Nefolwyrth
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Chapitre 50 – Derrière chacun de leurs sourires
Chapitre 49 – La bénédiction du cygne Menu Chapitre 51 – Douces nouvelles saveurs

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La neige était de plus en plus fine, et les jours de plus en plus doux. J’étais néanmoins chaudement couvert pour ma sortie du jour. Le soleil était bientôt à son plus haut et une dernière épreuve me séparait d’une pause repas bien méritée.

Ma main ne s’éloignait jamais de mon cimeterre, et je progressais entre les arbustes et les grands conifères.

Mahoganie était quelque part dans les environs, et aujourd’hui, je comptais bien lui montrer mon nouveau pouvoir.

Je tentais d’aiguiser mes sens. Je me fiais surtout à mes oreilles car ses mécanismes finiraient sûrement par la trahir.

Mais ce fut des pas que j’entendis en premier.

Mahoganie, je te trouve bien imprudente. Cette erreur va te coûter cher.

J’avançais d’un pas feutré, m’accroupissant presque. Elle ne devait être qu’à une poignée de mètres de moi, sur un sentier que je connaissais bien sans pour autant savoir où il menait.

Je ne comptais pas l’attaquer dans le dos, mais décidai de soigner mon entrée sans raison particulière.

Je jaillis de la végétation enneigée, et terminai ce bond au plein milieu du petit chemin, Caresse dégainée.

Lucéard : « Quand j’en aurai fini avec toi, c’est moi qui te ferai un câlin ! »

Lusio : « … »

Lucéard : « …Heu. »

Mon visage pétrifié venait de croiser celui de Lusio, l’homme au visage pâle et inquiétant qui régnait sur le village d’Azulith.

En le voyant, je ne pouvais que voir l’assassin de ma sœur, celui qui m’avait tout pris.

Il me dévisageait en retour de son expression la plus froide. Je parvenais enfin à percevoir les ténèbres qui émanaient de lui.

L’atmosphère avait pris un tournant radical. Je gardais mon cimeterre bien en main, la lame pointée vers lui en permanence.

Il ne s’intéressait manifestement pas à ma provocation et de mon côté, j’étais trop abasourdi pour dissiper cet embarrassant malentendu.

Chacune de mes rencontres avec un empereur m’avait laissé aux portes de la mort. Malgré tout ce que j’avais traversé depuis la dernière fois, il lui suffisait d’utiliser la moindre illusion pour me tuer sans effort. J’étais à sa merci dès le moment où il m’avait vu.

Lusio : « Alors c’était vrai. Tu es resté. »

Rien que sa présence me paralysait, sans qu’il n’ait à me montrer ses plus terribles sentiments.

Lusio : « Tu as eu l’occasion de partir loin, et de vivre, tu as eu tant d’occasions de disparaître, mais tu n’as jamais retenu la leçon. »

Il s’approchait sans craindre mon arme et me regardait de haut, avec contrariété.

Lusio : « Tu as mis en danger toute ta famille, et tu as encore failli y passer. Par un caprice de Musmak, par un hasardeux miracle, tu es encore de ce monde, et malgré tout, tu as la bêtise de revenir ici, et d’espérer me tuer ? »

Il y avait bel et bien un malentendu. Néanmoins, je pouvais ainsi clarifier qu’il n’avait pas les mêmes intentions que Musmak, ni même celles de leur supérieur. Il ne semblait pas en vouloir à ma vie, mais sa voix suffisait à me faire hérisser le poil. Malgré tout…

Je ne te pardonnerai jamais, Lusio. Je ne te pardonnerai jamais ce que tu lui as fait.

Lucéard : « Tu te trompes. »

La surprise et la peur viscérale que m’inspirait cet homme laissèrent place à une colère contenue.

Lucéard : « Ce n’est pas à un miracle que je dois ma survie. C’est à un ami. Tout comme je dois ma vie au sacrifice de ma sœur. Et c’est notamment pour eux que je ne resterai pas toute ma vie terré dans cette forêt. Le jour viendra où je m’assurerai que vous ne nuirez plus jamais à tous ceux que j’aime. »

Ce n’est qu’un instant après avoir prononcé ces mots que je me rendis compte que j’aurais dû les garder pour moi. S’il décidait de m’éliminer maintenant, même fuir était probablement hors de ma portée.

Lusio : « Si tu tenais vraiment à rendre grâce à leur sacrifice, tu ferais en sorte de ne pas mourir bêtement. Et en m’affrontant maintenant, tu es sûr de périr. Est-ce là ce que tu souhaites ? »

Je serrai les dents, la pression n’allait qu’en s’accentuant, et ma vie dépendait sûrement de mes prochaines réponses.

Lusio : « En finir avec toi ici et maintenant rendrait service à tous ceux qui t’entourent. Ils n’auraient plus à se soucier de nous après ton trépas. »

Il n’avait pas l’air de bonne humeur, mais me laissa comprendre que si je déguerpissais sur le champ, il ferait comme s’il ne m’avait pas vu. Pourtant, même si ce ne fut pas dans mon intérêt, j’envenimai les choses.

Lucéard : « Vous n’avez plus l’ordre de me capturer ? »

Qu’est-ce que tu fiches, Lucéard ? Tu penses vraiment que c’est le moment pour ça ?

Lusio : « Cela fait déjà bien longtemps que cette histoire ne me concerne plus. Il n’y a que Musmak et ses sbires qui sont à ta poursuite. »

J’hésitais encore à poursuivre. Je mettais ma vie en danger pour pas grand-chose en continuant la discussion. J’aurais dû partir sans demander mon reste.

Lusio : « Maintenant, disparais. Ou crois-moi, un autre enfant Nefolwyrth finira impliqué. »

Je déglutis de panique en entendant cette menace. Ils avaient déjà utilisé Nojù pour m’appâter, et rien ne garantissait que mes cousines ne connaîtraient pas le même sort qu’elle.

Si l’une des deux venait à être enlevée, l’autre connaîtrait les mêmes épreuves que moi, et je ne pouvais accepter qu’une telle chose leur arrive.

Heureusement, même des types aussi forts que Musmak et Lusio ne faisaient pas le poids face aux puissants guerriers qui travaillaient pour la couronne. Ma famille devait être en sécurité, mais ce groupe avait déjà su trouver des failles.

Ce n’était qu’une question de temps avant que Musmak n’en vienne à impliquer mes proches. Je ne pouvais deviner ce qui restait dans le haut du sablier, et le sable pouvait s’arrêter de couler à chaque instant.

Lucéard : « Si vous osez toucher à un seul de leurs cheveux… »

Ma réaction était à l’opposé de ce qu’il attendait.

Et les paroles qui suivirent allaient à l’encontre de tout ce en quoi je croyais. La vengeance ne m’aurait même pas apaisé ne serait-ce que sur l’instant. J’avais néanmoins quelque chose à tenter.

Lucéard : « …Je m’ôterai la vie sur le champ. »

J’observais sa réaction, l’air exagérément furieux. Je mettais à l’épreuve une théorie qui pouvait en dire long sur les intentions de cette organisation et de ses membres.

Même si la magie interdite qu’il utilisait pervertissait son esprit, je vis dans son regard qu’il méprisait ma résolution de me suicider.

Néanmoins, il chercha ses mots, préservant le silence quelques instants.

???: « Chef ? Qu’est-ce que vous faites ici ? »

D’autres pas se rapprochaient, visiblement pressés. J’avais reconnu cette voix à peine féminine et osai détourner le regard de Lusio un instant.

D’une certaine façon, voir cette dame à nouveau, et dans une telle situation, me soulageait un peu.

Myrkur, la mère des deux jumelles, avançait vers nous jusqu’à me reconnaître. Je vis l’inquiétude sur son visage, puis la surprise de me trouver ici.

Myrkur : « Je n’y crois pas ! »

Elle s’approcha pour m’observer de plus près.

Myrkur : « Qu’est-ce que tu as grandi, Lucéard ! Tu deviens un véritable jeune homme ! »

Je ne m’attendais pas à une amorce si naturelle, d’autant plus qu’elle semblait préoccupée par une affaire bien plus grave.

Lucéard : « Bonjour madame… »

Me faire toiser avec autant d’insistance me gênait.

Myrkur : « Et il n’y a pas que ta taille qui a changé. »

Elle prétendait voir toute mon identité au travers de mon regard. Et je l’en croyais capable.

Myrkur : « Enfin, je n’ai pas le temps de discuter plus longtemps. Mes deux filles ont disparu. »

Quand son sérieux revint, je restais abasourdi. Quelque chose de grave était en train de se passer. Kaia et Bléka avaient joué un rôle important dans ma vie. Inconsciemment, je savais que celui que j’étais devenu leur devait beaucoup. Me sentais-je pour autant endetté envers elles ? Quoi qu’il en soit, c’est par simple envie de les aider que je m’avançais.

Lucéard : « Partons à leur recherche, alors ! »

J’avais réussi à faire abstraction de ce que m’évoquait la présence de Lusio, qui lui croisait les bras en nous observant tour à tour.

Lusio : « Je me rendais justement au camp de Fougasse. »

D’un air méfiant, je répondis au regard de Lusio.

J’ai déjà entendu ce nom. On dirait bien que l’histoire se répète vraiment.

Myrkur : « J’ai dû mal à croire que ce soit eux. Ceux qui ont enlevé Kaia et Bléka ont vaincu Dodul et les squelettes qui accompagnaient mes filles. »

Lusio : « Je sais tout ça. Ceci dit, Rémolov les a vu proches du village. Il ne fait aucun doute que c’est eux. »

Sans paraître inquiet, l’homme démontrait une fois de plus qu’il ne lui restait aucun cœur.

Lucéard : « Je vais y aller. »

Cette décision était étrangement spontanée, et je m’étonnais d’agir aussi impulsivement.

Après m’avoir fixé une fois de plus, Lusio souffla, puis s’éloigna sans un mot de plus. Il repartit de là où il était venu. Tacitement, il m’avait invité à y aller à sa place. Il m’avait aussi donné l’impression de ne pas vouloir rester en ma présence une seconde de plus.

Myrkur regardait du coin de l’œil son chef partir, puis se tourna vers moi. Elle ne s’étonnait pas de voir une lueur haineuse dans mes yeux, et elle eut la présence d’esprit de ne pas faire de remarque.

Myrkur : « Lucéard, je vais t’y conduire, mais ne perdons pas de temps. »

Après que Lusio ait disparu de ma vue, je hochais la tête et suivis d’un pas rapide la sorcière.

Lors de cette marche hâtive, je tentais de retrouver mon calme. Chaque jour depuis le début de ce mois, le maître m’avait entraîné à faire le vide. Je reprenais mon souffle longuement.

La menace de Lusio était loin, mais d’ici quelques minutes, j’allais de nouveau être sur la corde raide. Pire encore, cette fois-ci je n’y serai pas seul.

-2-

Alors que nous approchions du village, un homme descendit d’un arbre, dague à la main : c’était l’un des guetteurs.

Guetteur : « Si c’est qu’une donzelle et un gamin, pas la peine de prévenir les autres ! Donnez votre thune ou clamsez ! »

Lucéard : « Et si tu déguerpissais, plutôt ? »

Mes expériences répétées avec le banditisme m’inspiraient des sentiments contraires, mais je savais ce qu’il me restait à faire.

Je dégainais ma lyre d’entraînement, ce qui lui inspira un élan d’hilarité.

Guetteur : « T’es gratiné, gamin ! Je vais te vider de ton sang ! »

Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »

D’un coup sur la lyre je fis apparaître une lame de lumière qui visait ses jambes.

Sur son sillage, le sort corrigea légèrement sa trajectoire, et sans que l’homme ne puisse réagir, il fut expulsé dans les airs.

Guetteur : « Gwaaah ! »

En déviant ainsi ma lame, j’avais envoyé le vaurien dans un arbre dont la neige s’affaissa aussitôt. Le silence qui suivit m’indiquait qu’il ne poserait plus problème.

Il n’y a qu’en magna que je peux faire un tel effet. Je devrais économiser ma magie, même si ce ne sont que des bandits, cependant, nous avons encore une chance de passer incognito grâce à ça. Qui sait ce qu’ils feront aux otages s’ils nous voient venir.

Lucéard : « Il vaudrait mieux éviter qu’on nous voit. »

Lançai-je à madame Penumbra qui restait ébahie de voir de ses yeux mes capacités magiques.

Le camp nous apparaissait enfin. Un demi-hectare de cette forêt avait été scié autour de vieilles habitations perdues. Les locaux ne s’étaient même pas embêtés à arracher les souches de leurs victimes. Ils s’en servaient pour divers usages. Il n’y avait que des tentes de fortune et la moitié de l’espace était vide. Le groupe qui avait élu domicile ici avait certainement voulu étendre leur territoire mais n’avaient rien bâti de durable.

Je remarquai une statue de bois que je qualifiais volontiers de médiocre. Avait-on voulu montrer toute la superbe du leader de ce repère ? C’était un échec.

Des regards curieux nous surprirent. Il y avait une dizaine de personnes ici, qui s’empressèrent d’alerter les autres.

Lucéard : « Nous y voilà. »

Ma main gauche reposait contre le pommeau de Caresse. Il était temps de passer à l’action, mais j’ignorais où étaient les filles.

Un rire tonitruant attira notre attention alors que nous entrions dans leur repère.

???: « Vos meilleurs hommes ont échoué, vous pensez avoir de la chance contre moi ? »

Je reconnus enfin cette voix et ce visage. C’était Fruidmehr Fougasse. Je n’avais bien évidemment jamais oublié son nom, tant il ne manquait pas de me faire souffler du nez.

Mais ce malfrat qui se donnait des airs de conquérant me sortait en réalité par les yeux. Depuis la dernière fois, ses atours étaient encore plus pompeux, mais je ne parvenais qu’à voir la faiblesse qu’il tentait si ardemment de cacher.

Ses propos attisèrent une ovation des siens qui s’interrompirent dans leurs activités pour assister à la mise à mort qu’ils espéraient. Il n’y avait évidemment pas que des barbares édentés dans l’assistance. Pour pouvoir vivre en autarcie, il fallait plus que ça, comme j’avais pu le remarquer plusieurs fois. Il y avait des hommes, comme des femmes. Des jeunes comme des vieux. Tous n’avaient en commun que leurs mines blafardes, et même leurs plus larges sourires ne les faisaient pas paraître heureux.

Je soupirai, sans relâcher ma garde.

Je n’ai jamais croisé moins crédible que ce groupe là. Ils ne font pas peur pour un sou. Mais au fond, je préfère les choses ainsi.

Fruidmehr : « Car oui, c’est bien moi, Fruidmehr Fougasse, l’homme le plus invincible qui soit, qui ai vaincu ce traître de Dodul ! »

Il fit s’envoler sa lourde cape après avoir prononcé ces mots, et trois hommes s’empressèrent d’aller la ramasser. Tous les spectateurs étaient en liesse.

Ridicule.

Sur ce constat inévitable, je remarquai peu à peu autre chose.

Derrière la farce qu’était cette démonstration de force, et le grotesque des partisans de Fruidmehr, il y avait une atmosphère dérangeante. La façon dont tous ces gens, visiblement perdus et traumatisés, acclamaient leur chef n’avait rien de sain. C’était pratiquement de l’hystérie.

Fruidmehr : « Qu’on amène les offrandes ! »

De grands gaillards, visiblement honorés d’accomplir cette tâche, ressortirent de la plus robuste bâtisse de pierre avec une cage sur les bras.

Ils la posèrent derrière leur chef. C’était une mise en scène qui avait probablement pour but de nous intimider. Mais elle ne réussit qu’à ravir la foule. Tous ces hors-la-lois ne s’approchaient pas de Myrkur et moi, mais leur rassemblement commençait à délimiter une arène d’où nous ne pouvions nous échapper.

Myrkur : « Elles sont saines et sauves… »

C’était de bien tristes retrouvailles. L’une des jumelles allait d’un coin à l’autre de sa prison tout en gémissant. L’autre s’était accrochée aux barreaux et regardait patiemment vers l’extérieur.

Bléka : « Nous ne pouvons pas être des offrandes, vous nous avez capturées vous-même… »

Ce n’était pas une scène pour une mère. Heureusement, comme Myrkur l’avait remarqué, elles ne semblaient pas avoir été blessées.

Myrkur : « Les filles, je suis là ! »

Kaia : « Mamaaaaan ! »

Hurla la fillette en larmes, reniflant bruyamment du nez pour l’empêcher de couler davantage, ce qui attisa un sourire sadique chez leur ravisseur.

Kaia s’empressa de pousser sa sœur pour mieux apercevoir sa famille retrouvée. Bléka se laissa faire.

Bléka : « Eh, mais ce ne serait pas Lucéard à côté ? »

Remarqua nonchalamment Bléka. L’autre jumelle plissa les yeux pour m’identifier à son tour, puis reprit son sanglot.

Kaia : « Lucéaaaaaard ! »

Lucéard : « Ne pleure pas, Kaia ! Je vais vous sortir toutes les deux de là ! »

Je dégainais mon arme à la vue de tous. Ce cimeterre ne passait pas inaperçu et fit se reculer quelques badauds.

Face à cette entrée en scène chevaleresque, Bléka était perplexe.

Bléka : « Hmm, ce n’est peut-être pas Lucéard, après tout. »

Quelle image as-tu de moi, au juste ?

Kaia : « Ouais ! Allez-y, Lucéard ! Faites-lui mordre la poussière ! »

Alors que la majorité de ceux qui nous regardaient se gaussaient de ma tentative d’héroïsme, Kaia essayait de me soutenir plus bruyamment encore qu’ils n’encourageaient Fruidmehr.

Heureusement que tu es là, Kaia, sinon mon moral en aurait pris un sacré coup.

Fruidmehr : « Hm, tu t’appelles Lucéard, donc ? Amusant, c’est le même- »

Lucéard : « Mon véritable nom est Roodbruin ! »

L’interrompis-je sans gêne. C’était ma dernière chance de garder l’anonymat, mais du point de vue de ceux qui vouaient un culte à leur chef, ce manque de respect était un lèse-majesté.

Bandit : « Comment ose-t-il ! Laissez-nous lui faire la peau ! »

L’air supérieur, Fruidmehr agita les mains vers le bas, comme pour calmer la foule.

Maintenant que j’y pense, j’ai l’impression d’avoir déjà vu certains des gens qui nous regardent.

Fruidmehr : « Ce ne sera pas la peine ! Je suis magna… magnétisme. Je savais que vous viendriez pour ces gamines. Je savais aussi que je vous donnerai une chance de les récupérer, car c’est l’expression de la voie que j’ai choisie ! »

On entendit de fervents applaudissements.

Qu’est-ce qu’il a dit ?

Fruidmehr : « Mais en vérité, elles sont déjà à moi ! Ce sont mes choses ! Soyez-en honorés ! »

Il conclut sa phrase en une révérence grossière qui engendra une nouvelle ovation.

Suis-je le seul à me rendre compte que son discours n’est qu’un charabia puéril ?

Il battait l’air du bout de ses mains vers le ciel, sommant le public de l’encenser plus fort encore. Il affichait une confiance insensée dans un sourire ravageur.

Fruidmehr : « Petit, tu m’as manqué de respect, et je vais te vaincre. Mais il ne faut pas que tu aies crainte ! Tu peux bien sûr te repen… Te racheter. Je te laisserai te battre pour moi. Tu n’auras pas la chance qu’ont ces mômes de partager le même toit que moi, mais je me trouve déjà bien miséri… miséricordiesque ! »

Myrkur : « … »

Seuls sa bêtise et le ridicule de son verbe m’amusaient. Mais ce qu’il sous-entendait était si terrible qu’il ne parvint pas à me faire rire. Je m’avançais vers lui, maîtrisant mes émotions sans trop d’effort.

Lucéard : « Si je te dis qu’elles ne veulent pas rester avec toi, et que tu devrais les laisser partir, vas-tu prétendre le contraire, ou vas-tu reconnaître ne pas te soucier de leurs sentiments ? »

J’essayais de me plonger dans son regard. Je savais très bien que cela ne me mènerait nulle part, mais je lui laissais une chance d’en rester là.

Fruidmehr : « Hahaha, écoutez-le ! Écoutez-le ! »

Il était hilare et encourageait les siens à rire d’autant plus fort.

Fruidmehr : « J’ai beau être un savant parmi les mages, je ne comprends pas du tout ce que tu dis. Serais-tu sot ? »

J’étais un peu au dessus de sa provoc, mais entendre de telles choses d’un crétin de compétition comme lui m’agaça un tantinet.

Lucéard : « Tu fais souffrir des jeunes filles innocentes. Je ne peux pas être plus clair. Si tu ne vois toujours pas où je veux en venir, sors ton arme, et viens prendre la raclée que tu mérites. »

Un des hommes apporta à Fruidmehr une lance décorée comme certains en utilisaient pour des rituels. Elle en imposait peut-être, mais tous ces ornements étaient plus encombrants qu’autre chose.

Fruidmehr : « Voilà l’état d’esprit que j’espérais de toi, Roodbruin ! Voyons voir si tu es digne d’être à mes côtés pour la quête que j’ai entrepris ! »

Lucéard : « Tant pis pour toi. »

Myrkur : « Tu es sûr que ça va aller, Lucéard ? Méfie-toi de lui. »

Si j’en jugeais à l’impression qu’il donnait, alors je pouvais largement le battre. Mais Myrkur avait raison de s’inquiéter. Il avait déjà réussi un enlèvement plus tôt dans la journée et était parfaitement indemne. S’il était aussi nul que je le pensais, il n’aurait certainement pas pu venir à bout de Dodul, et encore moins d’un groupe de squelettes.

Il doit bien avoir une raison d’être aussi confiant. De plus, il s’est désigné comme un mage. Je ne devrais pas le prendre à la légère. Une erreur de jugement pourrait lui donner un avantage qu’il ne devrait pas avoir.

Lucéard : « Ne vous en faites pas, madame. Quoi qu’il arrive, je le battrai. »

-3-

Il agita sa lance dans les airs, faisant tinter les babioles en bois et en fer qui y étaient accrochées, à la grande joie des spectateurs.

Lucéard : « Cesse ces fanfaronnades, le combat a commencé ! »

J’eus la bienséance de le prévenir que notre duel avait débuté, tout en levant ma main droite devant moi.

Lucéard : « LAMINA EIUS! »

D’entrée de jeu, j’envoyai mon sort le plus rapide. Fruidmehr ferma les yeux, mais balaya de sa main libre mon attaque.

Hein ?

La foule était en délire.

Bandit : « C’est incroyable ! Les sorts ne l’atteignent pas ! »

Nul doute qu’ils avaient déjà assisté aux prouesses de leur chef, et qu’ils savaient déjà ce dont il était capable. Ils ne faisaient que flatter l’égo déjà surdimensionné de Fruidmehr.

Fruidmehr : « Eh oui ! Il n’y a pas plus invincible que moi ! »

J’ai envie de le corriger, mais je crois que sa maîtrise de notre langue ne peut déjà plus être sauvée, elle.

Myrkur : « Alors il utilise bel et bien de la magie. »

Constata madame Penumbra avant moi. C’était pourtant la seule conclusion logique. Mes yeux ne m’avaient pas joué de tour. Il n’aurait pas pu arrêter mon sort avec un vulgaire coup de coude tardif.

Il doit avoir recours à un bouclier invisible. Mais aurait-il eu le temps de le lancer ? Il n’était pas concentré. Quand bien même, il n’a pas eu besoin d’incantation, il ne m’a pas paru être prêt à l’encaisser.

Il leva les bras en l’air pour célébrer une dernière fois sa grandeur.

Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »

J’avais accouru vers lui en un instant et la lame magique se heurta de plein fouet à ses abdominaux. Le souffle du choc avait fait claquer les ornements de sa lance, mais lui n’avait pas reculé d’un millimètre.

Je rêve ! Non seulement il peut le déclencher aussitôt, mais il est d’une résistance à toute épreuve !

Je m’étais pourtant entraîné à rendre mon lamina plus efficace pour percer des boucliers magiques. Peut-être avais-je affaire à autre chose, je n’étais pour l’instant sûr de rien.

Fruidmehr : « J’aime ta combativité ! Mais il va falloir faire meilleur que ça ! »

Le ravisseur des jumelles contre-attaqua enfin. Il tenait sa lance à deux mains, et sa technique semblait au point.

Je parai un premier coup avec Caresse puis dus me reculer. La portée des armes d’hast faisait partie des choses que je redoutais. Mais il me suffisait d’entrer dans sa garde pour avoir l’avantage en mobilité.

Usant d’un jeu de jambes dynamique, je m’approchai sur sa droite, et frappai un coup d’estoc à deux mains.

D’un mouvement expert, il fit tourner sa lance sur elle-même pour repousser le coup, sans se douter qu’il s’agissait d’une feinte.

Dans la même seconde où je retirai mon arme, je la brandis plus fort encore et tranchai son flanc en passant derrière lui.

Qu’est-ce que tu dis de ça ?!

Je me retournais précipitamment pour apercevoir avec stupeur que seuls ses vêtements étaient entaillés, laissant entrevoir sa peau intacte.

Lucéard : « C’est impossible ! »

La foule acclamait leur champion.

On dirait que son corps est défendu à chaque instant, comme si sa chair était totalement invulnérable. Je ne peux pas croire qu’il s’agit de magie passive. Personne ne peut avoir un tel talent inné.

Confus, je ne réalisai trop tard que ce pouvoir défensif n’affectait pas du tout sa mobilité. Il attaqua de la pointe de sa lance tout en se tournant dans ma direction, et réalisa une fente qui étendit sa portée jusqu’à moi.

Je parai de justesse et bondis en arrière.

Myrkur était aussi stupéfaite que moi. Nous l’avions pourtant déjà vu à l’œuvre il y a déjà cinq mois.

Il ne serait tout de même pas…

Je repris l’assaut avant d’être envahi par le doute. Fruidmehr faisait violemment tourner son arme devant lui, puis avec un sourire carnassier frappa à plusieurs reprises.

Je repoussais sa lance autant de fois qu’il n’attaquait. Lorsque je vis une ouverture, je m’accroupis précipitamment, laissant son coup partir dans le vide, puis tentai de lui trancher la jambe dans une roulade.

Sans même m’attendre à réussir mon coup, je claquai des doigts en me retournant.

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

La lame de lumière lui heurta la nuque avant même qu’il ne puisse se retourner. Mais là encore, ce fut vain. Mon adversaire se tournait face à moi, hilare.

Fruidmehr : « Je suis encore plus trop puissant à chaque seconde ! »

Qu’est-ce que je vais faire ? Aucun coup ne passe. Malgré mon avantage sur le plan technique, qu’est-ce que je peux faire si aucune attaque ne l’atteint ?

La peur commençait à me gagner lentement. Cet adversaire était hors-norme. Ce seul pouvoir faisait de lui le pire obstacle que je pouvais rencontrer. Il fallait qu’il y ait une autre issue.

Je pris mes distances pendant qu’il s’applaudissait en chœur avec les siens.

Myrkur : « Je suis en train d’essayer de l’avoir avec ma magie noire, mais si ça se solde par un échec, nous devrons trouver un moyen de nous enfuir avec les filles. »

Me murmura la sorcière au milieu du brouhaha. Elle doutait déjà de mes chances de gagner. Après tout, elle avait vu la même chose que moi. Ce type était en apparence invincible.

Je regardais autour de moi. Parmi les bandits armés, certains avaient des arcs.

Ce serait logique, en effet. Il va bien falloir envisager un plan de fuite. Mais nous n’avons aucun impact sur Fruidmehr, et tenter quoi que ce soit en telle infériorité numérique est plus que risqué.

Le jugement de la mère de famille était perverti par une terreur qui rongeait sa raison.

Lucéard : « Madame, pensez-vous que sa protection est véritablement infaillible ? »

Myrkur lançait des regards vers ses filles régulièrement, elle était trop agitée pour répondre immédiatement.

Myrkur : « J’ai envoyé mes mignons-malins sur lui. Tu ne peux pas les voir, mais ils n’arrivent pas à faire quoi que ce soit. Même sans qu’il n’ait conscience de leur présence, son bouclier résiste à la morsure de mes créatures. Il est aussi bien protégé sur le plan physique que magique. Je n’ai jamais entendu parler d’une magie de protection passive aussi puissante, on croirait voir un personnage de légende. C’est plus qu’inquiétant… »

Je serrai les dents. J’aurais préféré qu’elle démente mes doutes. Maintenant, que pouvions-nous faire ? J’avais déjà bien une idée, mais il me coûtait de l’avouer. Je mis pourtant mes sentiments personnels de côté pour le bien des jumelles.

Lucéard : « Une tentative d’évasion est suicidaire dans l’état de choses… Il nous faudrait son aide… Il faudrait que vous alliez le chercher. »

Rien ne disait que le pouvoir de Fruidmehr pouvait résister aux illusions. C’était la meilleure idée que j’avais trouvé, mais elle me fit réaliser quelque chose de terrible.

Si je ne m’étais pas imposé tout à l’heure, Lusio y serait allé comme il l’avait prévu, et tout ça serait déjà réglé. J’ai agi sur un coup de tête pour me rendre utile.

Je serrai les poings.

Ma priorité n’aurait pas dû être de leur porter secours, mais qu’elle soit secourue à coup sûr. Puisqu’un mage de son niveau y allait déjà, je n’avais pas à faire ça. C’est ce caprice qui nous a conduit dans cette impasse. J’ai mis Bléka et Kaia en danger en agissant ainsi.

Le poids de la culpabilité s’accumulait à la tension grandissante qui raidissait mon corps.

Fruidmehr : « Alors ?! Tu n’attaques plus ?! C’est tout ce que tu avais à montrer ?! Je suis déjà satisfait de te voir utiliser de la magie, mais à présent, montre-moi ton cran ! Allez ! »

Sur ces mots, il repassa sur l’offensive.

Je fus surpris de voir qu’il me laissait de moins en moins d’ouverture. Il s’était habitué à ne plus craindre les attaques. Mais attaquer sans peur d’être blessé le rendait plus fort encore. Le frapper n’avait mené nulle part, mais encaisser ses assauts ne me sauverait pas non plus.

Vu sa constitution, le leader de ce groupe s’épuiserait après moi. Je ne gagnerai pas non plus à l’usure.

Je lançais un regard désespéré vers Myrkur quand j’en eus l’occasion.

Elle n’avait pas bougé.

Je lui avais pourtant exposé un plan que je pensais pertinent. Si elle s’empressait d’aller chercher Lusio, je pouvais peut-être le retenir assez longtemps. Nous n’avions pas d’autre option de toute façon.

Et pourtant, elle restait là. Les jambes paralysées. Elle n’avait pas de meilleure idée, mais n’osait pas s’éloigner de ses filles dans la situation où nous étions. Je comprenais très bien son inaction. Elle ne voulait pas prendre le risque de laisser les filles livrées à elles-mêmes.

Au fond d’elle, elle imaginait déjà une folie pour qu’au moins Kaia et Bléka s’en sortent. Mais si elle partait maintenant, avait-elle une garantie de revoir un jour la chair de sa chair ? Et pourtant, tant qu’elle restait là, nous étions dans une impasse.

Fruidmehr : « Où est-ce que tu regardes ?! Je t’éblouis, c’est ça ?! »

Il prenait le dessus sur moi, et son rythme était trop dur à suivre. Si lui ne pouvait pas être blessé, le premier coup réussi pouvait être fatal pour moi. Le gouffre entre nous était de plus en plus large et profond.

Kaia : « Lucéard ! Lucéard ! On est avec vous ! »

La jeune fille s’égosillait, et la candeur de ses encouragements ne fit qu’accentuer mes remords.

Un des hommes de Fruidmehr lui donna un violent coup de pied à travers les barreaux, la projetant sur le dos.

Bandit : « Vous n’avez que le droit d’encourager votre maître ! »

Bléka s’enquit de l’état de sa sœur et l’aida à se redresser.

Bléka : « Même si on l’encourage lui, c’est Lucéard qui va gagner. »

La fillette lançait un regard effronté et se colla à sa sœur à l’opposé de la cage.

Deux des hommes essayaient encore de les atteindre avec leurs bottes boueuses. Ils n’étaient jamais loin de les blesser davantage.

Myrkur était à bout. Je sentais qu’elle peinait à se contenir. Au moment où elle craquerait, il allait falloir agir vite, même si je pensais que la tragédie serait inévitable si on devait en arriver là.

Une fois de plus, je me retrouvais dans ce genre de situation.

Fruidmehr : « Hahaha ! Allez ! »

Après sa dernière attaque, la lame de la lance se planta dans le sol, et le guerrier envoya son pied en avant.

Je m’étais montré assez véloce pour n’être qu’éraflé par le coup. Je contre-attaquai aussitôt.

Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »

Le ruban s’enroula autour de la jambe de mon adversaire, mais au moment de se resserrer, il fut repoussé par un champ de force et se désagrégea.

Il fallait s’y attendre.

J’envisageai encore malgré moi la fuite. C’était la preuve indiscutable que je perdais mon sang-froid. Heureusement, une partie de moi n’oubliait pas qu’une telle stratégie était inconsciente, et qu’il ne fallait surtout pas compter dessus.

Femme : « C’est un dieu… Un dieu ! Un dieu de la guerre ! »

Une dame d’un certain âge attira l’attention sur la révélation qu’elle venait d’avoir. Ce misérable en venait à être déifié par les siens.

Mes attaques physiques et mes deux sorts offensifs sont totalement inefficaces. Je ne vois plus que le nouveau sort que j’ai appris. Mais si celui-ci s’avérait être un sort de tension comme les giga, je serais hors-combat l’instant d’après. Surtout que rien ne me dit qu’il est offensif, je n’ai encore jamais pu l’utiliser.

En effet, c’était un pari bien trop risqué, peut-être plus encore que la fuite. Je n’avais aucune idée de ce dont l’Anima eius était capable. J’avais pourtant tenté de le lancer sur un arbre, mais rien ne s’était produit. Je n’avais pas le moindre indice sur ses conditions d’activation.

Fruidmehr redoublait d’effort. Il laissait parfois des ouvertures juste pour faire des mouvements plus spectaculaires à montrer à son public, mais je ne pouvais même pas les exploiter.

Si ça continue, je vais…

Dans l’ombre de la cage se trouvaient les deux fillettes. Elles me regardaient fixement, dans un silence complet. Un silence si fort qu’il éclipsait la cacophonie des adultes autour d’elles. Sans me diviniser pour autant, elles croyaient en moi. J’étais le seul à pouvoir les sauver.

Si la magie et la violence ne me permettent pas de vaincre, je n’ai qu’à tenter autre chose.

Lucéard : « …Très bien, le combat s’arrête ici. »

-4-

Avant même d’avoir pu assimiler ce que je venais de dire, Fruidmehr lança un puissant coup d’estoc dans ma direction.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Un bouclier d’énergie repoussa aisément son attaque. Le public se fit silencieux pendant quelques instants.

Homme : « C’est impossible ! Il a le même pouvoir que le chef ! »

Le chef en question s’interrompit dans son assaut, et me fixa, les yeux écarquillés.

Lucéard : « Eh oui, moi aussi je détiens le pouvoir de l’invincibilité. Cet affrontement n’aboutira jamais. »

J’improvisais mon baratin, tout en craignant que cela se retourne contre moi. Je pouvais toujours gagner avec des mots, mais si le combat n’avait plus de sens, cela risquait de ne pas jouer en ma faveur.

Lucéard : « Voilà ce que je propose ! Réglons ce duel au nombre de touches, comme des gentilshommes. Le premier à dix touches l’emporte le match. »

La première arme que j’avais su maîtriser était ma dernière chance de changer la donne, je devais faire bonne impression.

Le public avait les yeux rivés sur nous. Je ne sais pas quel mal les habitait, mais ils étaient persuadés d’assister à une joute divine entre deux puissances dépassant leur entendement.

Myrkur n’était plus derrière moi. Elle avait eu une occasion de se fondre dans l’ombre.

Mon attention revint sur mon adversaire qui n’avait pas répondu.

Il était lui aussi tombé dans le panneau, ça ne faisait aucun doute. En terme d’intellect, ce n’était pas un adversaire digne de ce nom.

Il suait exagérément à l’idée d’avoir croisé le chemin de quelqu’un qui possédait la même force que lui. Mon existence remettait en cause le caractère absolu de sa supériorité. L’effroi sur son visage faisait trembler son corps entier. C’était le vrai visage de Fruidmehr.

J’aurais été satisfait de ce bluff en temps normal, mais un mauvais pressentiment m’envahit. Dans son regard, il y avait quelque chose de malsain. Ma ruse avait eu beaucoup trop d’effet sur lui. Ce changement radical d’attitude n’annonçait rien de bon. Cette aura de bête sauvage ne m’inspirait rien qui vaille. Il se retrouvait dos au mur, et je redoutais sa prochaine action.

Fruidmehr : « …Tu mens… »

L’atmosphère s’était si vite alourdie que tout ça me semblait surréaliste. Ce murmure de terreur pure me pétrifia.

Fruidmehr : « Rood… Roodbruin ! Tu n’es qu’un menteur ! Un menteur ! C’est moi ! C’est moi ! C’est moi le plus invincible de tous !! »

Sa voix tremblante sema le doute chez ses partisans. L’homme d’une quarantaine d’années était prêt à fondre en larmes d’un instant à l’autre.

Il bondit sur moi comme un animal sauvage.

Fruidmehr : « C’est moi !!! »

D’instinct, je préférai l’esquive et m’écartai avant que sa lance ne s’abatte sur le sol. L’onde de choc fit se soulever la neige autour de nous.

Quelle force ! C’est comme si perdre la raison lui avait conféré une nouvelle puissance !

Il enchaîna les coups avec une fureur démentielle.

Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »

Je parvins à faire apparaître un bouclier autour de lui, démontrant sa faible résistance magique. Sa lance ne put prendre de l’élan et fut renvoyée.

Lucéard : « Tant pis, tu as voulu t’acharner, et voilà le résultat. Tous ceux qui se retrouvent dans ce bouclier perdent leurs pouvoirs magiques au bout de trois jours. »

Annonçai-je avec mes doigts. Je ne pouvais de toute façon plus faire marche arrière, je continuais mon bluff.

D’ici que l’auxilia ne disparaisse, je considérai lui avoir laissé assez de temps pour cogiter.

Lucéard : « Cela dit, la malédiction peut encore être levée. »

Je lui laissais gracieusement un espoir. Mais l’homme, désemparé, ne parvenait pas à formuler en mots le chaos qui sévissait dans ses pensées.

Hors-la-loi : « C’est impossible ! Il est encore plus fort que notre chef ! Il a des pouvoirs supérieurs aux dieux ! »

Je ne m’attendais pas à une si vive réaction, mais s’ils se rangent de mon côté, ça m’arrange.

Le fait qu’ils remplacent leur idole pour si peu me donnait cependant la chair de poule. Leur obsession n’était pas ce type, mais bien l’existence d’un être supérieur auquel se raccrocher.

Fruidmehr : « Non… J’y étais… J’y étais parvenu… »

Lucéard : « Si tu laisses les fillettes repartir, je te laisserai tes précieux pouvoirs… »

Affirmai-je, les bras croisés. Mais l’assurance que j’affichais fut troublée par l’étrange réaction de mon adversaire.

Celui-ci, dans une état de désespoir sans nom, leva sa lance vers les cieux, et hurla à la mort.

Fruidmehr : « Donne-moi plus de pouvoir ! Je dois être le plus fort ! Je dois être le plus fort des plus forts !! »

La grisaille de cette journée laissa percer soudain quelques rayons de soleil, qui vinrent illuminer la pointe métallique. Par un pur hasard, Fruidmehr s’en retrouva ébloui. Chacun avait vu ce qui venait de se passer.

Fruidmehr : « Je… ! Je suis choisi ! Je suis choisi !! »

Je déglutis face à ce retournement de situation rocambolesque.

Comme pour s’assurer que tous avaient été témoins de ce miracle, il tourna ses yeux injectés de sang vers ses sbires. Il se raccrochait à ce simple phénomène pour sortir de la situation qu’il refusait d’accepter.

Les applaudissements qui en résultèrent furent éparses, les gens autour de nous semblaient plus envoûtés que jamais. Kaia et Bléka regardaient autour d’elles, terrifiées par toutes ces réactions surréalistes.

Lucéard : « N-ne t’emballe pas, ce n’était qu’un vulgaire rayon de- »

Fruidmehr : « HAHAHAHAHAHHAHA ! »

L’homme rit à s’en arracher les cordes vocales, puis empoigna plus fermement que jamais sa lance. Il ne m’écouterait plus.

Il bondit, lame en avant. Ses cris hystériques me paralysaient quelques instants cruciaux.

Après avoir difficilement paré une série de frappes plus brutales les unes que les autres, je reçus un coup de pied en plein torse et fus projeté en arrière.

Ainsi prit fin cette stratégie, et comme je le redoutais, je me retrouvais dans une situation plus inextricable encore.

Je pouvais m’estimer heureux de me relever sans trop de douleur, mais le charme était définitivement rompu.

Femme : « Le chef a brisé l’invincibilité de Roodbruin ! Les dieux lui ont accordé tous les pouvoirs ! »

Les clameurs de la foule reprirent de plus belle. J’entendais aussi les applaudissements si caractéristiques de Fruidmehr.

C’est avec horreur que je découvris son visage souriant et confiant, comme si la scène pathétique qu’il nous avait montrée n’avait jamais eu lieu. Une telle vision me donnait la nausée.

C’est quoi son problème à la fin ? C’est quoi leur problème à tous ?! Qu’est-ce qui se passe dans ce camp ?!

Je ne pouvais plus ignorer l’atmosphère suffocante de cet endroit. Je pouvais encore discerner la folie dans ses yeux. Ce pseudo retour à la normale me terrorisait plus que tout.

Je me remettais en garde, confus.

Fruidmehr : « Tu as encore bien des choses à apprendre avant de te mesurer à moi ! Mais je reconnais que tu ne manques pas de poten… potence… de pouvoir ! »

Je ne voulais même plus lui répondre. Je le dévisageais avec défiance. Je pointais ma lame dans sa direction, mais que pouvait-elle faire contre lui ?

Fruidmehr : « Si tu nous rejoins, Roodbruin, dans ma magnifi… magnifi… magnificience ! Je te laisserais choisir une des deux filles. Elle sera toute à toi. »

Il m’indiqua de sa main libre les deux jumelles effrayées.

Fruidmehr : « Je reconnais qu’elles sont quasiment pareilles, mais tu dois bien avoir une préférence, je me trompe ? »

S’amusa le mage, qui rit pour donner l’exemple aux spectateurs.

Hélas, parler ainsi de Kaia et Bléka ne pouvait qu’attiser ma colère. Je m’en voulais déjà énormément de laisser deux innocentes enfants assister à quelque chose de si malsain.

Lucéard : « Ose encore dire quelque chose de ce genre, et je te promets qu’aucun dieu ne pourra te sauver de moi ! »

Provisoirement intimidé par la fureur de ma voix, je vis ses lèvres trembler un fugace instant. Mais son masque de leader invincible revint juste après.

Fruidmehr : « Voilà le cran que j’attendais ! »

Il riait à pleines dents, une fois de plus.

Et qu’est-ce que je fais maintenant… ?

Ce combat était une épreuve psychologique, et je savais très bien que la situation pouvait encore empirer.

Bandit : « Tu crois que je t’ai pas vu ?! »

Un homme interrompit cet affrontement à sens unique.

En la tirant par le poignet, il fit tomber madame Penumbra sur ses genoux.

Elle avait réussi à se fondre dans le décor, mais n’avait pas pu obtenir les clés de la cage.

Sans perdre un instant, l’homme qui l’avait capturé dégaina de sa main libre un sabre et l’abattit sur la nuque de la mère de famille sous les yeux de ses filles.

Avant même que je ne puisse réagir, je vis apparaître une bestiole ronde, noire et velue, dont la large bouche dentée arrêta la lame.

Il y avait une dizaine de ces créatures sur le corps de Myrkur. Peut-être que la majorité d’entre eux étaient encore invisibles. L’homme n’osait plus bouger.

Bandit : « Qu’est-ce que c’est… ? »

La sorcière était prête à lâcher ces monstres sur tous ceux qui l’entouraient, mais elle ne semblait pas certaine de ses chances de victoire. En réalité, elle voulait certainement éviter que ses filles n’assistent à un tel massacre.

Fruidmehr : « Qu’as-tu fait, idiot ?! »

Le leader invincible tentait d’aggraver sa voix comme pour incarner une colère divine.

Bandit : « J-je ! Elle ! »

Fruidmehr : « Ne vois-tu pas qu’il s’agit d’une nouvelle offrande ?! Et toi tu tentes de mettre à mort cette offrande ?! Ce cadeau qui m’a été fait en ce jour… pieux ! »

Il cherchait encore ses mots, mais son homme de main était déjà convaincu.

Bandit : « J-je ne suis pas digne de vous servir ! »

Ses camarades s’éloignèrent de lui avec dégoût comme s’il portait un mal terrible et contagieux. Je pouvais presque affirmer qu’ils avaient peur de lui.

Qu’est-ce qui a bien pu arriver à tous ces gens… ?

Sans me consulter, Fruidmehr interrompit notre duel et s’approcha de son sbire. Celui-ci tomba sur ses genoux, rampant jusqu’à son chef.

Bandit : « Si… Si le prix à payer est ma vie… Est-ce que… Est-ce que… »

Fruidmehr : « Silence ! »

Hurla t-il, intimidant toute l’assistance.

J’eus l’impression d’entendre dans les mots de l’homme au sol des doutes.

L’érudit d’Azulith, tandis qu’elle se faisait ligoter, regardait aussi cette scène inquiétante. Les malin-mignons avaient de nouveau disparu. Je m’étonnais de la voir se laisser faire, mais d’une certaine façon, je pensais sa décision sage.

Fruidmehr : « Je suis un homme indul… indul… indulsigeant ! Ôte-toi le bras qui a servi à commettre ce… ce crime ! »

Face à ce sourire hypocrite, le hors-la-loi aurait pu pleurer de joie.

Bandit : « …Merci ! Merci ! »

Il se contenait pour ne pas embrasser les bottes de son chef, et s’empressa de ressortir son sabre.

Bléka mit les mains sur les yeux de sa sœur et sa sœur en fit autant pour elle.

Pourtant, il ne s’exécuta pas tout de suite. Son bras tremblait, je pouvais le voir d’ici.

Une peur tout à fait naturelle se lisait sur ce visage blême. Il savait encore ce qu’il était sur le point de perdre. Il devinait la douleur. Elle lui coûtait bien plus que le pardon de cet homme ne pouvait lui apporter. Mais il ne remit pas en question les ordres, cela ne lui vint pas à l’esprit. Il leva le sabre bien haut. Personne n’aurait su dire s’il avait espoir de réussir du premier coup, plutôt que de s’infliger davantage de souffrance.

Et la lame plongea vers sa propre chair.

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

Un son de métal se fit entendre. C’était la lame de lumière la plus rapide que j’avais jamais invoqué.

L’homme fixait béatement son bras intact. Quelques mètres plus loin, le sabre se planta dans la neige.

Lucéard : « Notre duel n’est pas fini, Fruidmehr Fougasse. »

Le regard qu’il vit en se retournant était assassin.

-5-

Je venais de saper son autorité devant tous les siens et un rictus paniqué parcourut fugacement ses lèvres.

Fruidmehr : « Mais bien sûr ! Voilà de nobles paroles ! Je dois te juger, pour savoir si tu es digne d’être mon bras droit ! »

Il agitait sa lance au-dessus de lui, puis sur les côtés, dans une danse sonore, rythmée par les percussions de fer et de bois.

J’ignore ce que Lusio avait en tête quand il est reparti. Je pense que c’est un peu tiré par les cheveux, mais s’il tient vraiment à me voir disparaître de la civilisation, peut-être a t-il voulu me démontrer la dureté de ce qui m’entoure. Cet ignoble personnage serait bien capable de jeter en pâture cette pauvre famille pour si peu. Mais je ne suis pas si naïf, et il ignore tout de ce que j’ai traversé pour arriver ici.

Femme : « Allez-y ! Forcez-le à s’incliner ! »

Homme : « Il n’a aucune chance face à vous ! »

Fruidmehr empoignait son arme des deux mains et fonça sur moi. Il était prêt à me faire mordre la poussière. Il avait la force de faire durer cet assaut jusqu’à ce que je ne cède.

Je parai autant que je pouvais, puis reculai, m’esquivai. Je passai derrière lui, plutôt que de finir dos à la foule.

Mais Lusio aurait raison sur un point. Est-ce que je pourrais vraiment continuer si j’échouais maintenant ? Je n’accepterai pas de laisser ces trois là dans cet enfer. Tu es peut-être invincible, Fruidmehr, mais tu n’es qu’un guignol. Au même titre que n’importe qui, tu as un point faible.

Je repoussai sa lance une énième fois, assez fort pour la faire vibrer.

…Et je l’ai trouvé.

Fruidmehr : « C’est ça, donne tout ! Avec toi à mes côtés, nous n’aurons plus besoin de cette forêt ! Nous irons au nord ! Nous ferons du palais de Verte-Lisière le nôtre, et de tous ceux qui y habitent nos servants ! Mais nous ne nous arrêterons pas là ! Nous irons bien plus loin ! »

L’ovation était assourdissante. Mais il avait encore une fois dit plus qu’il n’aurait dû. Une lueur rouge meurtrière scintillait dans mon regard.

Mais ma fureur était étrangement contenue. Le calme revenait peu à peu en moi. Non pas parce que je me désintéressai des horreurs qu’il comptait faire, mais parce que j’avais enfin réalisé qu’il me fallait tous mes moyens pour espérer le vaincre.

Kaia : « Lucéaaaard ! »

Bléka : « On mise sur votre victoire. »

Il y avait aussi autre chose. Je devais montrer à ces fillettes un visage rassurant. Je devais leur donner l’assurance que toute cette histoire allait bien se finir. J’étais prêt à les protéger jusqu’au bout.

Fruidmehr : « Admirez-tous ! Je suis plus invincible que jamais ! Cette journée annonce un nouveau départ ! Le début d’un âge d’or pour votre chef ! »

Les locaux n’avaient jamais été aussi nombreux, ils n’avaient cessé de s’amasser autour de nous.

La violence inouïe dont il faisait preuve allait dans le sens de son discours. Mais je ne faiblissais pas.

J’entendais ses paumes se resserrer sur l’arme. Il levait son arme si haut qu’elle semblait percer le soleil.

Mais le prince face à lui restait calme. Plus calme que depuis le début de ce combat. Le temps se ralentit.

Toujours en garde, je remettais lentement mon cimeterre dans son fourreau. Je descendais en position basse, presque sans m’en rendre compte.

Le ciel et la foule avait disparu, et bientôt, il ne restait plus que moi et mon adversaire, dans un monde plongé dans le noir.

J’avais fermé les yeux tandis que la lance retombait vers sa cible. J’avais réussi à retrouver cet état que j’avais découvert lors du combat contre Vainqueur.

Un tintement de clochette se fit entendre dans mon esprit, me poussant à rouvrir les yeux, paisiblement. Le temps semblait s’être arrêté.

Une plume scintillante passa devant mon regard serein.

Un fin filet de lumière traversa de bas en haut ma vision.

Aussi rapide que la foudre, Caresse s’était retrouvée au bout de mon bras dominant tendu vers le ciel.

Tout le monde s’était tu. Pas seulement à cause de ce que je venais de faire, mais plutôt parce que Fruidmehr n’était pas allé au bout de son mouvement.

Il restait béa face à moi, puis recula de quelques pas dans la neige. Je n’avais certes pas pu le toucher, mais…

Dans un son que tout le monde entendit, la lance se brisa en deux et sa pointe tomba au sol.

En une seule attaque, emplie de tout ce que je n’avais pas su dire lors de cet affrontement, j’avais brisé sa volonté de se battre. Mon regard avait percé toutes ses défenses, et la seule lame qui brillait encore était celle de Caresse que je rangeais dans son fourreau, signant ainsi ma victoire.

Kaia : « L-lucéard ! »

Alors que tous les autres étaient plongés dans le silence, la fillette laissa échapper un éclat de voix, ses yeux étaient remplis d’étoiles, tout comme ceux de sa sœur qui restait bouche-bée.

L’espace d’un instant, je m’étais retrouvé moi-même comme envoûté. Je ne réalisais que progressivement que je venais de réaliser une technique qui m’était totalement propre.

Le visage de Fruidmehr se décomposait. Il avait perdu toute la gloire qu’il avait amassée en une fraction de seconde.

Je profitais de ce silence pour m’adresser à tous ceux ici présents.

Lucéard : « Comment as-tu pu en arriver là ? Comment avez vous tous pu en arriver là ? »

Ils étaient tous aussi perdus et inoffensifs que leur chef. La lumière qui les guidait depuis quelques mois s’était évanouie en un instant.

Lucéard : « Vous n’avez pas à vivre comme ça. Vous n’avez pas à être dépendant de lui, et il n’a pas non plus à dépendre de vous. Reprenez vos esprits, toute cette mascarade n’a aucun sens. Ne me dites pas que c’est à ce quotidien malsain que vous aspirez. »

Je ne savais hélas pas s’ils étaient encore capable de penser par eux-même. Cet étrange maléfice semblait les avoir dévorés de l’intérieur.

Fruidmehr pantelait. Il réalisait progressivement qu’il avait perdu tout contrôle. Il commença à gémir, puis courut récupérer la moitié encore tranchante de sa lance.

Fruidmehr : « Pourquoi vous arrêtez-vous de m’acclamer ?! Le combat n’est pas fini ! »

Il avait ce même sourire triomphal qu’il voulait montrer au sien, mais son regard était celui d’un animal acculé, la folie faisait trembler ses pupilles. Ce contraste m’effrayait. Sa voix aussi, était aussi grave qu’il le souhaitait, mais fluette à la fin de ses mots. Le résultat était insupportable à écouter.

Je ne pouvais rien faire pour lui. Le leader charismatique ravagé par l’effroi était hors de ma portée.

Les acclamations qu’on entendait maintenant étaient faibles, voire morbides. Myrkur se libérait de ses liens et constatait elle aussi la tristesse de cette scène.

J’ai encore échoué… Je n’ai pas su les atteindre…

Fruidmehr : « Vous n’avez tout de même pas oublié ?! Personne ne peut me toucher ! Je suis le plus invincible qui soit ! »

Quelques bandits se laissaient persuader. Ils n’avaient rien de mieux à croire.

Mais d’autres se regardaient entre eux, ils ne savaient plus ce qu’ils faisaient ici. Perplexes, ils réalisaient enfin qu’ils étaient différents de ceux qui croyaient encore à cette imposture.

Certains prenaient leur distance par méfiance envers les autres.

J’étais cependant plus surpris de sentir que la sensation qui était née de ma dernière attaque ne faisait que s’accroître.

C’est maintenant…

Je ressentais cette vérité dans ma chair, et face à la lance de mon adversaire, je sortis ma lyre d’entraînement.

Fruidmehr : « Je suis le seul plus invincible ! Le seul ! Meurs ! »

Laissant libre cours à ces sentiments tumultueux, il brandit sa demi-lance comme un poignard.

Je ne me concentrai que sur ce qui s’agitait au plus profond de moi. Quelque chose de pur et de chaud coulait dans mes veines jusqu’au bout de mes doigts, avec lesquels je frappais avec délicatesse mais puissance les cordes de l’instrument.

Lucéard : « ANIMA… EIUS. »

Une forme nébuleuse d’un rose profond et émouvant se matérialisa face à moi, et prit pour cible Fruidmehr, qui hurla tout en se protégeant de sa lance par réflexe.

Le sort n’était pas très rapide, mais ignora tout bonnement son arme, ce bras avec lequel il se protégeait et la protection magique qui lui collait à la peau. Il traversa toutes les défenses de ce guerrier invincible et l’atteint en plein cœur. Le choc déséquilibra le pauvre homme, comme si une tempête s’était déchaînée en lui. Il tituba et finit par chuter sur ses fesses, déboussolé.

Myrkur : « Il l’a… touché… ? »

Cette nouvelle attaque avait ignoré sa défense magique, comme si rien ne pouvait l’empêcher d’atteindre sa cible.

…Une attaque qui atteint à coup sûr mon adversaire…

Je découvrais en même temps que toute l’assistance ce qu’était l’anima eius. J’avais le sentiment que ce sort était même un peu plus que de la simple magie.

Fruidmehr était au sol, hagard. Son regard se vidait de toute cette tourmente, il n’était bientôt plus qu’une coquille vide.

Bandit : « Il s’est fait battre… »

Homme : « Il n’a jamais été invincible… ! »

Femme : « Comment osez-vous ? Chef… Chef ! Relevez-vous ! »

Hors-la-loi : « Tch, ça craint ici. Vous êtes tous tarés. »

La foule se dispersait de tous les côtés. Par effet de masse, certains suivirent le mouvement, et seuls les plus fidèles, seuls ceux qui n’avaient rien d’autres restèrent.

Bandit : « Il faut l’aider ! Tout le monde ! Aux armes ! »

Après avoir rongé les barreaux de la cage, les mignon-malins prirent en chasse ceux qui étaient tentés de faire du zèle.

La famille Pénumbra et leurs bêtes diaboliques s’enfuirent sans souci dans cette cohue.

Je regardais les autres partir, avec une certaine mélancolie.

Kaia : « Vite, Lucéard ! Venez avec nous ! »

Le plus invincible de tous se relevait lentement, hébété. Il me fixait en retour, entouré d’une poignée des siens.

Fruidmehr : « Hé… Hé… C’est… Moi… »

Tout son être était béant, et sans parvenir à le quitter des yeux, je reculais.

Il tentait vainement de sourire à nouveau, sans y parvenir. Les autres attendaient ses ordres, tout aussi désemparés que lui.

Lucéard : « Désolé… »

Je m’arrêtais entre deux arbres, pris d’un fort pincement au cœur, et me tournai vers lui.

Lucéard : « La prochaine fois… Je te sauverai toi aussi ! »

Promis-je avant de partir à toutes jambes.

-6-

La petite heure qui nous séparait de la maison de Myrkur me permit de me calmer. Son mari n’était pas dans les environs aujourd’hui non plus.

On m’avait assis sur une chaise autour de la sympathique table de leur salon.

Les deux fillettes étaient restées cramponnées à moi sur tout le chemin du retour. Et même une fois installé sur une confortable chaise en bois, elles trouvaient le moyen de me coller.

Je soupirai tandis qu’elles continuaient de frotter leurs joues contre les miennes. Je n’osais pas interrompre cette étrange démonstration de gratitude.

Kaia : « Je crois que je veux vous épouser, Lucéard ! »

Une de mes joues était plus humide que l’autre tant elle ne parvenait pas à se calmer. Bléka, quant à elle, était plus calme, même si la commissure de ses yeux était encore rouge.

Bléka : « S’il doit épouser quelqu’un, ça ne peut qu’être moi. Je suis celle qu’il a sauvée en première, après tout. »

Le minois de Kaia se décomposa dans un énième sanglot.

Kaia : « C’est vrai ça, Lucéard ? Vous allez choisir Bléka ? Et pas moi…? »

Leur attitude m’amusa, tout autant que leur mère qui s’affairait en cuisine. Encore une fois, leur présence me réconfortait et m’aidait à me changer les idées après cette péripétie qui me troublait encore.

En remerciement, je leur montrai le sourire du prince tel qu’elle n’avait pas encore pu le voir.

Lucéard : « Il va peut-être falloir commencer par me tutoyer. »

Kaia : « Oh ! Je l’ignorais ! Je vais m’y mettre tout de suite ! »

Sa dévotion était rafraîchissante.

Des mains m’attrapèrent par les tempes et ma tête se retrouva tournée de force vers l’autre jumelle qui me dévisageait à quelques centimètres.

Bléka : « Épouse-moi. »

Le ton de cette requête donnait l’impression qu’il s’agissait d’un ordre. Et le regard intense qu’elle m’imposa en fit carrément une menace.

Myrkur : « L’eau de la bassine doit être chaude. Allez, au bain les filles ! »

Sans se faire prier, les deux enfants me relâchèrent. Ces jumelles étaient vraiment des anges.

Pourtant, plutôt que de s’éloigner, elles se mirent à tirer sur mes bras.

Kaia : « Lucéard, les personnes mariées se baignent ensemble. On ne pourra pas t’épouser si tu ne viens pas avec nous. »

La situation devenait de plus en plus embarrassante. Mais voir leurs mines réjouies m’apaisait malgré tout. J’étais soulagé que tout se soit bien fini.

Leur mère tapa du poing contre le plan de travail, impatiente.

Myrkur : « Enfin, les filles ! Vous ne pouvez pas lui proposer de prendre un bain avec vous ! »

Bléka : « Mais maman, Lucéard est bien plus sale que nous. »

Cette tentative de persuasion eut l’effet d’un poignard en plein cœur. Elle avait probablement raison, mais je lui aurais été gré de ne pas en faire la remarque si froidement.

Myrkur : « Mesdemoiselles, ça n’est pas une raison ! Un prince ne peut se marier qu’avec une princesse. Et une princesse n’exhibe jamais son corps à qui que ce soit ! »

Bléka détourna le regard, déçue. Mais Kaia, elle, paraissait plus émerveillée encore.

Kaia : « Si on ne s’exhibe pas, on deviendra des princesses ? »

Myrkur se tourna vers elle pour lui sourire.

Myrkur : « Pas par le sang, du moins. Mais le plus important est d’être des princesses dans votre cœur. Si vous accordez du soin et de la valeur à votre corps, vous en ferez un joyau. Ceci dit, ne faites pas des propositions aussi indécentes à l’avenir, compris ? »

Bléka : « Je me sentais déjà comme une princesse en détresse pendant que l’on était enfermée dans la cage, c’était si romantique. »

Si on l’écoute, on croirait presque qu’elle a passé un bon moment là-bas.

Sur ces sages paroles, les deux filles descendirent au sous-sol.

Myrkur : « Ah, celles-là alors… Ne leur en tiens pas rigueur, Lucéard. »

Lucéard : « Oh, mais il n’y a pas de problème, leur attention me fait quand même plaisir. »

Une aura ténébreuse nauséabonde émanait soudain de la mère de famille, je me rendais aussitôt compte qu’elle avait mal compris le sens de mes mots. Ses cheveux noirs bouclés se mirent à onduler violemment tout autour de sa tête.

Lucéard : « E-enfin, ce que je veux dire, c’est que je suis content qu’elle m’apprécie, je ne comptais pas accepter de les rejoindre dans leur bain ou de les épouser ! »

Paniquai-je. Ce qui suffit à rendre à la mère de famille son état normal.

Myrkur : « Je vois. …Mais pour ce qui est du mariage, nous pourrons en reparler plus tard. »

Quoi ? Elle n’y pense pas ?!

Venant d’elle, la perspective était plus inquiétante.

L’épaisse porte de bois s’ouvrit dans un son tapageur, permettant une entrée spectaculaire de Dodul, qui n’avait cependant pas le cœur à montrer de l’entrain dans sa phrase d’accroche.

Dodul : « Eh oui, c’est moi, Dodul, l’éleveur d’animaux fou… »

Sa réplique en avait pris un coup, il faut dire qu’il était dans un sale état aujourd’hui encore.

Son nouveau slogan donne l’impression que ce sont les animaux qui ont un problème, cela dit.

Myrkur : « Il serait temps que tu rentres chez les gens comme il se doit, Dodul. Commence déjà par frapper à la porte. »

L’ancien bandit s’assit dans un long soupir.

De l’eau avait coulé sous les ponts depuis six mois et il semblait bien intégré. Il avait toujours une tête à enchaîner les méfaits, mais étrangement, le voir à nouveau me réjouit.

Dodul : « Eh, t’es qui, toi ? »

Me pointa-t-il vulgairement du doigt.

C’est toujours un crétin.

Lucéard : « La plupart des gens se souviennent au moins de ma coiffure. »

Dodul : « Aaah. Mais oui ! Enfin, pt’être. »

Comme je le pensais, il s’en fichait éperdument.

Dodul : « Je t’ai pas dit, Myrkur, mais un type m’a fracassé et il a kidnappé tes filles. »

La sorcière soupira.

Myrkur : « Je suis au courant, merci. »

Dodul : « Mais j’ai largement survécu. »

Il se remémorait soudain des détails.

Dodul : « Avant que je m’évanouisse, des squelettes m’ont traîné jusqu’au village, j’crois. »

Le fond d’humanité qu’il avait en lui ne demandait qu’à bourgeonner.

Dodul : « Mais à l’heure qu’il est, la petite Kaia et sa sœur… »

Myrkur : « Ne t’en fais pas, elles sont saines et sauves. Grâce à Lucéard. »

Dodul : « Quoi ? Toi ?! Me dis pas que t’as battu Fougasse ?! Dans mes souvenirs t’étais pas bon du tout… »

Me pointait-il encore du doigt, stupéfait.

Lucéard : « Si tu te souviens de moi, tu dois aussi te souvenir que je suis toujours plus fort que tu ne l’es. »

Dodul : « Bah ça alors, moi, mes coups le touchaient même pas, c’était bizarre ! »

Je reprenais la discussion, sur un ton plus sérieux.

Lucéard : « D’ailleurs, Dodul, comment c’était la vie dans son camp à l’époque où tu y étais ? »

Il frottait sa barbe sale comme pour y dénicher la réponse à ma question.

Dodul : « Le dites à personne, mais j’ai été dans pas mal de petits groupes dans ma folle jeunesse, et jusqu’à celui-ci, le groupe de Fougasse était celui qui me mettait le moins mal à l’aise. L’ambiance y était assez sympa, je trouve. »

Je restais perplexe, moi qui m’attendais totalement à l’inverse.

Dodul : « J’ai été avec des gars qui faisaient des crasses pas possible, même s’ils y gagnaient rien. Dans la forêt d’Azulith, ça a toujours été beaucoup d’activités inoffensives, et quand on volait des pauvres gens, on en restait là la plupart du temps. »

Myrkur le regardait sévèrement. Il omettait visiblement que ce qu’il avait fait le jour de notre rencontre n’avait rien de louable.

Dodul : « Mais c’est vrai que Fougasse était du genre compétitif. On avait quelques raclures qui lui mettaient toujours la pression pour faire des trucs plus sensationnels. Et c’est vrai qu’il disait toujours vouloir étendre son influence. Devenir plus que ce que nous étions, mais il nous forçait jamais la main pour quoi que ce soit. Je sais pas comment vous dire ça, mais c’est plutôt rare dans ce milieu de vie. »

J’ai un peu honte, mais j’ai l’impression de voir plus ou moins ce qu’il veut dire.

Myrkur : « Et pourtant, il y a quelque chose de terriblement néfaste dans le camp d’où tu venais. »

Madame Pénumbra se tourna vers moi.

Myrkur : « C’est bien ça qui te préoccupe, mon garçon ? »

Dodul me fixait aussi, curieux.

Lucéard : « Tout ce qui s’est passé là-bas était angoissant. La façon malsaine dont Fruidmehr se comportait m’a donné des sueurs froides. Dès l’instant où sa supériorité était remise en question, il devenait hystérique, et tous ceux qui le soutenaient agissaient de façon… Tout ça n’avait rien de naturel. »

Myrkur : « Oui, je suis d’accord. Je me suis moi-même demandée si la raison en était magique. Et je me demande si tout ça n’aurait pas un rapport avec son prodigieux éveil magique. »

Elle soulevait une théorie intéressante. C’était ce qu’on pouvait attendre d’une véritable érudite en la matière.

Myrkur : « Nous sommes pratiquement sûrs qu’il n’avait pas encore le don de magie il y a six mois, lors de notre première rencontre. Outre le fait qu’il a un talent sans commune mesure dans un seul aspect de sa magie, à savoir la protection passive, il est aussi extrêmement rare d’éveiller son mana passé la trentaine. La maturité émotionnelle est souvent la dernière occasion de révéler ses pouvoirs latents, et souvent, les mages trouvent un déclencheur assez puissant dans leur jeunesse. »

Elle commençait sa thèse, et parlait avec tant de passion que nous ne pouvions que boire ses paroles.

Myrkur : « Dans le cas de cet homme, il a dû subir un choc particulièrement intense pour l’éveiller à son âge, ce serait l’explication la plus probable. Peut-être aussi qu’il a développé un pouvoir d’envoûtement pour assujettir ceux qui l’entourent, mais ce serait la première fois que je vois une telle chose. Il est peut-être plus probable que ce soit un traumatisme collectif. Il se pourrait bien que quelque chose de terrible soit arrivé dans ce camp. Un seul événement qui aurait permis à Fruidmehr d’éveiller son mana, et de laisser des séquelles psychologiques à tous ceux qui y étaient. »

Sa conclusion nous fit froid dans le dos, même si Dodul ne semblait pas avoir tout compris.

Lucéard : « Se pourrait-il que quelqu’un soit à l’origine de tout ça ? Est-il possible d’induire un éveil magique comme ça ? »

Cette idée m’avait traversé l’esprit, et madame Pénumbra en grimaça.

Myrkur : « Je ne sais pas ce qui a pu leur arriver là où ils sont. Je ne pense pas qu’un humain puisse faire autant de ravage. Mais il me semble bien que le sous-sol d’Azulith s’étend même jusque par chez eux. C’est très peu probable, mais on ne peut exclure que quelque chose soit sorti du labyrinthe. »

Le corps de Dodul se raidit. Tout comme moi, il se rappela qu’en dessous de nous se trouvait une dédale immense pleine de monstres et de créatures pire encore.

Myrkur : « Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas le laisser en liberté avec un tel pouvoir. Lusio n’aura aucun problème pour l’enfermer. Il n’avait visiblement pas de magie offensive. Je pourrais peut-être lui soutirer des informations grâce aux illusions du chef. »

Dodul : « J’ai bien choisi mon moment pour me barrer, moi. »

La mère de famille réalisa que j’étais bien silencieux. Cette discussion m’avait certes enlevé un poids, mais quelque chose me tracassait toujours.

Myrkur : « Ne fais pas cette tête, enfin, Lucéard. »

J’avais baissé la tête sans m’en rendre compte mais la relevai tandis qu’elle s’approchait de moi.

Myrkur : « Tu nous as sauvé, tu te souviens ? Un héros qui rentre victorieux n’a pas à faire cette tête. »

Elle me fit décrocher un sourire en coin.

Lucéard : « …Malgré tout, j’aurais aimé être capable de plus… »

Je n’avais toujours pas les mots justes pour résoudre les conflits, ni même la force suffisante. Ce constat me trottait en tête depuis tout à l’heure. Je me disais que ça aurait pu être mieux, et cette façon de présenter les choses contraria visiblement Madame Pénumbra, qui me gronda comme si j’étais son fils.

Myrkur : « Avoir sauvé la vie de mes filles ne t’a pas suffit, Lucéard ? Tu es trop sévère avec toi-même. Ne pas reconnaître les bienfaits de tes actions finira par te jouer des tours. C’est très humble de ta part de chercher ce qui est perfectible dans tes choix, mais tu devrais apprendre à te féliciter pour ce que tu fais de bien. »

C’était un sermon relativement gentil dans son contenu, mais je me sentais quand même réprimandé.

Myrkur : « Tu n’as pas eu tout ce que tu souhaitais, mais n’oublie jamais que grâce à toi, mes précieuses enfants sont en vie, et je le suis aussi. C’est entièrement grâce à toi ! Si tu ne dois retenir qu’une chose de cette journée, ça ne peut qu’être ça. »

Je restais muet, mais le message était passé.

Myrkur : « Elles vont pouvoir vivre une longue vie, la plus heureuse qui soit je l’espère. Et à chaque fois qu’elles souriront à l’avenir, tu n’y seras pas pour rien. C’est la seule chose que tu dois retenir. »

Une lueur naquit dans mes yeux. En effet, de tout ce que j’avais entrepris ces derniers mois, je pouvais être fier d’avoir réussi tant de choses qui dureraient dans le temps. Tandis que tout ce que j’avais échoué n’aurait tout bonnement pas pu être réussi si je n’avais pas essayé en premier lieu.

J’avais rendu le monde plus beau, même si ce n’était qu’un peu. Mais cela ne devait pas m’empêcher de continuer.

Les jumelles sortirent toutes propres, pleines d’énergie en dépit de ce qu’elles avaient traversé. Elles s’attablèrent avec nous, et nous déjeunions tous ensemble.

Après m’être engagé une fois de plus à venir leur rendre visite à l’occasion, je refermais la porte derrière moi.

Seul devant cette charmante maison, je pris Caresse entre mes mains et la fixai avec nostalgie, puis repartis.

Je marchais à pas lents sur le chemin du retour, m’arrêtai un moment devant l’entrée discrète d’une grotte qui m’évoquait beaucoup.

Je traversais la forêt qui m’était de plus en plus familière, le regard levé vers les rayons du soleil entre les branchages.

J’arrivai enfin à la maisonnette. Le maître m’attendait de pied ferme. J’avais posé un lapin à Mahoganie, et il me le fit comprendre d’un seul regard.

Heraldos : « J’espère que ton escapade valait le coup. »

Déclara-t-il sur un ton menaçant. Après s’être approché, il lut dans mon regard la lueur nouvelle qui s’y était installée. L’expression sur son visage s’assouplit quelque peu, et il se retourna, comme pour me sommer de le suivre. Son envie de me frapper lui était passé. Je le suivais, confiant.

Lucéard : « Si vous saviez ce que j’ai fait à la place de mon entraînement vous seriez fier de moi. »

Affirmai-je sur un ton arrogant.

Il s’arrêta, toujours dos à moi. Et préserva le silence quelques instants.

Heraldos : « …Je le suis. »

Puis il se remit en marche.

Euh…

Ma mâchoire s’ouvrit d’elle-même. J’étais totalement abasourdi parce que je venais d’entendre. Mes joues devinrent rouges.

M-mais pourquoi ça me fait cet effet ?!

Je baissais la tête pour cacher l’émotion embarrassante que je ne voulais surtout pas lui montrer.

Je finis par courir pour le rattraper.

Ainsi repris-je là où je m’en étais arrêté. Mais raconter au maître les deux techniques que j’avais apprises aujourd’hui lui inspira un petit changement.

Il me confirma que j’avais appris ma première technique spéciale, et m’invita à la perfectionner. Hélas, tout comme l’Anima eius, je me retrouvais incapable de l’utiliser, mais cela ne me découragea pas. J’étais prêt à fournir toujours plus d’efforts.

Le soir, en rentrant, je pus enfin revoir Ellébore, qui avait entendu toute l’histoire de la part du maître, et était morte d’inquiétude. Après s’être assurée que tout allait bien, elle tomba aussitôt de fatigue. De mon côté, j’ignorais pour quelle raison elle était en si piteux état.

Les jours se poursuivirent, et pendant un mois encore, je réussis à trouver chaque jour la force de me dépasser. J’affinais ma technique à l’épée, je renforçai ma magie. Mon corps était plus robuste et mobile que jamais. Et bientôt, il allait être grand temps de revenir.

Quelques jours après les événements, bien loin de l’endroit où Mahoganie me malmenait, Lusio suivait le sentier où je l’avais rencontré, en direction du village d’Azulith.

Le visage fermé, il levait un mouchoir jusqu’à sa joue pour y essuyer une tache rouge.

Quelques dizaines de mètres derrière lui, le village de Fruidmehr était paisible. Il n’y avait plus un son, plus une âme. Des quantités infernales de sang avaient souillé ces ruines à jamais.



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