Livre 4, Chapitre 103 – Battue sanglante
Ce fut un moment qui ressemblait à un millénaire.
Cloudhawk parvint à se dégager des miasmes de l’inconscience, mais il fallut du temps pour que tous ses sens reviennent. La douleur suivit, l’envahissant comme une marée. Dans une tentative de rattraper le temps perdu, elle était deux fois plus intense qu’avant qu’il ne tombe dans le coma. C’était si intense, en fait, que même sa robuste constitution était dépassée. Il préférait retomber dans les ténèbres.
Où était-il ?
Avec un effort considérable, il ouvrit les yeux. Au début, tout était flou. Il ne pouvait que distinguer des formes. Il était couché à plat – il pouvait le dire. Lorsqu’il avait essayé de bouger, il avait découvert que son corps était recouvert d’instruments étranges. En tournant son attention autour de lui, il remarqua des bouteilles de différentes tailles contenant diverses sortes de fluides, suspendues tout autour. Brun, vert, clair, chacun s’égouttait dans de longs tubes qui étaient insérés en lui.
Quelques ombres se déplacent à proximité.
« Il y a de terribles dégâts à l’intérieur et à l’extérieur. Pour autant que je puisse dire, il n’y a pas une seule partie de lui qui a échappé aux dommages. S’il s’en sort, ce ne sera rien de moins qu’un miracle. »
« Chut, baisse la voix. Si Hellflower t’entend parler comme ça, elle te jettera dans la fournaise biochimique pour sa prochaine expérience. Tu ne connais pas sa relation avec ce type ? »
« Bizarre. Qu’est-ce qu’une femme comme elle fait avec un gars comme lui ? »
« Hé, regarde. Il revient à lui. »
« Vite, préviens les autres. »
Cloudhawk reconnut le bourdonnement dans ses oreilles comme étant des voix, mais il n’arrivait pas à en comprendre le sens. Quatre à cinq minutes plus tard, une autre image familière remplit sa vision brumeuse. Elle avait une silhouette aux courbes diaboliques, à peine cachée sous une blouse blanche. Son visage mature et charmant apparut au grand jour lorsqu’elle se pencha pour l’observer de plus près.
Elle eut l’air surprise avant de pousser un soupir de soulagement.
« Il est réveillé. »
Hellflower ? Le nom s’était battu à travers la brume qui étouffait son cerveau. Seulement, il ne pouvait ni bouger ni réagir. C’était comme si son corps ne lui appartenait pas. Il ne pouvait pas lever la tête, encore moins se lever pour la saluer.
Elle lui avait dit quelques mots, mais c’était comme si sa tête était bourrée de coton. Tout semblait surréaliste et lointain. Hellflower sembla reconnaître la douleur qu’il ressentait, et son visage s’adoucit comme celui d’une mère qui regarde son enfant. « Repose-toi, tu te sentiras mieux bientôt. »
Il sentit une aiguille percer sa peau. Un médicament inconnu fut injecté dans ses veines.
Après un moment, la douleur brûlante se calma. Le sommeil vint à lui une fois de plus, plus longtemps cette fois. Il était perdu dans un monde de rêves, se réveillant de temps en temps pour retomber dans l’inconscience après quelques instants.
Finalement, il se sentit beaucoup mieux. Il était au moins capable de bouger un peu.
Il était fatigué de rester allongé, alors il retira les nombreux tubes de ses bras et de ses jambes et roula sur le sol. Se remettant sur ses pieds en titubant, il essaya de marcher.
Étrange… Quand son équilibre était-il devenu si mauvais ? Il n’y avait pas de force dans ses jambes non plus. Il lutta pour mettre un pied devant l’autre comme s’il était un enfant.
Il leva les yeux, remarquant un miroir en face de lui. Le reflet qui l’accueillit n’était rien de moins que grotesque.
Il était enveloppé de bandages de la tête aux pieds. La seule chose qu’il pouvait reconnaître était ses yeux. Avec une fascination maladive, il défit les bandages et inspira fortement à ce qu’il découvrit.
Chaque centimètre de sa peau était d’un écarlate vif, plein de piqûres et de bosses. Laide était certainement le terme approprié car sa peau ressemblait à celle d’un crapaud. Lorsqu’il touchait l’air, il ressentait une combinaison de picotements et de douleurs brûlantes. Il n’avait pas besoin d’enlever tous ses bandages pour savoir que le reste de son corps était dans le même état. Il avait été transformé en une sorte de monstre hideux.
Mais… pourquoi ?
La dernière chose dont il se souvenait était le combat avec Arcturus. Pour protéger l’ivrogne, il s’était jeté devant l’attaque du gouverneur. C’était un pari qui avait payé, car Arcturus avait stoppé son attaque – mais les dommages qu’il avait fait en un instant étaient graves. Sur le moment, il avait été si gravement brûlé qu’il ne pouvait même pas dire à quel point les dégâts étaient importants. Maintenant, il était clair qu’il aurait probablement préféré mourir.
Enculé ! Alors que la colère enflait en lui, une autre vague de douleur lui donna le vertige. Les blessures de son esprit n’étaient toujours pas guéries.
Il ne pleut jamais mais il pleut à verse, disaient les vieux livres. La moindre aggravation émotionnelle et il avait l’impression qu’une centaine de couteaux taillaient dans son cerveau. La douleur lui faisait voir double.
« J’ai fait ce que j’ai pu. »
La voix charmante et magnétique attira son attention. Il aperçut la belle femme adossée au cadre de la porte. Hellflower, bien sûr.
Cloudhawk regarda ses mains qui étaient enveloppées de bandages comme une momie. « Qu’est-ce qui se passe ? »
« Tu devrais être heureux. Le fait que tu sois en vie après les blessures que tu as subies est incroyable. Malheureusement, je n’ai pu guérir que ton corps. Quant à ton esprit… c’est la science des dieux, et je ne suis qu’une novice. Je ne peux pas t’aider pour ça. Je suis désolé. »
Il prit une profonde inspiration pour se calmer.
« Combien de temps suis-je resté inconscient ? Où suis-je, d’ailleurs ? »
« Tu n’as pas été endormi trop longtemps, environ un mois. C’est mon laboratoire dans la vallée boisée. »
Un mois ? Ces mots avaient été comme une bassine d’eau glacée versée sur sa tête. Jusqu’à présent, il avait été capable de se remettre de presque toutes les blessures en quelques heures, quelques jours au pire. Si après un mois, il était toujours aussi pourri, alors il devait vraiment avoir été aux portes de la mort.
Elle avait raison. C’était étonnant qu’il respire encore. Mais, les dommages étaient-ils permanents ?
« Putain… pas question que je devienne le prochain connard bourré. »
Cloudhawk ne connaissait pas Vulkan avant sa rencontre avec Arcturus, mais ce qui s’était passé avait transformé le Saint de la Guerre en un clochard boiteux se vautrant à jamais dans l’apitoiement. Des visions du vieil homme ivre et puant, fourrant une bouteille entre des dents jaunes, dansaient dans son esprit.
« Ne t’inquiète pas. » Hellflower tendit deux doigts pâles et caressa le bras de Cloudhawk en signe d’assurance. Elle sourit, essayant de lui apporter du réconfort. « Même si tu es défiguré, je ne t’abandonnerai pas, mon jeune ami. »
Cloudhawk repoussa sa main avec colère. Mais avant qu’il ne puisse lui dire ce qu’il pense, la douleur était revenue.
« Heh … ce que tu vois te fait peur. Tu n’as pas pensé aux conséquences lorsque tu as effrontément cherché la mort aux mains d’Arcturus, n’est-ce pas ? Maintenant, tu es rempli de regrets ! »
Il refusait d’accepter que c’était ce qu’il était maintenant. Il y avait encore tant à faire, notamment faire payer ce salaud d’Arcturus pour ce qu’il avait fait. Comment était-il censé y parvenir alors qu’il n’était plus que l’ombre de lui-même ?
Hellflower gloussa face à sa terreur. Ses courbes s’agitaient agréablement, mais il n’était pas d’humeur à apprécier ce qu’il voyait. Il posa la question brûlante, « Vais-je récupérer ? »
« N’importe qui d’autre et je dirais qu’ils rêvent. Mais Trespasser coule toujours dans tes veines, donc avec de la patience, tu iras mieux. La question est, combien de temps avant que tu ne redeviennes comme avant ? »
Ses mots le mirent à l’aise, du moins un peu. Il posa une autre question. « Combien de temps, juste une supposition ? »
Elle secoua la tête. « Un an ou deux pour le corps à l’extrémité rapide de l’échelle. Trois à cinq ans tout au plus. Pour ce qui est des dommages mentaux, cela dépend du chemin que j’ai parcouru… »
Son cœur s’enfonça. « Trop longtemps. Il n’y a aucun moyen d’accélérer les choses ? »
« Tu ne devrais pas te plaindre. As-tu la moindre idée de l’état dans lequel tu étais quand ils t’ont amené ? S’ils ne t’avaient pas amené à moi tout de suite, ici, dans le Vale, avec ses riches ressources, tu ne te serais probablement jamais réveillé. »
« Merde ! Quelques années sont inacceptables ! » Cloudhawk ne pouvait pas perdre autant de temps. Il devait trouver un moyen d’accélérer sa récupération physique et mentale.
« En l’honneur de ton retour parmi nous, j’ai préparé un cadeau pour toi. Attends un moment. »
Elle quitta la pièce. Elle revint une minute plus tard avec un fauteuil roulant. Mais au lieu de s’offusquer de l’expression austère de Cloudhawk, elle lui offrit un sourire suffisant et auto-satisfait. « Qu’est-ce que tu en penses ? Ne suis-je pas prévenante ? J’ai demandé à mes gars de faire ça pour toi. »
Cloudhawk l’ignora, ainsi que cette putain de chaise. Il tituba de quelques pas en avant sous l’effet de sa propre force avant de retomber sur ses genoux.
« Maintenant, ne va pas croire que tu es surhumain ! » Hellflower poussa la chaise vers lui. « Ne dis pas que je ne t’ai pas prévenu. A partir de maintenant, jusqu’à ce que tu ailles mieux, tu ne peux plus te blesser. Si tu le fais, les conséquences seront terribles – tu finiras dans un cercueil, en quelque sorte. »
Quelques minutes plus tard, Cloudhawk était assis à contrecœur sur la chaise. Hellflower le poussait dans tous les sens.
L’environnement du Vale était aussi frais et propre que dans son souvenir. Le soleil de l’après-midi était chaud, et partout où il regardait, il y avait une nuance de vert rafraîchissante. Il regardait une ville composée de bâtiments uniques suspendus par des lianes et reliés par des ponts. Leur vie entière était vécue parmi les canopées.
Les Valites portaient des vêtements étranges. Quelques-uns cueillaient les fruits de cristal noir sur les branches de l’arbre divin au passage. D’autres s’occupaient des cultures nichées entre les branches. La guerre à l’extérieur n’avait pas touché cet endroit ou ces gens.
Cloudhawk se souvint d’une question. « Qu’est-il arrivé au vieil ivrogne ? J’espère qu’il n’est pas mort… »
« Relax. En fait, il est tombé sur une sacrée bénédiction,” répondit-elle. « En combattant Arcturus, il a fait une percée. Il était en mauvais état – un mois, peut-être un an, et il serait invalide. Quand nous l’avons ramené ici, j’ai convaincu le Dieu berger de me donner des matériaux qui l’ont aidé. Nous pensons qu’il va pouvoir vivre un peu plus longtemps. »
« Vous l’avez sauvé ? »
Les yeux de Cloudhawk s’illuminèrent. La perspective que le vieil homme se rétablisse complètement était agréable. Bon sang, peut-être même qu’il se surpassera.
À plein régime, le vieil ivrogne était probablement similaire à Skye en termes de force pure. Dans tout Skycloud, il y en avait très peu qui pouvaient déchirer la manche du gouverneur Arcturus. Plus important encore, il s’était mis dans cette situation en essayant de sauver la vie de ce connard.
Il devait être tenu responsable de ce qu’il était devenu !
Quand le vieil homme était à l’article de la mort, cela n’avait pas d’importance, mais maintenant, il allait mieux. Tôt ou tard, pour le meilleur ou pour le pire, il passerait sous la bannière de Cloudhawk. Cela signifiait qu’il y avait peu de personnes dans le monde qui pouvaient le menacer. Même s’il était dans une mauvaise passe en ce moment, au moins il ne risquait pas de se faire couper le cul constamment comme avant.
Cloudhawk décida qu’il était temps de créer son propre groupe. L’ivrogne, Gabby, tous. Quand le moment serait venu, il les amènerait tous à Skycloud et aiderait Sélène à s’occuper d’Arcturus. S’ils avaient quelqu’un comme Vulkan dans leur dos, leurs chances augmenteraient considérablement.
Plus important encore, alors que l’ivrogne semblait vieux, il n’avait probablement que la cinquantaine.
Il avait trente ans de moins que Skye Polaris. Qui peut dire si l’avenir lui réserve de plus grandes réalisations ? Si quelque chose dans ce Vale pouvait le guérir, c’était quelque chose à célébrer.
Enfin, l’humeur de Cloudhawk commençait à s’améliorer. Au moins, tout ce bazar n’avait pas été que des conneries.
« Cet endroit est bien, n’est-ce pas ? » Hellflower se pencha et roucoula dans son oreille. « Les gens sont gentils. Ils vivent en harmonie avec leur environnement, sans jamais manquer de nourriture ou de vêtements. Si tu n’as nulle part où aller, tu peux rester ici. »
L’alliance des terres désolées était le groupe le plus puissant des terres désolées à l’heure actuelle.
Cloudhawk apprit que le chef du Conclave, Natessa, avait ordonné un ratissage de l’ensemble des terres désolées. Où qu’il aille, s’il laissait échapper son identité, il aurait des ennuis. Il n’était pas en état de se battre pour l’instant, faisant de cet endroit un refuge sûr dans la tempête grandissante.
« Tu sais qu’Arcturus est fort. Tout ceci n’est que temporaire. » Hellflower poursuivit, « Dark Atom a apporté une grande partie de son influence sur le Vale. Même quelqu’un comme le gouverneur aura du mal à se frayer un chemin jusqu’ici. Tu devrais sérieusement envisager de te joindre à nous. Au moins de cette façon, nous pourrons te protéger pendant que tu guéris. »
L’allusion était claire dans sa voix. Ce qu’elle voulait était évident.