussi été contrainte de relâcher son emprise à cause de la secousse. Laukai aussi s’était interrompu, et comme nous tous, fixait l’origine de cet étrange phénomène.

Certains d’entre nous regardèrent vers le ciel, constatant qu’il n’y avait pourtant pas le moindre nuage. D’où venait cet éclair ?

Quand la fumée se dissipa, Ellébore et Lothaire furent les premiers à apercevoir l’épée d’un noir profond qui s’était plantée dans le sol. Des étincelles bleues la parcouraient encore. Mon amie écarquilla les yeux en reconnaissant cet étrange matériau.

L’arme s’agita entre les pavés avant de sortir de terre, comme attirée par un aimant jusqu’au bras sombre de son propriétaire.

Un sourire héroïque se dessinait sur les lèvres du jeune homme qui venait de réaliser une entrée spectaculaire.

La mine d’Ellébore s’illumina.

Ellébore : « Ceirios ! »

Il pointait fièrement son épée vers Lothaire, menaçant indirectement tous ses alliés.

Ceirios : « Vous n’avez plus rien à craindre ! Ceirios Dydd, écuyer numéro 1 de l’école de Chevalerie de Lucécie est arrivé ! »

Lucéard : « É-écuyer ?? À son âge ?! »

Ellébore : « N-numéro 1 ?? »

Un rictus rida la moitié du visage de Baldus quand il reconnut son compère.

Baldus : « Pas trop tôt, morveux ! »

-3-

Laukai réalisait d’instinct la menace qui émanait de ce garçon rouquin. Et il n’était pas non plus sans savoir ce que signifiait ce titre. Quelqu’un de son rang social n’avait pu être promu écuyer aussi jeune qu’avec des résultats exceptionnels.

Laukai : « Tu aurais mieux fait de rester dans l’ombre. »

L’homme en épaisse tenue se précipita sur notre nouvel allié, katana en avant. Contre toute attente, Ceirios rengaina sa propre arme, attisant la rage de Laukai.

Laukai : « Comment oses-tu ? Ce manque de respect déshonore toute la chevalerie ! »

Au moment d’abattre son coup, l’arme de notre ennemi fut soudainement attirée par le bras de Ceirios, ce qui suffit à le faire basculer en avant.

Sans qu’il ne puisse lutter, sa lame s’arrêta entre les doigts de Ceirios.

Ceirios : « Qu’est-ce qu’un assassin comme toi sait de l’honneur ? »

Sur ces mots, il envoya une décharge électrique à travers son bras qui foudroya Laukai sur place, le laissant à genoux, fumant, et vaincu.

Une lueur de désir malsaine s’installa dans les globes oculaires de Mandresy en voyant avec quelle facilité son allié venait d’être défait.

Alaia : « Te la pète pas trop, gringalet ! Lothaire, tue-le ! Et perds pas une seconde ! »

Il avait fallu quelques instants pour faire basculer le cours de cet affrontement en notre faveur, ce qui fit paniquer Alaia, qui concentra toute sa rage contre l’écuyer.

Lothaire fonçait épaule en avant sur sa cible immobile.

Nous aurions pu intervenir, mais le calme dans le regard de Ceirios nous en avait dissuadés.

Son épée ressortit à la vue de tous, comme si elle était pourvue d’une volonté propre.

Alaia : « C-comment tu fais ça ?! Tu serais mage aussi ?! »

L’esper était stupéfaite, et ne pouvait que difficilement contenir les mouvements de l’écuyer et de son arme.

Ceirios tendit son bras en arrière, la pointe de son épée vers Lothaire, avant de la projeter de toutes ses forces.

La technique de Lothaire était singulière en ce que sa charge créait une sorte de champ de force autour de son corps. Et plutôt que s’enfoncer dans son épaule, l’arme électrique y rebondit, bien que le choc suffit à stopper le colosse.

Lothaire : « Ah… Je n’y vois plus rien… »

Ses yeux se noyèrent de larmes plus lourdes que les précédentes.

Mandresy : « Oh ! Oui ! Toi ! Toi ! »

Exultant de joie, Mandresy venait de trouver un adversaire à sa mesure et accourut vers lui comme si nous n’existions plus.

Mamie : « Votre défaite est inévitable à présent. »

Une pluie d’yeux s’abattit sur Alaia qui, obnubilée par Ceirios, se retrouva ensevelie.

Les éclairs bleus s’agitaient dans le bras de notre ami tandis que son adversaire bondit sur lui comme une bête sauvage.

Comme porté par la foudre, Ceirios entra dans la garde de Mandresy avant que ce dernier n’ait pu le réaliser.

Ceirios : « Foudro-poing ! »

L’impact de cette attaque brisa toutes les fenêtres autour de la place, enfonçant une fois de plus le crâne de Mandresy, qui se retrouva à ricocher sur quelques mètres, détruisant les pavés dans des chocs consécutifs, avant de se retrouver au sol, totalement désarticulé.

Tous ceux qui avaient assisté à ça restèrent sans voix.

Lothaire s’empressa d’attaquer celui qui venait de mettre au tapis deux de ses complices en une poignée de secondes.

L’écuyer se tourna vers lui, un sourire confiant au visage.

Son épée se mit à tourner sur elle-même, décrivant des cercles horizontaux, ce qui engendra un champ magnétique.

Ceirios bondit au-dessus de l’épée et se retrouva à léviter grâce à son bras. Il fut rapidement hors de portée de Lothaire.

Il était monstrueux sur tous les plans. Le garçon que j’avais rencontré dans le couloir de la mort était déjà bien plus que qualifié pour être chevalier. Il avait tout d’un héros.

Ceirios : « Et maintenant, le coup de grâce ! »

Lothaire ne pouvait pas bondir si haut, et se retrouvait impuissant. Une boule de foudre accumulait de l’énergie entre les doigts noirs de notre ami.

Laukai se relevait péniblement, le corps engourdi, et l’esprit confus.

Laukai : « Je ne comprends pas… Comment… Pourquoi… ? »

Alaia : « Tu vas me le payer ! »

La fougueuse jeune femme hurlait depuis la fenêtre brisée. Elle était encore en état de se battre, et utilisa ses pouvoirs pour arrêter l’épée de Ceirios dans ses rotations, ainsi que son propriétaire.

Par sadisme, elle retourna la lame vers le cou de son manieur.

Ellébore : « Ceirios ! »

La détective bondit plus haut que jamais et attrapa le manche de l’arme sombre. Le poids de son corps était trop à gérer pour l’esper qui venait de se retrouver encerclée par Frem, Nÿzel, et Léonce.

Ellébore : « Tu as plus que tenu ta promesse, Ceirios ! Je suis rudement épatée ! »

La demoiselle qui pendait au bout de l’épée n’avait pas eu de nouvelle de son ami depuis quelque temps et était visiblement heureuse de le retrouver, et de pouvoir lui dire à quelle point elle était fière de ce qu’il était devenu.

Ceirios : « Bien sûr ! C’était pas des paroles en l’air ! Tiens, tant que j’y suis, désolé de pas être venu pour ta petite fête, on guettait cette occasion avec Baldus ! Mais joyeux anniversaire en retard ! »

Laukai avait été contraint de battre en retraite, et Alaia n’eut d’autre choix que de fuir par les airs, relâchant Ceirios et son arme.

Ellébore rejoint la terre ferme, face à Lothaire, qui s’était retrouvé immobilisé par Dux-Brak.

Duxert : « Allez-y, monsieur bras-bizarre ! »

Brakmaa : « On vous le tiens, monsieur cheveux-bizarres ! »

Encore en apesanteur Ceirios avait encore cette boule d’électricité au bout de son bras métallique. Il plongea sur le pleurard sans plus attendre.

Le duo musclé se retira au dernier moment.

Dans un coup de tonnerre, une nouvelle explosion se fit entendre.

Lothaire avait dérapé sur quelques mètres, mais était toujours debout. Cependant, il était totalement paralysé.

Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »

Je profitais de l’occasion pour attaquer à pleine puissance, et mon sort réussit à éjecter pour la première fois ce mastodonte au sol.

Mandresy se relevait lentement, avec un calme terrifiant. Il fixait Ceirios, qui le dévisageait en retour. L’issue du match était déjà certaine.

Ceirios : « La dernière fois où l’on s’est vu, Mandresy, c’était ma toute dernière défaite. Depuis ce jour, je n’ai laissé aucun innocent être victime de malfrats de votre espèce ! Et aujourd’hui, je vais vous empêcher de nuire pour de bon ! »

Ses paroles m’avaient fait frissonner. Je reconnus dans l’ardeur de sa voix la force de sa détermination. C’était avec ces sentiments qu’il avait pu s’élever à un tout autre niveau en si peu de temps. J’aurais presque pu en être jaloux, mais seul un profond respect m’animait.

Quant à Mandresy, se savoir en situation aussi désavantageuse semblait l’amuser toujours plus.

Ceirios : « Désolé d’avance pour ce quartier fort sympathique ! »

L’écuyer leva son épée vers le ciel. Celle-ci s’illumina d’un bleu électrique, tout comme son bras. Comme s’ils ne faisaient plus qu’un, tout ce métal semblait chauffer rapidement.

On entendit tous le tonnerre gronder. Au-dessus de nous, le ciel se chargeait de lourds nuages.

Baldus : « Euh, c’est toi qui fait ça, le rouquin ? »

Lothaire se tournait vers Mandresy, qui ne quittait pas les yeux de l’épée.

Lothaire : « On devrait peut-être partir… »

Le phénomène au-dessus de nous était tout sauf naturel. Quelque chose de puissant s’accumulait dans les cieux.

Plutôt que de chercher à l’interrompre, Mandresy se mit à rire plus fort encore, levant les bras des deux côtés, comme pour accueillir l’attaque qui le visait.

Le gris anthracite avait dévoré le soleil, et plongeait Oloriel dans son ombre.

Alliés comme ennemis ne purent qu’assister avec stupéfaction à ce grand final.

Mais étrangement, malgré la grisaille persistante, l’épée de Ceirios cessa progressivement de luire.

Le vent s’était levé, annonçant la pluie.

L’écuyer tomba à genoux, puis à plat au sol, inconscient.

Si proches de la victoire, nous nous retrouvâmes tous dans l’incompréhension la plus totale.

Léonce qui était encore à la fenêtre du deuxième étage n’en croyait pas ses yeux.

Léonce : « Il… s’est évanoui ? »

Baldus : « Oh, crotte. »

Baldus reconnut dans le cou de Ceirios un dard qui lui était familier. Peu de personnes étaient en possession de ses créations.

Le ciel rugit une fois de plus, et le flash d’un éclair non loin fit apparaître une silhouette au-dessus du garçon. Un homme se tenait debout, vêtu d’une longue robe qui dissimulait quatre fourreaux.

Mon sang ne fit qu’un tour en reconnaissant son visage et sa présence si néfaste. Ma réaction, et celle des bandits d’Azulith suffit à renseigner mes amis sur l’identité de ce nouveau venu.

Lucéard : « Musmak ! »

L’un des cinq empereurs de la fin obscure était parmi nous. Il ne lui avait fallu qu’un instant pour vaincre le plus fort des nôtres. Dans ce seul instant, il avait fait de notre triomphe une vaine chimère.

Je connaissais la vitesse de ce monstre. Il aurait pu profiter de l’effet de surprise pour tuer la moitié d’entre nous, mais par amour du dramatique avait préféré prendre la pose au-dessus de sa première victime.

Musmak : « En voilà de belles retrouvailles, Lucéard ! Quelle chance tu as ! On dirait qu’aujourd’hui encore, je vais t’épargner ! Moi qui comptais te livrer à notre chef dès ce soir, j’ai trouvé un spécimen tout aussi fascinant ! »

D’un claquement de doigt, il fit venir Lothaire, qui récupéra Ceirios sous son coude. Même si l’écuyer était inconscient, son bras se cramponnait toujours à cette épée.

Tous les souvenirs terribles que Musmak réveillait en moi me pétrifiaient.

Les sabots des chevaux claquaient sur les pavés dans les rues voisines. Les renforts arrivaient.

Musmak : « Splendide journée ! Et me voilà reparti avec un beau cadeau ! Disons nous au revoir ! »

Tous ici connaissaient, ou du moins devinaient la force terrible de Musmak, au point qu’aucun d’entre nous n’osa bouger face à lui.

Mais lorsqu’il se retourna pour nous fausser compagnie, Duxert lui barrait la route, seul.

Duxert : « Tu passes pas, monsieur vieux méchant. »

Musmak éclata de rire, puis haussa sèchement les épaules.

Dans la seconde qui suivit, il était derrière lui, et une croix de sang jaillit du torse de Duxert.

Brakmaa : « Dux !! »

La robe du meurtrier s’agitait encore du souffle de son accélération phénoménale.

Musmak : « Allez, rentrons à la base. »

Les hommes de Musmak échappèrent à notre vigilance pour suivre leur chef. Nous avions les yeux rivés sur le binôme de Brakmaa, qui s’écroula lentement.

Pas… Encore…

Brakmaa : « Dux !! Dux !! »

L’autre gaillard eut la bonne initiative de mettre son compère sur le dos pour atténuer l’hémorragie.

Duxert : « …Dux… ? »

Une image me revint en tête. Cette même image qui me paralysait depuis l’arrivée de Musmak.

…Qu’est-ce que je fais ?! Je refuse de le laisser mourir lui aussi !

Lucéard : « MAGNA CURA EIUS ! »

Je soufflai dans la flûte-double en m’approchant de Duxert, dont le corps s’illumina progressivement. La plaie en forme de croix se refermait si lentement.

Duxert : « Oh… J’avais bobo, mais là…. Je me sens comme quand on va se baigner dans l’étang… »

Pour avoir moi-même fait les frais de cette technique mortelle, je savais que le magna cura n’était pas suffisant. Si ses organes avaient été perforés, il était déjà trop tard.

Mamie s’approcha calmement, sa longue pipe au bec, et vint inspecter son disciple.

Mamie : « Quand Musmak utilise cette technique, la lacération est plus profonde au centre de la croix. Ses deux sabres ont des effets terribles sur ses adversaires, mais ne t’en fais pas, mon petit, tu vivras. »

Je ne voyais pas ce qui la rendait si optimiste. Il avait déjà perdu beaucoup de sang.

J’observais de plus près sa blessure avant de réaliser.

Lucéard : « …Vous avez eu le temps de façonner un œil de pierre au bon endroit au moment et à l’endroit exact où il a frappé ? »

Mamie : « Quand on manque de force, la connaissance et la précision font l’affaire, mon chou. »

Elle souffla sa fumée sur mon visage après sa réponse, mais je ne lui en tins exceptionnellement pas rigueur. Sa vivacité d’esprit venait de sauver Duxert.

Tous les autres s’approchèrent à leur tour, rassurés.

Duxert : « Pardon, Mamie… J’ai encore échoué… »

Ce duo n’avait pas brillé lors de cet affrontement, et la mine dépitée de ce grand bonhomme donnait l’impression qu’il ne se sentait plus à la hauteur.

Son attitude fit ressortir le côté gâteux de la vieille femme.

Mamie : « Allons bon, mon garçon ! Pas la peine de déprimer pour si peu. Nous sommes venus ici pour régler son compte à ce vilain Musmak tout en sachant que ce serait difficile. Mais d’entre tous, tu as été le seul à suivre le plan et à te dresser face à lui. Tu es le plus courageux d’entre nous, et tu n’as certainement pas à avoir honte ! »

C’était quelque peu vexant pour nous, mais elle avait entièrement raison. Si nous avions tous attaqués de concert sans nous laisser intimider, nous aurions peut-être eu une chance.

-4-

Chevalier : « Que personne ne bouge ! »

Un homme en armure déboula jusqu’à nous sur son fier destrier. La place était encerclée par une véritable armée dans la seconde qui suivit. La plupart était des gardes, mais parmi eux, des volontaires s’étaient greffés à ce bataillon.

Les bandits reconvertis avec nous n’étaient pas à l’aise face à l’ordre public.

Lloyd : « Attendez, attendez ! »

Le père de famille essoufflé se faufila entre les armures pour rejoindre le leader du groupe.

Lloyd : « Tous ceux-là sont avec moi, les autres ont dû s’enfuir ! »

Le chevalier enleva son casque, révélant ses courts cheveux couleur betteraves et son regard perçant. Après nous avoir observé, il en conclut de lui-même que plus personne ici n’avait l’intention de se battre.

Chevalier : « Mon escouade ! Faites fermer toutes les portes de la ville, et déployez vous au nord ! Ne les laissez pas s’échapper ! »

Il avança au pas jusqu’à nous, sévère.

Chevalier : « Quant à vous, votre interrogatoire commence dès maintenant ! »

Ellébore fut la première à réagir, pressée.

Ellébore : « Je suis désolée, monsieur, mais nous devons nous mettre à leur poursuite nous aussi ! Ils ont enlevé notre ami ! »

Léonce la rejoint et hocha vigoureusement la tête pour la soutenir. J’étais du même avis qu’eux. Baldus, lui, se montrait moins optimiste.

Baldus : « Vous ne savez même pas par où ils sont partis… »

Léonce : « Si. »

Tous s’étonnèrent d’entendre mon garde du corps aussi hardi.

Léonce : « Ils partent pour Rougonde. »

Baldus levait un sourcil. Il n’aurait pas su dire si Léonce était du genre à plaisanter ou non, et se tourna vers moi.

Lucéard : « Musmak a affirmé qu’ils rentraient à leur base. C’est forcément à Rougonde qu’ils se rendent ! »

Baldus : « D’où vous sortez ça ? »

Ellébore : « Ils l’ont appris d’un contact de Musmak, et d’après mes propres recherches, et les paroles de Musmak, c’est plus que probable ! »

Frem : « Bah qu’est-ce qu’on attend ?! Allons les fumer pour de bon !! »

Toute l’équipe de Baldus était remontée à bloc.

Le chevalier nous avait écouté avec intérêt, et réfléchissait intensément.

Chevalier : « Nous ne pouvons pas envoyer qui que ce soit dans un autre duché comme ça. Même si on suit la procédure, il nous faudra plus que quelques jours… »

Rougonde avait beau être dans la baronnie voisine, elle appartenait à un autre duché. Oloriel était à huit heures de route de Rougonde, mais les rattraper avant qu’ils ne soient à la frontière n’était pas gagné.

Lloyd : « Je vais témoigner à leur place, mais s’il vous plaît, laissez-les repartir ! »

Le cavalier ne semblait pas apprécier avoir si peu de contrôle sur la situation. Il pressa ses meilleurs cavaliers de se lancer sur la route vers Rougonde, et finit par accéder à notre requête.

Ellébore se tourna vers son père avec fierté. Son initiative nous permettait de nous mettre en route dès maintenant. Mais lorsqu’elle croisa le regard du docteur, son sourire retomba.

Lloyd : « Ma puce… Tu vas encore partir à la rescousse d’un de tes amis… »

Le père de mon alliée en avait vu assez pour savoir les risques insensés auxquels sa fille allait s’exposer, mais tentait progressivement de dissimuler son inquiétude.

Lloyd : « Enfin, avec toi dans l’équipe, je suis sûr que Ceirios rentrera sain et sauf ! J’avais des doutes pour Lucéard, mais je m’étais trompé, et je ne veux surtout pas être ce genre de personnage borné qui te met des bâtons dans les roues ! Alors fonce, et mets un terme aux plans de ces types ! »

Sa fille soupira, moins déterminée qu’il ne l’attendait.

Ellébore : « Papa… Tu me surestimes, je crois… »

Il agita la tête de gauche à droite, énergiquement.

Lloyd : « Que nenni ! Je crois si fort en toi que tu ne peux que gagner ! »

Affirma t-il en prenant une pose victorieuse. La demoiselle resta de marbre.

Elle ne savait pas trop quoi lui dire. Sans l’intervention de Ceirios, elle n’aurait rien pu faire contre Lothaire. Néanmoins, elle se décida à lever le menton, froncer les sourcils, et montrer son pouce au docteur.

Ellébore : « Compte sur moi, papa ! Je ramènerai Ceirios ! »

Le temps de cette courte décision, notre carrosse arriva. Cynom nous faisait de grands signes de mains, l’air de rien.

Léonce : « Allez, on y va ! »

On se lança tous les trois un regard entendu, et Léonce bondit le premier dans le carrosse. Baldus embarqua avec nous et nous partîmes devant, suivis de près par la carriole conduite par Brakmaa. Duxert était allongé à l’arrière et regardait les nuages, en compagnie du reste du groupe.

Monsieur Ystyr ne nous voyait déjà plus, mais restait là encore quelques instants, avant d’être interpellé par le chevalier.

Mamie se concentrait sur tous les yeux qu’elle avait invoqués. Elle les plaçait le plus haut possible, pour avoir le plus de portée. Ses efforts demeuraient vains.

De notre côté, quelques secondes après le départ, nous étions déjà silencieux. Chacun gardait la tête basse, le visage fermé.

Tout était arrivé si vite. Nous n’avions pas pu assimiler ce qui s’était passé en si peu de temps.

Ils n’ont jamais cessé de me pourchasser. Je le savais, et pourtant, après tout ce temps, cette vérité s’était éloignée.

Je serrais les poings contre mes cuisses.

…Qu’est-ce que ces types ont à voir avec Mère ? Qu’est-ce qu’ils me veulent ? Qu’est-ce qu’ils manigancent depuis tout ce temps ?

Ellébore, Léonce, et Baldus fixaient aussi leurs pieds, pensifs.

…Je ne peux pas les laisser agir plus longtemps… Nul doute que pendant que je m’entraîne, ils se rapprochent de leur objectif.

Cynom : « En route pour le palais, mon prince ! »

Je sursautais en entendant cette voix amusante. J’étais presque certain qu’il avait compris la situation, mais je l’avais certainement surestimé.

Lucéard : « Euh, monsieur Synchrod, nous ne rentrons plus à Lucécie, nous allons à Rougonde ! »

Cynom : « Très bien, mon Prince, en route pour Rougonde ! »

Sans m’interroger plus, il prit la route vers l’ouest.

Son visage devint solennel. C’était la bonne expression pour se lancer dans une course-poursuite, même si son faciès, et en particulier ses cils extrêmement longs, ne donnaient toujours qu’une impression comique.

Notre chauffeur les avait aperçus en venant nous chercher. Ces visages sur les avis de recherche, ils les avaient vu et revu, partout dans Lucécie. Il ne manquait jamais de s’arrêter pour les observer. Non seulement il savait qui nous suivions, mais il savait que c’était à cause d’eux qu’il ne pouvait plus revoir son frère.

Lucéard : « Si la cavalerie d’Oloriel ne réussit pas à les arrêter, espérons qu’ils puissent au moins les ralentir. Une fois qu’ils seront à leur base, il y a aura beaucoup trop de paramètres imprévisibles pour élaborer une stratégie fiable. »

Baldus : « On ne fera pas le poids. »

La réponse de Baldus ne se fit pas attendre.

Baldus : « Vous avez bien vu ce que ça a donné avant que Ceirios arrive ? Et il n’y avait même pas encore Musmak à ce moment-là. »

Ellébore était arrivée à ce constat la première. Elle se souvenait avec amertume de ce dernier combat. Mais, avant même que sa résolution ne vacille, elle sut relever la tête.

Ellébore : « La seule chose dont je suis vraiment incapable, c’est de laisser Ceirios aux mains de ces gens ! »

La voir aussi zélée ne laissait personne indifférent.

Nous étions cependant tous d’accord : imaginer s’en arrêter là parce que nous n’étions pas assez forts était inenvisageable.

Baldus soupirait.

Baldus : « Ellébore, il faut que tu comprennes que si notre intervention est vouée à l’échec contre eux, alors non seulement on ne pourra pas le sauver quoi qu’on fasse, mais en plus on mourra sans rien accomplir ! Même avec toute la bonne volonté du monde, ce qui est impossible le reste ! »

Ellébore : « Et tu proposes quoi ? Qu’on rebrousse chemin et qu’on rentre tranquillement chez nous ? Tu veux qu’on abandonne Ceirios alors qu’on a une dernière chance de pouvoir lui porter secours ?! »

Baldus : « Ah, mais je rêve ! Tu as 16 ans, maintenant ! Sois un peu plus mature ! On envoie pas les gens au casse-pipe avec des chances de succès aussi risibles ! Bien sûr c’est triste ! Mais c’est ce qu’y a de plus raisonnable à faire ! »

On ne pouvait le contredire sur ce dernier point, même Ellébore n’osait plus rétorquer.

Et pourtant, elle avait aussi raison de trouver ça immoral. Si le choix qui se présentait à nous ne pouvait faire que plus de victimes, il valait mieux ne pas laisser nos sentiments prendre le dessus. Nous avions nos propres vies à protéger.

Baldus : « Bon, maintenant que c’est dit, c’est quoi ton plan, le prince ? »

Personne n’en avait douté, mais Baldus n’essayait à aucun moment de nous empêcher d’agir. Lui-même n’aurait su se fier à son pragmatisme.

Lucéard : « Qu’on les rattrape ou non, il nous faut éviter une confrontation directe comme tout à l’heure. Tant que nous n’affrontons pas Musmak de front, on peut s’en sortir. On pourrait même ne pas avoir à se battre. Il nous faut juste récupérer Ceirios et repartir aussitôt. Nous ne viendrons pas à bout de cette organisation aujourd’hui de toute façon. »

Mon esprit cartésien sut rassurer Ellébore comme Baldus. Léonce, lui, était prêt à faire le nécessaire quel que soit le plan.

Léonce : « Si on doit les vaincre, il faudrait trouver un moyen d’isoler cette femme courroucée. On ne peut pas se battre à fond tant qu’elle est dans les parages. »

Ellébore hochait la tête. C’était une bonne observation.

Lucéard : « Notre carrosse est rapide, je suis quasiment certain qu’ils ne nous sèmeront pas. Ils ne peuvent même pas savoir que nous sommes à leurs trousses. Ils pourraient nous guider jusqu’à leur base si nous ne les rattrapons pas avant. Mais dans ce cas, il y aura d’autres sbires sur place, et sûrement de quoi prévenir les intrusions. »

Ces éléments étaient difficiles à gérer. Je mobilisais mes méninges, tout en me rappelant la ferveur de l’écuyer il y a quelques minutes. J’ignorais ce que Musmak projetait, mais je ne pouvais pas accepter qu’il tombe entre ses griffes. Je voulais sauver Ceirios à tout prix.

Ellébore : « J’y pense, Absenoldeb est sur notre chemin, n’est-ce pas ? Le village, je parle ! »

Cette précision me fit rire jaune. Mais en effet, la baronnie d’Absenoldeb était à la limite de notre duché. Et nous allions traverser ce village par le nord. Je comprenais très bien où Ellébore voulait en venir.

-5-

Les yeux de Mamie nous accompagnaient sur notre route. Leur chariot était plus lent, et ils avaient accumulé du retard sur nous.

Notre carrosse s’arrêta, ce qui surprit la vieille dame. Nous étions devant un manoir entouré d’un cimetière.

Ellébore et moi sortîmes précipitamment du véhicule.

Lucéard et Ellébore : « Semion ! »

Le dernier habitant du manoir Gedulas travaillait dans son jardin lorsqu’il nous vit apparaître. Il essuya la sueur sur son front, étonné.

Semion : « Lucéard ? Ellébore ? »

Revenir ici après tant de temps avait quelque chose d’apaisant, comme si nous étions bien loin de la situation critique dans laquelle nous nous trouvions.

Ellébore et moi nous empressâmes de lui résumer la raison de notre présence. Le veuf nous confirma avoir reconnu Alaia dans un carrosse quelques minutes plus tôt et qu’un étrange pressentiment l’animait depuis. Il n’hésita pas un instant.

Semion : « Permettez-moi de vous accompagner. »

C’était ce que nous espérions. C’était ce qu’Ellébore avait envisagé, bien que cela lui brisait le cœur. Le pauvre homme allait être mêlé à une opération suicidaire à laquelle il n’avait pas pu se préparer. Nous le traînions avec nous dans l’enfer qui nous attendait, au risque d’ajouter une victime de plus à la tragédie qui s’annonçait. Semion avait déjà tout perdu, il ne lui restait plus que sa propre vie, qu’il mit sur la balance, sans être sûr de pouvoir rétablir l’équilibre dans cette lutte.

C’était un nouveau dilemme auquel nous nous confrontions. Mais ce choix difficile nous donnait l’espoir de pouvoir faire la différence.

Les enjeux n’étaient que plus terribles, nous avions plus à perdre pour une si faible chance supplémentaire de nous en sortir. Ellébore ressentit le poids de cette responsabilité sur ses épaules tremblantes.

Elle hocha la tête, non pas sans hésitation.

Semion : « Si possible, j’aimerais emporter quelque chose avec moi, mais je n’arriverais pas à le transporter seul. »

Monsieur Synchrod accepta sans savoir à quoi s’attendre. On pouvait stocker un grand volume de bagages dans un large coffre à l’arrière de ce carrosse.

Heureusement, la main-d’œuvre venait de nous rattraper.

Mamie : « Je les vois ! Je les vois !! »

La grand-mère s’égosillait, nous confirmant que nous n’étions pas dans l’erreur depuis le début.

Brakmaa et Duxert, malgré la blessure de ce dernier, réussirent à charger l’imposant cercueil à l’arrière du carrosse. Cynom sentit son véhicule de fonction pencher soudainement vers l’arrière. Le macabre contenant dut être enchaîné à l’arrière. Il ne rentrait pas à l’intérieur.

Baldus : « Bon, on peut considérer que la cavalerie n’a pas réussi à les avoir. Je vais dans le véhicule à l’arrière, repartons tout de suite ! »

Les chevaux allaient aussi vite que possible sur la roue caillouteuse qui liait les deux duchés. En plus de notre trio, Semion était monté avec nous, et commençait à s’imprégner de l’atmosphère suffocante de ce voyage.

Semion : « Si j’avais su, j’aurais déjeuné plus tôt. Parti comme c’est parti, je ne pourrais probablement pas non plus dîner. »

Animé par la culpabilité, je cherchais immédiatement de quoi nous sustenter dans mon sac de Thornecelia.

Lucéard : « Ne vous en faites pas, j’ai toujours des provisions pour un régiment dans mes affaires. »

Il nous fallait prendre des forces. Le carrosse de Musmak pouvait nous repérer à tout moment.

Semion : « Oh, c’est bien gentil, Lucéard. Dis, nous allons à Rougonde, n’est-ce pas ? Je n’y suis encore jamais allé. Fera t-il nuit d’ici là ? »

Lucéard : « Peut-être… La toute fin d’après-midi je dirais. »

Semion : « Je vois. Il faut dire que ce carrosse va vite. Même le baron d’Absnoldeb n’a pas des chevaux aussi puissants à sa disposition. L’un d’entre vous n’aurait-il pas des relations avec la haute-noblesse ? »

Lucéard : « Hm, à ce sujet… »

J’étais plus amusé qu’autre chose, tout comme mes compagnons de voyage. Je ne tenais pas à ce que mon rang se sache, mais j’avais confiance en Semion.

Cynom : « Mon Prince, vous n’êtes pas trop secoué ? Je vais aussi vite que je peux ! »

La voix grinçante de Cynom m’inspira un soupir. Le voile était tombé tout seul.

Semion : « Ah ? Lequel d’entre vous est prince ? »

Léonce esquissa un sourire. Il aimait l’idée qu’on puisse le prendre pour un prince. S’il n’avait pas eu la tête ailleurs, il aurait peut-être même explosé de rire.

Lucéard : « Je suis navré. Je n’avais pas l’intention de vous le cacher, mais je suis Lucéard de Lucécie, le fils du Duc. »

Il en tomba des nues, et il y avait de quoi. Il resta silencieux quelques instants.

Semion : « Maintenant que tu le dis, ça me paraît presque évident. Comment n’ai-je pas pu y penser avant ? …Dire que j’ai hébergé un prince, et que j’ai même essayé de le tuer… »

Il se tournait en dérision, mais j’appréciais qu’il ne se mette pas subitement à me vouvoyer. C’était bien la preuve qu’il me considérait toujours comme le garçon de cette fois-là plutôt que comme un prince inconnu.

Léonce : « C’est marrant, je me suis dit la même chose quand j’ai réalisé qu’il était prince. …Sauf que moi je l’ai pas hébergé. »

Cette remarque m’étonnait moins de la part de Léonce, qui semblait fier de lui.

Lucéard : « Et encore, dites-vous que tout ceux dans le chariot derrière nous ont essayé de me tuer en sachant qui j’étais. »

C’était un peu triste pour moi, d’une certaine façon. Je réalisais que tout le monde en avait voulu à ma vie à un moment ou à un autre.

Ellébore : « Même moi, je me suis techniquement battue contre toi… Je suis désolée… »

Ma pauvre amie avait les yeux humides de compassion et de culpabilité. Elle était pourtant la seule que je ne pouvais blâmer pour rien. La seule fois où elle s’était dressée contre moi, c’était pour me sauver la vie.

Lucéard : « Je l’ignorais jusqu’à il y a encore peu de temps, mais je dois bien me rendre à l’évidence : je ne suis pas du genre rancunier. »

Cet euphémisme ne manqua pas de les amuser.

-6-

Après avoir eu le temps de digérer, nous arrivions vers Rougonde. Le ciel était déjà teint d’un rose qui n’allait qu’en s’empourprant.

J’apercevais la ville en contrebas.

Rougonde était connue pour être malfamée. La criminalité avait déferlé dans chaque quartier, menant à des guerres de gangs pendant un temps. Désormais, la situation s’était calmée, mais les habitants avaient dû payer le prix de cette paix. Une organisation de malfrats tenait la ville au creux de leur paume. Ils accordaient leur protection aux citoyens en échange de divers tribus, et d’une mainmise sur les pouvoirs publics. On ne trouvait pas ce genre de phénomène dans notre duché, mais ce n’était pas la première ville du royaume dans cette situation.

Le carrosse inquiétant que nous avions aperçu à plusieurs reprises durant ce trajet se détourna pourtant de la pente vers Rougonde, et préféra s’enfoncer dans la forêt au nord.

Ce nouveau chemin devait bifurquer vers le pic rocheux qui dominait la commune. Sur le relief derrière ce pic, à l’abri des regards des locaux, s’élevait un grand bâtiment dont la flèche perçait ce ciel mourant. Il s’agissait d’une cathédrale, et même d’aussi loin, on pouvait se rendre compte qu’elle était abandonnée.

Bien qu’elle retint mon attention, elle finit par disparaître derrière la haute végétation de cette forêt. Leur base ne devait plus être loin désormais. Il fallait redoubler de prudence.

J’ouvris une porte en pleine marche, et me hissai jusqu’aux côtés de Cynom. La route devenait étroite et sinueuse.

Lucéard : « …Nous sommes repérés ! »

Je n’avais pas misé sur un sauvetage furtif, mais toutes les stratégies pacifiques auxquelles j’avais pensé venaient de tomber à l’eau.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Il me fallait économiser mon mana pour la soirée qui s’annonçait.

Mon bouclier apparut dans les airs. Un énorme rocher venait d’être projeté droit sur le carrosse.

Le sort était aussi élastique que possible, et réussit à faire dévier légèrement le projectile qui s’écrasa à quelques mètres de sa cible.

Cynom : « Oh, impressionnant, mon prince ! C’était du madame de Lucécie, tout craché ! »

Les chevaux étaient néanmoins terrorisés de ce à quoi ils venaient d’assister, et ne répondirent plus aux commandes du chauffeur. Après quelques mètres, il réussit à les faire s’arrêter, presque hors de la route.

Cynom : « Allez, on se calme mes loulous ! »

Alaia : « Quoi, vous êtes vraiment venus ?! »

Un rire raisonna entre les arbres.

Sur la plus haute branche d’un pin, Alaia nous attendait de pied ferme. Elle était sortie du carrosse la première pour nous retarder autant que possible.

Quand elle nous vit quitter le véhicule, elle semblait furieuse.

Alaia : « Mais comment des crétins comme vous ont fait pour survivre si longtemps ?! »

Elle nous prenait malgré tout de haut, mais succomba à une colère plus authentique dès qu’elle aperçut Semion.

Alaia : « Toi ?! T’es là aussi ?! J’oublierais jamais tes trucs visqueux dégueulasses ! Amène-toi, t’es un homme mort ! »

Elle tapait du pied comme un vulgaire primate, faisant tomber les feuilles de la branche où elle se tenait.

Lucéard : « J’aperçois leur carrosse au loin. Ils se sont arrêtés au pied de la montagne. Leur camp est juste là, il n’y a pas une minute à perdre ! Finissons-en avec elle ! »

Ellébore : « Non. »

Son ton était plus sec que je ne l’avais jamais entendu. La demoiselle se tourna vers nous, nous perçant du regard.

Ellébore : « Léonce et toi, partez devant. »

Ses paroles nous laissèrent pantois.

Léonce : « Mais t’es sérieuse ? On a une chance en or, là ! »

Ellébore : « Oui, je sais bien. Mais une fois que Ceirios sera à l’abri, les autres sbires rappliqueront ici. Si vous les rejoignez maintenant, nous avons encore une chance de créer la situation qu’on espérait : Alaia sera isolée et vous pourrez vous battre à pleine puissance, voire récupérer Ceirios aussitôt. »

Elle échangeait un long regard avec moi, tandis que je mettais à l’épreuve sa résolution. Mais sa décision était prise, et je devais avoir foi en elle. Elle fit face à Léonce avec la même ardeur. Ses sentiments lui parvinrent. Même s’il ne voulait pas laisser Ellébore seule lui non plus, il ne sut pas refuser ce qui sonnait comme une requête.

Alaia : « Oh ?! Dites-le si je vous dérange ! Vous croyez que je vais vous laisser passer ?! »

Ellébore s’avança en silence dans la clairière. Les dernières lumières du jour se retiraient lentement de l’herbe verte.

Ellébore : « Oui. Laissez-les passer. …Et affronte-moi. »

Des veines sortirent du front d’Alaia, qui se mordit violemment les lèvres.

Je n’avais jamais vu Ellébore se montrer si insolente. Elle avait manifestement gardé de terribles sentiments de leur dernière rencontre.

Alaia : « Pour qui tu te prends, putain de gamine ?! T’as déjà oublié l’humiliation que je t’ai infligée, c’est ça ?! »

Hors d’elle, Alaia fixait Ellébore, et son regard s’illumina aux couleurs de l’améthyste.

Alaia : « Laisse-moi te rafraîchir la mémoire ! »

Comme si une infinité de chaînes sortaient du vide de toute part, Ellébore sentit son corps se faire restreindre. C’était encore cette sensation. La détresse totale de l’immobilité.

Les maillons de métal se resserraient autour de ses membres, de son cou, mais aussi de son cœur.

Je m’empressai de sortir ma lyre, mais d’un geste de bras, Léonce me somma d’attendre.

Alaia : « Allez, agenouille-toi, maintenant !! »

Hurlait la psychique, furibonde.

Ses millions de chaînes se brisèrent subitement. Ce fracas métallique n’avait jamais eu lieu, mais nous avions tous pu ressentir l’étreinte d’Alaia se briser dans un simple courant d’air.

Alaia : « …Hein ? C’était quoi ça ?! »

Elle avait perdu son emprise sur Ellébore, et s’empressa d’user de ses pouvoirs pour la restreindre de nouveau.

Dans l’instant qui suivit, Ellébore était libre et s’avança face à son adversaire.

Alaia : « Mais… Comment… ? »

La vive surprise avait fait ressortir une douceur perdue dans la voix d’Alaia.

Nous étions sans voix face à ce tour de force.

Ellébore : « Non… »

Murmura la demoiselle.

Ellébore : « …Je n’ai pas oublié. »

Ellébore leva son regard vers Alaia. La pénombre qui s’installait autour d’elle exaltait la lueur dans ses yeux. La jeune fille si douce en temps normal montra un visage impitoyable qui sut pétrifier Alaia à son tour.

Des créatures impies naquirent de la terre tout autour de mon amie. Les masses ectoplasmiques se dégageaient du sol sans un son.

Ellébore : « Et je n’ai pas oublié non plus tout ce que tu as fait. C’est avec ce souvenir en tête que je me suis préparée pour ce jour sans relâche. »

Elle revoyait Eilwen chuter au sol, si lentement. Et toutes ses heures à répéter les mêmes exercices jusqu’à l’épuisement se superposer à ces souvenirs de tristesse et de frustration.

Alaia grinçait des dents. Nous étions aussi intimidés qu’elle.

Il n’y avait pourtant pas de haine dans ses yeux. Ce qui l’animait était bien plus qu’une seule émotion. Divers sentiments se déchaînaient en elle.

Ellébore : « Maintenant, descends. Tes pouvoirs ne marcheront plus jamais sur moi. »

L’esper était étrangement silencieuse, et finit par se laisser tomber, avant d’atterrir en douceur face à son adversaire.

Telle une meute de loups, des silhouettes se révélèrent de derrière les arbres, dans le dos d’Alaia. Ces étranges bandits avaient chacun des lettres cousues sur les chemises trop larges qu’ils portaient. Ils se groupèrent autour de leur chef en ricanant.

Alaia : « Tu crois pouvoir me battre ?! »

Elle immobilisa Ellébore de nouveau, mais son étreinte fut brisée instantanément, ce qui surprenait toujours autant la télékinésiste. D’aussi près, elle pouvait apercevoir la détermination à toute épreuve de la détective.

Ellébore : « Tu as fait bien assez de mal comme ça. »

Les silhouettes blanches étaient debout, comme si cette armée de goules était aux ordres d’Ellébore, et son regard se para d’une intense lueur pourpre, qui n’était que le reflet des flammes à ses côtés.

Ellébore : « Merci Semion… »

Le nécromancien se tenait à côté de notre amie, tout aussi sérieux.

La tension était électrique, mais quand Ellébore se tourna vers nous, elle nous montra sa tendresse habituelle.

Ellébore : « Je compte sur vous, Lucéard, Léonce. Sauvez Ceirios pour moi ! »

La force morale dont elle faisait preuve nous avait tous deux galvanisés. Nous nous sentions inarrêtables.

Léonce : « Ça marche ! Quant à toi, fais-lui mordre la poussière pour moi, Ellébore ! »

Il commençait à courir sans la quitter des jeux. Alaia n’avait plus l’intention de les retenir.

Ellébore : « J’en fais mon affaire. »

Lucéard : « Pas de folie, Ellébore, promis ? »

Je n’osai pas revenir sur sa décision, malgré mes doutes. Elle nous avait démontré de telles intentions qu’il m’était impossible de m’opposer à sa décision.

Ellébore : « Ça vaut pour toi aussi. Sois prudent, Lucéard, je t’en prie. »

Nous savions l’un comme l’autre qu’il était trop tard pour être prudent. Mais d’un hochement de tête, nous nous séparions.

Alors que nous nous éloignions au pas de course, Cynom était resté planqué derrière son véhicule, tout tremblant. Il priait pour que tout le monde l’ait oublié.

Mais il sentit bien assez tôt son carrosse bouger. Dans un claquement métallique, les chaînes tombèrent au sol. Quand il entendit le grincement du bois, son sang ne fit qu’un tour. Le chauffeur déglutit en imaginant ce qui venait de sortir du cercueil.

-7-

Bandit : « Qui va là ? »

Des escaliers de pierre usées menaient à une sorte de temple troglodyte éclairé par quelques torches. Un carrosse extrêmement luxueux, au style macabre et pompeux était à l’arrêt. Je l’avais déjà vu auparavant.

Quatre hommes gardaient la porte quand l’un d’eux aperçut deux garçons, accourant armes en main. Ces sbires à l’air patibulaire dégainèrent leurs propres armes.

Bandit : « Pour Mandresy ! »

Leur hilarité tourna court. Léonce et moi les envoyâmes au tapis en quelques instants.

Léonce : « C’est plaisant de se faire des adversaires normaux de temps en temps ! »

Lucéard : « Ne t’habitue pas à affronter plus faible que toi. Combattre des novices comme eux ne nous rendra pas plus fort. »

On pénétra dans une pièce soutenue par de hautes colonnes. Ce genre de salle immensément vide et froide était bien trop appréciée par les hors-la-lois. Celle-ci était longue d’au moins une centaine de mètres, et haute de dix. C’était à se demander quelle obsession avait pu pousser des Hommes à creuser autant dans la pierre.

Musmak : « Bienvenue ! »

L’empereur de la fin obscure profitait de l’acoustique exceptionnelle de cet endroit pour nous accueillir. Il était à l’autre bout, au sommet de quelques marches qui menaient à une étroite porte.

Un de ses larbins venait de partir avec Ceirios sur le dos.

Notre hôte devait être en train de donner ses instructions à ses plus fidèles éléments, avant d’être interrompu par notre arrivée.

Laukai, Lothaire, et Mandresy étaient face à leur chef, puis se tournèrent vers nous.

Avons-nous seulement une chance contre ces quatre-là… ?

Le souvenir de la hardiesse de Ceirios me revint en mémoire, tout comme la volonté inaltérable d’Ellébore.

Peu importe, au fond.

Nous n’étions plus d’humeur à hésiter. Léonce s’avança, hachoir sur l’épaule. Dans son regard, on pouvait lire qu’il ne voyait que la victoire à l’issue du combat qui s’annonçait.

Léonce : « Mince, voilà qui est inégal ! »

Laukai dégaina son katana lentement, comme pour nous mettre en garde.

Laukai : « Vous ne pouvez pas vous attendre à être trois fois plus nombreux que vos adversaires à chaque fois. Battez-vous avec dignité ! »

J’avançais à mon tour, leur révélant Caresse.

Lucéard : « Pas mal du tout ce conseil. Tu ferais peut-être bien de le garder pour toi ! La dernière où l’on s’est vu, vous étiez à cinq contre moi seul, et ça ne vous a pas empêché d’échouer ! »

Léonce : « Ouh ! T’y vas pas de main morte, Lucéard ! Mais t’as pas tort. Laukai, t’as pas arrêté de faire des coups bas pendant notre combat. C’est clairement toi qui a besoin de leçon de dignité ! Et je pense que le moment est bien choisi pour ça ! »

Même sans pouvoir voir le visage de notre adversaire, il ne faisait aucun doute qu’on avait touché à son point sensible.

Musmak riait, courbant excessivement son dos en arrière pour faire résonner sa joie grinçante.

Musmak : « Dire que j’étais supposé te ramener en vie à notre grand chef dès ce soir ! Et te voilà, Lucéard ! Le dîner s’est servi de lui-même ! J’aimerais tant assister à votre rencontre, mais le rouquin et moi avons tellement de choses à nous dire ! »

Il était sur un petit nuage. Et il ne bluffait pas. Le supérieur des cinq empereurs était là. J’aurais pu déduire ça plus tôt, mais je ne réalisai que maintenant que la situation était bien pire que prévu.

Léonce : « Super… ! Y a un type encore plus balèze que Musmak dans le coin, quelle veine ! »

Ironisait-il tandis que j’assimilais l’information.

Lucéard : « …Celui qui a commandité tout ça est ici… Le type qui ne cesse de s’acharner sur ma famille depuis plus de dix ans est quelque part dans ce temple… »

Léonce sentait bien que je me laissais déborder par mes émotions, mais ne pouvait rien faire de plus que de m’observer avec inquiétude.

Musmak : « Bon, sur ce, je vous laisse ! Mais peut-être que je devrais vous préciser que si personne ne se lance à ma poursuite dès maintenant, il sera trop tard pour sauver votre ami ! Heureusement, je suis de bonne humeur, alors je t’autorise exceptionnellement Lucéard, toi et toi seul, à me suivre ! »

Mandresy était visiblement déçu par la proposition du chef.

Lucéard : « …Quoi ? »

La décision me revenait. Et je savais à quoi m’en tenir.

Léonce : « Woh woh ! Me dis pas que tu vas tomber dans le panneau ?! C’est totalement un piège pour t’isoler, Lucéard ! »

Je gonflai les joues, offusqué qu’il me sous-estime de la sorte.

Lucéard : « Sans blague ! Mais ça ne change rien, je ne peux pas me contenter de rester ici en espérant qu’il bluffe. »

Mon ami comprit mon raisonnement, mais n’était pas rassuré le moins du monde.

Lucéard : « Il n’est évidemment pas question d’affronter Musmak ou son supérieur de front. Mais je peux sans doute vous faire gagner du temps. Je n’ai pas de meilleure solution. »

Léonce grogna.

Léonce : « Rah, bon, j’ai compris ! Mais ta priorité numéro 1, c’est de pas mourir, d’accord ?! »

Lucéard : « Tu me connais, les stratagèmes fourbes et la magouille, c’est mon terrain de prédilection ! Je les retiendrais assez longtemps. Et peut-être même que je ramènerais Ceirios avant la fin de ton combat ! »

Léonce : « Ouais, bon, t’enflamme pas trop ! »

Lucéard : « Essaye d’y aller mollo avec eux, hein ? »

Lui lançai-je avant de me lancer à la poursuite de Musmak.

Léonce : « Je promets rien ! »

En me voyant m’approcher, Musmak s’enfuit comme si nous étions en train de jouer à chat, laissant traîner le bas de sa robe derrière lui.

Laukai et Mandresy s’écartèrent à contrecœur. Lothaire était trop occupé à s’essuyer les yeux pour se soucier de moi.

Léonce : T’as intérêt à pas me faire regretter de t’avoir laissé partir, l’ami.

Les sbires de Musmak s’approchèrent de Léonce. Mandresy se faisait une joie d’avoir malgré tout une proie à tuer.

Le hachoir frappa contre la roche au sol, assurant à ses ennemis que Léonce était prêt.

Mandresy : « Tu te rends compte de la situation dans laquelle tu t’es fourré ? Tu aurais pu rester chez toi, plutôt que de te mêler de ça ! »

Ce répugnant personnage jubilait face à l’inconscience de Léonce.

Mandresy : « Tu es face à trois adversaires infiniment plus forts que tu ne le seras jamais ! Tu n’es même pas mage ! Tu n’as rien éveillé du tout ! L’écart entre toi et nous est immense ! Tu ne le ressens pas ?! »

Mon ami empoignait son hachoir à deux mains, et le pointait dans la direction de ses adversaires. Son sourire ravageur en disait long sur la façon dont il appréhendait ce combat.

Léonce : « Et alors quoi ? Vous avez peur, c’est ça ?! »

Il se mit en garde, déterminé à les vaincre.

Léonce : « Parce qu’à votre place, je serais terrifié ! »

Cette réaction fit trembler de joie, Mandresy. Son excitation de tout à l’heure lui revenait.

Mandresy : « Oh oui ! C’est des gens comme toi que je veux tuer ! »

Sa dentition effroyable s’agitait de nouveau, la répartie de Léonce l’avait convaincu.

Lothaire pliait proprement son mouchoir avant de le ranger dans sa poche. Laukai gardait la paume au-dessus du fourreau de son katana, tout en avançant à pas de velours.

Laukai : « Ton insolence n’a donc pas de limite ? Que crois-tu pouvoir faire contre nous ? »

Léonce : « Je vous laisse la surprise. Mais rassurez-vous, vous n’allez pas tarder à le découvrir ! »

Avant qu’il ne puisse s’élancer, des bruits de pas derrière lui interrompirent mon garde du corps.

Baldus : « Désolé gamin, je vois bien que tu veux faire le malin, mais aujourd’hui, on est en supériorité numérique, alors profite ! »

Ils étaient désormais sept contre trois.

Duxert et Brakmaa se dressaient face à Lothaire. Ils avaient un compte à régler avec lui. La petite grand-mère derrière eux rangea sa pipe dans ses cheveux, l’air malicieux.

Nÿzel et Frem se lancèrent un regard entendu avant de s’avancer vers Laukai et Mandresy qui les attendaient de pied ferme.

Léonce : « C’est sûr que ça ira plus vite comme ça ! Faut qu’on se magne de rattraper Lucéard. Il est parti à la poursuite de Musmak, et le grand chef de l’organisation est là aussi. Il n’y a pas une seconde à perdre ! »

Baldus n’appréciait pas la nouvelle, mais se mit en garde aussitôt, prêt à écourter ce combat.

Baldus : « Vous avez entendu les gars ?! On leur met la raclée du siècle fissa ! C’est parti !! »

Tous : « Yaaaah !! »

Dans un cri de guerre, les deux factions se lancèrent dans cette bataille à mort.

-8-

J’étais seul dans ce dédale. Je courais d’un couloir à un autre, éclairé par d’éparses cierges qui s’alignaient le long de mon chemin.

Je passais d’escaliers en escaliers au milieu de la roche, guidé par un rire tonitruant.

Musmak : « Hahaha ! C’est presque mieux que ce que j’espérais ! Le prince Lucéard qui se rend de lui-même vers son funeste destin ! Quel privilège ça doit être de périr de ses mains ! Je ne suis pas jaloux cela dit. Ah si ! J’aurais quand même aimé être celui à avoir mis fin à ton existence. »

Sa voix résonnait tout autour de moi. Je pouvais deviner où il allait sans jamais pouvoir le rattraper. J’étais certain qu’il ne faisait que me guider.

Et dire que ce matin encore, tout était si paisible. Nous étions tous les quatre à la Bougie de Sucre. …Je n’arrive toujours pas à réaliser.

Les images de ma rencontre avec Lusio me revinrent, puis celle avec Musmak. Tout ce que j’avais traversé pour les empêcher de nuire. Et aujourd’hui, j’étais au cœur de sa planque. Cette mission suicide n’aurait su faire faiblir mon pas. Je comptais presque naïvement rentrer chez moi avec Ceirios et tous les autres, sans exception.

Je n’ai pas le droit d’échouer. Ils se battent tous en ce moment-même. Ils risquent leur vie.

Des souvenirs bien plus lointains me revinrent. Des funérailles sous la pluie. Ma famille rassemblée au milieu de centaines de personnes. Le portrait souriant de ma mère.

Il est là. Il est à quelques mètres de moi. Je n’avais qu’à peine imaginé le rencontrer un jour. Tout ça me paraissait encore si loin. Je ne connais pas la moitié de ses exécutants, mais mon seul véritable ennemi, c’est lui. Bien que je ne connaisse rien de ses intentions, il ne fait aucun doute que c’est un démon, un démon qui a su faire se plier des monstres comme Lusio et Musmak à sa volonté. Il détient toutes les réponses que je cherche.

Je profitais de cet échauffement pour calmer mon esprit.

Il ne faut pas que j’y compte. Je ne dois pas l’affronter. Je dois même éviter de le croiser si possible. Je dois juste retrouver Ceirios. Tout le monde est en danger aussi longtemps que Ceirios n’est pas sain et sauf. Il me suffit de le ramener, et nous pourrons rentrer !

Et pourtant, je me jetais dans la gueule du loup. Je savais au fond de moi où menait ce chemin. La suite des événements était inéluctable.

Je me suis tant entraîné… Je ne pourrais pas accepter que tout ça ait été en vain.

Mes souvenirs dans la forêt d’Azulith me revenaient à leur tour. Toutes les épreuves, les déceptions, les succès. La douleur et la sueur.

Musmak : « N’as-tu pas hâte, Lucéard ? »

Excité comme un gamin, je l’entendais encore autour de moi.

Musmak : « J’aimerais tant assister à ça ! »

Ses mots s’infiltraient dans mon esprit, comme un poison. Les battements de mon cœur s’intensifiaient lorsque j’essayais de deviner la silhouette de mon ultime ennemi.

Musmak : « Mais nos chemins se séparent ici ! Moi qui suis un éternel rêveur, j’espère que ce n’est qu’un au revoir ! Mais soyons réaliste : Adieu ! »

Ses railleries se firent progressivement distantes.

Je me retrouvais dans un long corridor dépourvu de torche. Au bout de celui-ci, une porte de bois était gonflée par l’humidité.

Je le ressentais : c’était l’endroit où il voulait que j’aille, la pièce où je ne devais surtout pas aller.

Pourtant, j’avançais sur ces étranges dalles. Leur ouvrage était complexe, et leurs motifs travaillés. Chaque mètre représentait des jours de labeur.

Peut-être comptait-il me faire rebrousser chemin. Il savait que je me montrerais méfiant après tout ce qu’il m’avait dit.

Je pariais là-dessus, et me retrouvai la main sur la froide poignée de fer.

Après un grincement diffus, j’aperçus la faible clarté de cette nuit de pleine lune. L’air était frais. J’étais pourtant encore cerné par des murs.

Chacun de mes pas recevait la réponse de l’écho.

Autour de moi, une architecture massive et sombre m’indiqua immédiatement où je me trouvais.

Les piliers et les murs étaient hauts et majestueux. Mes pieds se posèrent sur la tapisserie usée qui traversait l’édifice dans toute sa longueur.

J’observais en silence les vestiges de cette religion perdue.

J’étais entré par la petite porte qu’empruntaient les ecclésiastiques de cet autre temps. Bien assez tôt, je pouvais discerner les grands vitraux opaques, parfois brisés, ainsi que le trou béant dans le toit depuis lequel la lune éclairait le centre de la cathédrale.

Les bancs de bois ouvragés étaient vermoulus, à peine la moitié d’entre eux se tenaient encore debout face au chœur dans lequel je me trouvais. Derrière l’autel que je venais de dépasser s’élevait un imposant orgue, plongé dans la pénombre.

Je descendais les quelques marches une à une, découvrant la nef. Je n’entendais que le son de mes propres pas étouffé par le tapis.

Autour de moi, d’imposantes fresques, dont on ne pouvait plus discerner que des martyrs, se dressaient sur chacun des murs.

La grande double-porte face à moi s’ouvrit dans un son tonitruant, mettant fin à cette paisible visite.

Je ne pouvais pas la voir d’ici, car la lueur de la nuit n’atteignait qu’une partie des bancs, et quelques mètres du tapis central.

???: « …Enfin. »

Mon cœur se serra subitement. Il aurait pu en exploser aussitôt. Cette voix à l’instant… Elle était féminine.

???: « Cette farce a bien assez duré, et j’en suis lasse. »

Arrivé au bout des marches, mes jambes s’étaient engourdies. Je n’osais plus bouger. Les pas qui résonnaient n’étaient plus les miens.

???: « Tu devais mourir par ma main, c’était écrit. Le zèle de ceux que j’ai nommé empereur était regrettable. Mais heureusement, leur incompétence t’a permis de te retrouver face à moi, une dernière fois. »

Je n’osais plus respirer. Mes mains étaient moites et tremblantes.

???: « Quelle délivrance de voir cette comédie arriver à son terme, de la plus belle façon qui soit. »

Son ton était serein. Je ne parvenais pourtant pas à lui répondre, tant j’étais pétrifié par sa seule existence. Mes pupilles comme mes lèvres frissonnaient. Mes jambes vacillaient.

???: « Oui, Lucéard. C’est le visage que j’espérais voir depuis si longtemps. Quelle joie de constater que le voile est déjà tombé. »

Dans encore quelques pas, son visage serait révélé par le grand astre lunaire.

???: « Tu n’as pas besoin de savoir pourquoi, mais ce soir, tu disparaîtras. C’est ce que j’ai toujours attendu. »

Ses jambes fines m’apparurent en premier. Sa silhouette se dessinait peu à peu.

???: « Ta mort m’est indispensable, tout comme l’était cette mascarade. »

Je vis ensuite sur sa robe sombre, parés de larges rubans noirs, le symbole des cinq empereurs.

Lucéard : « … »

Bien assez tôt, je pouvais voir son cou pâle, puis son sourire si familier.

???: « Et y a t-il plus belle soirée que celle-ci pour d’aussi grandes retrouvailles ? Ne penses-tu pas cette scène parfaite pour des adieux tant attendus… »

…Son visage…

Nojùcénie : « …Mon frère ? »



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