Excellent nageur, Li Sidi était chargé de tout le travail sous-marin.
― Une énorme tempête arrive. Elle sera probablement là dans l’heure, leur dit-il, le fait que l’eau de mer se soit autant retirée en est la preuve. Dans quelques minutes, l’eau qui a été aspirée par la basse pression va revenir d’un seul coup, comme un petit tsunami. Nous n’avons que trois petits kayaks, aussi je crains que les choses ne se présentent pas très bien pour nous.
Il avait évoqué cela avec beaucoup de tact, mais à son expression, Oncle San comprit qu’ils étaient fichus. Ces gens n’avaient jamais encore affronté le monde réel, aussi, en entendant les propos de Li Sidi, devinrent-ils blancs de peur et plusieurs des filles se mirent à pleurer.
Mon oncle prit la main de Chen Wen-Jin et constata qu’elle était moite. Manifestement et même si elle ne le montrait pas, elle était aussi effrayée que les autres. S’il n’avait encore jamais été confronté à ce genre de chose, c’était un pilleur de tombes professionnel, qui plus est doté d’une grande force mentale. Il ne devait pas céder à la panique, sans quoi la situation serait sans espoir !
Il compta les personnes présentes. À leur arrivée, ils étaient dix au total mais déduction faite du défunt et de celui qui était parti avec le grand bateau rapporter l’accident et leur découverte sous-marine, ils n’étaient plus que huit.
― Combien de temps ça va durer ? demanda Oncle San à Li Sidi.
― Ces tempêtes estivales sont très brèves. Une dizaine de minutes environ, mais dans l’intervalle, l’eau va monter d’au moins cinq ou six mètres et submerger complètement ce récif. Il secoua la tête : Je ne plaisante pas sur ces dix minutes. Si vous êtes frappé par la vague, soit vous serez écrasé contre le récif et tué, soit vous serez emporté dans des eaux plus profondes où vous vous noierez. Je ne voudrais pas vous faire peur, les gars, mais nous avons vraiment de gros problèmes en perspective.
L’esprit de mon oncle fonctionnait à plein régime alors qu’il tentait de trouver une solution. Plusieurs idées surgirent instantanément, mais furent aussitôt refoulées. Tenter de rejoindre la terre ferme avec leurs kayaks les exposerait à la mort car ils auraient beau ramer aussi vite que possible, ils n’iraient pas plus vite que la tempête. Ils ne pouvaient pas non plus plonger et se cacher sous l’eau. Cela ne marcherait pas étant donné la faible profondeur autour du récif en forme de bol, qui n’était que de sept mètres.
Oncle San s’aperçut alors que le fond marin était presque visible à l’œil nu et tel un éclair dans la nuit noire, un plan très risqué émergea dans son esprit. Comme il n’avait plus le temps de discuter de sa faisabilité, il se tourna simplement vers l’équipe et dit :
― Assez réfléchi. Occupons-nous de rassembler nos bouteilles d’oxygène et voyons la quantité d’air qu’il nous reste. Nous allons descendre dans cette tombe et nous y abriter !
Habitué à descendre dans les antiques sépultures, mon oncle n’y pensait pas trop. Mais les autres, qui étaient tous des intellos, trouvèrent cette suggestion vraiment trop extravagante et protestèrent. Oncle San s’empressa alors de leur expliquer ce qui était en jeu.
Il leur montra l’horizon :
― Vous tous, regardez cette tempête. Nous n’avons pas encore ressenti ses effets, mais nous avons tous vu des documentaires sur les tsunamis. Ce n’est pas de la rigolade. Si nous attendons ici tranquillement que la tempête arrive, nous allons tous mourir et on ne retrouvera jamais nos corps alors que sous cette mer, un abri nous attend. Nous savons qu’il doit y avoir de l’air à l’intérieur et que c’est de l’air frais. Compte tenu du fait que cette tombe est reliée à une eau en mouvement, cet air devrait être de bonne qualité. Qui plus est, nous ne sommes pas nombreux. Nous pouvons passer une heure dans la tombe, après quoi nous sortirons. C’est notre seule chance de survie !
Oncle San était doué pour persuader les gens, un talent sans lequel il n’aurait jamais pu, par la suite, mener à bien sa grande entreprise. Suite à cette explication, tous ressentirent donc une lueur d’espoir. L’équipe rassembla rapidement tout le matériel de plongée, puis dégonfla et replia les trois canoës. Mon oncle leur enseigna ensuite quelques gestes de langue des signes pour communiquer lorsqu’ils seraient sous l’eau, puis il alluma une lampe torche étanche et les conduisit vers le passage du tombeau.
À l’époque, l’équipement de plongée consistait en un grand casque qui, s’il avait l’air très encombrant, était, en définitive, très solide. Si de grosses créatures marines apparaissaient brusquement devant vous, elles ne pourraient jamais vous avaler avec un tel dispositif. C’est du moins ce que se disait Oncle San qui tentait de se détendre.
À mesure qu’il progressait, le passage devenait de plus en plus étroit. C’était à se demander s’ils allaient pouvoir aller jusqu’au bout. Fort heureusement, il disposait d’un ensemble d’outils complet et si les choses prenaient une mauvaise tournure, il pourrait toujours leur créer un chemin.
Les parois du passage funéraire étaient couvertes de visages gravés, mais en raison de l’épaisse couche de saletés qui les recouvrait, il était impossible de dire à quelle dynastie ils appartenaient. Les membres de l’équipe archéologique, qui n’avaient jamais rien vu du monde et qui, manifestement, avaient oublié qu’ils étaient sous l’eau, se rassemblèrent pour étudier les visages. Sentant venir une migraine, mon oncle s’arrêtait fréquemment pour les inciter à continuer d’avancer.
Ils nagèrent durant quinze minutes lorsqu’après quelques virages, ils eurent l’impression d’avoir perdu leur sens de l’orientation. Réalisant que le groupe se désorganisait trop, Oncle San se dit qu’il fallait rectifier le tir. Il fit signe à tous de s’arrêter et demanda à Chen Wen-Jin de compter les personnes présentes.
Il fallait beaucoup d’énergie pour nager dans ce passage étroit. Tout le monde était si épuisé qu’au signal d’Oncle San, ils titubèrent et s’assirent comme s’ils avaient été amnistiés.
Oncle San les regarda d’un air impuissant tout en se disant qu’être chef n’était pas si facile. Alors qu’il se retournait vers l’avant, sa lampe torche à la main, Chen Wen-Jin lui tapa sur la jambe. Elle avait l’air paniquée. Le cœur serré, mon oncle se demanda si, en effet, quelqu’un n’était pas resté en arrière.
Chen Wen-Jin était si troublée qu’elle ne savait visiblement pas comment s’exprimer. Elle leva un doigt et l’agita devant le visage d’oncle San. Ne comprenant pas ce qu’elle voulait dire, il demanda :
― Il manque quelqu’un ?
Elle secoua la tête, leva une main complète puis quatre doigts de l’autre et les rapprocha. Mon oncle était toujours confus, mais après avoir lu attentivement sur ses lèvres, il comprit enfin ce qu’elle tentait de lui dire. Il y avait une personne de plus !