Livre 5, Chapitre 32 – Communauté agricole
En dehors de Greenland, le paysage était truffé d’épaves. Le territoire naissant de Cloudhawk était un endroit entouré de ruines anciennes.
Ces ruines étaient différentes de celles de Sandspire. C’était ce qui restait d’une ancienne métropole industrielle avec des entrepôts et des usines de fabrication. Elle était si vaste qu’aujourd’hui encore, des charognards en retiraient des pièces d’équipement de valeur à échanger. Bien que les ruines aux frontières de Greenland soient tout aussi vastes, elles ne représentaient que les vestiges d’une ancienne ville.
Les villes avaient relativement moins d’objets de valeur à déterrer. De plus, l’environnement à l’extérieur de l’oasis était assez rude. Un millier d’années d’érosion et le soleil brûlant avaient réduit en ruine ce qui pouvait être utilisé.
Maintenant, l’épave était un terrain de jeu pour toutes sortes de bêtes vicieuses des terres désolées. Il était courant de voir d’énormes créatures sauvages se frayer un chemin parmi les débris de bâtiments en décomposition lente. Il y avait aussi des hordes de choses infectées et de mutants sauvages. C’était un endroit où le danger rôdait à chaque coin de rue. Personne n’avait envie de vivre dans un tel endroit.
Cependant, c’était une erreur de penser qu’il n’y avait rien d’utile là-bas. Il était assez grand pour que dix villes de Greenland puissent y tenir. C’était un labyrinthe compliqué de gratte-ciel déchiquetés.
Normalement, elle constituait un excellent tampon de protection entre le monde extérieur et Greenland. Les dangers venus d’ailleurs répugnaient à prendre le risque de passer par un endroit aussi inhospitalier. Maintenant, alors que la ville grandissait, ils avaient découvert que les ruines étaient aussi un bon endroit pour installer des postes de surveillance cachés. Si une puissance envahissante tentait de les surprendre, il le saurait bien à l’avance et pourrait se préparer.
Aurore était assise inconfortablement dans un petit avion avec Terrangelica sur ses genoux. L’appareil l’emmenait loin de Greenland, et alors qu’ils franchissaient la frontière de l’enchantement, les vastes ruines s’étalaient devant elle.
Elle regarda avec de grands yeux. Le monde n’était qu’une bande de couleur jaune rouille qui s’étendait au loin. Les vestiges brisés de ce qui était autrefois des bâtiments imposants étaient posés ici et là, monuments déchus d’une époque révolue. Peu importe à quel point ils étaient glorieux. Maintenant, ce n’étaient que des tas de métal et de béton, à peine discernables du sable qui les engloutissait à moitié.
Elle devait se demander : un Élyséen est-il toujours un Élyséen loin de chez lui ?
Aurore jeta un coup d’œil par-dessus bord à l’étendue de ruines qui coulait sous elle. C’était une vision qui faisait vagabonder son esprit. Elle ne regrettait pas d’avoir quitté Skycloud et de s’être réfugiée chez Cloudhawk, mais elle n’était pas seule. Une centaine de membres de sa famille l’avaient suivie dans cet endroit. Que leur réservait-on ?
Quand elle avait déserté Skycloud, elle n’avait qu’une idée en tête : se venger. L’inimitié dans son cœur s’était refroidie au cours des mois suivants, cependant, et à mesure que le temps passait, elle avait été confrontée à l’improbabilité de la vengeance.
Arcturus Cloude était un génie rusé. Il devait y avoir une raison pour laquelle il n’avait pas éliminé les mauvaises herbes de son jardin, permettant à Aurore et Cloudhawk de vivre. Après tout, s’il voulait les tuer, il était plus que puissant pour le faire.
Depuis qu’elle s’était engagée dans cette voie, Aurore avait imaginé un certain nombre de plans pour faire payer Arcturus. Aucun d’entre eux ne semblait plausible. Aucun d’entre eux n’offrait d’espoir. Et s’il n’y avait aucun espoir, quel intérêt y avait-il à s’en tenir à une mission vouée à l’échec ? Elle n’avait pas peur de mourir, mais elle avait peur pour Cloudhawk et les autres.
Roc brisa sa rêverie d’un mot tranquille. « Nous sommes presque arrivés, Mademoiselle. »
Aurore hocha la tête et se prépara.
La jeune maîtresse de la famille Polaris avait beaucoup changé. Roc se souvenait que l’Aurore d’antan n’avait jamais gardé de secrets. Sans foi ni loi, insouciante, toujours libre de ses pensées et de ses émotions. De nos jours, il la voyait souvent en silence, réfléchissant à quelque chose. Quand elle agissait, elle le faisait beaucoup plus prudemment. Était-elle encore la même femme diabolique que tout le monde à Skycloud avait évité sur la pointe des pieds ?
Beaucoup de choses avaient changé depuis la mort du général.
S’il avait vécu pour revenir à Skycloud, Aurore aurait continué à vivre heureuse sous sa direction. Peut-être que Cloudhawk aurait pris son poste de général et aurait épousé Aurore. La vie aurait été tellement différente.
Les deux passagers s’étaient de nouveau murés dans le silence alors que l’avion descendait quelque part aux frontières de la ville.
Aurore débarqua sur une étendue relativement vide parmi les ruines. C’était clairement un endroit qui avait été soigneusement choisi. De tous les côtés, les vestiges des bâtiments, chacun aussi haut qu’une montagne, étaient entassés, formant une sorte de mur frontalier. Il n’y avait aucun moyen d’entrer ou de sortir, sauf verticalement.
Inconfortable mais sûr. Les créatures errantes des terres désolées ne les dérangeraient pas ici.
Au centre de cette zone isolée se trouvait un camp de taille moyenne. Avec quelques travaux, il pourrait facilement être converti en une station pour dix à trente mille personnes.
Avec l’aide de Terrangelica, Aurore avait déjà terraformé la zone comme il le fallait. Non seulement elle était parfaitement plate, mais le sol était également mou et prêt à être labouré. Et c’était exactement ce qu’ils allaient faire ici, dans la première communauté agricole de Greenland.
Aurore était venue ici personnellement pour la rendre opérationnelle.
« Mlle Aurore, vous êtes arrivée. »
Un vieux scientifique à lunettes la salua. Il accueillit Aurore avec un grand respect, car même s’il ne connaissait pas tout son passé, sa valeur pour Greenland était incontestable. Grâce à ses efforts, l’infrastructure de Greenland City avait connu une période de croissance sans précédent. C’était suffisant pour gagner le respect de tous. Si ces communautés agricoles prenaient leur essor, cela ne ferait qu’augmenter encore plus son estime auprès du peuple.
Aurore reposa Terrangelica contre son épaule et observa la région. « Comment ça se passe ? »
Le scientifique remonta ses lunettes sur l’arête de son nez. « Tout s’est bien passé, mademoiselle, tout s’est bien passé. Notre premier champ d’essai a déjà produit un rendement. S’il vous plaît, venez voir par vous-même. »
Aurore se laissa conduire à l’endroit où ils avaient commencé à planter des cultures. Toute la zone était couverte de plantes blanches.
C’était un tapis de champignons, chacun de la taille d’un ongle. Ils s’étendaient sur tout le champ comme un tapis. Elle observa un moment plusieurs ouvriers de Greenland se baisser parmi eux, cueillant les champignons mûrs pour la récolte. Cependant, il y en avait beaucoup trop pour un si petit nombre de travailleurs. Il leur faudrait travailler toute la journée et toute la nuit pour les récolter tous.
En face des ouvriers, des scientifiques s’affairaient à verser de l’engrais. Parmi les champignons cueillis, il restait des spores qui étaient prêts pour le prochain tour. Les scientifiques utilisaient des flacons pulvérisateurs modifiés pour mouiller le sol avec de l’engrais infusé d’ebonycrs, et après quelques instants, de minuscules éclats blancs commencèrent à germer du sol.
En d’autres termes, la nouvelle récolte poussait au moment même où l’ancienne était récoltée ! Des dizaines d’ouvriers passaient des journées entières à travailler dans les champs pour ramasser ces champignons, pour se retourner une fois le travail terminé et trouver les champs remplis à nouveau. C’était un travail sans fin, mais qui donnait un rendement stupéfiant.
Les représentants de la famille Polaris restèrent bouche bée devant cette scène, et leur choc s’accentua lorsque des sacs de champignons déjà récoltés furent étalés devant eux.
Il n’y a pas si longtemps, Greenland était en proie à une grave crise alimentaire. Maintenant, il semblait que leur crise serait de savoir comment tout manger avant qu’il ne se gâte !
Les champignons que Cloudhawk avait ramenés de ses voyages étaient extrêmement utiles, encore plus qu’un trésor de reliques de haute qualité. Si cela avait été disponible dès le début, tant de vies auraient pu être épargnées par la famine. Au contraire, les terres incultes auraient probablement été en plein essor !
« A l’origine, ils ne poussaient qu’en association avec les champignons électriques. Ils sont parfaitement comestibles, non-toxiques, délicieux – en somme un champignon remarquable. »
La voix du scientifique adopta un ton de révérence.
« Hellflower est une femme incroyable. C’est elle qui a trouvé comment les séparer. Maintenant, sans les champignons électriques, ils sont devenus une culture vivrière de base. »
Aurore ne pouvait s’empêcher de renifler son mécontentement à la mention de Hellflower, mais même elle devait admettre que cette femme avait un certain talent.
Bien sûr, elle n’était pas non plus prête à se laisser aller. Il n’y avait qu’une quantité limitée d’espace utilisable dans la cité, et c’était son idée de terraformer la terre dans les ruines à l’extérieur pour créer leurs communautés agricoles. Des communautés comme celle-ci. S’ils utilisaient toutes les terres disponibles, cette zone suffirait à elle seule à faire vivre Greenland City.
Aurore était la seule à pouvoir accomplir une telle chose.
Sans aucun doute, l’un des meilleurs aspects de ce champignon était sa capacité à pousser n’importe où, mais jetez-le dans un désert aride et il se développera beaucoup plus lentement. De bien meilleurs résultats étaient obtenus avec un sol et des soins appropriés.
En ce qui concerne l’espace, le Greenland était plutôt bien rempli. Il n’avait pas l’espace nécessaire pour accueillir une parcelle de terre de cette taille. Quand Aurore sélectionna cette zone, elle commença par mouler sa surface avec Terrangelica. Elle retourna le sol de façon à ce que la partie la plus riche en nutriments, située en profondeur, remonte à la surface. Ensuite, elle utilisa Cœur de bourbier pour le transformer encore plus, préparant le sol pour la plantation.
Les champignons fonctionnaient de la même manière que les plantes mères dont ils étaient issus dans ce monde étranger. Tant qu’il y avait de l’énergie à consommer, ils se développaient à une vitesse stupéfiante. Cette croissance était facilitée par les parcelles agricoles spécialement conçues et l’engrais infusé de copeaux d’ebonycrs.
Deux à trois jours suffisaient pour que la récolte arrive à maturité. Plutôt bon pour n’importe quelle norme.
Dans les terres désolées, la nourriture était la denrée la plus précieuse. Si vous pouviez promettre aux gens une bouchée par jour, ils s’engageaient à vous servir. Aurore savait que si Greenland voulait vraiment s’établir, il devait s’appuyer sur cette source de nourriture comme pierre angulaire.
De plus, Aurore voyait cela comme plus qu’une simple ferme. S’ils faisaient venir des gens de Greenland et les installaient ici, ils pourraient à la fois protéger les fermiers et agir en tant que garde-frontière pour la ville elle-même. Ce n’était pas la seule communauté agricole non plus. Qu’est-ce qui les empêchait d’en faire une deuxième, une troisième, et ainsi de suite ?
Sa vision était de finir par entourer la ville de Greenland avec des endroits comme celui-ci. Ils formeraient un écran qui protégerait contre les menaces extérieures et produirait également de la nourriture pour les habitants. Son plan visait à renforcer son nouveau foyer sur deux fronts.
Elle partagea ses pensées avec Roc, qui pensait aussi que c’était une bonne idée.
Peu d’endroits dans les terres désolées étaient propices au rassemblement d’un grand nombre de personnes. Et s’ils transformaient Greenland en un lieu où des centaines de milliers de personnes pourraient vivre et prospérer ? Serait-ce un autre royaume élyséen ?
La guerre se profilait à l’horizon. Avant longtemps, il y aurait des dizaines de communautés de Terres désolées déplacées par les conflits. Cela leur donnait l’opportunité d’en rassembler plus sous leur bannière. Peut-être qu’ils pourraient faire du plan d’Aurore une réalité.
« Il est temps de se mettre au travail. »
Aurore brandit son épée et fit ce qu’elle avait promis. Un endroit aussi grand prendrait plus d’un jour ou deux pour se transformer complètement.
Elle travailla pendant une grande partie de la journée, et après avoir terminé, l’héritière de Polaris était couverte de saleté et de sueur. Pourtant, malgré son épuisement, elle regardait son travail avec un sourire satisfait.
Roc ne put s’empêcher de la remarquer. « Mademoiselle, reposez-vous. Vous avez déjà fait beaucoup pour ériger les bâtiments de la ville. En courant ici et en travaillant si dur sans faire de pause, votre corps finira par se briser. »
« Oh, qu’est-ce que tu en sais ? C’est juste une sorte d’entraînement. Ici, en faisant ça, dans cette partie du monde, je peux sentir mon énergie mentale s’améliorer. De toute ma vie, je ne pense pas avoir jamais travaillé aussi dur. Si nous ne faisons pas d’efforts maintenant, comment pouvons-nous réussir ? Comment pourrons-nous nous venger ? »
« Mais… »
« Rien n’a besoin d’être dit. On ne peut peut-être pas battre Arcturus, mais au moins on peut amener les tueurs de grand-père devant la justice. Frost, Clay, et ce bâtard de serpent d’Inkspecter. J’ai besoin que tu gardes un œil ouvert et que tu me préviennes dès que l’un de ces criminels se montre dans les terres désolées. »
« Bien sûr, mademoiselle. »
Aurore croisa les bras et regarda autour d’elle. « Il y a trop peu de gens ici. Organisez quelques soldats de la famille et établissez une petite garnison. Cet endroit est protégé au sol, mais il est toujours exposé aux menaces venant d’en haut. »
« À vos ordres. »
Avec cela, le travail d’Aurore était terminé pour la journée. Elle embarqua dans l’avion et retourna à Greenland City pour ses trois heures de sommeil habituelles. Elle consacra chaque heure d’éveil au travail. Bien que ce soit difficile, elle accomplissait ses tâches avec détermination. Au moins, elle était ici, avec les gens qu’elle aimait, travaillant ensemble dans un but noble. Quand elle pensait à la façon dont ils changeaient cet endroit pour le mieux, Aurore était remplie d’un sentiment de réussite.