Chapitre 02 – La tombe à double paroi
Chen Wen-Jin et Oncle San avaient des origines complètement différentes. Mon oncle était un personnage rude qui aurait certainement fini bandit s’il n’était pas né dans une famille de pilleurs de tombes. Il considérait toujours le profit avant tout et jugeait la valeur d’une personne en fonction des avantages qu’elle pouvait lui apporter. Chen Wen-Jin, par contre, était bien différente. Elle revenait d’études à l’étranger et était très ouverte d’esprit. Piller des tombes était principalement un passe-temps pour elle, qui lui permettait de poursuivre ses études. Aux paroles de mon oncle, sa première pensée fut donc de considérer la valeur archéologique de cette tombe antique et de partager cette théorie avec ses camarades de classe.
Les épaves de bateaux-tombes enfouies sous les fonds marins étaient très rares. La légende voulait que le fils de Shen Wansan fût le seul à avoir eu recours à ce type de méthode d’ensevelissement (1) L’idée de Chen Wen-Jin pouvait donc être considérée comme très consciencieuse. Oncle San, toutefois, était un peu gêné parce qu’il se sentait mal à l’aise à l’idée que ces objets, sitôt repêchés, soient confisqués par le gouvernement. Mais il ne fallut pas longtemps à Chen Wen-Jin pour le convaincre du contraire. D’un simple sourire et d’un baiser, elle transforma ce véritable héros de Greenwood(2) en un archéologue de la République, volontaire de surcroît.
Cette nuit-là, Oncle San resta éveillé à réfléchir au problème. Il n’avait encore jamais pillé de tombeau sous-marin, mais comme il s’était vanté de l’avoir fait devant les autres, ce serait mal perçu s’il commettait une erreur. Il y réfléchit un moment, mais force lui fut de constater qu’il ne pourrait pas creuser en mer comme il le ferait sur la terre ferme. D’abord, il était impossible de creuser les fonds marins car il n’y avait quasiment aucune prise et ensuite, quand bien même il l’aurait pu, la boue sous-marine n’ayant rien à voir avec celle qu’on trouvait sur terre, ses maigres connaissances en la matière lui étaient inutiles. Il repensa aux histoires mentionnées dans le carnet de mon grand-père. Celui-ci avait effectivement pillé plusieurs tombes sous-marines mais il n’existait pas de méthode particulière. L’essentiel était d’observer le terrain.
Une épave de bateau-tombe ensevelie au fond de la mer impliquait essentiellement de construire un tombeau sur un navire, de trouver une vallée ou une tranchée dans la mer, de faire un trou dans la coque du navire pour que le tombeau coule, puis de sceller le tout avec une couche de terre par-dessus. Le processus n’était pas si différent de ce qui se faisait sur la terre ferme.
Mon oncle estima que l’endroit où ils avaient jeté l’ancre était certainement, à l’origine, une petite vallée maritime comblée par la suite. Lorsque le navire avait sombré, il avait fallu de nombreuses ancres pour le maintenir en place. Il pouvait donc, à partir du centre ou d’un endroit proche de celui-ci, déterminer où se trouvait le site d’ensevelissement.
Plus oncle San réfléchissait, plus cela lui semblait sensé et se sentit soudain plus confiant. Le lendemain, le temps s’avérant favorable, il emmena tout le monde sous l’eau, demanda que l’on relie toutes les ancres de pierre avec des cordes, puis marqua le point central. Après avoir creusé en plusieurs endroits dans le secteur et comme on pouvait s’y attendre, ils constatèrent la présence de bois sous le fond marin à l’est du marqueur.
La méthode traditionnelle de positionnement leur permit ensuite de déterminer que la disposition du palais souterrain avait la forme du caractère chinois « 土 » (3) Il se composait de deux chambres auriculaires, de deux pièces de forme et de taille identiques, d’un couloir et d’une grande arrière salle. La structure couvrait une superficie d’environ mille mètres carrés. Avec une longueur de plus de trente mètres et une largeur dépassant dix mètres, cette arrière-salle semblait être l’endroit où se trouvait le cercueil.
Littéralement stupéfait, Oncle San se dit : mon Dieu, à qui peut bien appartenir cette tombe ? Ça semble plus compliqué qu’il n’y parait. Ces proportions sont comparables à celles d’une tombe impériale !
Tout le monde était si excité cette nuit-là que personne ne trouva le sommeil. Ils se rassemblèrent tous pour manger un ragoût de tête de poisson tout en discutant du moyen d’entrer dans la tombe. Mon oncle analysa la structure du tombeau et en déduisit que la principale préoccupation était l’eau. Ils ne savaient pas si la salle arrière avait été inondée ou non. Dans l’affirmative, ils pouvaient simplement percer un trou et y entrer. Comme tous disposaient d’une combinaison de plongée, ce ne serait pas un problème. Mais si la chambre du dessous était encore scellée, cela rendrait les choses plus difficiles car une fois percée, l’eau s’y engouffrerait et pourrait causer des dommages catastrophiques aux objets qui s’y trouvaient. D’après les morceaux de bois qu’ils avaient vus plus tôt en creusant le fond marin, il devait encore y avoir de l’air dans la tombe. Celle-ci étant très grande, il était facile d’y créer une structure capillaire, ce qui signifiait qu’il pouvait y avoir beaucoup d’air dans plusieurs des pièces intérieures.
La théorie d’Oncle San reposait sur ses années d’expérience en matière de pillage de tombes, aussi les néophytes de l’équipe furent-ils impressionnés.
Finalement, il décida de se concentrer pleinement sur le problème de la construction d’un tunnel pour pilleurs de tombes. Le fond marin n’étant constitué que de sable, il n’était pas possible de creuser selon une forme déterminée, celui-ci pouvant s’effondrer à tout moment. Ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère, d’autant plus qu’être coincé sous l’eau revenait à une condamnation à mort. Tout compte fait et après de nombreuses discussions, ils décidèrent de la méthode à employer pour se frayer un chemin sous les fonds marins.
Le bateau étant équipé d’explosifs destinés à la pêche (4), ils en utiliseraient une partie pour créer une fosse afin de disperser le sable. Cela fait, ils creuseraient un tunnel incliné dans la boue marine, plus solide, située en dessous. C’était un grand projet, mais tous avaient l’esprit combatif. Oncle San estima qu’il leur faudrait environ une semaine pour tout terminer, mais le corps de leur défunt coéquipier était toujours sur le bateau et s’il n’était pas expédié au plus vite, il allait empester.
Après réflexion, ils trouvèrent un compromis. Le grand bateau ramènerait le corps et ils utiliseraient les petits pour faire ce qu’ils avaient à faire. Le temps avait été superbe ces derniers jours, aussi personne ne s’en inquiéta. Ils attachèrent simplement trois kayaks ensemble et déplacèrent tout l’équipement dont ils avaient besoin vers un récif situé non loin de là.
Le jour suivant, voyant le grand bateau partir, mon oncle se sentit un peu mal à l’aise à l’idée qu’ils n’auraient plus aucun renfort en mer. Mais l’enthousiasme général pour cette vaste tombe était tel qu’il chassa rapidement ce sentiment et se remit au travail. La construction du tunnel se déroula sans encombre et beaucoup plus vite que ne l’avait initialement prévu Oncle San. Mais quatre jours plus tard, alors qu’ils venaient d’atteindre la paroi de la tombe, le bateau n’était toujours pas revenu et tout le monde commençait à s’inquiéter. Sachant que la seule façon de maintenir l’ordre et d’éviter la panique était de poursuivre le travail entrepris, mon oncle les réconforta donc, leur offrant de temps à autre des paroles d’encouragement.
Lorsqu’ils eurent percé un trou dans la paroi, Oncle San tapa sur les briques et constata qu’elles étaient creuses, cela probablement pour réduire le poids de la tombe. Sinon et quelle que fût la taille du bateau, le plancher n’aurait pas été en mesure de soutenir l’intégralité de la structure.
Il remarqua également que de petits trous du diamètre d’un stylo avaient été percés dans la paroi, espacés de cinq mètres environ. Apparemment, la tombe avait été conçue pour être scellée par l’eau, ce qui signifiait qu’elle en était probablement remplie. L’équipe s’installa donc pour démonter les briques.
Oncle San avait déjà réfléchi aux pièges susceptibles de les attendre dans cette tombe. Dans ce contexte, toute arme cachée basée sur un mécanisme serait inutile du fait de la résistance, trop importante, de l’eau. Pour exemple, la flèche d’une arbalète qui ne se serait pas décomposée avec le temps, se déplacerait au ralenti. Un piège à fosse ne serait d’aucune utilité car non seulement vous ne tomberiez pas dedans et quand bien même, il serait toujours possible de remonter à la nage. Dans cet élément liquide, divers autres mécanismes de chute de pierres – déclenchés par du mercure – seraient, eux aussi, totalement inefficaces dans la mesure où le mercure, dans l’eau, s’écoule très lentement et se répand très facilement. En fait, l’eau était un mécanisme mortel en soi. Dans les temps anciens où les équipements en oxygène n’existaient pas, il était totalement impossible de piller une tombe sous-marine. En conclusion, il était très peu probable que ce tombeau recèle des pièges.
Lorsqu’ils eurent fini de démonter la paroi, ils constatèrent que la tombe était vide et sombre. Mon oncle, sachant qu’il ne pouvait plus, désormais, compter sur personne, demanda à l’équipe de ne pas bouger. Il alluma sa lampe de poche et entra dans le trou. Mais il n’avait pas parcouru un mètre qu’il tomba sur un autre mur, constitué de briques beaucoup plus grandes et scellées avec du plâtre blanc.
Oncle San flottait entre les deux parois. Il regarda devant lui, derrière lui, à gauche, à droite, et finit par découvrir, au-dessus de sa tête et sur le mur intérieur, une ouverture carrée d’environ 50 centimètres de côté et qui menait à un passage. Au premier coup d’œil, il comprit que jamais ils ne pourraient creuser de tunnel dans cette tombe.
Remontés à la surface, ils grimpèrent sur le récif et en discutèrent.
― Cette tombe est à double paroi, dit Oncle San, et l’espace entre les deux est rempli d’eau. Il y a aussi, dans le mur interne, un passage où l’eau s’écoule en spirale vers l’intérieur. Cette conception laisse à penser qu’il doit y avoir un espace sec. D’après le principe de la pression d’air, il doit rester de l’oxygène dans la chambre funéraire. (5) Comme j’ignore la longueur de ce passage, trois d’entre nous descendront demain, chacun avec quatre réservoirs d’oxygène, et nous verrons si nous pouvons aller jusqu’au bout.
S’ensuivit une discussion détaillée sur ce plan. Mon oncle descendrait à coup sûr, mais les deux personnes dont il avait besoin devaient être choisies avec soin, car s’il s’avérait qu’il n’y ait pas d’eau dans la tombe, la situation pourrait s’avérer plus compliquée, voire dangereuse.
Soudain, Chen Wen-Jin poussa un cri d’effroi et tous se turent. Ils regardèrent autour d’eux et constatèrent que le récif sur lequel ils étaient assis s’était élevé dans les airs. Mon oncle baissa les yeux et vit que la mer, qui jusque-là n’était distante que de cinquante centimètres, était désormais à plus de cinq mètres en dessous d’eux.
Comprenant que quelque chose n’allait pas, il leva les yeux vers le ciel et vit, à l’horizon, une ligne noire approcher. L’un des membres de l’équipe archéologique était un étudiant du nom de Li Sidi, dont les parents étaient pêcheurs. À la vue du phénomène, ses lèvres pâlirent de peur et il s’écria :
― Une grosse tempête arrive !
Notes explicatives :
(1) Shen Wansan (1330-1379) est un riche homme d’affaires du début de la dynastie Ming.
(2) “Le véritable héros de Greenwood” se réfère à un héros populaire du style Robin des Bois.
(3) “土” peut signifier sol/terre/poussière/argile.
(4) La pêche à l’explosif ou à la dynamite est une pratique illégale à laquelle ont souvent recours les pêcheurs de certains pays pour prendre davantage de poisson.
(5) Un peu comme une bulle d’air qui se forme lorsque l’on retourne un verre dans l’eau.