Lourde au toucher, cette boîte pourpre et or ressemblait un peu à la Boîte Octuple aux Trésors (les huit boîtes contenant des reliques bouddhistes) mais en beaucoup plus petit. (1) Le bouddhisme n’ayant encore été introduit en Chine à cette époque, celle-ci ne pouvait certainement pas contenir de reliques. Je la secouai pour voir si j’entendais quelque chose mais quoi que cette boîte puisse contenir, cela ne faisait aucun bruit. Renfermerait-elle le sceau fantôme dont parlait le gros ? me demandai-je.
La clé étant toujours dans la bouche du cadavre, je me calmai, pris une profonde inspiration, mis deux doigts sous sa langue, attrapai la clé, et la retirait avec précaution. Elle n’était pas sortie de sa bouche que je remarquai un fil très fin noué autour et qui descendait jusque dans sa gorge. Je compris très vite qu’il y avait quelque chose attaché à son autre extrémité.
Mon grand-père m’avait raconté que durant la dynastie Shang, certains artisans chinois, très habiles, pouvaient placer à l’intérieur de cadavres humains des arbalètes qui s’activaient lorsqu’on tirait sur un fil d’or. Sitôt que les pilleurs de tombes retiraient de la bouche ou de l’anus du mort un bouchon de jade ou une perle précieuse, le mécanisme se déclenchait et une flèche jaillissait du corps. Les voleurs se tenant généralement très près du défunt, il leur était impossible d’éviter ce type de piège. Combien de pilleurs de tombes étaient morts dans ces circonstances !
J’appuyai sur l’estomac de la morte et sentis quelque chose de dur à l’intérieur. Heureusement que j’y suis allé doucement, me dis-je. Gros-lard ou Grande-gueule, j’en ai peur, se seraient fait avoir ! Je frissonnai en pensant à tous ces mécanismes qui avaient l’air spécialement conçus pour nous, pilleurs de tombes.
Le mince fil attaché à la clé étant fait d’or, il pouvait être arraché mais pas tordu. Je le pinçai donc avec mes ongles jusqu’à ce qu’il casse puis pris la clé et regardai si elle correspondait au trou de serrure de la boîte. C’était bien entendu le cas. Seulement, je ne savais pas s’il y avait quelque chose de dangereux à l’intérieur. Pour autant que je sache, elle pouvait cacher un autre mécanisme. J’y réfléchis et décidai qu’il valait mieux ne pas l’ouvrir pour le moment.
C’est alors qu’horrifié, je vis le cadavre encore accroché à moi émettre une aura sinistre. Son visage se ratatinait et s’affaissait tel une orange pourrie et sa gorge émit un son indescriptible. En quelques secondes et sous mes yeux, cette beauté se transforma en un cadavre momifié. J’étais assis là, tremblant, lorsque ses bras flétris se détachèrent. Son corps desséché retomba sur la plate-forme et se ratatina.
J’étais mort de peur. Apparemment, la perle incrustée sur cette clé empêchait la décomposition du corps. Convaincu que mieux valait ne pas m’attarder dans cet endroit, je fourrai le tout dans mon sac puis allai aider Gros-lard à se relever.
Je l’avais si bien malmené qu’il ne bougea pas malgré mes multiples tentatives pour le remettre sur ses pieds. Pas possible, je ne l’aurais quand même pas tué ! me dis-je. Mais comme je n’en avais plus rien à faire, j’attrapai simplement son bras en criant :
― Debout !
Puis je me redressai et le hissai sur mon dos tout en maudissant discrètement ses ancêtres. Il était si lourd que je faillis cracher du sang.
Heureusement, le couloir de pierre n’était pas très long. J’eus tôt fait d’atteindre la section centrale. Une fois sorti de la zone où les lianes s’enchevêtraient, j’aperçus devant moi la falaise. Oncle San et Grande-gueule n’étant nulle part, je me dis qu’ils cherchaient sans doute un autre moyen de sortir de là. Je retournai donc à l’autel sacrificiel au bout de la galerie pour y déposer Gros-lard et m’apprêtais à me reposer lorsque je vis mon oncle émerger de l’un des trous de la falaise les plus proches du sol.
Il connaissait très bien le Qimen Dunjia(2) et autres, donc avec lui dans les parages, le labyrinthe ne posait aucun problème.
Craignant qu’il ne m’ait pas vu, je lui fis signe :
― Oncle San, je suis là !
Il me vit et s’apprêtait à sourire lorsque brusquement, il pointa le doigt derrière moi et l’expression de son visage changea. Je regardai dans cette direction et aperçu le gros type assis. Le défunt renard aux yeux verts, toujours allongé, me fixait de son regard froid.
Notes explicatives :
- Il s’agit d’un ensemble de huit boîtes gigognes (un peu comme les poupées russes qui s’emboîtent l’une dans l’autre) contenant une imitation de l’os de Bouddha en jade.
- Le Qimen Dunjia est une ancienne forme de divination chinoise, toujours utilisée de nos jours pour ce qui est du relationnel, des traits de caractère d’une personne, du choix d’un lieu ou moment propices…