Le Maître des Secrets | Lord of the Mysteries | 诡秘之主
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Chapitre 144 – La réception
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Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 144 – La réception

De retour rue Minsk, Klein déjeuna simplement et fit une sieste. Lorsqu’il s’éveilla, le soir tombait et le ciel s’était assombri.

Malgré cela, il se sentait toujours épuisé, un épuisement qui venait du plus profond lui.

Il resta un certain temps perdu dans ses pensées, puis redescendit au rez-de-chaussée et alluma la lampe à gaz. Il s’apprêtait à s’asseoir sur le canapé pour lire les journaux du jour lorsque, regardant autour de lui, il vit sur la table basse une lettre d’invitation.

Un moment stupéfait, il réalisa qu’il s’agissait d’une lettre que la domestique de Mme Stelyn Sammer lui avait apportée quelques jours auparavant.

J’avais presque oublié… Le banquet de rencontres déguisé… Le jeune homme reposa la lettre et monta à la salle de bain pour se laver le visage à l’eau froide afin de se rafraîchir et de se donner un air beaucoup plus énergique.

Depuis son arrivée à Backlund, la barbe noire qu’il portait autour de ses lèvres et sous le menton avait épaissi. Cela ne supprimait pas totalement son allure d’érudit mais lui donnait l’air plus mature et plus robuste.

Quelqu’un qui ne me connaît pas bien ne me reconnaîtrait certainement pas… soupira Klein. Il s’essuya le visage et posa sur son nez ses lunettes à monture dorée.

Après une courte pause, notre détective enfila une chemise à col amidonné, une veste à queue de pie noire, puis, de manière tout à fait formelle, mit son semi haut de forme en soie, prit sa canne et sa lettre d’invitation, et quitta la maison pour se rendre chez ses voisins.

Au tintement de la sonnette, il vit Julianne, la domestique, ouvrir la porte et aperçut Stelyn, ses cheveux blonds relevés en un chignon haut et les oreilles ornées de boucles d’oreilles en argent.

Klein ôta son chapeau, s’inclina et la complimenta poliment.

– « Mme Sammer, vous êtes très belle ce soir. »

Ce n’étaient que des paroles extrêmement superficielles, mais il est vrai que son hôtesse était beaucoup plus belle que d’habitude. Apparemment, sa capacité à se pomponner méticuleusement avait connu une percée significative.

Il semblerait que cette affaire d’adultère ait fait d’elle et de Madame Mary les meilleures amies du monde. De plus, Mary est désormais un magnat doté d’une fortune de plusieurs dizaines de milliers de Livres et elle a été admise au Conseil National de la Pollution Atmosphérique, ce qui lui a permis de se familiariser avec de nombreuses personnes de pouvoir. Elle doit avoir une grande expérience en matière de maquillage, de vêtements et d’accessoires entre autres choses.

Stelyn esquissa un sourire :

– « Ce sont mes nouvelles boucles d’oreilles. Elles m’ont coûté huit Solis. »

Madame, vous n’avez pas changé le moins du monde… pensa le jeune homme qui tendit en souriant son chapeau, sa canne et son manteau à la domestique.

La cheminée et les tuyaux apportaient une chaleur de début d’été. Bon nombre des femmes et jeunes filles présentes portaient des tenues moins conservatrices. Certaines laissaient voir leurs bras blancs et d’autres leur poitrine à la peau crémeuse.

– « Luke parle affaires avec des amis. Permettez-moi de l’excuser », dit Stelyn qui jouait pleinement son rôle d’hôtesse. « Prenez votre repas. Je vous présenterai ensuite à quelques dames de bonne éducation. »

Ce ne sera pas nécessaire, laissez-moi manger en paix… Pensait Klein qui répondit en souriant :

– « Je peux déjà sentir le parfum des plats. »

Les invités étant plus de vingt, le dîner était servi sous forme d’un buffet. Klein prit une assiette, fit le tour et constata que les mets servis étaient plus variés que précédemment.

Truite froide, pâté de poulet, ragoût de mouton aux petits pois, poitrine salée, curry, rôti de bœuf, dinde, pâté de langue de bœuf, jambon, salade et gâteau à la crème…

Les boissons proposées étaient toujours du champagne et du vin rouge.

Cela convenait très bien au palais d’un carnivore. Klein s’abstint de toute conversation. Il emporta sa grande assiette, se cacha dans un coin et en savoura lentement le contenu. De temps à autre, il faisait mentalement un commentaire sur ce qu’il mangeait, du style :

Ce n’est pas aussi bon que ce que proposent les chefs du club Quelaag…

Il était sur le point de se resservir lorsque son hôtesse l’aperçut. À ses côtés se tenait une connaissance à lui, l’avocat Jurgen à l’expression sérieuse.

C’est vrai que Jurgen aussi est un célibataire… pensa le jeune homme qui s’approcha en souriant.

– « Comment va Mme Doris ? »

Jurgen, gêné, tira sur son nœud papillon.

– « Elle sortira de l’hôpital la semaine prochaine. »

– « Formidable », commenta Klein, en proie à des émotions mitigées.

Stelyn, qui était allée chercher quelques jeunes femmes, fit les présentations.

– « Voici M. Jurgen Cooper, un avocat principal qui gagne au moins trois Livres par semaine. Il perçoit souvent une commission sur les affaires qu’il traite et gagne certainement plus de deux cents Livres par an. De plus, il est jeune et compétent. Il deviendra très probablement un grand avocat.

« Ce monsieur est Sherlock Moriarty, un détective bien connu. Ses revenus sont irréguliers, mais il est grassement payé pour chaque mission qu’on lui confie. De dix à cinquante Livres, pour exemple. »

N’est-ce pas un peu trop direct, madame ? Railla Klein en son for intérieur.

Jurgen, qui se tenait près de lui, fronça visiblement les sourcils.

Stelyn, qui n’avait pas le sentiment d’avoir fait un faux pas, poursuivit :

« Mlle Sarah Taylor. Ses parents sont professeurs dans un lycée… Mlle Angelina Watson. Son père est fonctionnaire au Département de Police de Backlund… »

Klein sourit d’un air absent et salua chacune des dames qui lui était présentée.

Lorsque Stelyn eut terminé, Jurgen lui dit d’un ton grave :

– « Il est inconvenant, Mme Sammer, de faire état des revenus des gens devant des tiers. »

Stelyn ne le prit pas mal et répondit très sérieusement :

– « C’est très important au contraire. Si vous finissez par vous aimer et décidez de fonder une famille, les revenus sont essentiels.

« Réfléchissez. Il vous faudra chaque jour de la viande, des légumes, des fruits, du lait, du pain blanc, du beurre, de la crème et bien d’autres choses. La nourriture à elle seule vous coûtera au moins une Livre et cinq Solis par semaine, sans parler du vin. De plus, pour louer une maison, plus convenable, il faut compter près d’une Livre par semaine. Il vous faudra aussi payer l’eau, le gaz, le charbon de bois, acheter du savon … et prendre compte les frais de transport. Cela représente environ dix Solis.

« Et ce ne sont là que les dépenses les plus basiques. Ne comptez-vous pas emmener votre femme à un concert ou au théâtre ?

« N’avez-vous pas besoin, chaque année, de nouveaux vêtements ? Mesdames, pour pouvoir dire qu’une famille mène une vie décente, je suis convaincue qu’elle doit y consacrer au moins 30 Livres par an.

« Il faut aussi prendre en compte le salaire de la domestique, le coût de l’éducation des éventuels enfants, l’argent qu’il faut mettre de côté pour les soins médicaux, ainsi que les dépenses liées à certaines décorations indispensables.

« Seul un revenu de plus de 200 Livres par an peut vous permettre de satisfaire à ces nécessités et de vous assurer une famille heureuse. C’est pourquoi je crois nécessaire d’aborder ce sujet lors des présentations afin de ne pas vous faire perdre votre temps ni générer de malentendus. »

Bien qu’avocat, Jurgen était incapable de réfuter ces arguments. Heureusement, il conservait son expression grave et sévère.

Quel grand cœur… Mais la moindre des convenances veut que l’on ne communique ces informations aux deux partis qu’en privé. Cela dit, je sais exactement pourquoi vous faites les présentations devant elles… pensa Klein avec un sourire.

« Oui, le revenu est très important. Pour organiser un dîner comme celui-ci, il fait gagner plus de 400 Livres par an. Il faut bien cette somme pour permettre à sa femme de porter de belles robes et d’exquises boucles d’oreilles. »

Stelyn leva légèrement le menton et fit de son mieux pour réprimer son sourire : « 430 Livres. Je veux dire qu’il est nécessaire de faire chaque année quelques économies pour prévenir tout accident, ou investir dans des actions ou obligations. »

C’était approximativement le revenu annuel de son époux.

Après avoir trouvé un sujet commun à ces deux groupes de personnes qui ne se connaissaient pas, elle partit saluer les autres invités. Klein, de son côté, avait nettement l’impression que Sarah, Angelina et les autres dames étaient plus intéressées par Jurgen. Après tout, c’est un bel homme qui bénéficiait d’un emploi et de revenus particulièrement stables.

Quant aux détectives privés, susceptibles à tout moment de se retrouver au commissariat, ils n’étaient pas ce que les femmes de classe moyenne choisiraient en premier lieu. De plus, avec sa barbe, le jeune homme avait un air un peu rude. Rien d’étonnant à ce que les jeunes filles aient une certaine appréhension à son égard.

Après une brève conversation, il trouva un prétexte pour s’éloigner et aller manger dans un coin tout en prenant plaisir à observer la performance maladroite et impuissante de Jurgen.

C’était à se demander où était passée son éloquence d’avocat.

Quelques minutes plus tard, les deux enfants des Sammer, qui jouaient, passèrent devant Klein.

Voyant ce monsieur assis dans un coin, ils s’arrêtèrent, les yeux remplis de curiosité.

– « Il paraît que vous êtes détective, M. Moriarty ? »

– « Oui », répondit Klein avec un sourire.

– « Pourriez-vous nous parler des affaires que vous avez résolues ? » demanda innocemment la petite fille.

Son frère jumeau acquiesça aussitôt.

Les affaires que j’ai résolues ? Quand il n’est pas question de spectre, de marionnettes ou de chiens démoniaques, cela se limite à retrouver des chats ou de prendre quelqu’un en flagrant délit d’adultère. Rien qui ne soit convenable de raconter à des enfants…

Klein réfléchit quelques secondes, puis eut un petit rire :

– « Très bien, je vais vous raconter une histoire de trésor. Un officier qui venait de rentrer de Balam Est a été assassiné… »

Il avait en grande partie oublié les romans policiers qu’il avait lus dans sa vie antérieure, aussi ne pouvait-il les recréer qu’en se basant sur une vague impression. Les deux enfants, peu soucieux de savoir si l’intrigue était sensée ou pas, écoutaient très attentivement et en vinrent même à demander : Et ensuite ? Que s’est-il passé ?

Sans même s’en rendre compte, Klein s’était considérablement détendu.

Le dîner était presque terminé et il s’apprêtait à partir lorsqu’il s’aperçut que Stelyn rayonnait de joie.

– « Quelle est la cause de cette célébration ? » demanda-t-il d’un ton désinvolte.

Son hôtesse leva légèrement la tête et répondit avec un sourire réservé :

– « Mary a reçu une invitation à déjeuner pour lundi de la part de M. Hibbert Hall, le secrétaire en chef du Conseil National de la Pollution Atmosphérique. Ce monsieur est le fils aîné du Comte Hall, un authentique aristocrate. Il a convié tous les membres du conseil et leur a permis d’inviter deux ou trois amis. » Stelyn marqua une pause : « Mary vient de nous inviter Luke et moi. »

Le lundi après-midi…

Tirée à quatre épingles, Stelyn Sammer, accompagnée de son mari Luke, suivit Mary jusqu’au Quartier de l’Impératrice où ils s’arrêtèrent devant une vaste demeure.

Statues de marbre, piscines, fontaines, jardins et pelouses se reflétaient dans ses yeux et elle se sentait nerveuse avant même d’entrer dans la villa.

– « Luke, mon collier est-il vraiment assorti à ma robe ? » demanda-t-elle à son mari en inclinant la tête.

Luke eut un sourire :

« Tu es trop nerveuse, Chérie. Ne t’inquiète donc pas pour ça. Les aristocrates sont simplement des gens qui vivent dans une maison un peu plus grande et mangent un peu mieux que nous. Nous ne sommes pas si éloignés. »

En entendant cela, Stelyn hocha la tête. On aurait dit qu’elle avait trouvé sa confiance.

À leur entrée dans la villa, ils découvrirent un magnifique lustre de cristal, une salle capable d’accueillir de nombreux danseurs, ainsi que des plats couverts de mets délicieux.

Foie gras, poisson à Os de Dragon poêlé, homard au four… Vin d’Aurmir, champagne brumeux… C’est exactement ce que disait le magazine .

Stelyn regardait les plats avec curiosité et se disait qu’en économisant un peu, elle pourrait prévoir un repas semblable pour un jour de fête ou à nouvel an.

Sauf pour le vin Aurmir et le champagne brumeux… ajouta-t-elle en son for intérieur.

C’est alors que, relevant les yeux, elle vit s’avancer une jeune fille vêtue d’une robe de cour beige.

Avec ses cheveux blonds et ses yeux verts, celle-ci était incroyablement belle. Elle portait des gants de soie blanche et de petites boucles d’oreilles en émeraude. Cette jeune fille respirait la pureté et l’élégance.

On dirait un ange… se dit Stelyn, admirative.

Même si elle avait toujours été fière de son apparence, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver un inexplicable sentiment d’infériorité.

– « Bonjour », salua-t-elle maladroitement selon l’étiquette qu’elle venait d’apprendre.

– « Bonjour », lui répondit gracieusement la jeune fille.

Elles se croisèrent, puis Stelyn suivit son mari et Mary qui s’apprêtaient à rencontrer les invités de marque ainsi que le noble M. Hibbert Hall.

Un moment plus tard, alors qu’elle se rendait seule au balcon dans l’intention de se détendre, elle tomba par hasard sur la jeune fille angélique qu’elle avait croisée tout à l’heure.

Celle-ci admirait le paysage, un grand golden retriever docilement assis près de ses chaussures à ruban rose.

– « Il est très mignon », dit-elle pour tenter d’engager la conversation.

La jeune fille eut un léger sourire :

– « Permettez-moi de vous remercier au nom de Susie pour vos éloges. »

En les voyant toutes les deux, Stelyn se dit soudain qu’il lui fallait un animal de compagnie comme celui-ci.

C’était la seule façon de mettre en valeur la dignité des Sammer !

– « J’ai entendu dire que les nobles élevaient beaucoup de chiens de chasse. Est-ce l’un d’entre eux ? » demanda-t-elle d’un ton mesuré.

La jeune fille, dont les yeux vert émeraude étaient plus enchanteurs que les pierres précieuses qui ornaient ses boucles d’oreilles, hocha légèrement la tête.

– « En effet. »

Stelyn eut un sourire :

– « Puis-je savoir combien coûte un chien comme celui-ci ? »

L’élégante et pure jeune fille regarda son énorme golden retriever et, sans trop se soucier de la question, répondit aimablement :

– « 450 livres. »

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