Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Nous nous regardâmes, le visage décomposé.

Le fer versé entre les briques rendait l’ensemble aussi solide que du béton armé. Nous aurions beau être équipés d’une masse et nous trouver sur un terrain plat, cela ne servirait à rien. À plus forte raison dans notre situation.

De plus, il y avait au moins sept autres couches de ce type par-dessus, toutes reliées les unes aux autres. À moins de disposer d’un équipement moderne, il était absolument impossible d’espérer les traverser.

J’en fus contrarié, conscient que j’étais le seul à blâmer pour n’avoir pas envisagé cette possibilité. Les plafonds plats ne résistant pas aussi bien à la pression que les voûtes, il avait bien fallu trouver quelque chose pour renforcer les briques. Or dans les tombes datant de la dynastie Ming, il n’y avait qu’un seul moyen pour ce faire : verser du fer fondu entre les joints afin de sceller hermétiquement l’endroit. Je m’étais fié à un vieux carnet et à mes connaissances limitées en matière de construction pour échafauder notre plan d’évasion, mais au final, je ne savais rien. Je n’avais fait que débiter des stupidités et nous allions en pâtir.

― Et maintenant, Camarade Architecte ? Tu as d’autres idées ? Demanda Gros-lard.

Je voulais encore tenter ma chance.

― Que pourrions-nous faire d’autre ? N’abandonne pas, tente de faire un trou avec le pied du miroir. Ce plafond a plus de deux cents ans, je doute qu’il soit encore aussi solide.

Ne me voyant pas paniquer, le gros homme, qui ne se doutait pas de la gravité du problème, se remit à frapper la couche de brique. Celles-ci étant creuses, elles furent faciles à casser, mais il restait ces bandes de fer solidifié. Il eut beau frapper de toutes ses forces, il ne parvint à y laisser que quelques marques.

― Impossible. Ces bandes de fer sont aussi épaisses qu’une paume de main. On pourrait foncer dessus avec un camion de la Libération qu’elles ne bougeraient pas.

Après avoir moi-même tenté de les frapper au point d’en avoir les mains engourdies, je compris que la force brute n’y suffirait pas. Découragé, je leur dis :

― Il semblerait que nous ayons sous-estimé la technologie des Anciens. Ils ont utilisé un fer si pur pour sceller ces joints qu’il est impossible de casser ces bandes durcies.

― Et si on s’acharnait dessus ? suggéra le gros. Les anciens ne disaient-ils pas qu’à force d’œuvrer, on peut faire d’un pilon de fer une aiguille ?

― Laisse tomber ou nous risquons tous de finir ici. Nous n’avons que vingt minutes devant nous avant que la marée ne commence à refluer. Nous serons morts bien avant que tu n’aies terminé.

― Dans ce cas, qu’est-ce qu’on est censés faire ? ! s’exclama Gros-lard, furieux. Tu n’as pas entendu ce que cette femme a dit ? La saison des typhons va bientôt commencer et ça va durer au moins une semaine. Si nous ne sortons pas d’ici maintenant, nous resterons coincés ici tout ce temps. Il marqua une pause puis reprit : Sept jours ! Si ce n’est pas d’asphyxie, nous mourrons tous de faim.

J’étais parfaitement conscient de la gravité du problème.

― Vous avez beaucoup plus d’expérience que moi dans ce domaine, leur dis-je. Que feriez-vous si, dans des circonstances normales, vous tombiez sur ce genre de mur ?

Le gros et Poker-face ne prirent même pas le temps de réfléchir.

― Des explosifs ! S’écrièrent-ils à l’unisson.

Devant ma stupéfaction, Gros-lard m’expliqua :

― Ne sois pas surpris. Ce genre de mur est bien plus solide que tu ne le penses. J’ai pillé des tombes de ce genre un bon nombre de fois. Si je me heurtais à des murs comme celui-là en creusant mon tunnel, le seul moyen était d’utiliser des explosifs.

Je me sentais minable. Certes, il disait vrai, mais où étions-nous censés trouver des explosifs dans ce tombeau vieux de plusieurs siècles ? Brusquement, je me souvins qu’A Ning, avant que je n’entre dans l’eau, m’avais demandé si je voulais emporter des explosifs. Encore un peu traumatisé par l’explosion qui s’était produite au Palais du Roi de Lu, j’étais si réticent que j’avais jeté ceux-ci dans la cabine du bateau. Je regrettais vraiment mon geste. Si Oncle San avait été présent, il les aurait certainement emportés.

En y repensant, je réalisai à quel point mon raisonnement était naïf. S’il y avait une prochaine fois, je ferais en sorte de ne pas agir de manière aussi puérile.

Voyant que nous n’avions aucun espoir de nous échapper par le haut, je n’eus d’autre choix que d’abandonner.

― Je crois que nous allons devoir renoncer à cette idée d’explosif, prendre un peu de temps pour réfléchir et trouver une autre approche.

― Nous ne sommes donc plus pressés par le putain de temps ? demanda le gros. Il nous reste moins de vingt minutes, non ? Si vraiment c’est sans espoir, retournons par où nous sommes venus. La chambre auriculaire et notre équipement de plongée sont peut-être revenus.

J’acquiesçai de la tête. Même si je n’avais vraiment pas envie de retourner dans ce tunnel de pilleurs – la seule pensée d’affronter une nouvelle fois ce monstre suffisait à me donner la migraine – il n’y avait pas d’autre issue.

― Attendez ! s’écria soudain Poker-face. Restez ici et ne bougez pas ! Je crois savoir où nous pourrions trouver des explosifs !

Avant même que nous n’ayons eu le temps de réagir, il relâcha la corde et se laissa glisser le long du pilier.

Le gros me lança un regard confus et je secouai la tête : moi non plus, je n’y comprenais rien.

Poker-face étant du genre sérieux, il était impossible qu’il veuille nous faire une blague, mais je ne voyais vraiment pas où, dans cette tombe ancienne, il espérait trouver des explosifs. Comme nous, il était en sous-vêtements. Il n’avait donc pas pu les cacher sur lui. Je le regardai sauter du pilier et se précipiter vers le centre de la pièce, là où se trouvait la maquette du palais céleste. Suivant des yeux le faisceau de sa lampe torche, je le vis bondir sur la plate-forme, s’accroupir devant la momie en méditation et se mettre à tâtonner. De toute évidence, il cherchait quelque chose.

Cette momie était sans doute le corps doré dont il avait parlé plus tôt, mais je n’avais aucune idée de ce qu’il espérait y trouver. Cependant, après réflexion, j’eus une révélation. Mais c’est bien sûr !

Poker-face souleva avec précaution le corps momifié. Celui-ci ne pesant guère plus lourd qu’un tas d’os, il n’eut guère d’efforts à fournir.

― Mais qu’est-ce qu’il fait ? demanda le gros.

― Je pense qu’il y a peut-être un mécanisme dans cette momie, lui répondis-je. Le damaru (1) agit probablement comme un déclencheur et il se peut qu’il y ait des explosifs à l’intérieur. Si tu manques de respect envers le cadavre et tentes de dérober les trésors qu’il contient, il peut exploser.

― Comment peut-il savoir ça ?

― Il a pu le découvrir il y a vingt ans, quand il a examiné le corps. Mais n’oublie pas qu’il a dit « je crois savoir », ce qui signifie qu’il n’en est pas certain. Le seul problème, c’est que nous ne savons pas si ces explosifs, vieux de plusieurs siècles, fonctionneront encore.

Pendant que je parlais, Poker-face avait déjà déposé la momie au pied du pilier.

― Venez m’aider.

Pensant que Gros-lard aurait bien trop de mal à descendre et à remonter, je lui recommandai de ne pas bouger. Poker-face chargea la momie sur mon dos, l’attacha avec une corde et me dit :

― Ne heurte rien, surtout. Si le mécanisme fonctionne encore, il se déclenchera immédiatement.

Lorsque je vis de près ce corps doré, ma première pensée fut que la description de Petit Frère était très éloignée de la réalité. La momie avait noirci au point qu’elle en était presque luisante et elle ressemblait plus à une sculpture taillée dans un matériau brillant qu’à un cadavre fait de chair. Ses muscles étaient asséchés et le creux qu’ils formaient à la commissure de ses lèvres lui conféraient un demi-sourire qui me donnait la chair de poule. En bref, ce corps ne ressemblait en rien à l’un de ces vieux moines que l’on peut voir dans les temples. Il s’en dégageait une impression très inquiétante.

Craignant de le toucher, je demandai aussitôt à Poker-face :

― Tu es sûr que ce cadavre est normal ? On dirait qu’il prépare quelque chose. Regarde son visage, pourquoi est-il si… si…

― Maléfique ? Je n’en ai aucune idée. Ce cadavre met les gens mal à l’aise, mais il est si desséché qu’il n’y a aucun risque qu’il se transforme en Zombie.

Si j’en avais des sueurs froides, j’acquiesçai de la tête.

― C’est bien. Es-tu sûr que les explosifs qu’il contient sont encore utilisables ?

― Oui, si le damaru fonctionne. La seule chose qui m’inquiète, c’est la vétusté du mécanisme.

Cette momie sur mon dos me mettait mal à l’aise, en particulier ses longs ongles qui pendaient devant mon visage, une vision si terrifiante que j’en avais les jambes en coton. Cela me fit penser aux « conducteurs de cadavres » dans le Xiangxi (2). Comme moi, ils les portaient sur leur dos, à la différence près que six couches de vêtements les isolaient du mort. Il n’en allait pas de même me concernant. Non seulement la momie était nue mais comme j’étais en sous-vêtements, je pouvais sentir sa chair sèche sur ma peau. C’était bigrement froid.

Mais je ne pouvais rien y faire dans l’immédiat. Heureusement que l’éclairage était suffisant pour empêcher que mon imagination ne s’emballe. Les dents serrées, je me mis à grimper pas à pas en me répétant que ce que j’avais sur le dos n’était rien d’autre qu’un sac. Poker-face me suivait, prêt à me rattraper au cas où je viendrais à glisser et à tomber.

J’avais gravi cinq ou six « marches » lorsque j’eus soudain l’impression que quelque chose clochait avec la momie. On aurait dit qu’elle avait un peu grossi. Je fis une halte pour tenter de comprendre ce que j’avais ressenti, mais la sensation avait disparu.

Je baissai les yeux vers Poker-face. Etant donné qu’il était juste en dessous de moi, il l’aurait vu immédiatement si quelque chose d’étrange s’était passé concernant le cadavre, mais manifestement, il n’avait rien remarqué.  Étais-je trop paranoïaque ?

Cela n’avait rien de surprenant.  Il aurait été difficile de ne pas l’être avec un tel fardeau sur le dos.

J’entendis alors Gros-lard m’encourager d’en haut. J’étais si nerveux que mes jambes tremblaient un peu, mais je devais continuer. Pressé d’en finir au plus vite, je me fis violence pour grimper les dernières « marches » et atteignis enfin le haut du pilier.

Mon imposant compagnon, qui avait pourtant vu d’innombrables cadavres dans sa vie, fut déstabilisé en observant la momie. C’était une chose que de suspendre un cadavre à l’aide d’une corde à une distance de l’ordre de deux ou trois poings, mais avoir avec lui un contact presqu’aussi intime que celui de deux personnes enlacées dans un slow en était une autre. Ça n’allait pas être une partie de plaisir.

Rassemblant mon courage, je lui dis :

― Attache ça au plafond et redescends aussitôt. Nous le ferons exploser d’en bas. Si le mécanisme à l’intérieur fonctionne toujours, il ne devrait pas y avoir de problèmes.

Gros-lard leva les yeux :

― Tu te moques de moi ? A quoi suis-je censé l’attacher ? Quoi, tu veux que je suive l’exemple de Dong Cunrui ? (3)

En effet, il n’y avait rien au plafond qui puisse permettre d’y accrocher la momie. Or, si nous voulions tirer parti de toute la puissance de l’explosion, il nous fallait absolument l’attacher au plus près des barres de fer. C’était effectivement un problème.

Je réfléchis un moment et lui dis :

― Si ça ne marche pas, attache-le tête en bas à ce pilier. Mais fais vite. C’est presque l’heure.

Le gros homme ôta précautionneusement la momie de mon dos et l’installa sur le pilier.

― Hé, c’est étrange. Pourquoi ce cadavre a-t-il une queue ?

Notes explicatives :

(1) La damaru est un petit tambour que les lamas tibétains tiennent dans leurs mains et qu’ils secouent d’avant en arrière.

(2) Dans le Xiangxi, il existe une pratique spéciale selon laquelle certaines personnes appelées « conducteurs de cadavres » sont chargées de transporter chez elles les dépouilles de personnes locales décédées. Ils mettent le cadavre sur leur dos et, en voyageant de nuit, le transportent chez les parents de la personne pour l’enterrer. S’il y avait plus d’un cadavre, ils utilisaient des perches de bambou pour passer sous les aisselles des cadavres et attachaient leurs bras aux perches. Ensuite, les deux conducteurs de cadavres mettaient les extrémités des perches sur leurs épaules et portaient leur chargement. La dureté du bambou le faisait osciller de haut en bas lorsqu’il se déplaçait, ce qui faisait aussi osciller les cadavres et donnait l’impression qu’ils étaient réanimés et qu’ils bougeaient, ce qui donna ensuite naissance à la légende des zombies.

(3) Dong Cunrui était un soldat communiste chinois de l’Armée populaire de libération pendant la guerre civile chinoise. Il s’est fait exploser afin de détruire un bunker du Kuomintang qui gardait l’approche d’un pont important dans le comté de Longhua (il n’y avait pas d’endroit pour positionner efficacement les explosifs et il s’est donc sacrifié).



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