Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Poker-face n’avait pas plutôt évoqué ces cloches qu’aussitôt, le souvenir de ce qui s’était passé quelques semaines auparavant me revint. 

Alors en route pour le Palais du Roi de Lu, nous avions traversé une grotte et attrapé un gros insecte mangeur de cadavres. Il avait une cloche semblable à celles-ci accrochée à la queue avec, à l’intérieur, un gros mille-pattes vert. Lorsqu’il rampait, la cloche se mettait à tinter et on aurait dit que des fantômes chuchotaient. Ce son exerçait sur nous une emprise mystérieuse qui nous ensorcelait. Mais c’était sans compter sur la vivacité d’esprit de Poker-face qui, d’un coup de pied, nous jeta à l’eau ce qui nous fit recouvrer la raison.

Oncle San avait ensuite examiné la cloche et nous avait dit qu’elle provenait d’une dynastie antérieure à celle des États Belligérants, cependant il ignorait laquelle. La situation étant grave, je ne m’étais pas attardé sur ce détail, surtout que ce qui se produisit ensuite dans cette tombe fut un véritable cauchemar. Heureusement, nous ne sommes pas devenus fous.

Je ne me souvenais pas avoir vu ce genre de cloches ailleurs, mais maintenant que je voyais celles de l’arbre, je n’étais plus vraiment certain qu’elles soient identiques. Tout comme la pièce dans laquelle nous nous trouvions, la grotte aux cadavres n’était, à l’époque, que faiblement éclairée par des lampes de mineur et il n’avait pas fallu longtemps à Grande-gueule pour réduire la cloche en miettes. En bref, il était impossible de comparer les deux, je ne pouvais donc les considérer que d’un point de vue plus général.

Si elles avaient été semblables et que le gros l’ait touchée à l’instant, les choses auraient pris une terrible tournure. Dans la grotte, une cloche suffisait à tous nous ensorceler au-delà de tout contrôle et il y en avait au moins quarante ici. Impossible de savoir ce que la moindre secousse pourrait déclencher. 

Constatant que je m’en souvenais, Poker-face me dit :

― Il y avait autre chose d’étrange au sujet de cette grotte à cadavres. À l’origine, c’était une immense tombe, mais j’ignore ce qui la relie à Wang Zanghai.

Le gros, qui nous avait déjà entendu aborder ce sujet, connaissait l’origine de ces cloches : 

― Vous êtes sûrs de ne pas vous tromper ? Étrange coïncidence qu’un objet datant d’avant la période des Royaumes Belligérants se retrouve ici, dans une tombe datant de la fin des Yuan ou du début des Ming. (1) Et si ce Wang Zanghai était aussi un pilleur de tombes ?

Poker-face et moi nous figeâmes.

― C’est possible, dit Poker-face, nul ne sait ce qu’il a fait dans ses premières années et il était compétent en Feng Shui. Il aurait été facile pour lui de piller des tombes. Mais j’ai souvenir que sa famille a eu un passé assez prestigieux et qu’elle maîtrisait le Feng Shui depuis plusieurs générations. N’ayant pas à se soucier de leur gagne-pain, jamais ils n’auraient fait un travail aussi honteux.

Poker-face avait prononcé ces derniers mots sans ciller. On aurait dit qu’il ne se rendait pas compte qu’en qualifiant ainsi ce job, il nous insultait.

― C’est impossible à mon avis, répliquai-je. Si c’était un pilleur de tombes, il aurait certainement laissé dans la sienne un signe à l’attention des générations futures afin qu’elles l’évitent. As-tu vu quelque chose de ce genre ici ? 

― J’ai cherché, mais je n’ai rien trouvé.

Ses connaissances dans ce domaine étant inimaginables, s’il disait qu’il n’y avait rien, cela devait être vrai. 

― Alors comment expliques-tu la présence de ces cloches ? demandai-je. Se pourrait-il qu’il ait été lui-même un collectionneur d’antiquités et qu’il ait enseveli sa chère collection ici, avec lui ?

― Nous n’avons pas vu d’autres antiquités en chemin, donc ça ne colle pas non plus. Je pense qu’il y a une autre explication, dit Gros-lard avec un air suffisant. Il n’y a pas que les pilleurs qui s’intéressent aux tombes anciennes. Vous voyez de qui je veux parler ?

Je compris aussitôt :

― Tu veux dire qu’elles ont été déterrées sur un site de construction alors qu’il travaillait sur un projet ? Lui dis-je.

― Oui, et il n’y a rien d’étonnant à cela. Cet homme était le plus grand entrepreneur à l’époque. Quand nous serons sortis d’ici, tu pourras y retourner et voir s’il s’est rendu au Temple des Semences à Shandong.

Ce que disait le gros était logique et en cela je l’admirais un peu, mais la seule chose dont nous étions certains, c’était qu’il ne fallait pas toucher à ces cloches. A Ning avait très bien pu toucher le corail et les faire sonner, ce qui aurait provoqué son problème mental. Quel genre d’hallucinations ces cloches avaient-elles bien pu produire dans son cerveau pour avoir un effet aussi puissant ?

En général, les gens sont facilement réceptifs aux suggestions, mais c’est pire encore lorsque vous vous trouvez dans une tombe à l’atmosphère mystérieuse et que vos nerfs sont déjà un peu fragiles. N’importe qui deviendrait fou. L’amnésie de Poker-face avait pu être causée par ces cloches elle aussi. J’avais en effet découvert qu’elles étaient reliées par des fils de cuivre à des endroits précis du corail. Et celui-ci étant creux, c’était un excellent propagateur de sons. Cette chose s’apparentait donc plus à un instrument de musique : elle pouvait produire des milliers de sons, dont un capable de faire tout oublier.

Mes idées étaient un peu farfelues, aussi étais-je trop gêné pour les exprimer à voix haute. Nous restâmes tous les trois plantés là un moment, puis Patapouf intervint :

― Il semblerait que les cloches au bout de ce passage ne soient qu’une autre ruse pour attirer les gens. Pourquoi ne pas faire demi-tour ?

Beaucoup plus détendu depuis que j’avais acquis la certitude qu’il n’y avait ni monstres ni fantômes dans ce passage, je n’étais pas pressé de quitter cet endroit. Mais ayant consulté ma montre, je réalisai qu’il était presque l’heure de la marée basse et qu’il ne fallait pas s’attarder ici. Nous revînmes donc tous les quatre sur nos pas.

Deux choses me tracassaient encore. Tout d’abord, si Poker-face était entré dans ce trou vingt ans auparavant, c’était à cause d’Oncle San. Où donc étaient passés ceux qui avaient perdu connaissance en même temps que lui ? Mon oncle les avait-il fait sortir de cette tombe ?

Ensuite, quand Petit Frère était entré dans le trou, il avait senti une odeur très étrange qu’on ne sentait plus désormais. Cela voulait-il dire qu’il y avait quelque chose d’autre dans le trou à cette époque ?

On ne pourrait répondre à tout ceci qu’une fois oncle San retrouvé. Mais il avait bel et bien disparu et je ne savais pas si nous le reverrions un jour. Ces questions resteraient-elles éternellement un mystère ?

Si, comme le gros l’avait dit, mon oncle avait été possédé par un fantôme dans cette tombe, où aurait-il bien pu aller ? Quand il avait vu la photo avec Poker-face et dit « Je comprends », qu’avait-il compris exactement ?

En y réfléchissant, j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose au puzzle et je ne pouvais me défaire du sentiment qu’un seul petit indice me permettrait de relier toutes ses pièces. Mon instinct me soufflait que cette chose était certainement liée au Palais du Roi de Lu aux Sept Étoiles.

J’étais perdu dans mes pensées lorsque nous sortîmes du court passage. Le gros déposa A Ning sur le sol et nous dit :

― C’est bientôt l’heure. Mettons-nous au travail.

Sachant que notre fuite était une priorité absolue, je mis temporairement mes réflexions de côté et réitérais mes explications. N’ayant encore jamais vraiment percé le plafond d’une tombe de la dynastie Ming et ne me sentant pas très confiant, je décidai de procéder étape par étape.

Nous nous conformâmes donc au plan. Le gros, qui réfrénait depuis un moment son enthousiasme, s’empara d’un des pieds des miroirs et tenta de creuser un point d’appui dans l’un des piliers. Mais il avait sous-estimé la dureté du bois de nanmu doré. Après plusieurs tentatives, il était à bout de souffle et n’avait réussi à faire qu’une petite entaille.

― Jeune Wu, ce pilier est trop dur. En nous y prenant comme ça, il nous faudra une semaine pour arriver au sommet.

― Ne t’inquiète pas, lui dis-je pour le rassurer. Une fois franchie la couche extérieure, celle qui vient après sera plus facile.

Si le gros était dubitatif, il affermit sa prise sur le pied du miroir et de toutes ses forces, se remit à frapper le pilier. Au début, il n’y eut guère de progrès mais après quelques coups, il parvint enfin à percer la couche de bois aussi dure que le fer et à creuser une entaille suffisamment grande pour y placer le pied.

Je me souvins alors brusquement que le trou dans lequel nous nous étions aventurés était un cul-de-sac. L’eau qui s’y déverserait ne pourrait donc s’infiltrer que par les joints entre les briques. Il n’y avait donc pas lieu de craindre un tourbillon. N’ayant plus à me soucier de savoir comment boucher le trou, j’attrapai un autre pied de miroir et allai prêter main forte à Gros-lard. Mais au bout de deux coups, je dus me rendre à l’évidence : ce travail était fait pour lui. Non seulement il était fort, mais il avait une grande endurance. Après toutes les épreuves qu’il avait traversées, il était encore plein d’énergie, d’entrain et ne montrait aucun signe de fatigue. Nous avions commencé à œuvrer en même temps mais personnellement, j’étais si épuisé que c’était à peine si je pouvais lever les mains.

Nous travaillâmes avec acharnement durant environ trois heures pour créer les espaces nécessaires pour prendre prise avec nos pieds et escalader le pilier. Si ceux du bas étaient parfaits, ceux du haut étaient à peine assez profonds pour y glisser un orteil. Cela s’expliquait par le fait qu’étant contraints de grimper en utilisant les points d’ancrage déjà creusés et suspendus dans les airs, nous ne pouvions pas y mettre toute notre force. Mais peu importait la profondeur de ces derniers du moment que nous pouvions faire ce que nous avions à faire.

Une fois le travail accompli, nous enlevâmes nos combinaisons de plongée et les découpâmes en lanières. Celles-ci étant très élastiques, nous décidâmes de les nouer ensemble pour former une corde, puis d’enrouler celle-ci autour du pilier afin qu’elle fasse office d’élingue, tout comme le faisaient les Mexicains qui grimpaient aux arbres. (2) Nous nous plaçâmes chacun à trois endroits différents, puis tendîmes la corde et commençâmes à grimper.

Je me demandais comment nous allions bien pouvoir arriver au sommet car à chaque mouvement, nous frôlions la mort.  Peu de temps après avoir entamé notre ascension, le gros, fatigué, s’écria :

― Quelle idée avons-nous eue de décider que vous me suivriez ? De toute façon, lorsque l’eau s’engouffrera ici, vous flotterez. Cette corde me serre et j’ai l’impression qu’elle ne va pas tarder à me réduire à l’état d’un morceau de porc Dongpo. (3) Tu ferais mieux de redescendre, jeune Wu, ou je ne tiendrai pas. 

― Tu crois donc que j’ai envie de grimper là-haut ? lui rétorquai-je. Simplement, je ne sais ce qu’il en est réellement et je ne voudrais pas que tu meures. Il y a peut-être, par-dessus le plafond, une couche protectrice de sables mouvants qui, si tu fais un trou, se déversera et ensevelira toute la pièce.

Et je ne mentais pas. Les couches de sables mouvants dans les murs des tombes étaient l’un des moyens les plus courants d’empêcher le pillage. Comme je l’avais expliqué plus tôt, c’était assez efficace. Pour pénétrer en douceur dans une vaste tombe dotée de ce dispositif de sécurité, il fallait creuser un trou de drainage distinct du tunnel et laisser d’abord les sables s’écouler. Il fallait parfois plusieurs jours et plusieurs nuits avant que le sable ne s’évacue complètement du mur, c’était dire la quantité qu’il avait fallu. Mais dans l’immédiat, nous n’étions pas en mesure de creuser un trou de drainage. Si nous nous retrouvions face à une couche comme celle-ci, il nous faudrait trouver une autre issue. Et si, au lieu de sable, c’était un puissant acide ou du kérosène, ce serait pire encore.

Gros-lard, qui avait dévalisé de nombreuses tombes, savait pertinemment que je disais vrai. Il nous fit un signe de la main et les dents serrées, nous nous remîmes à grimper.

Il nous fallut une demi-heure pour atteindre le sommet. Lorsqu’enfin le gros trouva une position stable, il était si épuisé qu’il s’agrippa au pilier et ne bougea plus. 

― Bon sang, si vous continuez à me torturer de la sorte, je vais vraiment y passer.

Nous le laissâmes reprendre son souffle car nous allions avoir besoin de lui pour casser les briques. Alors que, prudemment, je tapais sur le plafond, Poker-face me demanda de poursuivre afin qu’il puisse, avec ses doigts, ressentir les vibrations. Au bout de quelques secondes, il nous dit :

― C’est solide.

Gros-lard ne pouvait se permettre de se reposer plus longtemps. Sans un mot, il se mit à buriner l’argile blanche du plafond. Il craignait d’y aller trop fort, notre corde de fortune n’étant pas très solide. Si elle venait à se rompre, nous chuterions et serions gravement blessés.

Petit-frère et moi attrapâmes ses épaules dans l’espoir que si la corde cédait, nous l’empêcherions de faire une chute de dix mètres. Mais il était si moite de sueur que si réellement il venait à tomber, nous ne pourrions pas le retenir. 

L’argile blanche étant très friable, quelques coups suffirent à en décoller un gros morceau, révélant les briques bleues cachées derrière. Gros lard les examina, poussa un juron et me demanda de les toucher. J’obtempérai et en restai figé de stupeur. 

On avait coulé du fer dans les joints entre les briques.





Notes explicatives :

(1) Rappel : La période des États belligérants s’étend de 475 à 221 avant J.-C., tandis que la dynastie des Yuan s’étend de 1279 à 1368 et celle des Ming de 1368 à 1644.

(2) Je suppose qu’il veut dire comme les cueilleurs de noix de coco.

(3) C’est un plat de Hangzhou qui est fait en faisant frire à la poêle puis en cuisant à feu vif de la poitrine de porc. Le porc est coupé en tranches épaisses, d’environ 5 cm de côté, et doit être composé à parts égales de viande grasse et de viande maigre. On laisse la peau.



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