Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 167 – Rappel sur scène
Allongé à plat sur le sol, en proie à de douloureuses démangeaisons, Capim aurait voulu pouvoir se déchirer sur le champ pour mettre fin à cette douleur infernale.
Soudain, il vit une vague de feu écarlate se propager en un éclair et entendit une explosion assourdissante.
Il s’imaginait que ce dernier moment lui semblerait infiniment long et qu’il pourrait se remémorer tous ces moments où sa femme et ses enfants étaient encore à ses côtés. Alors qu’il se voyait déjà soulagé de ne plus avoir à subir cette torture inhumaine, une peur extrême et une intense envie de vivre surgirent du plus profond de son cœur. Et avant même que ces fameux souvenirs aient eu le temps de lui traverser l’esprit, une atroce douleur le submergea et il sombra dans une profonde obscurité.
Les fenêtres de la salle à manger furent pulvérisées, accompagnées d’innombrables fragments de briques et de gravats et des langues de feu jaillirent vers l’extérieur.
Les gardes qui patrouillaient dans ce secteur furent aussitôt fauchés. Ceux qui, par chance, n’avaient pas été touchés avaient les oreilles qui sifflaient. Ils oscillaient, titubaient ou tombaient.
Plus de la moitié du mur extérieur de la salle à manger s’était effondré et des flammes semblaient flotter dans les airs.
Les riverains et les officiers de police qui surveillaient les environs entendirent un grand boum qui les laissa confus et effrayés.
Dans la salle à manger, Klein, impassible, se tenait au milieu des flammes rouges et des puissantes ondes de choc.
La plupart des gaz noirs autour de lui s’étaient dispersés et même son Corps Spirituel avait subi quelques dégâts, mais sans gravité.
Près d’une table renversée, Parker et Capim, projetés dans un coin, avaient le crane fissuré et leur corps, carbonisé, brûlait encore. Les domestiques, quant à eux, étaient dans le même état.
Dans la zone opposée à la cheminée, Katy, qui n’avait pu éviter l’attaque à temps, fut projetée contre le mur et retomba sur le sol. Son corps était mutilé, couvert de sang et sa peau présentait de nombreuses traces de brûlures. Pas une once de son épiderme n’était resté intact.
Elle n’était pas morte, mais avait perdu connaissance suite à ses graves blessures. Prise de convulsions, elle toussait et inhalait de grandes quantités de flammes résiduelles.
Son fouet, endommagé lui aussi, présentait de nombreuses fissures et une partie s’était enflammée. Quant à ses balles Transcendantes, aucune n’avait été épargnée par l’explosion.
Cette femme n’était plus en état de se battre.
Harras avait eu le temps de faire une roulade pour protéger ses organes vitaux, mais il était couvert de sang et de chair carbonisée.
Il se releva en titubant. Des flammes rouges brûlaient encore sur son dos, sa capuche et ses jambes.
Il était grièvement blessé et sa respiration se faisait plus pénible.
Mais c’était dire à quel point son corps était robuste et puissant… du moins, grâce au gant de fer qu’il portait.
C’était exactement ce à quoi Klein s’attendait.
N’étant pas en mesure d’évaluer ce que son adversaire était capable d’encaisser, il avait, en élaborant son plan, surestimé la constitution de ce dernier.
Voyant, du coin de l’œil, que le jeune homme en armure n’avait quasiment rien, Harras contracta ses pupilles et il pointa le doigt dans sa direction en murmurant :
– « Exil ! »
Une fois de plus, Klein ne put résister. Il fut repoussé comme une vulgaire feuille de papier dans un ouragan et vola hors de la pièce. Dans le hall extérieur, le feu, après s’être momentanément embrasé, s’affaiblit. Une autre vague de désastres couvait à cause de l’escalier de bois, mais les dommages ne furent pas trop sévères, l’essentiel de l’explosion ayant été “confinée” dans la salle à manger.
Saisissant l’occasion, Harras prit la fuite sans se retourner.
Des flammes brûlaient encore sur son corps mais il n’avait pas le temps de s’en préoccuper.
Il savait qu’il était dans un état terrible et sur le point de perdre le contrôle. De plus, les effets du poison allaient bientôt atteindre leur paroxysme. Ces deux facteurs confondus, il n’avait pas la moindre chance de vaincre l’intrus, quand bien même Belize, qui se trouvait à l’entrée du sous-sol, lui viendrait en aide.
Harras était convaincu que si ce combat se poursuivait, la seule chose qui l’attendait était que le poison ait raison de lui ou qu’il perde le contrôle en raison de ses blessures, aussi avait-il décidé de fuir sans se soucier de Katy qui était encore en vie.
Lorsque Klein, qui venait de stabiliser son corps sous l’effet de l’ “Exil”, le vit, il leva la tête et poussa un cri qu’aucun humain ne pouvait entendre !
Harras fut pris de vertige et s’arrêta un instant. Sa peau, qui était encore en relativement bon état, était maintenant couverte d’une multitude de cloques translucides, signe avant-coureur d’une perte de contrôle.
Mais très vite, il se remit et, poursuivant sa course folle, traversa la pelouse de la villa.
Il est vraiment difficile à tuer… pensa Klein qui, de crainte d’un accident, ne le poursuivit pas.
Son but était de secourir les victimes et non d’anéantir ces Transcendants dégénérés.
Plus important encore, il avait dépensé une grande partie de son énergie et subi de graves blessures. S’il se mettait en chasse, il ne serait peut-être pas en mesure de parer la furieuse contre-attaque de Harras.
Klein claqua des doigts et tira une Balle d’Air qui vint frapper Katy à la tête, mettant ainsi fin à sa souffrance. Puis il s’envola vers l’entrée du sous-sol.
Belize, à la barbe fournie, surveillait ce qui se passait dehors mais n’osait pas quitter son poste de peur que les complices de l’intrus n’en profitent pour s’introduire dans le cachot.
En cet instant, il tenait un fusil à vapeur haute pression et avait activé sa Vision Spirituelle. Effrayé par ce grand bruit, il était anormalement tendu.
Il vit alors le digne spectre voler au-dessus de lui et sans hésiter, leva son fusil et appuya sur la gâchette.
Une brume blanche jaillit du canon et une balle d’or pâle à pointe acérée fusa à une vitesse étonnante.
Klein, qui avait une intuition et s’y attendait, traça un petit arc avant que Belize ne tire.
La balle traversa le hall, passé la porte d’entrée et se retrouva dehors.
Au même moment, Belize se précipita hors de la salle de garde, son fusil à la main, et l’air menaçant, marcha à grands pas vers la porte.
Il avait dans l’idée que l’intrus qui avait réglé leur compte à Harras, Katy et Parker était capable de le tuer facilement lui aussi. De plus, tout cette agitation avait dû attirer l’attention de beaucoup. Les Punisseurs Mandatés viendraient peut-être enquêter, aussi n’avait-il pas d’autre choix que de fuir !
Une nouvelle fois, Klein poussa un cri imperceptible et Belize eut l’impression d’avoir été écrasé par un marteau. Il voyait des étoiles et quelques gouttes de sang coulèrent du bout de son nez.
Mais cela ne l’empêchait pas de fuir. Après avoir tiré sur Klein pour l’arrêter, il se remit à courir et fit une roulade en direction de la porte.
Klein hésita un moment, puis abandonna la poursuite et le combat. Il ferma la vanne principale, se dirigea vers l’entrée du sous-sol et claqua plusieurs fois des doigts.
Les Balles d’Air désintégrèrent peu à peu le mur invisible du Confinement.
C’était aussi pour cela que le jeune homme avait pris le risque de provoquer une explosion de gaz et d’utiliser la Bouteille de Poison Biologique. Avec les effets du Confinement d’Harras dans la prison au sous-sol, tant qu’il ne s’agissait pas d’un assaut frontal, il n’avait aucune crainte de blesser accidentellement ces pauvres jeunes filles.
Il détruisit les serrures et vola dans la prison. D’après les révélations obtenues lors de ses séances de divination, il trouva de suite la cellule où Daisy était détenue. Il s’assura qu’elle n’était pas trop blessée et pouvait encore se déplacer, puis se fit immatériel et se fondit dans la porte métallique.
Les portes en fer s’ouvrirent l’une après l’autre, comme si un fantôme les déverrouillait.
Après avoir ouvert toutes les portes d’un côté du couloir, il fit de même pour l’autre côté.
L’explosion avait effrayé Daisy et les autres filles. Un moment plus tard, la fille de Liv vit avec surprise que la porte de sa cellule était ouverte sans que personne ne soit entré. Elle eut le sentiment qu’elle était libre de sortir.
Certaines des filles qui, récemment enlevées, n’avaient pas encore été disciplinées, rassemblèrent leur courage, se levèrent et coururent vers la sortie du sous-sol.
Elles traversèrent le hall légèrement endommagé par l’explosion, quittèrent la villa en feu dont l’état s’aggravai et coururent de toutes leurs forces vers la liberté.
Une fois dans la rue, Daisy et les autres filles eurent l’idée de regarder en arrière.
Elles aperçurent vaguement une imposante silhouette en armure et couronne noires qui se tenait debout au sommet de la maison maléfique et dont la cape flottait en silence.
Se remémorant la scène et comme elles avaient peu confiance en la police, elles se mirent à la recherche d’une église.
De retour dans la salle à manger enfumée et brûlante, Klein constata que les caractéristiques Transcendantes de Parker et Katy commençaient tout juste à se manifester.
Il inspecta les objets qu’ils avaient sur eux et vit que la plupart avaient été détruits. Même leur argent était carbonisé.
Le jeune homme fit un saut au premier, puis au second étage à la recherche de tout éventuel indice pertinent.
Faute de temps, il ne tenta pas la médiumnité. De plus, les emmener au-dessus du brouillard gris ne répondait pas aux exigences de son “rappel sur scène”.
Si même un leader mineur doit garder le “secret”, ces personnages importants ont certainement leurs propres “restrictions”. Ce ne sont pas de bons candidats pour la médiumnité telle que je le souhaiterais. De plus, les choses à mettre en œuvre préalablement sont trop embarrassantes, complexes et inappropriées à l’état dans lequel je me trouve…
Les investigations de Klein ne donnèrent rien mais il récupéra un jeu de tarot.
De retour dans la salle à manger détruite et calcinée, il sortit tous les arcanes majeurs du jeu et se dirigea vers le cadavre de Capim. Il prit deux cartes, éparpilla le reste sur le corps puis posa ces deux cartes sur les yeux de l’homme, face vers le haut.
Entre temps, les caractéristiques Transcendantes de Parker et Katy avaient fait leur apparition.
…
Des dizaines de secondes plus tard, une porte immatérielle couverte de symboles complexes apparut en plein ciel devant la villa.
Celle-ci s’ouvrit sans un bruit et un bel homme au costume impeccable en sortit. Il semblait avoir la quarantaine, était mûr et élégant.
Il avait des yeux dorés, et au premier coup d’œil, fixa la salle à manger au milieu de l’incendie.
Une forte rafale de vent se mit alors à souffler et une silhouette s’envola à grande vitesse.
C’était un vieil homme coiffé d’un chapeau mou. Ses yeux argentés étaient étrangement graves. Il portait une robe noire sur laquelle était brodé le symbole du Seigneur des Tempêtes. Ce n’était autre qu’Ace Snake, Cardinal de l’Église du Seigneur des Tempêtes, Archevêque de Backlund et Psalmodieur de Sorts de Dieu.
– « Que faites-vous là ? » demanda Ace d’une voix grave.
Toute question relative au surnaturel dans le Quartier de Cherwood relevant de la juridiction de la Cathédrale du Vent Sacré, il était en droit de poser la question.
Prenant un air un peu mauvais, le bel homme répondit :
– « J’habite tout près. »
Ils n’étaient pas loin, en effet, du Quartier Ouest.
Sans un mot de plus, les deux hommes atterrirent sur le sol et pénétrèrent sur le site de l’explosion. Un violent ouragan balaya les flammes en direction de la fontaine artificielle au dehors.
Ce vent semblait avoir une vie et une intelligence propres.
Les deux demi-dieux aperçurent alors Katy, une balle dans la tête et la chair noire carbonisée, Parker, la tête fissurée et empêtré avec un d’autre, puis Capim couvert de cartes de tarot. Il y avait deux Arcanes Majeurs sur le visage du trafiquant d’êtres humains : le Jugement – représenté par un ange soufflant dans une grande trompette – et l’Empereur, en armure et portant couronne.
Presque au même moment, le Cardinal Snake et le bel homme sentirent quelque chose et tournèrent la tête vers l’extérieur.
Un majestueux personnage en armure et couronne noires se dressait au sommet de la villa voisine. Sa cape soulevée par le vent, celui-ci hocha légèrement la tête, puis sans prévenir, disparut au nez et à la barbe des deux Transcendants de Haute Séquence.