Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 37 – Le tunnel des pilleurs de tombe
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J’allais me mettre à ramper lorsque mon compagnon me demanda si j’avais des démangeaisons. Par réflexe, je baissai la tête. J’étais si nerveux tout à l’heure que je ne m’y étais pas arrêté mais lorsque nous étions dans le couloir, j’avais eu la sensation que ces blessures infligées par les flèches présentaient des signes d’inflammation. Je relevai ma chemise et vis que le gonflement et les rougeurs avaient déjà diminué. Il n’y avait rien de particulier à ce sujet.

― C’était le cas tout à l’heure, répondis-je à mon compagnon, mais je ne ressens plus rien. Cela dit, l’air est très humide par ici, peut-être y es-tu sensible.

Gros-lard se gratta alors furieusement :

― Y’aurait-il un moyen de mettre fin à cela temporairement ? J’ai transpiré comme un fou tout à l’heure et maintenant, ça me démange de partout, dit-il en se frottant le dos contre le mur, laissant partout des traces de sang.

Inquiet, je lui demandai de me montrer ses blessures, ce qu’il fit en contorsionnant son buste de manière à pouvoir continuer à se gratter. D’un geste brusque, je repoussai ses mains et en dirigeant ma lampe torche vers son dos, j’aperçus une sorte de moisissure blanche qui se développait à partir des blessures causées par les flèches. C’était tellement répugnant que je ne pus m’empêcher de lâcher :

― Dis, le Gros, depuis combien de temps n’as-tu pas pris de douche ?

― Pourquoi me poses-tu cette question ? C’est personnel. Je n’ai pas à te répondre, me répondit-il d’un ton offusqué.

― Tu n’as pas dû en prendre depuis un moment. Ne t’alarme pas, ton dos est couvert de moisissure. De moisissure blanche pour être exact, au point que l’on pourrait considérer ça comme l’une des rares merveilles du monde. Si tu la laisses proliférer ainsi quelques mois, tu pourrais même y faire pousser un champignon de longévité (1).

― De la moisissure blanche ? Parce que la moisissure peut être blanche ? Cesse donc de tergiverser et dis-moi franchement ce qui se passe, fit Gros-lard, confus.

Je jetai un coup d’œil furtif à Poker-face et vis qu’il fronçait les sourcils. La situation ne présageait rien de bon et je ne pouvais plus me permettre de faire le pitre. Il s’approcha, posa la main sur le dos de Gros-lard et du sang noir se mit à couler de ses plaies :

― Nous avons un problème, souffla-t-il. Ces flèches n’étaient pas normales.

Je trouvai cela étrange. Ayant moi-même été touché, logiquement, j’aurais dû éprouver les mêmes symptômes. Aurais-je hérité d’une particularité génétique de mon grand-père qui faisait que j’étais immunisé ? Je lui montrai aussitôt mes blessures et lui lançai un regard interrogateur.

Il les examina, puis fit claquer sa langue. Il avait l’air tout aussi perplexe que moi. Le Gros, qui commençait à paniquer, se tourna vers moi :

― Quelle moisissure ? Ce que tu racontes n’a pas de sens ! Où la vois-tu pousser ?

Il tendit la main pour palper son dos, mais je l’en empêchai aussitôt :

― Ne bouge pas. On dirait une maladie de peau. Laisse-nous l’examiner de plus près, mais ne te gratte pas, sans quoi tu pourrais laisser une cicatrice.

Les démangeaisons étaient tellement intenses qu’il ne pouvait plus les supporter.

― Il ne peut pas continuer à souffrir comme ça, dis-je à Poker-face, inquiet. Nous devons trouver une solution. J’ai entendu dire que certaines personnes atteintes de maladies de peau ne peuvent pas résister à l’envie de se gratter et finissent par se suicider !

― Et je vais le faire tout de suite ! Cette démangeaison me tue ! s’écria Gros-lard, apeuré. Il faudrait faire comme Guan Yu et gratter mes os afin de guérir mes blessures (2). Il suffit de m’arracher quelques morceaux de chair. Je peux le supporter.

Ayant moi-même souffert d’une maladie de peau dans mon enfance, je connaissais un remède maison, mais qui n’était guère ragoutant :

― Inutile de t’arracher de la chair, lui dis-je, tu n’en as pas en trop de toute façon. Et je ne suis pas Hua Tuo. (3) Mais j’ai une lotion qui pourrait t’aider, laisse-moi te l’appliquer. Ça va faire un peu mal, mais essaie de le supporter.

Poker-face resta un instant figé tandis que la bonbonne se contentait de grogner :

― Vous, les citadins, êtes vraiment délicats. Qui aurait l’idée d’apporter de la lotion pour aller piller des tombes ? La prochaine fois, tu pourrais emporter un jeu de cartes. Comme ça, si l’on se retrouve pigés, on pourrait faire quelques parties.

Je n’avais bien sûr pas de lotion sur moi, aussi me contentais-je de cracher deux fois sur le dos du gros, après quoi j’enfilai mes gants et me mis à étaler la salive sur ses blessures. Contre toute attente, mon imposant compagnon de route poussa un cri, fit un bond en avant et s’écria :

― Mais qu’est-ce que tu me mets sur le dos ? Bon sang, tu pourrais aussi bien m’arracher la chair ! Maintenant, je vais vraiment rencontrer mon créateur.

Voyant à quel point la douleur était efficace pour faire diversion, je lui dis :

― À voir ton état, je dirais que la douleur est en train de prendre le dessus sur tes démangeaisons. Les ressens-tu toujours à présent ?

Gros-lard se tortilla encore un moment, puis se calma et s’exclama, surpris :

― Hé, jeune Wu, ce truc est vraiment efficace. Je me sens déjà beaucoup mieux. Quelle est cette marque ?

Craignant qu’il ne me tue s’il découvrait que j’avais utilisé ma salive pour le soigner, je lui répondis d’un ton ferme :

― Ne fais pas la chochotte. Allons-y.

Poker-face eut un sourire amusé et secoua la tête. C’était la première fois que je lui voyais un authentique sourire plutôt que son amer rictus habituel. Il semblait avoir gagné en humanité. Sans doute avait-il simplement besoin de communiquer un peu plus.

Mais très vite, il retrouva son visage impassible et il nous fit signe de continuer. Nous rampions depuis quelques minutes à peine lorsqu’il se tourna vers nous :

― Il y a une bifurcation.

Je jetai un coup d’œil par-dessus son épaule et aperçus un passage qui tournait à gauche et un autre à droite. Je braquai ma lampe torche vers celui de gauche et vis qu’après quelques mètres se dressait une barrière de briques qui faisait de ce passage une impasse. Or manifestement, de l’autre côté de ce mur se trouvait le tunnel que mes deux compagnons avaient emprunté pour s’échapper de la chambre auriculaire. Pourquoi était-il scellé ? Peut-être Xie Lianhuan avait-il eu peur que quelque chose ne sorte du cercueil ?

Mais le fait que ce passage soit bloqué laissait entendre qu’il s’était enfui par le tunnel de droite. Poker-face, qui semblait avoir eu la même pensée, pointa du doigt l’autre passage en même temps que moi. Sans un mot, nous reprîmes notre périple.

Pour être honnête, n’ayant encore jamais rampé aussi longtemps, je transpirais abondamment. Cela n’aurait pas été aussi pénible ni douloureux s’il s’était agi d’un tunnel de terre ordinaire, mais celui-ci était parsemé de fragments de briques et de ce fait, chaque mouvement était une pure torture. Je ressentais une douleur cuisante aux genoux. Comme, apparemment, il y avait encore quelque avantage à être un humain, je devais m’efforcer de le redevenir dans ma prochaine vie.

Les pensées se bousculaient dans mon esprit lorsque brusquement, Poker-face s’arrêta et me fit signe de ne pas faire de bruit. Le Gros, qui ne voyait pas ce qui se passait devant, me chuchota :

― Que se passe-t-il ?

Alors que je lui faisais signe de se taire, Poker-face éteignit sa lampe torche. Nous comprîmes aussitôt et fîmes de même, ce qui eut pour effet de nous plonger dans l’obscurité totale. Même si je transpirais abondamment, je gardai mon calme et mon rythme cardiaque demeurait régulier (avec le recul, je m’apercevrais plus tard que la terreur de finir écrasé entre deux murs de pierre avait été telle que j’avais déjà surmonté ma peur de cette tombe). Je ne connaissais toujours pas les intentions de Poker-face, mais dans un endroit comme celui-ci, mieux valait se fier à lui.

Nous restâmes silencieux suffisamment longtemps pour que notre respiration s’apaise et que notre sueur s’assèche. C’est alors qu’un bruit m’alerta :  quelqu’un marchait sur les briques au-dessus de nous. Apparemment, nous étions déjà sous la salle arrière ou sous le couloir qui y conduisait. Qui cela pouvait bien être ? A Ning ? Ou peut-être Oncle San ?

J’en étais là de mes hypothèses lorsqu’une démangeaison à l’arrière de mon cou attira mon attention. Inquiet, je me demandai si je n’avais pas, moi-aussi, de la moisissure sur la peau. Je portai aussitôt la main à ma nuque et découvris une bosse humide collée à mon cou. Pensant qu’il s’agissait de la tête en sueur de Gros-lard qui se serait rapproché de moi, je la repoussai violemment mais en retirant ma main, je sentis sous mes ongles une substance collante qui dégageait un léger parfum.

Ecœuré, je m’empressai d’essuyer ma main sur les briques près de moi. Le gros avait dû mettre trop d’huile capillaire sur ses cheveux en bataille. Si jamais nous trouvions un plan d’eau, je ne manquerais pas de lui demander de se laver les cheveux car à mon avis, cela devait faire des mois qu’il ne l’avait pas fait.

C’est alors que mon cou se remit à me démanger. J’étais si furieux contre Gros-lard que je m’empressai de le saisir et de le plaquer contre le mur. Mais soudain, une étrange pensée me traversa l’esprit :  comment était-il possible que la tête de mon compagnon fût si petite ? Je la touchai avec précaution et mon cœur se mit à battre la chamade : Pourquoi cette boule humide me donnait-elle l’impression de toucher une masse de cheveux ? Je la tâtai en un autre endroit : on aurait vraiment dit des cheveux entremêlés.  Et pour couronner le tout, ma main s’était prise dedans. J’en avais des sueurs froides et ravalai aussitôt ma salive. À qui ces cheveux pouvaient-ils bien appartenir ? Gros-lard, à coup sûr, n’en avait pas autant.

Le souvenir des poils des dévoreurs d’hommes dans le passage sous-marin me revint alors en mémoire et j’en eus le souffle court. Je n’osais pas allumer ma lampe torche, sachant que cette chose était à quelques centimètres de moi, et que je ne pourrais pas supporter de la voir en pleine lumière. Tout à coup, une main glacée fine et humide aux ongles pointus m’effleura le visage. Mes poils se hérissèrent tandis que mes muscles se contractaient.

La créature me griffa le cou avant de retirer sa main, mais l’instant d’après, je sentis sa tête se rapprocher. Écœuré, je serrai les dents tandis que ses cheveux mouillés se collaient à mes joues, et j’étais sur le point d’exploser lorsqu’une voix féminine sortit de cette masse de poils et me murmura à l’oreille :

― Qui es-tu ?

La voix, bien que faible, était claire et nette. Je commençais à avoir peur lorsque je sentis soudain son corps contre le mien, ses mains sur mes épaules puis ses bras fins autour de mon cou. C’était une très petite femme. J’en restai abasourdi. Ses lèvres étaient si près de mon oreille que je pouvais sentir son souffle froid :

― Serre-moi, s’il te plaît.

Ce fut soudain comme si j’étais possédé. J’avais beau tenter de résister, mes mains ne m’écoutaient plus et avant même que je ne comprenne ce qui se passait, j’avais les bras autour de sa taille. Mais ce fut pire encore lorsque je m’aperçus qu’elle ne portait rien. Sa peau était incroyablement froide, mais étrangement douce.  Confus, je ne pus m’empêcher de rougir. Ses lèvres, alors, se rapprochèrent de mon menton et s’y appuyèrent à deux reprises comme pour me faire comprendre qu’elle souhaitait que je l’embrasse. J’avais totalement perdu le contrôle et étais sur le point d’obtempérer lorsque Poker-face ralluma sa lampe torche. À la vue de la « chose » que je tenais serrée contre moi, je fus parcouru de frissons et mes cheveux se dressèrent sur ma tête.

Notes explicatives : 

(1) Aussi appelé Ganoderma lucidum ou Lingzhi. Il s’agit d’un champignon brun rougeâtre dont le chapeau et la tige vernis en forme de rein lui donnent un aspect distinct en éventail. Il est utilisé dans la médecine traditionnelle chinoise et est réputé favoriser la longévité (bien que cela n’ait pas vraiment été prouvé).

(2) Guan Yu était un général militaire chinois servant sous les ordres du seigneur de la guerre Liu Bei à la fin de la dynastie des Han orientaux. Un jour, il fut blessé au bras gauche par une flèche empoisonnée perdue. L’os lui faisant mal même après la guérison de la blessure, un médecin déclara que le poison s’était infiltré dans l’os. Pour résoudre le problème, il fallait ouvrir le bras et retirer le poison de l’os. Guan Yu a alors tendu son bras et a demandé au médecin de pratiquer l’opération pendant qu’il dînait avec ses hommes comme si de rien n’était.

(3) Hua Tuo (vers 140-208) était un médecin célèbre à la fin de la dynastie Han. Il est considéré comme la première personne en Chine à utiliser l’anesthésie pendant une opération. En plus d’être respecté pour son expertise en chirurgie et en anesthésie, il était célèbre pour ses compétences en acupuncture, moxibustion, phytothérapie et exercices médicaux Daoyin.



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