Un coup de feu retentit dans le wagon. Alors que le calme avait repris et que les passagers avaient accepté de s’asseoir à nouveau pour ne pas déranger Annie, Tessa et Deshya dans leur enquête, un homme se fait tirer dessus : pour être plus exact, dans la tête. Une balle dans le front qui arrache sa vie instantanément. Les pleurs de bébés, d’enfants et même d’adultes s’entrechoquent avec le bruit de cris effrayés. Les passagers se poussent pour sortir, mais un mur s’interpose. Non seulement pour les empêcher de sortir, mais aussi pour protéger la fille derrière elle. Ce mur est ‘Tessa’ et la fille derrière est ‘Deshya’, par terre et souffrant à cause du bruit insupportable provoqué par le coup de feu.
– LAISSEZ-NOUS PASSER !!! IL Y A UN TUEUR ICI !!!
Une femme hurle et gifle même Tessa, mais elle lui fait un regard noir qui pourrait effrayé un ours. La femme recule d’un pas, poussant un homme qui la pousse en retour. Tessa grince des dents et observe rapidement Deshya qui semble s’en remettre doucement. Des gens de l’autre wagon arrivent, mais ils sont arrêtés devant l’adolescente aux longs cheveux mauves, de belles mèches roses s’entremêlent dans sa longue tresse et d’autres décorent la franche devant son front. La casquette noire qu’elle adore tant est toujours sur sa tête, malgré la gifle de la dame qui avait été assez violente. Les deux hommes musclés se mettent à crier à leur tour, demandant à tout le monde de s’asseoir, et emploient même la force pour certains qui se débattent. Annie est devant le cadavre, poings serrés, dents grinçantes. Une balle dans le front et bien au milieu. Quiconque a tiré sur cet homme a bien visé. Il était forcément la cible du coupable.
– Alors Deshya avait raison…
Annie aurait préféré qu’elle ait tort, mais comme elle s’y attendait, c’était sa théorie qui se trouvait être la bonne. Malheureusement, la deuxième victime a déjà perdu la vie. Annie tente de rassurer la dame qui pleure, blottie dans son coin, assise juste à côté de l’homme qui vient d’être tué. Annie regarde à sa gauche et remarque que le corps de l’autre homme, appelé Nikolas Aidalro, se trouve très proche de celui de la deuxième victime. Cependant, leurs places ne se trouvent pas dans la même rangée, ce qui peut réduire le nombre de coupables. Néanmoins, vu que les trois suspects principaux — ‘Dera Nomura’, ‘Megure Afronai’ et ‘Trisha Keryun’ —, les trois personnes qui se trouvent autour de la même table que la première victime, sont pas loin de la deuxième…
– Le coupable est entre eux trois… J’en suis convaincue…” pense Annie, les yeux plissés.
Malgré cela, quelque chose la dérange. Après tout, elle les a fouillé. Eux et leurs valises ou sacs. Alors… comment ? Comment le coupable a-t-il fait ?! D’où sort-il ce pistolet ou cette arme ?!!
Les passagers retournent à leur place un par un, forcés par les deux hommes musclés et d’autres qui acceptent d’aider. Mista et Minerva restent à leur place en se regardant, tous les deux choqués par ce qu’il se passe dans ce wagon. Ketty aussi, l’homme au parapluie, reste à sa place silencieusement, ses bras tremblotant doucement.
Cinq minutes plus tard, tout le monde est à sa place, mais même si le bruit s’est calmé, cela ne signifie pas que le cœur des passagers est sans tracas. Des larmes continuent à couler et certains sont en train de prier leur Dieu, leur demandant sécurité et protection. Une odeur invisible se promène doucement, mais férocement dans le wagon.
Celle de la mort.
Deshya se relève avec difficulté et Tessa l’aide. Elle la remercie et touche sa tête avant de montrer d’un petit geste la femme au bout du couloir : Annie.
– On va voir ce qu’il s’est passé… ?” demande Deshya.
Tessa acquiesce, mais avant de commencer à marcher, elle tourne le visage vers son amie. Deshya l’interroge du regard.
– Deshya…
– Oui… ?
– Tu sais… Quand le coup de feu a retenti, en fait—
– Je sais. J’ai entendu.
Tessa plisse les yeux et Deshya l’imite.
– Il y en a eu deux d’affilés, pas vrai ?
CHAPITRE 10
⎾Le Train Inarrêtable ; Partie 5⏌
(Case 2)
Tessa ne répond pas directement à Deshya, mais elle finit par pouffer et acquiesce.
– En effet. Tu crois que la victime a été tirée dessus deux fois ou pas ?
– J’en sais rien…
Deshya se met à avancer dans le couloir, mais Tessa reste derrière, immobile pour l’instant. Elle regarde à sa droite, puis sa gauche, les yeux attentifs, mais finit par avancer à son tour, rattrapant Deshya. Toutes deux s’approchent d’Annie et voient, en même temps, le cadavre qui est toujours assis sur sa chaise. Deshya fait une grimace et Tessa se gratte la joue.
– Ce n’est pas aussi gore que les films que je regardais petite…” se dit-elle.
Cependant, ici, c’est la réalité. Il n’y a peut-être pas autant de sang, des boyaux qui sortent des ventres ou même des expressions qui semblent sortir des enfers, mais ça reste un vrai meurtre. Elle n’est pas déçue de ne pas être traumatisée rien qu’en regardant un cadavre : elle fait juste une constatation. Malgré ça, elle ferme les yeux et soupire intérieurement.
– Quelqu’un vient de se faire tuer et je me dis ça… J’ai pas de cœur.
Elle met les mains dans ses poches et regarde le cadavre à nouveau. Deshya se met juste aux côtés d’Annie et cette dernière touche l’écharpe qu’elle a autour du cou.
– Un tir dans la tête… Mort instantanée.
Deshya observe l’homme devant elle. Il doit avoir un âge presque similaire à l’autre victime, mais leurs physiques ne se ressemblent absolument pas. Ses courts cheveux blonds et son air bien plus professionnel lui donnent un autre style qui n’est pas le même que la première victime. Ses lunettes posées devant ses yeux ouverts, mais sans la moindre vie, menacent de tomber de son nez. Un bic sort de la poche de sa veste et une valise remplie, toujours fermée, est à ses pieds. Deshya remarque la femme apeurée qui se fait réconfortée par Annie. Elle ne pleure plus, mais il est clair qu’elle a laissé les larmes couler sur son visage à cause de l’homme qui s’est fait tuer à ses côtés. Même si elle n’a pas vu la balle arriver, savoir qu’elle était à quelques centimètres de la mort a dû la traumatiser. Deshya regarde à nouveau le cadavre avant de se retourner.
– Le meurtrier…
– Ce n’est pas elle, pas vrai ?
Deshya entendu Tessa parler et elle se tourne vers elle.
– Quoi ?” demande Deshya.
Tessa fait un geste de la tête qui pointe vers la femme qui est toujours en boule.
– Si tu veux tuer quelqu’un en étant discret, tu ne lui tires pas dans la tête comme ça, mais plutôt dans le cœur ou le ventre, sinon, ça serait trop simple de te voir tirer avec l’arme. La femme à ses côtés et l’homme en face ne peuvent donc pas être le meurtrier, surtout que de toute façon, ils n’auraient jamais pû tuer la première victime.
Tessa ferme les yeux.
– Vu qu’il est mort d’une balle dans la tête, le coupable doit se trouver plus loin et n’avait sûrement pas une bonne vue sur son cœur ou son ventre…
– Ou alors cela importait peu comment il le tuait, vu qu’il était assuré de ne pas se faire voir, pas vrai ?
Deshya termine la phrase de Tessa et cette dernière ouvre les yeux à nouveau en acquiesçant.
– Les trois qui étaient à côté de la première victime sont probablement les plus suspects, même si je me demande comment Trisha aurait pû faire…” avoue Tessa.
– Trisha aurait dû se lever ou faire quelque chose qui viendrait à la faire remarquer…” lâche Deshya.
Elle se tourne vers les trois et Tessa plisse les yeux.
– Va leur demander. Moi, je vais regarder pour l’autre chose.
Elle se met à avancer dans le fond du train, là où la porte impossible à ouvrir se trouve. Deshya la regarde partir, souriante. Elle se retourne et observe les trois passagers qui discutent entre eux, inquiets. Dedans se trouvent probablement le coupable des deux meurtres qui viennent d’être commis. Pourtant, même après la fouille menée par Annie, aucune arme n’a été trouvée. Si Deshya arrive à comprendre comment le coupable fait pour tirer sans être vu par quiconque et avec quoi, alors cette affaire sera plus rapidement réglée. Alors ce train pourra s’arrêter sans risquer d’exploser et les gens arrêteront de mourir d’une balle meurtrière. Les innocents pourront enfin sortir et rejoindre leur travail, leur maison, leur famille. Même si Amora et Frie sont en sécurité dans l’autre wagon, tant que les bombes sont toujours sur le train et qu’elles ne sont pas assurées de pouvoir en sortir indemne, elles sont autant en danger que Deshya, Tessa ou Annie. Elle doit trouver qui est le coupable… et le plus rapidement possible ! Deshya acquiesce dans le vide et laisse Tessa chercher l’autre chose, tandis qu’Annie reste à côté du cadavre et réconforte la femme traumatisée. La fille au pull de renard fait attention de ne pas écraser le cadavre et arrive à côté de Megure. L’homme chauve se tourne vers Deshya et l’interroge du regard.
– Pardon, je peux vous poser quelques questions, et cela rapidement ?” demande-t-elle, les mains dans les poches.
– Des questions… ?” répond Trisha, choquée.
– V-Vous pensez encore qu’un de nous trois est le coupable ?!” crie Dera.
Deshya acquiesce et la femme grince des dents : elle est clairement mécontente qu’on la prenne encore pour une suspecte.
– On se reposait tous les trois !” crie-t-elle. Je discutais avec Trisha pendant que Megure écrivait dans son journal !
L’homme sort le journal dont Dera parle et l’ouvre à un certain endroit. Deshya l’observe attentivement et remarque que cette page est…
– Des mots croisés…” remarque Deshya.
– Exactement. Je faisais mes mots croisés quand le tir a retentit. Regarde.
Il montre de son index un certain trait qui ne devrait pas être là. Elle n’a pas besoin de son explication pour comprendre ce qu’il signifie.
– Il a sursauté alors qu’il écrivait…” pense-t-elle.
Le trait qui parle de la lettre ‘a’ du mot ‘création’, mot qui n’a jamais été terminé. Deshya ne sait pas si c’est une preuve suffisante qu’il n’aurait pas pû tirer sur l’homme depuis sa place, surtout que Dera savait simplement qu’il avait le nez dans le journal, et non qu’il était concentré sur des mots croisés. Il aurait pû faire le trait en avance pour se créer un alibi, par exemple. Deshya tourne le visage vers Trisha.
– Donc vous discutiez avec la femme d’en face lorsque le tir a retentit ?” demande Deshya, voulant en être certaine.
Trisha acquiesce, tremblante. Deshya se demande si elle aussi est traumatisée par le coup de feu qui a retentit. Elle n’était pas à côté de la deuxième victime, cette fois-ci, mais vu qu’elle l’était pour la première, il n’est pas impossible de se dire qu’elle ressent une certaine peur en elle : Deshya ne la jugera pas. Elle ne veut pas la basculer, mais elle reste une suspecte et l’une des principales. Deshya ne peut pas la rayer de la liste simplement à cause de la peur qu’elle montre : rien ne dit qu’elle ne joue pas le jeu. Aussi crédibles soient les émotions d’une personne, Deshya ne peut pas se dire que ça signifie qu’il ou elle n’est pas le ou la coupable. Deshya plisse les yeux, mais Megure l’empêche de se concentrer lorsqu’il agrippe sa manche. Elle le regarde avec étonnement.
– Dites…
– Qu’y a-t-il ?” demande Deshya.
– … Vous pensez vraiment qu’un de nous trois est le tueur ?
Deshya ne répond pas. Silencieuse et ses yeux rivés sur le visage inquiet de l’homme, elle finit par acquiescer.
– Vous êtes à côté de la première victime et avez tous trois une possibilité de tirer sur la deuxième, surtout que si les deux femmes parlaient entre elles, vous auriez pû le tuer sans vous faire remarquer.
– H-Hein ?
L’homme ne semble pas heureux d’entendre ça. Cependant, Deshya n’a pas terminé sa phrase.
– Bien évidemment, rien ne dit que ce n’est pas une des deux femmes qui l’a tiré dessus. Cependant, Trisha aurait eu du mal à pouvoir tirer sans se faire remarquer. Bref, vous êtes le suspect principal à mes yeux, Megure.
Deshya ne cache pas sa suspicion. Elle fronce les sourcils en fixant Megure, n’hésitant pas à le défier du regard. Megure grince des dents, mais en même temps, l’inquiétude lui déchire le visage. Cependant, Deshya ne se concentre pas sur lui, mais sur la femme qui tremble toujours : Trisha. Quelque chose semble la tracasser grandement… mais quoi donc ?
– Sait-elle quelque chose… ?” se demande Deshya.
Pendant qu’elle est aux côtés des trois suspects, Tessa cherche où se trouverait cette chose-là. Ce qu’elle a entendu lorsque le premier tir a été entendu. Cela est… le deuxième tir.
– La victime s’est fait tirer dessus une seule fois. Il ne semble pas avoir un blessé ou un autre mort, sinon on l’aurait déjà remarqué. Bref, la deuxième balle a dû être tirée quelque part d’autre…
Mais où ? Et pourquoi ? Deux questions que Tessa se pose qu’elle considère importantes. Si elle arrive à trouver où l’autre balle a été tirée, il n’est pas impossible qu’elle puisse comprendre pourquoi et d’où elle viendrait. Cela pourrait être la clef de leur victoire : la façon de découvrir d’où le coupable peut tirer en discrétion. Elle tourne le visage vers l’une des fenêtres du train et plisse les yeux. Le paysage défile toujours, mais…
– Aucune vitre n’est ouverte ou brisée, donc le coupable ne peut pas venir de l’extérieur. Ce qui me dérange vraiment, par contre…
Elle se met à regarder de partout et Annie remarque que Tessa semble chercher quelque chose, et cela rapidement. La docteure s’excuse à l’autre femme et s’approche de Tessa.
– Qu’est-ce qu’il se passe ?” demande Annie.
Tessa a le visage levé, ses yeux scrutant l’entièreté du train avec grande attention. Elle répond à Annie sans même la regarder, ne pouvant pas s’arrêter de chercher même pour discuter.
– Je cherche où la deuxième balle pourrait se trouver,” avoue-t-elle.
– Deuxième balle… ?
Tessa acquiesce.
– Après le premier tir, un deuxième a retentit directement. Deshya l’a entendu aussi.
– Je n’ai rien entendu…
– Le premier tir nous a tous perturbé et le deuxième est vraiment parti directement après.
– Pourtant la victime n’a été tirée dessus qu’une seule fois…
Annie trouve ça très étrange et regarde les alentours. Aucune vitre n’est brisée — et puis, si une balle en aurait traversé une, ils l’auraient forcément entendue. Annie plisse les yeux et se retourne.
– Est-ce que quelqu’un est blessé ?!” crie-t-elle.
Les passagers se tournent tous vers la docteure et cette dernière s’avance un peu dans le couloir. Deshya arrête de poser ses questions aux trois suspects et regarde, elle aussi, Annie.
– Je répète, est-ce que quelqu’un est blessé ?!
Annie observe le wagon… mais personne ne lève la main ou s’avance. Aucun passager vient se lever pour la prévenir que la personne à côté d’elle aurait été touché par une balle ou même se sentirait mal. Annie continue à avancer, passant à côté de Deshya, mais aucun mouvement particulier ne se fait. Elle arrive tout près de la porte qui rejoint le troisième wagon au deuxième et celle-ci s’ouvre automatiquement en face d’elle, mais Annie ne la traverse pas et se retourne simplement.
Personne n’a réagi.
Tessa le remarque et continue ses recherches. Elle se doutait que personne n’avait été touché… mais alors, pourquoi avoir tiré cette balle ? Est-ce que le coupable aurait raté la première fois ? Tessa n’en est pas convaincue.
– S’il avait raté une première fois, il aurait tiré une deuxième fois un petit instant après, pas aussi rapidement…
Le timing entre les deux tirs est trop court pour que le coupable puisse remarquer que la première balle n’avait pas touché sa victime. Bref, que ça soit la première balle ou deuxième, quelque chose a dû se passer qui fait qu’il a retiré une deuxième fois. Peut-être un mauvais fonctionnement de son arme ? Ou alors il a eu peur lui-même du bruit du pistolet et a appuyé sur la gâchette à cause du bruit ?
– Je n’y crois pas trop, à celle-là…” pense Tessa en regardant un peu partout.
Tessa ne voit pas de balle dans les murs du wagon, donc soit elle se trouve dans le sol, soit dans l’une des chaises, soit au plafond. Elle fait un regard rapide vers Deshya et remarque qu’elle a rejoint Annie. Elle retourne son regard en face d’elle et met les mains dans les poches, devant chercher cette balle à tout prix. Après tout, elle le sait très bien : le train ne va pas continuer sa route indéfiniment. Cela doit faire plus d’une heure qu’il est sur les rails, alors si elles ne se dépêchent pas…
Alors le train sera forcé de freiner et s’arrêter, même si le conducteur ne le veut pas. Bref…
– Est-ce que vous avez appris quelque chose sur la victime ?” demande Deshya.
Annie acquiesce et s’appuie sur le mur juste à côté de la porte automatique, ce qui force cette dernière à rester ouverte. Annie parle doucement pour que seule Deshya puisse l’entendre.
– Il s’appelle ‘Simon Baybook’, 45 ans. Tout comme moi, c’est un docteur, mais il travaille dans un petit hôpital tout près de la capitale. La femme qui est à ses côtés est une amie avec qui il venait visiter Tetazo. Mais…
– Mais… ?
Deshya remarque l’expression perturbée de la femme en face d’elle. Annie soupire et regarde à gauche, puis à droite, mais personne ne semble pouvoir l’entendre. Deshya approche un peu sa tête d’elle pour s’assurer que seule elle puisse entendre ce qu’Annie a à dire.
– Elle m’a dit qu’il est dans un groupe de dix personnes qui ont été invitées à Tetazo.
– !!
Deshya fronce les sourcils. Cela signifie… ?!
– Est-ce que Nikolas était parmi ces dix personnes ??” demande Deshya.
Annie acquiesce.
– Et qui est la personne qui a proposé ce planning ?” demande la fille.
– La réponse ne te plaira pas.
– Pourquoi donc… ?
Les mots d’Annie ne rassurent pas du tout Deshya. Pourquoi ne serait-elle pas ‘heureuse’ de la réponse qu’elle va lui offrir ? Si elles peuvent savoir qui a prévu un tel trajet, alors ils peuvent probablement découvrir l’identité du coupable. Cependant—
– Celui qui a proposé ce voyage est anonyme et ne semble pas faire partie des dix personnes.
Deshya ouvre grand les yeux, mais rapidement les plisse avec frustration. Annie continue ses explications.
– Elle m’a dit que Nikolas et Simon se connaissaient de loin, mais je n’ai pas pû faire un vrai lien entre les deux. De plus, les autres membres du voyage ne sont pas tous dans ce wagon.
– Qui sont les autres personnes qui se trouvent dans ce wagon, alors ?!
Annie lui dit les deux prénoms qu’elle a pû avoir de la part de la femme et Deshya se retourne avec des yeux choqués. Le prénom de cette personne vient d’être prononcé… ! Est-ce que cela signifie qu’elle est la coupable ou alors…
La prochaine victime ?!
Pendant ce temps, Tessa continue à chercher de son côté. La balle perdue doit bien se trouver quelque part : elle n’a pas pû rêver ! Elle l’a bien entendu ! Deshya aussi, ce qui prouve que ça ne peut pas avoir été son imagination. Tessa commence à ressentir de la frustration, ce qui mène à une certaine colère en elle. Le train ne va pas continuer sa route à tout jamais et s’ils ne trouvent pas qui est le coupable avant ce moment-là, alors ils vont tous mourir ! Tessa s’avance dans le couloir en observant le plafond.
– Quand même, le message que la station a reçu m’intrigue…
Tessa tourne le regard vers la droite, ensuite la gauche, mais elle ne voit toujours rien.
– Deux hommes viennent de mourir et c’est probablement la même personne qui a écrit le message et qui les a tués tous les deux. Cependant, il prend bien son temps : bref, il doit savoir qu’au bout d’un moment, le train va s’arrêter tout seul, non ? S’il avait l’intention de tuer tout le monde avec lui dans ce train, il ne s’embêterait pas à les tuer un par un et risquer de se faire attraper, donc les bombes doivent être une excuse pour commettre ses crimes sans interruption. Il prend probablement son temps parce qu’il a remarqué qu’Annie se trouvait dans le même wagon que lui et notre arrivée à toutes les deux, Deshya et moi.
Tessa observe derrière le siège de l’une ou l’autre personne, bombardée de regards divers de la part des passagers.
– Il n’a plus l’occasion de faire ce qu’il veut et il sait que si on le voit faire, alors on va l’arrêter. Il doit avoir son téléphone sur lui et probablement quelque chose pour allumer les bombes, donc si on l’empêche de les activer, le train pourra s’arrêter sans problème.
Deshya lui en a parlé. Tessa pensait au début que les bombes réagissaient en fonction de la vitesse du train, mais son amie au pull de renard lui a dit que ça ne pouvait pas être possible : les bombes ont dû être posées à l’avance, probablement la nuit d’avant. Même si les bombes n’étaient activées que maintenant, Deshya ne voit pas comment elles pourraient fonctionner uniquement avec la vitesse du train. Bref, il doit avoir une télécommande pour les activer si le train vient à freiner ou s’arrêter. Tessa ne peut pas s’empêcher de penser qu’il n’est pas impossible que les bombes puissent réagir en fonction de la vitesse, mais elle a aussi pensé à quelque chose : même si c’est le cas, elles ont la possibilité d’être désactivées d’une façon ou d’une autre. Sinon, pourquoi le coupable viendrait-il à dire qu’il enverra un message lorsque le train pourra s’arrêter ? Si ce sont des bombes qui détonnent si le véhicule descend en-dessous d’une certaine vitesse, alors quoi qu’il advienne, elles exploseront. Tessa lâche un bruit de frustration, ne cachant pas sur son visage l’embêtement de la situation.
– Je dois y penser quoi, moi ?!!
Tessa a envoyé de frapper quelque chose et lâcher une partie de sa frustration, mais elle doit se concentrer et trouver cette fichue balle. Elle lève la tête, les yeux enragés, et là—
– !!!
— elle trouve enfin la balle.
Elle se retourne et se met à courir dans le couloir du wagon, évitant d’écraser le cadavre de la première victime, et s’arrête devant Annie et Deshya. Les passagers, toujours inquiets, les observent en se demandant ce qu’il se passe. Pendant ce temps, Mista et Minerva prennent des photos ensemble avec leur bâton à selfie.
– Belle duckface la best !” dit Mista.
– Trop graaaave !
Tessa a envie de vomir en les entendant, mais elle secoue la tête et l’approche des deux en face d’elle.
– J’ai trouvé la balle,” avoue-t-elle.
– C’est vrai ?!
– Où ça ?” demande Annie.
Tessa leur dit de la suivre, ce qu’elles font. Annie marche lentement en regardant tout le monde, tandis que Deshya s’avance d’un pas plus pressé. Vu ce qu’elle vient d’apprendre de la part d’Annie, elle se dit qu’elle a désormais une bonne piste. Le problème est de savoir dans quel sens va cette piste. Elle n’a pas le temps d’y réfléchir plus longtemps : Tessa pointe du doigt l’endroit où se trouve la balle. Deshya et Annie la voient assez rapidement et l’observent.
– Donc le deuxième tir…
– Presque dans le plafond.
La balle peut être observée à l’œil nu et sans avoir à la sortir de là : elle est dans le mur du wagon, mais juste en-dessus du plafond du train. Elle est incrustée dans le mur, mais on peut voir son derrière ressortir, n’ayant pas réussi à traverser le mur plus que ça. Annie leur dit de reculer et demande à l’un des deux hommes, qui se trouvent juste à côté, s’ils peuvent l’aider à prendre cette balle : c’est une preuve indispensable de l’affaire qu’elles mènent. Deshya explique à Tessa ce qu’elle a appris grâce à Annie tandis qu’au loin, dans le même wagon qu’elles, une figure grince des dents.
– Ils ont trouvé la balle… Merde ! Merde !!
Le coupable s’énerve intérieurement, n’arrivant pas à croire qu’une telle erreur a pû être commise de sa part. Il a bientôt terminé sa vengeance, alors il ne peut pas laisser ces trois femmes faire n’importe quoi… Le train arrive bientôt à sa destination, alors il doit réfléchir. S’il fonce tête baissée, il va se faire avoir ; s’il reste trop passif, il sera trop tard pour terminer le boulot. Il est certain qu’elles l’ont déjà remarqué.
Même après ce deuxième meurtre, le train ne freine pas. Cela ne peut vouloir dire qu’une chose…
– Le coupable compte encore commettre un meurtre, si pas deux.
– Je pense pareil.
Tessa acquiesce à l’affirmation de Deshya et Annie croise les bras. Elle a mis la balle dans un sac en plastique et l’a rangé dans son petit sac. Ce dernier est à côté de sa valise, gardé par l’un des deux hommes. Elle est certaine qu’ils n’ont pas commis le meurtre, vu l’endroit où ils se trouvent, donc elle leur fait confiance : surtout qu’ils les aident à garder le calme dans ce wagon.
– Personne n’est sorti ou rentré, pas vrai ?” demande Deshya.
– Personne,” affirme Annie.
Deshya tourne son regard sur le long couloir du wagon et l’observe attentivement. Tessa fait de même, mais elle pense plus à la balle qu’elle a trouvé dans le mur du wagon. Pourquoi se trouvait-elle là ? Serait-elle la preuve que le coupable a raté sa cible la première fois… ? Cela semble complexe à croire, surtout vu que la deuxième balle a été tirée directement après la première.
– Alors pourquoi… ?” se demande Tessa.
Deshya continue d’observer le long couloir du wagon silencieusement. L’un des passagers, masculin ou féminin, se trouve être le coupable de ces deux meurtres. Celui ou celle qui a mis fin à la vie de deux personnes… toutes deux venant du même voyage. Deshya ne peut pas croire à une coïncidence, mais cela signifie que la prochaine victime…
– …
Si le coupable aurait voulu tuer la femme qui se trouve aux côtés de ‘Simon’, la deuxième victime, alors il aurait pû le faire directement après. Le temps entre les deux meurtres est aussi quelque chose qui perturbe Deshya. Pourquoi attendre aussi longtemps ? Tessa et elle-même n’étaient pas encore dans le wagon et il n’aurait pas pû savoir qu’Annie venait de la police, vu ses vêtements. Même s’il connaissait sa tête, pourquoi attendre à ce point ?
– Sûrement parce que le meurtrier pourrait rapidement se faire remarquer s’il osait tirer plusieurs fois d’affilée… mais du coup, ça nous donne plus de temps pour réfléchir.
– Ne faudrait-il pas sortir les potentielles victimes du wagon ?” demande Tessa.
Deshya a pensé à cela aussi et acquiesce. Cependant, Annie ne semble pas convaincue, ce qui surprend les deux adolescentes.
– Si on les laisse ici, elles vont sûrement se faire tuer… !” lâche Deshya.
Annie frotte son écharpe contre sa joue, son regard posé sur la porte automatique de l’autre côté du wagon.
– Je suis d’accord avec vous deux… mais c’est plus complexe que ça,” avoue-t-elle.
– C-Comment ça… ?
– Déjà, rien ne dit que la prochaine victime sera dans ces trois-là. De plus, rien ne dit que le coupable ne fait pas partie de ces trois personnes. Plutôt deux, vu que la femme à côté de Simon n’aurait pas pû commettre le meurtre, surtout vu l’angle de la deuxième balle et l’endroit où elle se trouve.
Annie l’a remarqué et en a parlé avec les deux adolescentes : l’angle de la balle est telle que seulement une personne de la rangée de gauche aurait pû la tirer. Si quelqu’un de la rangée de droite, là où Simon s’est fait tué, aurait tiré la balle, elle aurait traversé le mur d’une façon bien plus droite, vu que c’est du côté droit du wagon que la balle a pénétré le mur. Bref, les trois suspects principaux — Megure, Trisha et Dera — sont dans la ligne de mire des deux ‘détectives’ et de la docteure. L’homme au parapluie, celui au prénom de ‘Ketty’, n’est pas à rayer de la liste non plus, surtout qu’il bouge entre plusieurs places, peut-être pour avoir un meilleur angle sur sa cible. Annie continue son explication, bras croisés.
– De plus, si le coupable remarque qu’on fait sortir sa prochaine cible ou ses prochaines cibles, il va peut-être se mettre à tirer sur elles pour finir le travail. Cela peut être une solution, cependant : on les fait sortir en espérant qu’il décide de finir le travail sans y réfléchir et une de vous deux le plaque au sol au même moment. Néanmoins, j’ai peur de l’autre possibilité.
– L’autre possibilité… ?” répète Deshya.
Annie acquiesce.
– La raison pour laquelle des bombes ont été placées dans le train est pour éviter qu’il s’arrête et qu’il puisse commettre les meurtres sans être dérangé : c’est sûrement pour ça qu’il a réussi à faire en sorte que la porte du troisième wagon, celle qui nous amène au quatrième, est bloquée. Cependant, celle qui mène au deuxième wagon n’est pas bloquée.
– C’est vrai que je trouve ça bizarre…” avoue Tessa.
– Je ne sais pas si c’est une erreur de sa part ou s’il y a une autre raison, mais je me dis que c’est possible que ça soit pour avoir la route libre en face de lui.
Deshya et Tessa se regardent, ne comprenant pas ce que veut dire Annie. Elle remarque l’air perturbé des deux adolescentes et sourit doucement.
– Ce que je veux dire, c’est qu’il puisse aller voir le conducteur s’il en a besoin,” dit-elle.
– Aaaah, je vois !
– Cependant, c’est bien trop extrême, c’est ça ?
Deshya pose la question avec un air presque amusé. Annie acquiesce à nouveau.
– Si des bombes sont réellement mises dans le train, c’est bien trop extrême pour simplement les tuer de la sorte. Si les cibles du meurtrier sont réellement les gens du voyage, pourquoi mettre autant en place ? Il savait qu’ils allaient être à bord du train, mais pourquoi attendre qu’ils soient dans le wagon pour les tuer ? N’aurait-il pas pû prendre avantage de leur voyage à Tetazo ?
– Je ne pense pas que ça soit possible.
– Ah bon ?
Cette fois-ci, c’est Deshya qui acquiesce.
– Pendant que vous étiez en train d’analyser la balle dans le mur, j’ai discuté rapidement avec la dame qui se trouve juste à côté du corps de Simon. Elle m’a expliqué que pour ce petit voyage à Tetazo, ils étaient tous ensemble et en pleine nature, donc si le meurtrier avait tenté quoi que ce soit à ce moment-là, il aurait forcément été vu.
– Je suppose que les cibles du coupable ne sont pas les dix personnes non plus, sinon il aurait pû trouver un meilleur moyen de les tuer tous ensemble que de leur tirer dessus un par un dans un train,” lâche Tessa.
Annie regarde le cadavre de Nikolas, toujours dans le long couloir du wagon, et sent son cœur battre de plus en plus rapidement. Plus elles réfléchissent, plus cette affaire semble avancer… comme reculer.
– Les bombes dans ce train…
Deshya et Tessa regardent Annie en même temps. La femme se mord la lèvre inférieure.
– Les bombes dans ce train… Je pensais à quelque chose.
Annie tourne le visage vers les deux adolescentes.
– Dès que ce train s’arrête, la police sera forcément autour pour fouiller tout le monde et je ne sais pas comment le coupable fera pour ne pas se faire avoir. Même s’il veut forcer le train à s’arrêter d’un coup, Gatito m’a envoyé un message pour me prévenir que deux hélicoptères surveillent le train et que la police des autres villes sont déjà prévenus. Quoi qu’il advienne, je ne sais pas comment il fera pour s’échapper sans se faire attraper.
Deshya comprend où Annie veut en venir et sa bouche est faiblement ouverte, incapable de se fermer. Tessa plisse les yeux, mais elle comprend à son tour et tourne son visage vers Annie avec rapidité.
– Vou-Vous ne voulez pas dire… ?!
Annie observe le couloir entier en baissant la tête, sourcils froncés et ses yeux fixés sur la porte en face d’elle.
– Si.
D’un seul mot, elle arrive à arrêter le cœur des deux filles. Deshya serre les poings et crie à Tessa de rester ici avant de courir dans le couloir. Annie attrape son téléphone et regarde l’heure : ça va faire 1h40 depuis le départ du train. Il ne va pas rester très longtemps sur les rails… ! Tessa touche le bord de sa casquette en se mordant la lèvre inférieure.
– Mais si Annie a raison… C’est un maniaque ! Ce putain de meurtrier est un sale fils de… Fils de chien !!!
Elle se met à avancer dans le couloir à son tour, mais ne rejoint pas le deuxième wagon comme Deshya. Elle observe tout le monde avec des yeux enragés et se met à transpirer. Elle a presque envie de rire : cela fait longtemps qu’elle ne s’est pas sentie aussi mal. Son instinct l’alerte aussi.
– Si Annie a raison… !!
Elle n’aime pas sentir son cœur battre à la chamade de la sorte. Le stress qui l’empêche de bien respirer, sa gorge sèche et serrée… Annie ne sait pas si elle aurait dû dire une telle chose aux deux filles, mais elle n’arrivait pas à garder ça pour elle. Elle dépose son dos contre la porte automatique impossible à ouvrir et soupire.
– Par pitié, Dieu, faites que j’aie tort… ou par pitié, trouvons le coupable à temps.
Parce que si Annie a raison, alors cela signifie que même après avoir tué ses cibles, le coupable compte faire exploser le train dans tous les cas.
Un trajet qui jamais n’atteindra sa destination, parce que seule la mort les attend au bout de cette affaire.