Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 32 – Qimen Dunjia
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L’immense silhouette était presque aussi haute que la stèle. Chen Wen-Jin distinguait vaguement une tête et un cou qui s’apparentaient à ceux d’un humain, mais la posture de la créature était très étrange. La façon dont elle était courbée à la taille suffisait à vous faire dresser les cheveux sur la tête.

Chen Wen-Jin en avait des sueurs froides. Le groupe d’étudiants se tenait à l’endroit précis où les marches de pierre rejoignent le fond du bassin, à seulement cinq pas du géant. Une distance qui les mettait dans une situation délicate. Le brouillard continuait de tourbillonner et comme ils n’avaient que quelques lampes torches de faible puissance, impossible de savoir s’ils avaient affaire à un être humain ou à un fantôme. De plus, ils étaient nombreux et ils venaient de fouiller toute la zone. Le fond du bassin ne faisait que dix mètres de large et il n’y avait rien de particulier en ce lieu sinon les quatre Singes Apaisants des Mers et la stèle qui se dressaient en son centre. À quel moment cet « homme » immense était-il apparu ? Nul ne le savait.

Et ce satané Zhang Qiling qui continuait à fixer la stèle avec fascination, comme s’il n’avait pas conscience de sa présence. Agacée et furieuse, Chen Wen-Jin serrait les dents. Si elle n’avait aucune idée de ce qu’il examinait, en tant que responsable, elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Ne sachant pas quoi faire dans la situation présente, elle se tourna vers ceux qui se trouvaient derrière elle et leur recommanda de ne pas bouger.

Cinq ou six minutes passèrent. Le « géant » était toujours caché dans le brouillard, comme s’il n’avait pas l’intention d’agir.

Huo Ling, qui n’en pouvait plus, chuchota :

― Que fais-tu donc, Frère Zhang ? Ne reste pas planté là comme un idiot et viens vite par ici.

Chen Wen-Jin était tellement effrayée qu’elle s’empressa de la faire taire. Zhang Qiling était trop près de cette créature. Si quelque chose, brusquement, se produisait, il lui serait difficile de s’enfuir étant donné qu’il n’était qu’à deux pas du géant. Le meilleur plan d’action était donc de maintenir temporairement le statu quo.

Chen Wen-Jin analysa rapidement la silhouette. Même si l’on rencontrait de nombreux dangers dans les tombes anciennes, le fait de savoir à quoi l’on avait affaire permettait naturellement d’y faire face. Dans le cas contraire, en revanche, c’était la mort assurée, de quelque manière que ce fût.

Après réflexion, elle se dit qu’il ne pouvait y avoir de zombies dans cette tombe car elle était très bien située. Depuis des centaines d’années, les îles Xisha n’avaient été que rarement perturbées par les humains. Si plusieurs îles et récifs formaient un anneau à la surface de la mer, elles étaient en fait reliées en une chaîne de montagne sous-marine. Ces « montagnes et rivières » cachées au fond de la mer rassemblaient les vents et nourrissaient le qi comme le ferait une chaîne de montagnes terrestre. Avec sa tête de dragon à l’est et sa queue de dragon à l’ouest, elle constituait une veine de dragon sous-marine très rare. (1) On dit que les dragons ont d’abord vécu dans l’eau avant de s’envoler vers le ciel, aussi les dragons d’eau étaient-ils considérés comme légèrement plus importants que ceux des montagnes en matière de feng shui.

Si vraiment il y avait un cercueil dans cet endroit idéal, le propriétaire devait être quelqu’un de très riche et puissant. Et si vraiment cette tombe ancienne avait été construite par Wang Zanghai, il devait manquer d’eau dans son wuxing (2) et cherchait à y remédier en se faisant enterrer dans une tombe sous-marine de façon à créer une parfaite harmonie entre la nature, l’homme et le ciel.

De fait et à moins que tous les livres de feng shui ne soient pleins d’absurdités, il n’y aurait jamais de zombies dans cette tombe. À cette pensée, Chen Wen-Jin se sentit soulagée. Si ce n’était pas un zombie, ce devait être un homme ou un animal. Or ils étaient suffisamment nombreux pour attraper un être vivant, qu’il fasse deux ou trois mètres de haut.

L’un des garçons prit alors la parole :

― Chen Wen-Jin, j’ai l’impression que quelque chose ne va pas. Je crois me souvenir qu’à cet endroit, il y avait un singe de pierre. Quelque chose a peut-être grimpé dessus ?

Chen Wen-Jin réfléchit et brusquement, une pensée lui traversa l’esprit. Peut-être Oncle San s’était-il réveillé et constatant leur absence, était venu là les chercher. Cet homme, qui était plutôt effronté, s’était probablement caché dans le brouillard et avait grimpé sur le singe pour les effrayer parce qu’ils avaient désobéi à ses ordres.

Si tel était le cas, son comportement était absolument répugnant.

Estimant que c’était là l’explication la plus plausible, Chen Wen-Jin cria à « l’homme » de l’ombre :

― Wu Sanxing ! Cesse donc de faire l’idiot ! Descends immédiatement !

Si vraiment il s’agissait d’Oncle San, il comprendrait que la fête était finie et qu’il était inutile de continuer ses sottises. C’était quelqu’un d’ouvert d’esprit, aussi aurait-il simplement ri de tout cela et ce serait la fin de l’histoire.

Mais qui aurait pu s’attendre à ce qu’avant même qu’elle n’ait fini de crier, l’ombre leur fasse un signe de la main comme pour leur intimer de se taire !

Chen Wen-Jin examina de plus près la silhouette et vit que la longueur de sa main n’était pas proportionnelle à sa taille. Quelqu’un, en effet, se tenait au sommet du singe de pierre.

Elle n’eut pas besoin d’y réfléchir pour que cela vienne renforcer sa certitude qu’il s’agissait d’Oncle San.  Furieuse, elle frappa du pied, se précipita vers le singe de pierre et sauta dessus, prête à saisir l’oreille de mon oncle.

C’était son dernier geste pour traiter avec lui. Ils avaient convenu de ne jamais se disputer, aussi, lorsqu’elle était extrêmement en colère, elle lui tirait l’oreille pour lui faire savoir à quel point elle était hors d’elle. Même s’il avait le courage d’un léopard, Oncle San ne se serait pas risqué à persister dans son comportement déplacé.

Mais avant qu’elle n’ait pu approcher sa main de son oreille, l’homme grimpé sur le singe la saisit brusquement, couvrit sa bouche d’une main et murmura :

― C’est Frère Zhang ! Ne dis rien ! Regarde en bas et vois par toi-même !

Livide, Chen Wen-Jin se figea, stupéfaite. C’était bien la voix de Zhang Qiling ! Que faisait-il sur le singe de pierre ?

Elle y réfléchissait lorsqu’à nouveau, elle eut des sueurs froides. Une minute ! Ce n’est pas possible ! Si c’est bien lui, qui est accroupi devant la stèle ?

Elle se remémora ce qui venait de se passer. À ce moment-là, elle avait seulement vu quelqu’un accroupi devant la stèle, une lampe torche à la main. Or Zhang Qiling était le seul de leur groupe à manquer à l’appel. Elle en avait aussitôt tiré des conclusions, mais était-ce là une erreur basée sur une idée préconçue ?

Elle sortit la tête pour jeter un coup d’œil et en resta stupéfaite. La personne qui se tenait devant le monument portait la même combinaison de plongée qu’eux et après avoir bien évalué sa silhouette, elle réalisa que ce n’était autre que l’oncle San !

Cependant, il y avait quelque chose de bizarre chez lui. Chen Wen-Jin n’avait pas immédiatement compris ce qu’il faisait, mais en y regardant de plus près, elle s’aperçut qu’il se peignait les cheveux devant cette stèle aussi lisse qu’un miroir. Plus effrayant encore, ses gestes, à n’en pas douter, étaient ceux d’une femme.

Oncle San mit un moment à se coiffer puis, tournant le visage, se regarda attentivement dans le miroir de pierre comme le ferait une jeune célibataire qui viendrait juste de s’habiller et de se maquiller.

Son visage, dans le « miroir », exprimait un demi sourire, ce qui créait une atmosphère fantomatique et indescriptiblement étrange. Dans une situation normale, ce genre d’image aurait été très drôle, mais en cet instant, Chen Wen-Jin ne ressentait rien d’autre qu’un froid qui s’insinuait dans ses mains et ses pieds. Elle n’osait même plus respirer.

Lorsque les autres les virent serrés l’un contre l’autre sur le singe de pierre, immobiles, ils en furent soulagés, pensant que c’était vraiment oncle San qui avait feint d’être un fantôme pour les effrayer. C’est alors que Huo Ling, qui s’inquiétait pour Zhang Qiling, se précipita vers l’homme devant la stèle et lui tapa sur l’épaule :

― Frère Zhang, qu’est-ce que tu fabriques ?

Ce geste les surprit tous, y compris Zhang Qiling qui, en son for intérieur, s’exclama : pas ça !

Mais il était trop tard pour l’arrêter.

L’homme se releva si brusquement que Huo Ling poussa un cri de frayeur, mais en réalisant que c’était Oncle San qui se tenait devant elle, sa peur se transforma en colère :

― C’est donc toi, Wu Sanxing ! Tu ne dormais donc pas ? Que fais-tu ici, accroupi, comme quelqu’un qui aurait perdu l’esprit ?

Reconnaissant Huo Ling, Oncle San se couvrit le visage et, avec un cri étrange, la poussa si fort qu’elle tomba. Puis, se retournant, il s’enfuit. Comprenant que quelque chose n’allait pas, Zhang Qiling sauta aussitôt du singe et se lança à sa poursuite.

Malgré sa rapidité, en passant devant Huo Ling, il s’arrêta pour voir si elle était blessée.

Ce fut le geste de trop. Devant la vitesse à laquelle il avait sauté, la jeune femme, croyant qu’il s’inquiétait pour elle, le serra dans ses bras avec enthousiasme.

Zhang Qiling soupira. Ces quelques secondes de retard avaient suffi pour qu’il rate sa chance de rattraper l’homme. Il se dégagea des bras de Huo Ling et chercha des yeux l’oncle San qu’il aperçut enfin à travers l’épais brouillard. À en croire son ombre, il avait presque atteint le mur.

― Attention aux escaliers ! Cria Zhang Qiling, Ne le laissez pas monter !

Puis il se lança à sa poursuite. Il vit alors vaguement mon oncle se tourner sur le côté comme pour se fondre dans le mur, mais le brouillard était trop épais pour qu’il puisse vraiment voir ce qui se passait.

Arrivé devant le mur, Zhang Qiling s’arrêta brusquement en constatant qu’il n’y avait plus  personne à poursuivre. Il était convaincu qu’Oncle San n’avait pas traversé le mur. Bien qu’il ne fût pas un fervent adepte du matérialisme, ce qui venait de se produire était si bizarre qu’il comprit que ce mur cachait quelque chose d’étrange.

Il resta devant un moment, tâtant les pierres, et vit qu’il était bel et bien réel. Persuadé qu’il était impossible, en ce monde, de traverser les murs, il étendit deux de ses doigts – qui étaient extrêmement sensibles – et les pressa contre la pierre. Aussitôt, il perçut de légères vibrations. Ce mur, en fait, tournait très lentement !

Son esprit se mit à bourdonner. C’est ça ! Je ne l’avais pas encore réalisé, mais ce bassin est, en soi, un gigantesque mécanisme !

L’émotion le gagna. C’était un miracle d’ingénierie antique. Face aux compétences du propriétaire de ce tombeau, sa fameuse expérience ne valait pas plus que celle d’un enfant candide.

Mais quelle pouvait bien être la raison de ce mécanisme ? Cela faisait quelques minutes qu’ils étaient au fond du bassin et aucun changement ne s’était produit ! Il était hautement improbable que ce satané Wang Zanghai ait simplement voulu faire de sa propre tombe un carrousel.

Zhang Qiling n’était pas étranger aux mécanismes cachés. À en croire ses propres paroles (et pour les reprendre intégralement), il en savait plus sur les pièges et les mécanismes des anciennes tombes chinoises que quiconque au monde. Il en connaissait parfaitement le fonctionnement, les défauts et jusqu’au nom de leurs inventeurs.

D’après son expérience, ce mécanisme reposait sur un principe des plus simples. Généralement, il y avait toujours des problèmes avec les systèmes à ressorts prétendument intelligents comme les arcs de bois et les arbalètes cachées. Quelle que fût la qualité des matériaux employés, au bout de centaines, voire de milliers d’années, les mécanismes de déclenchement se désagrégeaient au point de ne plus fonctionner. De fait, le moyen le plus simple et le plus facile d’entraver les pilleurs était souvent de déposer devant le mur du tombeau une couche de sable antivol (après que ces derniers aient creusé, une grande quantité de sable s’effondrait dans le tunnel et les asphyxiait. Mais cette méthode était aussi très passive. Désormais, les pilleurs détermineraient l’emplacement réel de la tombe d’après le sable creusé à l’aide d’une pelle de Luoyang. Ils pouvaient ainsi traverser directement les douze couches de briques qui surplombaient la tombe et creuser leur chemin en toute sécurité).

Pour qu’un mécanisme puisse fonctionner des centaines et des milliers d’années, il était indispensable de recourir à des matériaux qui ne risquaient pas de se désagréger dans l’intervalle, comme  par exemple des pierres et de l’eau courante qui ne pouvait s’assécher. Non seulement tout était présent dans cette tombe, mais l’eau pouvait également constituer une sorte de force motrice relative au flux et au reflux de la marée, ce qui en rendait l’utilisation plus pratique.

Si Wang Zanghai était vraiment le propriétaire de cette tombe, cet homme avait manifestement atteint les limites des capacités humaines quant à son degré d’obsession à créer des pièges ingénieux et à son aptitude à les utiliser. À n’en pas douter, personne au monde ne pouvait le surpasser.

Tout en réfléchissant, Zhang Qiling tâtait d’autres endroits du mur. Il avait la vague impression qu’il existait une entrée mais que comme, l’instant d’avant, il avait hésité, elle avait déjà changé de position. Il fit quelques pas tout en examinant le mur et comme de bien entendu, découvrit une porte secrète.

Mais comme il lui semblait impossible d’avoir pu la trouver si facilement, il secoua la tête et poursuivit son chemin, un peu plus confus à chaque pas qu’il faisait. Lorsqu’enfin il arriva au bout, il avait trouvé huit portes cachées dans ce petit espace. Maintenant qu’il y réfléchissait, il lui semblait comprendre ce dont il s’agissait. N’était-ce pas ce putain de Qimen Dunjia ?

Notes explicatives : 

(1) Dans la Chine ancienne, les chaînes de montagnes et les montagnes étaient comparées à des dragons. On croyait qu’elles véhiculaient la puissance du dragon (aka qi). La crête de la montagne pouvait avoir une “tête de dragon” (un grand et beau pic), du “sang de dragon” (les ruisseaux de montagne) et des “veines de dragon” (les longues chaînes de montagne). En outre, il y avait aussi un “repaire du dragon”, l’endroit idéal dans la chaîne de montagnes où l’on peut construire une maison, un temple ou une tombe.

(2) Wuxing correspond aux cinq phases de la philosophie chinoise : bois 木, feu 火, terre 土, métal 金, eau 水. On pense que les cinq éléments déterminent les paramètres de l’univers. Tout ce qui existe dans le monde peut être représenté sous la forme de ces éléments (par exemple, l’automne est le métal, le foie est le bois).

On peut faire de même avec les chiffres – chaque chiffre de 1 à 9 possède son propre élément. C’est sur ce schéma que se base le système de calcul de l’horoscope chinois appelé Ba Zi (huit caractères). Pour chacun des quatre éléments de la date de naissance (année, mois, jour et heure), on choisit une combinaison de deux éléments et on obtient huit caractères. Par exemple, feu/arbre + eau/eau + métal/terre + arbre/eau. Cette combinaison est ensuite interprétée – on pense que cette chaîne de huit caractères déterminera le caractère et le destin d’une personne.

Une option plus compliquée consiste à ajouter au calcul un nom de famille, qui peut également être représenté comme un élément, puisque de nombreux caractères chinois contiennent également les symboles de ces éléments (par exemple, dans le caractère 海 (mer), les trois points à gauche sont l’eau). Mais les Chinois sont allés plus loin – le caractère et le destin de l’enfant sont formés par la date de naissance et le nom de famille, mais on peut corriger un peu tout cela – donner le bon nom écrit dans le bon caractère afin de corriger les lacunes de l’ensemble existant.



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