Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 40 – Le trou dans le mur
Chapitre 39 – La bagarre Menu Chapitre 41 – L’arbre de corail

Ce trou était un point clé de tout l’incident. Le souvenir qu’en avait Poker-face s’arrêtait là et ce qui s’était passé ensuite demeurait un mystère complet. Ce qu’il y avait dans le trou, comment il en était sorti et si les autres avaient, eux aussi, perdu la mémoire, tout cela n’était que spéculations, rien ne permettait de tirer une conclusion.

J’examinai très attentivement la cavité. De l’extérieur, on aurait pu penser qu’il s’agissait d’une ouverture mal placée (à l’exception de la guerre des tunnels, je n’avais jamais vu personne créer une entrée à ce genre d’endroit). De ce que je pouvais voir concernant l’intérieur, elle était faite de la même brique de mortier jaune que la pièce dans laquelle nous nous trouvions. La structure, dans son ensemble, semblait très commune. En fait, j’avais vu de nombreux trous de ce type dans des usines de fabrication de charbon de bois à Shanxi. Tous servaient d’échappement pour les fours à briques, mais compte tenu de la disposition de la tombe, il était très étrange d’en trouver un à cet endroit. À quoi pouvait-il bien servir ?

D’aussi loin que je me souvienne, presque toutes les tombes étaient structurellement symétriques. Il était rare d’y trouver un passage ou une pièce supplémentaire sans raison, sauf si c’était là une lubie de la part du propriétaire. Si tel n’était pas le cas ici, il ne restait que deux possibilités :

Ma première pensée fut qu’il pouvait y avoir des objets funéraires cachés à l’intérieur, ce qui n’aurait pas été surprenant. D’après les notes de mon grand-père, de nombreuses personnes avaient prévu des pièces secrètes dans leurs tombes, mais en général, celles-ci étaient très habilement dissimulées. Concernant ce trou, par contre, il n’y avait ni trappe ni camouflage. Juste un miroir placé devant, ce qui semblait un peu ridicule.

Seconde hypothèse : il était peut-être lié au Feng Shui. Ce qui m’amena à cette hypothèse était que les miroirs, dans ce domaine, sont des accessoires très importants et le fait qu’ils aient été placés à cet endroit devait avoir une certaine signification. D’une manière générale, le fait de créer une ouverture dans une pièce est appelé « tong » en Feng Shui, c’est-à-dire endroit par lequel passe l’énergie. Placer un miroir devant l’ouverture permettait soit d’attirer l’énergie vers l’intérieur, soit de la libérer vers l’extérieur afin qu’elle ne se retrouve pas piégée.

On appelait cela le « petit Feng Shui » et il était très différent du « grand Feng Shui » des temps anciens. Tout comme le Mahayana et le Hinayana dans le bouddhisme (1), le petit Feng Shui consistait à trouver des moyens de changer les choses. En d’autres termes, il s’agissait d’utiliser certaines méthodes pour, dans un espace réduit, faire d’une mauvaise situation une bonne. Comme je trouvais cet aspect intéressant, j’en savais beaucoup plus à son sujet que pour le grand Feng Shui.

Je suivis la direction vers laquelle le miroir était orienté et fis le tour de la pièce, espérant y trouver quelques indices utiles. La disposition du lieu était exactement telle que Poker-face nous l’avait décrite plus tôt et comme rien n’avait changé depuis vingt ans, la seule source de lumière provenait des quatre perles situées sur chacun des murs. La maquette du palais céleste, située au centre, était donc cachée dans l’obscurité et ma lampe de poche ne me permettait d’en voir que d’infimes parties. Après avoir balayé plusieurs fois la pièce, mon regard fut attiré par les peintures d’ombre.

Je m’étais déjà fait une idée de ce qu’elles représentaient d’après la description qu’en avait faite Poker-face. Si celles-ci m’avaient semblé très vagues et indistinctes à ce moment-là, maintenant que je les voyais de mes yeux, je les trouvais très réalistes. En y regardant attentivement, on pouvait y voir de nombreux détails, très précis.

Tout d’abord, je découvris que les montagnes enneigées sur la fresque étaient probablement le versant nord de la Montagne Changbai à Jilin. Non pas que j’aie une mémoire extraordinaire, mais les principaux sommets de cette chaîne de montagne étaient si caractéristiques que quiconque s’y était rendu les aurait reconnus.

Second détail :  les membres du cortège funéraire étaient tous vêtus dans le style Yuan. La personne dans le cercueil était donc probablement un éminent dignitaire de la dynastie Yuan. (2) Cela laissait entendre que le Palais Céleste sur les Nuages avait été édifié à la fin de cette dynastie, lors d’un changement de règne. Pour avoir pu construire un tombeau de cette taille dans un monde aussi chaotique, le propriétaire ne devait pas être quelqu’un d’ordinaire.

Enfin, le cortège était essentiellement féminin. C’était non seulement surprenant, mais également inconcevable. Si je ne savais pas en quoi consistait le cérémonial d’enterrement chez les Mongols, il était totalement inédit qu’un cortège funèbre fût composé uniquement de femmes.

Je relevai de nombreux autres petits détails de ce genre, cependant, je ne savais pas s’il s’agissait d’indices intentionnellement laissés par les artisans ou simplement d’un style propre à ces derniers.

Je compris alors qu’il était possible de localiser ce palais céleste. Il suffisait de trouver, dans un village de montagne, quelqu’un qui connaisse bien le terrain. Toutefois, le palais était enseveli sous des centaines d’années de neige et le permafrost était très mou. Un seul faux mouvement en creusant pouvait provoquer une petite avalanche et vous piéger dans la neige à jamais.

Mais ces indices n’avaient certainement rien à voir avec le trou dans le coin de la pièce. Je m’approchai des trois autres miroirs pour inspecter les murs, mais n’y vis rien de spécial. Apparemment, toutes nos questions ne trouveraient de réponse que si nous entrions dans le passage. Je revins vers celui-ci et je constatai que Poker-face était toujours là, à le fixer. Son regard – ce qui était rare – exprimait  l’incertitude, comme s’il réfléchissait à quelque chose. Me voyant arriver, il me dit :

― Je crois que je vais devoir y retourner.

Durant un instant, je fus pris au dépourvu.

― Pas question ! Tu veux donc gâcher ta vie ? Si tu perds la mémoire pendant encore vingt ans, tout ce que tu as fait jusqu’ici n’aura plus aucun sens.

― Je ne suis pas comme toi, répondit-il d’un ton indifférent. Pour toi, ce qui s’est passé ici n’est rien d’autre qu’une curieuse expérience mais pour moi, c’est un immense mystère. Si je ne parviens pas à comprendre ce qui s’est passé, jamais je ne pourrai vivre en paix, quand bien même je me souviendrais de tout.

Ses propos me rendirent nerveux. Si je m’y étais opposé, ce n’était pas parce que je ne le comprenais pas, mais parce que notre environnement actuel ne nous permettait pas la moindre complication. Il nous fallait au plus vite nous échapper de ce tombeau, sans quoi, quand bien même nous aurions percé tous les secrets du monde, ils perdraient aussitôt toute valeur lorsque l’air viendrait à manquer et nous finirions tous asphyxiés.

Je lui fis part de mes inquiétudes et une lueur de doute passa sur son visage.

― Es-tu vraiment certain que nous pouvons sortir ? me demanda-t-il.

Sa question me fit réaliser que je n’avais pas encore inspecté le plafond de l’endroit où nous nous trouvions. Je m’empressai de lever la tête et l’examinai attentivement.

Dans tous les documents que j’avais lus jusque-là, les plafonds des tombes de la dynastie Ming étaient décrits comme très solides, du fait des poutres qui les soutenaient selon une formation de sept horizontales et huit verticales. D’après moi, celui de cette pièce aurait dû avoir une structure arquée, élevée en son centre et avec deux côtés bas afin de résister à la pression de l’eau, néanmoins il était plat, à l’image des tombes terrestres traditionnelles. Et dans ce cas, l’emplacement du trou n’avait pas vraiment d’importance.

Cette salle était haute de plus de dix mètres et il n’y avait rien que nous puissions utiliser pour grimper. La seule solution était donc de faire des entailles dans les piliers à l’aide des pieds des miroirs, de grimper jusqu’au plafond, de percer la couche d’argile blanche, puis de trouver un moyen de s’attaquer aux briques bleues. Un excès de prudence n’était pas nécessaire. Il nous suffisait de calculer le bon moment et de détruire la structure porteuse au-dessus pour qu’un trou se fasse naturellement et que l’eau de mer se mette à inonder le tombeau. Celui-ci rempli, nous pourrions facilement nous échapper.

Le point essentiel de ce plan était le timing. Si la structure supportant la pression n’était pas détruite à marée basse, le plafond tout entier risquait de s’effondrer sous l’effet de l’eau et de nous écraser.

J’expliquai cela à Poker-face en insistant sur le fait que nous avions de très bonnes chances de nous en sortir. La tombe serait certes endommagée, mais elle ne disparaîtrait pas et tout resterait à l’intérieur. Il pourrait revenir quelques jours plus tard avec l’équipement nécessaire et prendre le temps de fouiller.

Il acquiesça, enfin convaincu. Gros lard, qui n’en pouvait plus, prit la parole.

― Dans ce cas, qu’est-ce qu’on attend ? Commençons tout de suite. Nous allons d’abord nous occuper du pilier. De cette façon, nous ne serons pas pris de court.

Je jetai un coup d’œil à ma montre. Il restait six heures avant la marée basse, ce qui signifiait que nous avions encore pas mal de temps devant nous.

― Nous avons dépensé beaucoup d’énergie tout à l’heure et nous n’avons rien mangé. Autant dire que notre état n’est pas folichon. Nous devrions prendre le temps de nous reposer car nous ignorons ce qui nous attend une fois sortis d’ici. Il se pourrait que le bateau soit déjà parti et si nous sommes trop faibles pour nager, nous pourrions nous noyer. Finir comme ça après tout ce que nous avons traversé, ce serait vraiment bête.

Si Patapouf était très motivé au départ, la logique de mes propos l’assombrit. Il se gratta la tête :

― Merde, il faut encore attendre ? Très bien, je vais dormir un peu. Appelle-moi quand nous pourrons commencer à travailler.

J’avais trouvé un endroit pour m’asseoir contre le mur, mais d’innombrables pensées me traversaient l’esprit. Je fis un rapide calcul quant à la vitesse à laquelle l’eau allait remplir la pièce. Si le passage menant à la stèle au fond du bassin était fermé, il n’était pas scellé, aussi était-il certain que l’eau s’y écoulerait, bien qu’à un rythme beaucoup plus lent que celle qui se déversait par le plafond. La majeure partie de l’eau s’engouffrerait donc d’abord dans cet étrange trou dans le mur. Seul souci : je ne savais pas où celui-ci menait. S’il était relié à d’autres pièces, cela poserait évidemment problème, un tourbillon pouvant se former et nous aspirer à l’intérieur.

Cette pensée en tête, je scrutai les sombres profondeurs de la cavité, me demandant s’il y avait moyen de la boucher. L’idée me vint alors d’utiliser, pour cela, des morceaux de la maquette. Je calculai la hauteur et la largeur du trou tout en réfléchissant à la meilleure façon de l’obstruer.

Mon attention était concentrée sur l’ouverture lorsqu’un sentiment très étrange m’envahit.

Dans l’obscurité du passage, une sorte de force compulsive attirait mon regard et m’empêchait de le détourner. Je tentai bien de le faire, mais mon cou et mes yeux étaient comme paralysés.

Dans le même temps, je sentis une agitation indescriptible monter en moi, le sentiment qu’éprouverait une personne affamée à qui l’on aurait remis un sac de nourriture qu’elle ne pourrait pas ouvrir. Je ressentis alors une irrépressible envie d’entrer dans le trou pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur.

Tout se passa en un instant et sans prévenir. Le temps que Gros-lard et Poker-face s’aperçoivent que j’avais un problème, il était déjà trop tard. Je repoussai ce dernier – qui se tenait devant moi – et me précipitai dans les ténèbres. Comme j’étais très proche de l’entrée, Poker-face n’eut pas le temps de m’en empêcher.  Je ne réalisais pas ce que je faisais. Je n’avais qu’une idée en tête, courir jusqu’au plus profond du trou pour voir ce qu’il y avait là-bas. Je ne pris même pas la peine d’allumer ma lampe torche et courus dans l’obscurité, sans faire attention à ce qu’il y avait sous mes pieds et sans m’inquiéter de savoir si quelqu’un me suivait ou non.

Mais je n’avais pas fait quelques mètres que je sentis une rafale de vent dans mon dos, puis une douleur fulgurante me traversa le genou gauche. Ma jambe se déroba et je tombai à terre.

Ce fut une mauvaise chute. Mon front heurta le sol. La douleur fut telle que j’avais l’impression que mon esprit bourdonnait et de plus, je saignais du nez. Mais cela avait eu pour effet de faire taire l’agitation qui régnait en moi et brusquement, tout revint à la normale.

Je restai un moment allongé là, abasourdi, ne ressentant rien d’autre qu’un sentiment étrange et indescriptible. Ce trou était vraiment puissant pour que le simple fait de regarder cette masse de ténèbres vous fasse perdre la tête. Manifestement, j’avais bien failli moi-même succomber à ce tour.

Je regardai en arrière, et vis que Poker-face et Gros-lard m’avaient suivi. Une lampe torche – probablement ce qui m’avait frappé au genou – gisait sur le côté.

Ils s’approchèrent et, sans un mot, m’attrapèrent chacun par un bras pour me traîner hors du passage. Je tentai de me lever, mais mon genou blessé ne put supporter mon poids. Ils me traînèrent un temps dans l’étroit passage sans parvenir à me soulever. De plus, les faisceaux de leurs lampes faisaient des bonds à chacun de leurs mouvements, ce qui rendait la scène particulièrement chaotique.

Voyant qu’il n’était pas facile de me tirer d’une main, le gros glissa sa torche sous son aisselle, m’entoura de ses deux bras et me traîna vers l’entrée. Ses gestes étaient si violents et saccadés que j’en fus presque sonné.

Soudain, alors que sa lampe balayait une partie du passage, quelque chose jaillit de l’obscurité qui me fit penser à une personne tapie dans le noir.

Le faisceau de lumière avait passé trop vite pour que je puisse voir clairement ce dont il s’agissait, mais j’étais certain que c’était un être humain. Je pensai aussitôt à Oncle San.

― Attendez une minute, il y a quelqu’un devant nous ! Criai-je.

Le gros éclaira aussitôt l’endroit et nous aperçûmes quelqu’un de dos. Mais déjà, la personne s’était relevée et avait pris la fuite.

Malgré notre stupéfaction, nous voyions très bien que nous avions affaire à un être humain, mais impossible de dire de qui il s’agissait. Poker-face fut le premier à réagir.

― Vite, suivons-le ! cria-t-il.

Joignant le geste à la parole, il partit comme une flèche. Le gros le suivit avec un juron.

Je me relevai à grand peine et fis quelques pas en boitant. Poker-face avait déjà attrapé l’intrus et était aux prises avec lui. Gros-lard se jeta dans la mêlée et tous deux le poussèrent à terre. Il prit ensuite sa lampe torche et la braqua sur le visage du fuyard :

― Ah ! Cria-t-il, C’est A Ning !

Je m’approchai pour jeter un œil et je fus surpris par le spectacle qui s’offrait à moi. Elle avait les cheveux ébouriffés, le visage sale, sa combinaison de plongée était déchirée et elle puait à plein nez. Je remarquai également du sang près de son nez et aux coins de sa bouche. J’ignorais ce qui avait bien pu la mettre dans un tel état, mais à bien y réfléchir, nous n’étions guère mieux lotis. Gros-lard, en particulier, était si couvert de blessures qu’il était difficile de le regarder sans grimacer.

En apercevant la femme, celui-ci entra dans une grande colère et se mit à débiter des grossièretés tout en montrant son nez du doigt. Mais très vite, Poker-face l’arrêta :

― Une minute !  Il y a quelque chose de pas normal chez elle !

Notes explicatives :

(1) Dans le bouddhisme, Hinayana signifie “véhicule inférieur”, tandis que Mahayana signifie “véhicule supérieur” (dans ce cas, le véhicule fait référence à quelque chose que les gens utilisent pour passer de la rive des illusions, où il y a de la souffrance, à la rive de l’illumination, qui est le pays du Bouddha). Les enseignements du Hinayana mettent l’accent sur l’illumination personnelle tandis que les enseignements du Mahayana mettent l’accent sur l’illumination personnelle et collective (des autres).

(2) La dynastie Yuan (ou mongole) a duré de 1279 à 1368.



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