Les dossiers de l'infirmière scolaire
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Chapitre 1 – Je t’aime, Méduse
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 Les dossiers de l’infirmière scolaire

(The School Nurse Files)

 

 

  • Je t’aime, Méduse

 

 

C’était la saison des pluies. Les courtes vacances d’été touchaient à leur fin, mais les cours de rattrapage avaient commencé.

Dès que Seung-gwon est entré dans l’école, il a immédiatement senti l’odeur âcre des casiers de l’école. Les élèves fatigués par la chaleur se promenaient la mine mécontente et triste, le seul avantage des cours de rattrapage était l’autorisation de porter des vêtements amples. Mais même cela ne rendait pas Seung-gwon heureux : ses meilleurs vêtements étaient une chemise à rayures verticales bleu clair à manches courtes et un pantalon en coton. D’ailleurs, il n’était intéressé que par une seule chose.

Haehyun.

Il était allé à l’école primaire avec Haehyun, puis au collège, et maintenant il se retrouvait avec elle au lycée également. On la surnommait Méduse, car il était facile de voir à travers elle, peu importe ce qu’elle pensait. Heureusement on le disait en anglais “Jellyfish”, et pas de manière directe “Méduse”.

Sinon, je serais quoi ? Amoureux d’une méduse ?

Haehyun était la plus grande cause de migraine pour Seung-gwon. Il était constamment inquiet pour elle. Cette douce créature vivante, d’une nature simple et bienveillante, ne voyait malheureusement que le meilleur chez les autres, alors peu importe qui demandait à Haehyun de sortir avec elle, elle disait toujours oui. Quant à Seung-gwon, il mettait trop de temps à rassembler son courage et perdait à chaque fois l’occasion de lui déclarer son amour. Le premier semestre de la onzième année est passé, et juste au moment où il venait de décider qu’il ne pouvait plus attendre, un certain capitaine de l’équipe de basket est sorti du lot et a claironné à toute l’école qu’il allait avouer son amour à Haehyun. Et elle, évidemment, elle lui trouvait sans aucun doute un bon côté.

Tu ne veux pas du capitaine de l’équipe de basket, Haehyun, qui est un grand garçon qui ne pense qu’à faire des bonds. Ce qu’il te faut, c’est moi, celui qui te comprend à moitié. Je regarde dans tes yeux tous les matins et je sais ce que tu vas choisir au buffet.

Et maintenant, Seung-gwon devait la retrouver de toute urgence. Il avait entendu des rumeurs selon lesquelles les membres de l’équipe de basket avaient apporté des bougies et allaient les disposer en forme de cœur sur la pelouse de l’école.

Pourvu qu’il pleuve. Oui, c’est ça, j’aimerais qu’il pleuve.

Dès que le premier cours a été terminé, Seung-gwon s’est précipité au laboratoire. À tous les coups, elle y serait. Haehyun souffrait de la chaleur, elle aimait donc le sol froid en pierre du laboratoire, et s’allongeait souvent dessus, juste à côté des épais rideaux poussiéreux. Seung-gwon appelait d’ailleurs ce coin “la maison d’été de Méduse”.

— Où crois-tu aller, Jo Seung-gwon ? N’es-tu pas en retard pour ton prochain cours ?

Le titulaire de la classe, le professeur du cours de Hanja, a voulu arrêter Seung-gwon, mais celui-ci a fait semblant de ne pas l’entendre et a accéléré le pas. Bien sûr, ce n’était pas bien de faire ça vis-à-vis de quelqu’un qui boitait, mais impossible pour Seung-gwon de s’arrêter, il avait mieux à faire.

— Sung Haehyun, a-t-il crié en ouvrant la porte du laboratoire.

D’une manière ou d’une autre, il ne pouvait pas s’adresser à elle autrement : il l’appelait toujours par son prénom et son nom de famille, de manière distante. Haehyun n’était pas là.

Suis-je encore arrivé trop tard ?

Il était si désespéré qu’il le ressentit physiquement, ce qui ne lui ressemblait pas du tout.

À ce moment-là, quelque chose d’affreusement pointu s’est enfoncé dans sa peau, au niveau de sa nuque.

 

L’infirmière scolaire a pris une pince à épiler et a retiré de la plaie un objet improbable qui ressemblait à une épine.

— Qu’est-ce que c’est ? a demandé Seung-gwon avec impatience.

Il n’avait pas une minute à perdre, car au moment où il se dirigeait vers le bureau de l’infirmière en serrant son bras contre son cou, il a vu un élève de seconde de l’équipe de basket marcher quelque part avec une guitare. L’infirmière a étudié l’étrange objet et a légèrement remué les lèvres. Seung-gwon aurait juré qu’elle était en train de dire des gros mots.

J’ai dû l’imaginer.

— La blessure n’est pas importante. Cependant, elle pourrait contenir du poison. La peau autour a déjà changé de couleur. On dirait qu’elle commence à s’enflammer. Tu ferais mieux de rentrer chez toi et d’aller à l’hôpital. En quelle classe es-tu ?

— 11e A.

— Je vais le dire à ton professeur principal.

— Non, c’est bon. Je lui demanderai plus tard. S’il ne me laisse pas partir, alors je viendrai vous voir pour un mot.

Et sans rien ajouter, Seung-gwon a filé hors du bureau comme une flèche. L’infirmière marmonna derrière lui, semblant vouloir l’arrêter :

— J’ai déjà enlevé le pic, donc tout devrait bien se passer.

Tous les professeurs en ont après moi aujourd’hui, à croire que c’est une conspiration.

 

L’infirmière scolaire Ahn Eun-young a toujours été heureuse de son travail à l’école. Bien sûr, des problèmes mineurs sont survenus, mais jamais rien de grave. Enfin… jusqu’à aujourd’hui…

Eun-young a fixé l’objet qu’elle venait de retirer du cou du garçon — c’était  vivant.

Elle a grommelé doucement, au bord des injures. Eunyoung savait parfaitement utiliser des mots salés, mais elle se retenait quand elle se trouvait l’école.

Evidemment, elle ne pouvait pas dire au garçon ce qu’elle avait retiré de son cou, elle n’avait pas envie de lui faire peur. C’était une sorte de morceau de griffe, d’os ou d’écaille. Elle avait pu voir le poison se répandre dans les veines du cou du garçon, mais elle avait du mal à déterminer à quel point il était dangereux.

Peut-être aurais-je dû au moins le désinfecter. Sauf qu’un tel empoisonnement ne peut pas être neutralisé avec de l’alcool. Avec un peu de chance, il tiendra le coup jusqu’à ce que j’attrape le propagateur du poison.

Eun-young était vraiment inquiète pour Seung-gwon.

Je dois juste m’assurer qu’il se trouve loin de cette créature.

Il y a “quelque chose” dans l’école après tout. Oui, c’est ça. Je dois l’éloigner de cette créature.

Elle était agacée par la situation, mais ne pouvait rien y faire. Au contraire, elle subissait cela parce qu’elle était anormale. Elle s’appelait Ahn Eun-young, et tout le monde se moquait d’elle à cause de son nom (en coréen, cela ressemblait presque à « hyung » – “frère aîné en langage familier”). Mais cela ne l’offensait pas. Elle travaillait dans un lycée privé, M., et elle avait la capacité de voir ce que les autres ne voyaient pas et de le combattre.

Quand avait-elle hérité de cette capacité ? Probablement à la naissance. En tout cas, Eun-young a réalisé très tôt que son monde était différent de celui des autres. Elle avait vraiment pris conscience de cette différence à l’âge de dix ans, quand sa mère acheta une maison très bon marché et se mis à la rénover avec plaisir. Elle voulait abattre le mur de la cuisine, mais Eun-young l’en a dissuadée. Elle a dit à sa mère qu’elle aimait l’endroit tel qu’il était et a seulement suggéré de refaire le papier peint. Elle était si têtue sur le sujet qu’elle a été jusqu’à menacer de partir vivre avec son père si sa mère ne l’écoutait pas. Et tout ça à cause de la femme bienveillante avec une mutilation faciale qui vivait dans le mur. Il valait mieux que maman ne sache rien d’elle. Quand Eun-young s’asseyait à la table de la cuisine pour se faire un peu de muesli avec du lait, la femme la regardait depuis son mur en arborant un sourire discret. Il n’y avait aucune hostilité dans ses yeux, et Eun-young n’avait pas peur d’elle. Les personnes comme Eun-young développent très rapidement un instinct pour distinguer la bonté de la malveillance.

 

Eun-young n’a pas seulement la capacité de voir des morts, elle avait aussi droit à des créatures bien plus désagréables qui, elles, sont engendrées par des personnes bien vivantes. Par exemple, toutes les visions fantasmatiques et dénudées qui saturent l’air à l’école.

Oh, je n’aime pas du tout les enfants pubères.

Quand personne d’autre n’était là, Eun-young balançait son épée, détruisant les fantasmes sexuels des adolescents de l’établissement.

Je déteste ça. Ce sont encore des enfants, et ils ont déjà ça dans la tête. 

Eungyeong a la capacité de voir l’ectoplasme, une substance visqueuse sécrétée par les morts et les vivants. Cette substance encore inconnue pour les autres humains ressemblait à une gelée beige clair, et sa viscosité différait selon l’espèce et la période d’apparition. Tout cela pour dire que les vivants la tourmentaient tout autant que les morts. Et, pour être honnête, la manifestation du deuxième stade de la puberté l’agaçait royalement, car elle lui causait beaucoup d’ennuis.

Eun-young avait la capacité de combattre ces substances gélatineuses en insufflant son énergie à l’épée et au pistolet jouets. Elle pouvait tirer 22 balles par jour et l’épée pouvait être utilisée pendant 15 minutes. Avec l’aide d’une croix copte égyptienne, d’un œil diabolique provenant de Turquie, d’un chapelet du Vatican, d’une amulette japonaise porteuse de santé provenant du sanctuaire Atago-jinja de Kyoto et d’un chapelet du temple bouddhiste, le nombre de balles a été porté à 28 et la durée d’utilisation de l’épée à 19 minutes. Ainsi, la vie de l’infirmière scolaire Ahn Eun-young était remplie de reliques en tout genre.

Il y a quelques années, elle travaillait dans un hôpital universitaire. Après tout, les exorcistes professionnels ne reçoivent pas de salaire, ils doivent donc bien gagner leur vie avec un autre type de travail. Elle n’a pas obtenu la note requise à l’examen de fin d’études, mais elle a eu de la chance et a pu entrer dans une école d’infirmières, dont elle est sortie diplômée. Elle a ensuite travaillé pendant un bon bout de temps dans un hôpital. Mais là aussi il y avait  beaucoup de fantômes, autant que dans les écoles.

Pourquoi ai-je choisi la profession d’infirmière ? Non, non. Ce n’est pas comme ça que ça marche. Ce n’est pas la personne qui choisit la profession, mais la profession qui choisit la personne. 

Elle n’a pas adopté cette explication parce qu’elle avait accepté son destin (elle détestait le mot “mission”), elle avait tout simplement abandonné l’espoir de vivre une vie normale et paisible.

Mais à l’hôpital, elle avait travaillé avec des patients de la pire espèce et cela l’épuisait terriblement. Après y avoir travaillé plusieurs années, elle a compris qu’elle ne pouvait plus continuer de la sorte avec les patients et en même temps à se battre contre les créatures à l’aube dans les couloirs de l’hôpital. Elle a donc décidé de changer de carrière, en utilisant le diplôme d’infirmière scolaire qu’elle avait obtenu à l’université. Après tout, si elle devait choisir entre les films d’horreur des malades et les fantasmes pornographiques des adolescents, elle préférait largement le second.

Cependant, outre les ectoplasmes pornographiques, cette école abritait une entité maléfique que les élèves absorbaient à travers leur corps. La première fois où elle a franchi le seuil de cette école, elle a immédiatement ressenti la présence de cette force malfaisante.

Maudit destin, il n’y a donc jamais d’échappatoire.

Eun-young est sortie de l’infirmerie, son pistolet et son épée en jouet coincés sous sa robe d’infirmière, à l’arrière de sa ceinture.

 

— Je suis venue vous informer : il s’agissait d’un garçon maigre avec des lunettes, très intelligent. Il doit absolument être renvoyé chez lui.

Hong In-pyo, le professeur de la 11e classe A qui enseignait les Hanja, dévisageait avec perplexité cette infirmière qui a commencé à travailler le semestre dernier mais qui ne semble toujours pas s’être adaptée à la vie scolaire. D’ailleurs, les enseignants qui travaillaient aux autres étages ne se rappelaient jamais de son visage. Du coup, lorsqu’ils la rencontraient à la cantine, ils se sentaient mal à l’aise. En comparaison, l’ancienne infirmière, c’était tout le contraire : elle s’était trop bien adaptée, au point de transformer son bureau en centrale à ragots. Celle-ci, sans vouloir la critiquer, était franchement du genre anti-sociale.

Les élèves de onzième année sont tous maigres et portent des lunettes, qui est-ce qu’elle cherche ?

— Je l’ai rappelé, mais il est parti en courant.

S’il a l’air intelligent, c’est peut-être Seung-gwon. D’habitude, il est très calme, mais aujourd’hui, il semblait un peu distrait.

— S’est-il fait mal ?

— Mmm. C’est vraiment gonflé et je pense qu’il a de la fièvre, il devrait aller à l’hôpital.

— Qu’est-ce qui l’a blessé ?

— Eh bien, je ne sais pas exactement, mais une chose est sûre, c’est quelque chose de très venimeux…

L’école a beau être en banlieue, ça reste quand même Séoul… Je ne pense pas qu’il y ait des insectes dangereux ou serpents par ici. Peut-être réagit-elle de façon excessive par manque d’expérience ?

Le visage de l’infirmière n’inspirait pas confiance : elle n’avait pas du tout l’air d’une personne professionnelle et minutieuse. Cependant, In-pyo n’était pas du genre à avoir de la condescendance envers les gens à cause de leur jeunesse. De plus, il était doué pour reconnaître quand les professeurs mentaient. Par leurs expressions faciales, tout comme avec les écoliers, il détectait rapidement toute fausseté en eux. Il a senti que l’infirmière se comportait bizarrement mais sans mentir pour autant et a aussitôt réagi :

— Je comprends. Je vais le trouver et vous l’envoyer tout de suite.

Mais il n’avait fait que quelques pas quand il entendit la voix de l’infirmière s’élever dans son dos :

— Oh, on dirait que vous vous êtes blessé à la jambe ? Voulez-vous que je jette un coup d’œil ?

— Non, non. Ça fait longtemps, a-t-il répondu.

Elle ne savait donc vraiment rien. Il y avait toujours eu beaucoup de rumeurs sur In-pyo — il était le fils du propriétaire de l’école, un riche héritier, et aussi célibataire. Les gens disaient toutes sortes de choses sur lui. Manifestement, l’infirmerie de l’école restait vraiment en dehors  de tout ragot.

Elle ne sait rien. Depuis que j’ai eu un terrible accident de moto, il y a eu des dizaines de versions sur ce qui s’est passé. Et elle n’en connaît aucune.

 

Ça avait été un terrible accident. Et en même temps, avec le recul, on ne peut nier qu’il a eu beaucoup de chance. Le grand-père d’In-pyo possédait une école privée et plusieurs grandes entreprises, et In-pyo était son petit-fils préféré, ce qui lui permettait de bénéficier d’une rente confortable, qu’il avait utilisée pour acheter une moto. C’est tout cela qui avait conduit à l’accident. In-pyo a perdu le contrôle de son engin et la moto a glissé sous un bus, qui, heureusement, ne roulait pas à pleine vitesse. Le corps d’In-pyo a été totalement brisé et a dû être reconstruit. Il a subi de nombreuses opérations chirurgicales, au cours desquelles des vis en métal ont été insérées un peu partout dans ses jambes et ses bras. Malgré cela, une de ses jambes est restée tordue et il boite depuis. Heureusement, ce n’était qu’une boiterie. Et évidemment, son corps et son visage étaient recouverts de cicatrices, mais les opérations de chirurgie hors de prix ont bien fait leur travail et tout le monde pense que les cicatrices sur le visage d’In-pyo ne sont que des fossettes.

 

“Laissez l’école telle qu’elle est. Il ne peut y avoir aucun nouveau bâtiment construit là. AUCUN nouveaux bâtiments ! Et laissez In-pyo travailler dans cette école en tant qu’enseignant. Il DOIT être enseignant.”

Et il s’est ainsi soumis à la volonté de son grand-père, mais il n’a jamais été sûr de faire ce qu’il fallait. Au cours des deux dernières années passées dans cette école que son grand-père aimait tant, les élèves n’ont pas arrêté de tomber du ciel comme de la grêle. La Corée du Sud est bien connue pour son nombre élevé de suicides chez les adolescents, mais dans son cas, il y en avait trop. Beaucoup trop. De plus, des incidents et des actes de vandalisme se produisaient souvent à l’école, de sorte qu’In-pyo se sentait dépassé et n’avait aucune idée de la façon de résoudre la situation.

En y repensant, il s’est encore plus agité.

Je ne sais pas ce qui est arrivé à Seung-gwon, mais il faut le retrouver.

In-pyo continua son chemin en boitant. Il ignorait que beaucoup trouvaient sa démarche charmante. Pour eux, il semblait marcher au rythme d’une musique invisible, comme s’il n’y avait aucune différence dans la longueur de ses jambes.

 

Hae-hyun était assise sur le toit du bâtiment, séchant les cours. A la maison, ses vêtements émettaient une odeur aigre car ils avaient séché dans une atmosphère humide depuis plusieurs jours en raison de la saison des pluies, elle portait donc son uniforme scolaire. Mais c’était encore plus inconfortable car il était en tissu synthétique et ne permettait pas à l’air de passer. Heureusement, sur le toit, il y avait une légère brise, ce qui aidait un peu. Pour des raisons de sécurité, des clôtures en fil de fer avaient été installées  tout autour du toit. C’était terrible à voir, mais au moins ici le vent passait à travers le grillage. A la base, l’entrée du toit était verrouillée, mais les élèves ne cessaient d’en casser les serrures. Finalement, les enseignants ont abandonné et ont ouvert l’accès au toit. Il y avait si peu d’endroits où se détendre dans l’école, et ils ne pouvaient pas enlever le toit aux étudiants. Hae-hyun sourit légèrement, se sentant comme une gagnante, bien qu’elle n’ait jamais cassé de serrures elle-même.

— Hae-hyun, Seung-gwon te cherchait, dit une jeune fille de son club en se retournant alors qu’elle descendait les escaliers du toit.

— Pourquoi ? demanda Hae-hyun.

— Je ne sais pas. Peut-être que tu as oublié de lui rendre quelque chose. Peut-être que c’était pour récupérer ses écouteurs ou ses bandes dessinées ?

Hae-hyun fronça les sourcils, essayant de comprendre ce qu’elle avait bien pu faire de mal.

— Je vois. Merci.

Cela faisait maintenant longtemps que la fille était partie, mais Hae-hyun n’avait pas envie de descendre. À l’intérieur du bâtiment, il faisait si humide qu’elle avait l’impression d’être dans un aquarium sale. Ça  manquait d’air au point qu’il lui aurait fallu des branchies.

Le capitaine de l’équipe de basket-ball lui fit signe depuis la pelouse. Hae-hyun agita automatiquement la main en retour.

 

Ahn Eun-young repensait à l’énorme bouclier d’énergie qui entourait le professeur de hanja, se remémorant son passage à l’infirmerie de l’école. Jusqu’ici, elle ne l’avait jamais vu de près. Peut-être que quelqu’un qui l’aimait beaucoup dans la vie lui avait laissé ce bouclier avant de mourir ? Mais s’il avait une telle protection, comment s’était-il blessé à la jambe ? C’était très inhabituel. Eun-young pensait qu’il était une de ces personnes avec lesquelles il était difficile de se lier d’amitié, mais qu’on pouvait toujours compter sur lui dans une situation sérieuse ou dangereuse. Il était une sorte de un porte-bonheur ambulant. Elle en ressentait une pointe d’envie. Une fille hantait-elle  ses pensées ?

Elle repensa à ce qu’elle avait trouvé dans le cou du garçon. Le monde était décidément imprévisible, tout pouvait arriver. Mais quoi qu’il en soit, la créature se cachait probablement au sous-sol. Après avoir vérifié son épée et son pistolet accrochés à sa taille, elle se dirigea vers l’escalier principal. L’entrée de la cave était cadenassée. Peut-être était-ce fait exprès pour empêcher les étudiants d’y entrer. Eun-young se tourna vers le garde :

— Puis-je emprunter la clé de la cave un instant ?

Le garde, posant sa main sur le trousseau de clés pendu à sa ceinture, demanda :

— Pourquoi as-tu besoin d’aller dans la cave ?

— Eh bien… les élèves viennent souvent me voir pour se plaindre de démangeaisons et me demandent de l’onguent. Je pense que cela pourrait être une infection fongique, donc je veux vérifier s’il y a des moisissures dangereuses dans le sous-sol. Puis-je également vous emprunter une lampe de poche ?

— Nous n’ouvrons la cave qu’une fois par an, lors de la désinfection, et même à ce moment-là, seuls les employés de l’entreprise de désinfection sont autorisés à y entrer. Depuis que je travaille ici, on m’a toujours interdit d’ouvrir la cave.

— C’est précisément pour cela que les moisissures s’y développent. Si cela continue, je devrai le signaler à la direction, et nous aurons beaucoup de problèmes. Tout ce que je veux, c’est y jeter un coup d’œil, dit Eun-young avec confiance tout en souriant.

Peut-être était-ce son ton confiant qui y fut pour quelque chose, mais le garde finit par accepter à contrecœur. Lorsqu’elle entra, elle fut frappée par l’air vicié et renfermé du soubassement. Elle aurait dû apporter un masque avec elle. Eun-young pensa qu’elle pourrait bien tomber elle-même malade. Plus elle descendait, plus il faisait sombre autour d’elle.

Son avancée devenait de plus en plus difficile. Partout, d’anciennes pensées flottaient, abandonnées là par les diplômés. Dans l’obscurité, elle trouva de tout : des lambeaux de violence, de compétition, d’anciens conflits, ainsi que des vestiges de déshonneur et de honte. Eun-young prit une profonde inspiration, sortit son épée et commença à couper en morceaux toutes ces saletés.

Seung-gwon se sentait étourdi. L’infirmière l’avait prévenu qu’une inflammation allait se déclencher. Ce n’était visiblement pas juste une menace en l’air, elle n’avait pas cherché à lui faire peur pour rien.

Tout était devenu flou devant ses yeux, comme s’il avait de la fièvre. Il enleva et remit ses lunettes plusieurs fois, essayant de fixer son regard, mais cela n’aida pas. Il se sentait de plus en plus lourd, ce qui le perturbait.

Si je ne le fais pas aujourd’hui, alors ce ne sera jamais moi. C’est ma seule chance.

Seung-gwon n’aimait pas avouer ses sentiments. Rien que le fait d’y penser lui donnait des frissons, mais vu son état actuel, il envisageait même d’aller jusqu’à dire “Je t’aime !” Après avoir tout confessé, il s’effondrerait, ce qui ferait de l’événement un moment inoubliable !

Il traîna les pieds, à peine capable de les soulever, comme si tout le liquide de son corps s’était accumulé dans ses talons. Il sentit quelque chose de mou, comme de la gelée, qui semblait gonfler dans la plante de ses pieds.

Seung-gwon prenait bien soin de sa santé, et il n’avait jamais été aussi malade depuis l’enfance.

Le plus important, c’est de ne pas vomir et de ne pas perdre connaissance. C’est ça, interdit de vomir.

Ses amis l’accueillirent puis ne purent plus détacher leurs yeux de son visage. Lorsqu’on lui demanda :

—Ça va ?

Seung-gwon ne put même pas répondre correctement. Ils lui dirent qu’Hae-hyun était sur le toit et, lorsqu’il monta, chaque marche lui sembla trois fois plus haute qu’elle ne l’était en réalité.

 

A la recherche de Seung-gwon, In-pyo se dirigea vers le gymnase où l’adolescent allait parfois pour se défouler.

Je ne connais pas si mal mes élèves, nota-t-il, satisfait de lui-même.

En passant devant l’escalier central, In-pyo remarqua que la porte de la cave était ouverte. Il s’arrêta.

Qui l’avait ouverte ? Elle ne devait pas être ouverte aujourd’hui.

Grand-père lui avait fait lire dix pages sur la cave. En bref, personne ne devait y descendre, sauf les employés d’une entreprise de désinfection spécifique, celle que Grand-père utilisait toujours. Cependant, cette entreprise avait fait faillite, et l’école avait utilisé une alternative moins chère ces dernières années.

Pourquoi Grand-père insistait-il sur l’entreprise plus chère ? se demandait In-pyo à chaque fois qu’ils avaient désinfecté la cave.

De la lumière filtrait de la cave, même si la prochaine désinfection était encore loin. Au début, In-pyo avait pensé piquer une crise, mais il s’était finalement décidé à y descendre seul.

Lorsque In-pyo entraperçu dans l’obscurité des vêtements blancs flotter dans tous les sens, il eut une attaque de panique qui cessa au moment où il comprit que c’était l’infirmière scolaire qui était en train de danser une lampe de poche à la main. Dans son autre main, elle tenait un objet allongé aux couleurs arc-en-ciel. Elle le balançait dans le vide. Elle avait tout d’une folle. Oui, elle était décidément franchement étrange. Dans son cœur, sans savoir pourquoi, un fort signal d’alerte retentit, c’était celui qui le mettait habituellement en garde contre les femmes et qui se déclenchait normalement lors des rendez-vous arrangés.

— Que faites-vous ?

Eun-young eut un sursaut et se retourna. Et c’est exactement ce qu’In-pyo attendait.

— Oh, euh… je fais du sport, répondit-elle, mais sans que sa voix ne trahisse la moindre assurance.

— Pourquoi faites-vous du sport dans la cave ?

In-pyo avait l’impression d’entendre des choses invisibles frôler lentement  son front en sueur.

— Comme vous pouvez le voir, c’est une nouvelle sorte d’aérobic. J’avais peur d’embarrasser les élèves.

— Dans ce cas, vous devriez le faire chez vous, dit In-pyo sèchement, mais Eun-young n’avait aucune intention de quitter la cave. Il le remarqua à son expression qui était devenue ferme et résolue. Peut-être était-ce juste son imagination dans l’obscurité, mais tout à coup elle lui semblait calme et sûre d’elle. Pas folle pour un sou.

— Que cherchez-vous dans cette cave ? demanda In-pyo, ne sachant pas ce que sa réponse pourrait bien être.

— C’est difficile à expliquer, mais je cherche quelque chose, répondit Eun-young sérieusement.

Il était difficile de trouver un emploi dans une école privée comme celle de M., mais malgré cela, elle n’avait pas peur d’être licenciée. Eun-young savait qu’elle pourrait retrouver du travail. Elle était même convaincue qu’elle devait travailler jusqu’à sa mort.

— Alors cherchons-le ensemble.

In-pyo ne savait pas pourquoi il avait dit ça, mais il cela lui avait semblé être la chose à répondre. Il n’avait jamais compris pourquoi son grand-père était si attaché à cette école, qui n’était en rien prestigieuse et avait une faible valeur au niveau de son bâtiment et son terrain. Mais il avait l’intuition que peut-être il y avait quelque chose de spécial dans cet endroit où il ne s’était jamais aventuré. Enfant, quand il visitait la maison de son grand-père, il jouait souvent à la chasse au trésor. C’était toujours un mystère pour lui comment son grand-père savait toujours exactement quel jouet In-pyo voulait, l’achetait et le cachait.

Si nous ne trouvons rien, je renverrai cette infirmière folle.

Un doigt fin appartenant à Haehyun effleura légèrement le fil de la clôture. L’ongle à la pointe de son doigt, sous lequel une peau rose douce et saine était visible, brillait sous un vernis à ongles transparent. Une légère brise souleva sa jupe ample. Haehyun n’aimait pas beaucoup l’uniforme scolaire, mais pour Seung-gwon, il semblait qu’il n’y avait pas d’autre fille à qui une jupe ample allait si bien.

En regardant le dos de sa bien-aimée, sa tête lui tournait encore plus. Il était à nouveau convaincu qu’elle ne ressemblait pas à un bourreau des cœurs, seulement occupée à piéger le cœur des hommes, mais il savait que son intuition était bonne. S’il ne lui confessait pas son amour maintenant, il n’aurait pas d’autre chance.

— Jellyfish ! s’exclama Seung-gwon. Haehyun se retourna. Seung-gwon regretta immédiatement de l’avoir appelée ainsi. Il n’aurait pas dû s’adresser à elle de cette façon… Mais Haehyun, en le voyant, sourit largement, plus chaleureusement que jamais auparavant. D’habitude, quand elle regardait au loin, il n’y avait aucune émotion sur son visage, mais en voyant Seung-gwon, elle rayonnait de joie. D’un simple regard, Seung-gwon comprit immédiatement à quel point elle était heureuse de le voir.

— J’ai encore oublié de te rendre quelque chose ? demanda Haehyun.

— Non, ce n’est pas ça, répondit Seung-gwon. J’ai quelque chose à te dire.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as l’air terrible. Tu es malade ?

Seung-gwon pressa ses mains glacées contre son visage.

J’ai de la fièvre, mais mes mains sont si froides, pensa-t-il.

Il savait qu’il ne pouvait pas dire ce qu’il avait à dire tout en regardant Hae-hyun droit dans les yeux. Et si la joie qu’il avait vue sur son visage se transformait en autre chose ?

— Hé, Hae-hyun ! Le capitaine te demande de descendre dans la cour de l’école, hurla un garçon de l’équipe de basket-ball, ouvrant bruyamment la porte du toit. Hae-hyun jeta un coup d’œil rapide vers la pelouse. Il y avait un cœur fait de bougies sur le sol mouillé. Elle dit nonchalamment « ahh » puis passa devant Seung-gwon pour descendre les escaliers.

— N’y va pas ! dit Seung-gwon.

— Ce n’est rien. Attends ici. Je reviendrai juste après.

Hae-hyun lui fit un signe de la main et descendit les escaliers.

« Rien » ?

Furieux, Seung-gwon attrapa la clôture. À ce moment-là, une douleur terrible transperça son cou.

 

Ils passèrent le premier sous-sol où des choses inutiles étaient éparpillées partout et descendirent encore plus bas. Des cordes en paille étaient étalées sur le sol.

— Est-ce que ce sont les cordes que nous utilisons lors du festival des sports ? Elles ont pourtant l’air trop minces, marmonna In-pyo.

L’ignorance d’In-pyo arracha un sourire à Eun-young. C’était une corde pour exorciser les esprits. Décidément, ce gars ne connaissait rien à son monde. Eun-young poussa facilement les cordes de côté. Il était clair pour elle que quelqu’un qui avait maintenu la paix dans cet endroit était parti depuis quelques années, et que peu à peu l’effet pacifiste avait disparu.

Lorsqu’ils ouvrirent la porte menant au troisième sous-sol, Eun-young ressentit une pression énorme l’écraser. Elle se cacha involontairement derrière In-pyo (ou plutôt, derrière l’aura protectrice qui l’entourait) et celui-ci sourit, pensant que Eun-young faisait semblant d’avoir peur. Du coup, il descendit avec confiance. Le sol était en béton, mais au centre se trouvait une parcelle de terre. Elle dégageait une forte odeur de vieille boue, qui les rendit tous les deux nauséeux. Au milieu de la parcelle se trouvait une pierre plate. In-pyo prit la lampe de poche de Eun-young et éclaira la pierre. Il y avait des hanja gravés dessus : (AP-CHI-SOK).

— Waouh, vraiment ? Ce CHI n’est pas le hanja pour « terre », mais « étang ». Ce lieu était-il autrefois un étang ?

In-pyo fouilla sa mémoire pour se rappeler quelque chose à ce sujet, mais il se rendit rapidement compte qu’il n’avait jamais entendu parler de cela.

Au mot « étang », Eun-young eut un frisson de peur et serra encore plus fort son épée et son pistolet. Chaque fois qu’un puits ou un étang était mêlé à l’histoire, les ennuis étaient sûrs de suivre.

In-pyo appela son père :

— Papa, c’est moi. Oui, j’ai déjà déjeuné. J’aimerais te poser une question sur la propriété de l’école. Y avait-il un étang ici avant ? Hum… Est-ce que tonton est au courant de cela ? Et toi ? Je ne lui ai pas parlé depuis une éternité, et c’est gênant de le déranger à ce sujet… D’accord, j’ai compris.

Tout en se plaignant du réseau, In-pyo appela le frère aîné de son père. Maladroitement, il demanda de ses nouvelles avant de passer au but de son appel.

— J’ai entendu dire qu’il y avait autrefois un étang sur la propriété de l’école. J’ai trouvé une sorte de pierre dans la cave. Vraiment ? Tu as une coupure d’un vieux journal local ? Eh bien, c’est super. Je peux t’envoyer le numéro de fax ? Oui, prends soin de toi. Nous nous verrons certainement le jour anniversaire.

Eun-young suffoquait. Des ectoplasmes vieux de plusieurs siècles les cernaient de tous les côtés. Elle ne savait pas ce qui se trouvait sous la pierre, par contre elle savait qu’elle ne pourrait pas le gérer seule.

— Nous devrions remonter.

— Faisons ça.

Eun-young ouvrit la marche, suivie de près par In-pyo, mais soudain, il s’arrêta et se retourna.

— Attendez une seconde ! Ce genre de pierre a toujours quelque chose de gravé de l’autre côté, dit-il.

Eun-young n’eut pas le temps de l’arrêter qu’In-pyo bataillait déjà pour retourner la pierre. Au moment où il y arriva, ils furent projetés en arrière comme s’ils avaient été frappés par une voiture. La lampe torche tomba, et la batterie s’en détacha. Tout le sous-sol trembla.

Au-dessus d’eux, les élèves crièrent en trébuchant dans les couloirs. Quelque chose venait de leur transpercer le corps. Tous n’avaient pas été attaqué, mais beaucoup étaient tombés. Ceux qui avaient réussi à éviter l’assaut étaient morts de peur. Ils montèrent les escaliers avec les autres qui tentaient tous de se rendre sur le toit, sans rien entendre si jamais on les appelait.

Sung-won, qui était déjà sur le toit était maintenant en train de grimper la clôture. Les élèves qui le regardaient depuis le terrain de sport hurlaient après lui, et Hae-hyun était figée par le choc.

Dans le chaos, Eun-young, enleva ses chaussons blancs d’infirmière et se mit à courir pieds nus dans le couloir, mais personne n’y prêta attention.

 

Depuis l’Antiquité, les jeunes gens qui avaient perdu leurs proches se jetaient dans cet étang et se noyaient.

Récemment, le nombre de noyades était devenu énorme.

Au point que parfois des cadavres étaient jetés dans l’étang, dans le but de dissimuler des meurtres.

De plus, les grenouilles et les lézards qui se nourrissaient des cadavres avaient atteint une taille énorme.

Par conséquent, les autorités avaient ordonné d’enterrer l’étang.

 

Dieu merci, j’enseigne les hanja aux élèves. Les autres enseignants de mon âge n’auraient jamais compris. Peut-être que seul l’enseignant d’histoire aurait été capable de le lire ?

Inp-hyeo était tout à coup empli d’un sentiment tardif de fierté d’avoir choisi de se spécialiser dans les hanja et alla trouver l’infirmière.

Il lui semblait qu’elle essayait de faire quelque chose à propos de cette situation, mais il ne savait pas bien quoi. Peut-être que l’information qu’il venait de découvrir l’aidera ?

— Seung-gwon, ne fais pas ça ! Seung-gwon !, cria Hae-hyun, mais il ne semblait pas l’entendre.

D’ailleurs, il ne regardait même pas dans sa direction, bien que son visage soit à peine visible.

— J’arrive ! Reste là ! Attends que je monte !

Mais Seung-gwon avait déjà grimpé tout en haut de la clôture, tendant la main vers les barbelés. S’il avait été dans son état normal, il ne les aurait jamais touchés, mais quelque chose n’allait pas chez lui aujourd’hui.

Hae-hyun était incapable de décider si elle devait rester immobile et crier ou courir regagner le toit. Elle hésitait.

À ce moment-là, une deuxième secousse souterraine se produisit. Les bougies allumées sur le sol pour l’affichage en forme de cœur s’éteignirent d’un coup sec et une partie de la cour, celle qui était plus proche du bâtiment de l’école, s’effondra, avalée dans le sol.

Les élèves se dispersèrent dans toutes les directions, mais Hae-hyun continua de regarder Seung-gwon. Il se hissait maintenant sur le fil barbelé, et Hae-hyun pensa qu’il était maintenant trop tard ; elle voulait fermer les yeux. Soudain, une sorte de bâton clignotant apparut et frappa Seung-gwon violemment à l’arrière de la tête. Il tomba en arrière et l’infirmière qui venait de commencer à travailler à l’école apparut au bord du toit. L’un après l’autre, elle assomma les enfants qui grimpaient, les frappant à l’arrière de la tête. Le spectacle était horrible, bien que peut-être dans une telle situation, il valait mieux leur faire perdre connaissance. Mais était-ce correct de les frapper comme ça ? Hae-hyun se décida et courut finalement vers le toit.

Avec horreur, Eun-young regarda en bas dans la cour de l’école. Une tête surgit du trou dans le sol et s’éleva vers le ciel. Eun-young ne pouvait pas déterminer à quoi cette tête pouvait bien appartenir. C’était ni un poisson, ni une grenouille, ni un serpent. Et ce qu’elle avait retrouvé incrusté dans le cou du garçon avait une texture écailleuse.

En voyant la tête monstrueuse, on aurait pu penser qu’une terrible créature avait été utilisée et fondue pour en former une autre, plus effrayante encore. Ses yeux, de la couleur d’un poisson cuit, étaient particulièrement terrifiants.

Qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas le fantôme d’un être humain. C’est quelque chose de bien plus horrible et de plus grand…

Eun-young fit le compte des minutes il lui restait pour son épée : moins de sept. Et elle avait encore environ 10 balles. Il lui serait impossible de retirer les écailles qui s’étaient collées à chaque élève. Il lui fallait attaquer le propriétaire.

— Accrochez-vous bien à ceux qui essaient de passer par-dessus la clôture ! cria Eun-young aux élèves non atteints qui avaient grimpé sur le toit. Ils étaient terriblement effrayés, mais au moins ils agrippaient leurs amis de toutes leurs forces.

Avec un sentiment d’effroi, Eun-young pointa son pistolet à travers un des espaces de la clôture en fil de fer. Elle réalisa tout à coup que sa vie pourrait bien se terminer à tout moment, une vie pleine de difficultés dues à ses capacités, qu’elle n’avait jamais choisies d’avoir. Elle n’avait jamais combattu de créature aussi énorme et ancienne jusqu’ici.

La tête monstrueuse ouvrit sa bouche, comme si elle se préparait à avaler les élèves qui étaient sur le point de basculer du toit. Eun-young tira avec son pistolet. L’arme était légère, mais le recul lui fit mal à l’épaule. Elle visa l’œil gauche du monstre, mais la balle rata sa cible. Seule la bordure de la branchie de la tête massive fut effleurée, et ce fut tout.

 

In-pyo attrapa Hae-hyun alors qu’elle montait les escaliers.

— Où tu vas ? Que se passe-t-il ? demanda-t-il.

— Sur le toit ! Il y a des enfants là-haut qui essaient de sauter, répondit Hae-hyun.

— Tu as vu l’infirmière ?

— Elle est là-haut aussi, en train d’essayer de les arrêter.

In-pyo boitilla derrière Hae-hyun, chaque mouvement envoyant une secousse dans sa colonne vertébrale. Quand avait-il couru pour la dernière fois ? Il avait le sentiment que ces jours de promenade tranquille étaient finis, et qu’il lui faudrait à l’avenir courir.

Le chaos sur le toit était encore pire que sur les autres étages. Les élèves étaient allongés ici et là, inconscients, tandis que ceux qui avaient repris leurs esprits se dirigeaient vers la clôture alors que d’autres élèves essayaient de les en empêcher. Un garçon était même retenu par plusieurs autres.

L’infirmière, elle, se tenait près de la rambarde. Elle tirait avec un pistolet en plastique sur quelqu’un ou quelque chose. In-pyo regarda en bas mais ne vit rien. Il n’entendit que le son des balles, qui ne ressemblaient pas à celles d’un jouet.

— Je ne sais pas si ça pourra t’aider, mais j’ai entendu dire qu’il y avait autrefois un étang ici. Des gens suicidaires sautaient dedans, dit In-pyo.

— Je pense que j’avais compris, répondit Eun-young, presque indifférente, ce qui surprit In-pyo.

— Tu tires sur des fantômes ?

— Non. Je tire sur la tête d’une créature inconnue… Attrape ma main.

— Quoi ?

— Je n’ai plus de balles, dit Eun-young, les lèvres bleues. Il était clair qu’elle avait du mal à tenir debout.

In-pyo, ne comprenant pas tout à fait ce qui se passait, prit la main de Eun-young, qui tenait le pistolet, dans la sienne.

Utilise les deux, instruisit Eun-young. In-pyo obéit et plaça son autre main par-dessus la sienne. Eun-young ressentit une énorme montée de force la traverser, exactement comme elle l’avait imaginé, et elle sut qu’elle pouvait tirer encore cinquante balles, cinquante petites ou… une grosse.

Peut-être aurait-elle dû acheter une mitraillette jouet ? Sauf qu’elle n’aurait jamais pu la rentrer dans son sac. Un pistolet, une mitraillette, niveau effet c’était pareil.

— Hé, toi, le monstre ! Crêêêêveeeeeeee ! hurla Eun-young, et tous les élèves instinctivement se couvrirent les oreilles. Quelque chose d’invisible explosa, faisant presque voler en l’air toute la cour et la terre humide qui la bordait. La terre se dispersa au-delà de la clôture.

 

Les nouvelles rapportèrent qu’un tuyau de gaz avait explosé sous la cour de l’école M., mais qu’heureusement, personne n’avait été blessé. En fait, lorsque la “tête” du monstre était morte, l’explosion avait endommagé le tuyau de gaz, donc cette version n’était pas totalement fausse.

Les élèves qui avaient des cours de rattrapage ce jour-là, et en particulier ceux qui étaient sur le toit, savaient tous qu’il s’était passé quelque chose d’inoubliable. Mais personne n’en parla, tout le monde semblait penser que c’était mieux ainsi. In-pyo décida que s’il y avait des plaintes de parents, il leur dirait qu’une substance avait été transportée par le vent depuis le complexe industriel de l’autre côté de la rivière, provoquant des hallucinations. Heureusement, cela ne fut pas nécessaire. Les élèves croyaient d’eux-mêmes à tout ce qu’on leur avait raconté. Les lycéens, qui étaient pourtant déjà presque adultes, croyaient facilement les adultes quand ils étaient confrontés à une situation aussi confuse… Ils faisaient confiance aux adultes qui eux n’étaient pourtant pas dignes de confiance.

 

Lorsque la situation fut calmée, Eun-young et In-pyo cherchèrent à comprendre pourquoi tous les élèves n’avaient pas été affectés par le pouvoir magique, et découvrirent que les enfants qui avaient été touchés avaient vécu une séparation avec leurs proches.

À la fin des cours d’été, Seung-gwon était devenu le petit ami de Hae-hyun. Il n’avait jamais réussi à lui avouer son amour, mais le dernier jour des cours de rattrapage, Hae-hyun reposa sa tête sur son épaule pendant le trajet en bus du retour. Peut-être voulait-elle juste dormir, mais à ce moment-là les bras encore blessés de Seung-gwon ne lui firent plus mal.

Après l’incident, le comportement étrange de l’infirmière ne changea pas. Lorsque les élèves qui avaient été sur le toit eurent terminé leurs études, de vilaines rumeurs commencèrent à circuler à son sujet. Certains disaient que Eun-young était un peu dérangée, mais que tout le monde fermait les yeux car elle était la petite amie du professeur de hanja, et qu’il la protégeait. Les rumeurs qui circulaient étaient dégoûtantes, mais on ne pouvait rien y faire. Après tout, les autres n’avaient jamais vu l’ectoplasme malveillant contre lequel Eun-young avait dû se battre. Et même… elle ne pouvait même pas dire elle-même si les rumeurs étaient vraies. Chaque fois qu’elle devait détruire quelque chose de massif, elle devait prendre la main d’In-pyo. Du coup, il n’était pas surprenant que toutes sortes de rumeurs aient commencé à circuler.

In-pyo, lui, reçut plus de critiques que Eun-young. Après tout, il avait ordonné que le sous-sol soit complètement enterré. Il avait justifié cela comme un moyen de renforcer les fondations de l’ancien bâtiment. Cependant, lors de la réunion de l’école, on raconta qu’il ne voulait tout simplement plus s’occuper de l’espace et avait pris des mesures extrêmes. Les gens parlaient de lui comme s’il était une sorte de dictateur, mais là non plus, il n’y avait rien à faire. Parfois, In-pyo avait l’impression de comprendre, bien que pas complètement, pourquoi son grand-père lui avait confié l’école.

Il avait cherché à savoir si quelqu’un que son grand-père connaissait s’était noyé ici, mais il n’avait jamais trouvé la réponse. La seule chose qu’il savait, c’est que son grand-père avait été un bon protecteur. Il était clair qu’In-pyo avait encore du chemin à parcourir pour être à sa hauteur…

Parfois, In-pyo et Eun-young montaient sur le toit, même lorsqu’ils n’avaient rien à y faire.

— Peut-être que grand-père voulait supprimer ce pouvoir en construisant une école sur un endroit aussi terrible ? demanda In-pyo avec une expression sérieuse.

— Le pouvoir de l’amour est bien plus fort que nous ne le pensons, répondit Eun-young avec désinvolture. Et tous les deux prirent instinctivement la main de l’autre.

 



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