Nefolwyrth
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Chapitre 32 – L’étreinte de la fatalité
Chapitre 31 – Délicates intentions Menu Chapitre 33 – Séjour vespérien

-1-

Une des roues de bois rebondit sur une pierre, ce qui me sortit de cette longue somnolence. Le chariot finit par s’arrêter. J’étais à Oloriel.

Chauffeur : « À bientôt, jeune demoiselle ! »

Je saluais l’homme en m’éloignant de son attelage.

Ellébore : « Au revoir ! »

Après quelques pas dans la ville des grands moulins, je finis par soupirer.

J’aurais aimé me reposer plus longtemps, je n’ai eu qu’un jour pour me remettre de ce qui s’est passé à Gorwel…

Pour que mon anémie passe inaperçue, je m’étais habillée aussi coquettement que possible. Je devais faire bonne impression au client.

Néanmoins, en tant que détective débutante, je me dois d’être la première à répondre à l’annonce.

En effet, mon père était venu me prévenir tôt dans la matinée qu’il avait vu sur le panneau d’affichage une demande peu explicite, qui laissait malgré tout penser qu’il était question d’une disparition.

Je passais ensuite devant un certain bâtiment, en soupirant.

Si seulement mon père ne m’avait pas préparé de casse-croûte, j’aurais eu un prétexte en or pour y aller…

Je traînais ensuite les pieds, avant de me ressaisir.

Bon, haut les cœurs ! Je reprends enfin du service aujourd’hui !

J’avançais au milieu de la foule. Nous étions déjà dans l’après-midi, et le chef-lieu du comté grouillait de monde.

Depuis quelques secondes, sans que je ne m’en rende compte, mon regard suivait une seule de ces personnes.

Il fallait bien dire que ses longs cheveux rouges violacés, ses lèvres d’un bordeaux intense, et son style vestimentaire provoquant ne passaient pas inaperçu.

Mais cette femme… !

Je m’arrêtais, stupéfaite de tomber sur elle. Je l’avais déjà vue. Que ce soit en vrai ou sur des avis de recherche. C’était elle. C’était elle qui avait infligé ça à Eilwen. Elle qui s’en était prise à Lucéard.

…Alaia…

J’avais gravé le nom de chacun d’eux dans mon esprit. Et tout particulièrement le sien.

La jeune femme marchait dans la rue, l’air mauvais. Elle ne m’avait heureusement pas vu, bien qu’il y avait fort à parier qu’elle ne se souvienne pas de moi. Cependant, les espers étaient réputés pour démontrer une intelligence hors du commun. La prudence était de rigueur.

Car oui, je comptais bien la prendre en filature, et c’est ce que je fis.

Elle continuait son chemin vers le sud-ouest, en empruntant des ruelles de moins en moins fréquentées. Selon mon plan, on pouvait sortir des fortifications en poursuivant dans cette direction. Vu la faible affluence, cette porte sud-ouest de la ville devait être rarement traversée, et donc peu surveillée. Autrement dit, elle comptait quitter la ville discrètement, ce qui est préférable d’ailleurs quand on est recherché par la garde ducale.

J’aurais bien des questions à lui poser, mais je n’ai ni l’envie de lui parler, ni même l’envie de m’attirer des ennuis.

Pour l’avoir vue à l’œuvre, je savais d’avance que je ne faisais pas le poids.

C’est peut-être une occasion en or, mais je ne dois pas prendre de risque. Si elle s’en prend à moi, je n’ai pas la moindre chance.

Enfant : « Oh, pardon m’dame ! »

Mon attention se tourna vers ce garçon d’une dizaine d’années qui chahutait avec ses amis jusqu’à ce qu’il ne heurte Alaia par mégarde.

Nous étions arrivées sur une petite place excentrée. Il n’y avait que de petits commerces et des habitations serrées les unes contre les autres. Au bout du chemin se trouvait un moulin surplombant les fortifications locales. En dessous de celui-ci se trouvait la grande porte qui menait aux vastes étendues agricoles du comté d’Oloriel.

Alaia : « Dégage, morveux ! »

Asséna t-elle d’un ton courroucé. Les amis de l’enfant en question, ainsi que lui-même, reculèrent, abasourdis par la violence du regard de la jeune femme.

Mère : « Mais qu’est-ce qu’y vous prend de parler comme ça à nos bambins, ma bonne dame ?! »

Quelques mères de famille discutaient à l’ombre jusqu’à ce qu’une d’entre elles ne s’approche du centre de la place. La dizaine de citoyens présents se tournaient vers cet éclat de voix.

Frustrée, Alaia détourna le regard, et reprit sa route.

Les mains sur les hanches, la dame potelée qui venait d’intervenir la regardait faire.

Mère : « C’est ça, partez donc ! »

Pensant que nous venions d’éviter un incident plus grave, je m’apprêtais à souffler de soulagement, jusqu’à ce que sous mes yeux, un vase apparut. Il fendit à travers l’air à toute vitesse en direction de la mère.

Le projectile éclata contre son épaule, et entraîna la femme au sol. Ce fut aussi soudain que violent.

Enfant : « Maman ! »

Les quelques badauds se rapprochèrent, sans comprendre ce qui avait pu se passer.

La sbire de Musmak attendit quelques secondes avant de s’arrêter, et se tourna vers l’attroupement, avant de rire à gorge déployée.

Alaia : « C’est pas de chance ! »

Elle repartit aussitôt.

Homme : « Je vous ai vu ! »

Un homme d’une cinquantaine d’années la retint d’un cri.

Homme : « Qu’avez-vous fait ?! »

De nouveau à l’arrêt, Alaia haussa les épaules. Plusieurs des habitants avaient vu le pot léviter avant d’être projeté. Ils avaient tout de suite associé ce phénomène à l’attitude étrange de la jeune femme.

Alaia : « Vous n’avez rien vu, alors barrez-vous ! »

Pour une fugitive, elle se fait beaucoup trop remarquer.

Homme : « Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte. »

Cet individu tout à fait banal s’avançait lentement. Une aura poreuse émanait de lui. Je n’eus pas le réflexe de partir la première pour prévenir la garde. Je ne parvenais pas à quitter la scène des yeux.

Homme : « Je n’ai pas le droit d’utiliser mon pouvoir en ville, mais je suis sûr que les circonstances valent bien une exception. »

Il prit ensuite une posture de combat. C’était d’autant plus impressionnant considérant que le mage en question avait l’apparence d’un marchand en fin de carrière.

Le visage totalement détendu, Alaia le fixait avec un mépris profond, puis sourit en coin.

Alaia : « Tu m’as l’air bien sûr de toi, vieux déchet. »

Je m’approchais, prête à intervenir à tout moment. Une partie de moi s’était reposée sur cet homme, mais n’était-ce pas imprudent ?

Ce dernier fit un pas en avant, contre sa volonté. Pris au dépourvu par les mouvements involontaires de son corps, il laissa son aura s’évanouir dans les airs.

Homme : « Qu’est-ce qui m’arrive… ? »

Il mit un genou au sol, sous le regard effrayé des habitants. Puis le second, et il ne put que pallier son manque d’équilibre en apposant les deux mains devant lui. Il restait ainsi bloqué dans cette position.

Alaia : « Et maintenant, tu t’agenouilles devant moi. Si c’est pas pathétique ! »

D’expérience, j’aurais dû savoir qu’en combat singulier, personne de normal ne faisait le poids contre elle.

Néanmoins, je ne m’étais toujours pas décidée à agir. Mon corps semblait subir un traumatisme encore récent qui l’aurait volontiers poussé à fuir.

Homme : « Ah… Aaaaaah !!! »

Son bras commençait à pivoter sans qu’il ne puisse rien y faire. Rapidement, il atteint sa limite. Alaia était concentrée sur le châtiment qu’elle lui infligeait. Ses yeux ne quittaient pas le bras du pauvre homme au sol.

Homme : « P-par pitié, arrêtez ! »

La peur panique de ne plus être maître de ses mouvements avait embrumé l’esprit de ce pauvre citoyen en quelques secondes seulement. Il implorait hâtivement dans l’espoir que tout cela s’arrête aussitôt.

Alaia : « Oh non. Tu l’as bien mérité, espèce de crétin arrogant ! »

Homme : « Aaaaaaaaahh !!!! »

Ses cris étaient douloureux pour tous ceux qui l’entendaient, et ceux qui n’en restaient pas pétrifiés s’enfuirent aussitôt. Les mères et les enfants rentrèrent chez eux plutôt que de quitter la place, par un bien triste réflexe.

Ses hurlements n’ameutèrent personne, et l’on ne pouvait manifestement pas se fier aux habitants terrorisés sur cette place. À ce rythme là, on ne pouvait plus être sûr que la garde rappliquerait.

Ellébore : « Haaah, pourquoi ça doit se passer comme ça ?! Crochenwaith Summon !! »

Mettant fin à ce dilemme qui me tiraillait, je levais la main devant moi, et fis apparaître un simple bol que je lui lançais aussitôt, espérant pouvoir lui faire perdre son emprise psychique.

La poterie se brisa à ses pieds. Et bien que ce jet fût un échec, il avait réussi à attirer l’attention de ce danger public.

Elle se tournait vers la fille à quelques mètres d’elle, et lui montra un regard assassin.

Alaia : « C’est toi qui a fait ça ?! »

J’essayais de faire bonne figure, mais je savais très bien ce qui découlerait de mes actions.

Ellébore : « Vous tous, FUYEZ ! »

Je fus la première à suivre mon conseil. Si elle se mettait en tête de s’occuper de moi avant les autres, je pouvais gagner du temps en attendant d’éventuels renforts.

Mon dernier pas ne toucha pas le sol.

Alaia : « Où est-ce que tu vas ? Je te trouve bien peu courageuse pour une peste qui joue à l’héroïne. »

L’homme au sol n’avait toujours pas retrouvé ses esprits, et levait péniblement la tête dans ma direction.

J’étais paralysée. Pire que ça. Je pouvais faire des efforts, je pouvais forcer sur mes muscles, mais une autre conscience repoussait sans difficulté toutes mes tentatives. J’étais non seulement immobile, mais j’étais surtout totalement impuissante. Et la simple sensation d’avoir son corps possédé par l’esprit d’une autre était fortement désagréable.

Je m’étais retrouvé dans la situation que j’avais le plus redouté. En étant sous le contrôle d’Alaia, j’avais perdu toute chance de pouvoir m’en sortir par moi-même. J’étais totalement à sa merci, et si elle l’avait voulu, j’aurais pu déjà être morte. Ce simple constat était suffisant pour terroriser n’importe quel être humain. Ma vie entière était en sursis aussi longtemps que j’étais sous son emprise.

Alaia : « J’ai rarement la chance d’avoir des victimes aussi faibles mentalement que toi. Tu n’es pas capable d’opposer la moindre résistance ! »

De voir que celle qui s’était interposée était la plus insignifiante d’entre tous l’amusait, tout en l’énervant par la même occasion. Elle levait sa main dont les ongles longs, couleur d’amarante, disparurent lentement dans sa poigne.

Alaia : « Une sale mioche comme toi aurait dû se tenir tranquille ! »

Elle mordait son rouge à lèvres pour exprimer sa frustration.

Plus par sadisme que par courtoisie, elle me permettait d’ouvrir et de fermer la bouche.

Ellébore : « Allez-vous en ! Partez d’ici avant qu’elle ne s’en prenne à vous, et appelez la garde locale ! »

Ce cri avait suffit pour les faire fuir, non pas sans hésitation. Je regardais mes dernières chances d’être secourue disparaître de ma vue.

…C’était la meilleure chose à faire…

Mes jambes se soulevaient dans les airs.

Alaia : « Un bol, hein… ? »

Elle me tournait face à elle, sans que je ne puisse lutter. Je pouvais voir sa grimace haineuse s’éloigner de plus en plus.

Alaia : « J’espère que tu es prête à finir comme ton stupide bol !! »

Je sentais mon corps se compresser de toute part, respirer devenait difficile.

Je m’élevais assez pour voir à travers les fenêtres des étages, puis discerner certains toits.

Je ne pus que par désespoir faire naître une flamme au bout de mes doigts. Mais aucun des éléments que je maîtrisais pouvait me sortir d’un aussi mauvais pas.

Je sentais le vent souffler entre mes cheveux. J’étais quelques mètres en apesanteur.

Alaia : « Si tu survis à ça, tu te souviendras sûrement où est ta place, petite peste ! »

Le mage encore au sol se relevait à peine. Il savait d’instinct qu’interrompre Alaia serait fatal pour moi, et se contenta de rester spectateur.

Je sens encore cette sensation… C’est la même que le jour où j’ai éveillé ma magie…

Je m’étonnais d’être aussi lucide dans ma situation. Je n’arrivais pas à penser à ma mort, mais seulement à mes alternatives.

Selon ce qu’elle fait de moi, je vais y passer. Mais il doit bien y avoir un moyen de m’assurer qu’elle réagisse comme je l’espère, et pour ça… Je ne vois qu’une solution.

Je pris une grande inspiration.

Ellébore : « Lâche-moi !!! »

Hurlai-je en me débattant à l’aide des faibles mouvements qu’elle me permettait. Son hilarité retentit jusqu’à moi.

Alaia : « Ah ! J’adore quand vous dites ça ! Vous êtes tous des idiots, et je vais vous rendre service ! »

A huit mètres du sol, je sentis mon corps se détendre.

Homme : « Nooon ! »

Je souris en coin.

Alaia : « Ton vœu est exaucé ! Montre nous ton plus bel atterrissage, maintenant ! »

La satisfaction sur son visage retomba lentement.

J’atterris sur mes deux jambes assez violemment pour endommager la semelle de mes chaussures. Je me retrouvais accroupie, sous le regard bluffé des deux personnes présentes.

Je me relevais lentement, le bas du corps engourdi par cette réception douloureuse.

L’onde de choc qui me parcourut de la tête au pied me sonna quelques instants, mais quand mon regard croisa à nouveau le sien :

Ellébore : « Pas mal, hein ? »

Déclarai-je, les genoux tremblants, le regard terrifié.

J’avais usé de mon contrôle de la gravité pour réduire un minimum l’accélération de ma chute, et j’avais renforcé mes jambes pour qu’elles ne se brisent pas à l’atterrissage. J’avais certes mal, mais je m’en sortais totalement indemne.

-2-

Et j’usais de ces jambes renforcées pour m’enfuir en profitant de l’effet de surprise.

N’ayant aucune chance de quitter la place sans qu’elle ne m’interrompe, je fis un pari, et accourus dans la direction d’un petit magasin de spiritueux.

Il était malheureusement fermé, mais une dizaine de fûts de bois étaient empilés devant le petit trottoir, et d’un bond, je me cachais derrière eux.

Alaia : « Hein ?! Tu fais encore la maligne pour te carapater juste après ?! Tu veux vraiment que j’te crève, toi !! »

Je pleurnichais en tenant mes pauvres pieds endoloris, assise derrière les tonneaux.

Alaia : « N’espère pas t’en sortir, sale mioche ! »

Un tonneau se soulevait au-dessus de ma tête. Ce qui était plutôt bon signe.

C’est bien ce que je pensais. Elle ne peut pas prendre possession de mon corps si elle ne sait pas précisément où je suis.

Je m’imaginais déjà m’enfuir avec un fût sur la tête, mais c’était aussi embarrassant que voué à l’échec. Et puis, mes pieds dépasseraient du fût quoi qu’il arrive.

Adossée derrière les tonneaux restants, je ne pouvais plus voir celui qui venait d’être soulevé, mais je devinais qu’elle allait le jeter dans le tas.

Je captais le regard du blessé en espérant qu’il m’indique les intentions de mon adversaire.

Il me faisait simplement signe de partir. Je lui répondis par une moue.

C’est vous qui devriez partir !

Après lui avoir fait signe de déguerpir à mon tour, je lui montrais un pouce levé et un sourire forcé en espérant que ça suffirait à le persuader.

Peut-être était-ce d’avoir vu l’air terrorisé que cette dernière expérience m’avait laissé sur le visage, mais il ne partait pas.

Il finit néanmoins par se tourner vers le projectile, c’était le signal que j’espérais.

Ellébore : « Enfuyez-vous, monsieur ! Maintenant ! Je vous en prie ! »

Dégoûté d’avoir à céder à ma requête, il fit s’embraser l’aura autour de lui, et fonça plus vite qu’un humain n’en était capable. Son renforcement affectait manifestement tout son corps simultanément, mais il n’avait rien de particulièrement impressionnant.

Il partait loin dans la ruelle, tout en sachant qu’il aurait pu profiter de la concentration d’Alaia pour tenter de la surprendre. Il avait aussi deviné qu’en cas d’échec, je n’aurais probablement pas pu le sauver.

Nous ne connaissions certainement pas l’étendue des pouvoirs d’Alaia, et mes faibles connaissances en matière de psychique me portait préjudice.

De mon côté je m’éloignais aussi vite que possible des fûts qui se soulevèrent les uns après les autres.

Hein ?!

Plutôt que de contrôler chacun d’entre eux, elle les avait expédiés dans tous les sens, à mon grand étonnement.

Néanmoins, je profitais de la confusion pour tenter de fuir à mon tour.

Au bout de quelques pas, je dus reculer en plein élan pour éviter l’une des barriques. Je bondis ensuite par-dessus une autre qui roulait au sol. Je pouvais remercier la magie pour m’avoir permise de l’enjamber.

Alaia : « Allez, amuse-moi, guenon ! »

Elle semblait prendre un malin plaisir à me faire m’agiter de la sorte. Je pouvais au moins me consoler en me disant qu’elle avait totalement oublié l’autre homme.

Alors que j’avais la précieuse opportunité d’échapper à sa vue en disparaissant derrière la façade d’une maison, je réalisais le piège qu’elle me tendait.

Le premier tonneau qu’elle avait soulevé explosa en heurtant le pan de mur à quelques centimètres de moi, libérant les litres d’alcool qu’il contenait.

Si j’avais fait un pas de plus, j’étais morte. J’avais réalisé que le faux-espoir qu’elle me laissait était un moyen de s’assurer de ma trajectoire. J’avais certes pu m’arrêter à temps, mais à présent, je ne pouvais plus bouger.

Je n’étais qu’à deux pas d’être dans son angle mort, mais mon corps ne poursuivait plus mes efforts. La cruauté de son stratagème me laissait sans voix.

Alaia : « Toi et ton petit sourire satisfait de tout à l’heure, croyez-moi, vous allez regretter de vous être montrés ! »

Dans l’instant d’après, j’étais comme entraînée par mon propre corps vers le centre de la place, où je m’écrasai de tout mon long.

Une chute à cette vitesse s’avérait douloureux, même si les pavés s’étaient lentement fait avaler par la poussière et la terre.

Elle m’avait ramenée au cœur de cet espace dégagé, je n’étais qu’à quelques mètres d’elle, et je n’avais déjà plus aucune chance de lui échapper.

Deux fûts se levèrent de nouveau. J’étais encore sur mes coudes, et n’eus pas le temps de me trouver des idées claires.

À la force augmentée de mes jambes, je bondis en espérant éviter le premier tonneau, qui faucha malgré tout mes mollets. Je retombai au sol, avec de nouvelles blessures.

Déjà tentée de jeter l’éponge, mon corps ralentit.

Je ne peux rien faire contre cette femme… Je n’ai pas la moindre habilité pour le combat… Pas la moindre adresse… Pas le moindre talent.

L’autre tonneau se levait plus haut dans le ciel, espérant bénéficier de plus d’énergie cinétique que le précédent.

À la maigre force de mes bras, je me hissais une fois de plus, pour poser un pied au sol.

Mais je ne suis pas… Je ne suis pas une bonne à rien… !

Alaia : « Voilà pour toi ! »

Dans ce cri d’effort, elle fit plonger la barrique vers sa cible.

Je fis apparaître un bouclier d’énergie au bout de ma main, qui n’eut que la prétention de dévier à peine le projectile, pour me permettre de rendre possible mon esquive.

La force du coup m’avait bousculée, mais j’étais toujours debout.

J’étais plus près de mon adversaire que d’une échappatoire. La marche à suivre était limpide.

Ellébore : « Crochenwaith Summon ! »

Un bol en céramique décoré de formes pointues apparut dans ma main. Il y avait même un visage d’hérisson sur l’avant.

Qu’il est mignon !

Je ne pus guère l’admirer plus d’une seconde, et le jetai sur Alaia avec tout ce que j’avais.

Elle n’eut aucun mal à éviter, mais je pouvais au moins me satisfaire d’avoir bien visé.

Alaia : « Tu t’fous sérieusement de moi ?! »

Elle était en rogne, et le bol hérisson était brisé.

Depuis le début, je n’avais rien fait qui aurait pu susciter une telle réaction chez elle. C’était tout simplement la personne la plus colérique que je pouvais imaginer.

Mon corps s’immobilisa. Cette fois-ci, j’avais l’impression qu’une main géante et invisible me pressait fermement.

Alaia : « Sale ordure !! Sale peste !! »

Hurla t-elle en me soulevant de quelques centimètres avant de m’écraser au sol d’un coup sec, de me relever, et de me projeter encore une fois sur les pavés.

Avant même d’avoir pu réaliser, je m’envolais contre une paroi de pierre à quelques mètres de là où j’étais, et retombai à terre, couverte de sang et d’hématomes.

La douleur m’avait pétrifiée. Ce sifflement sourd dans ma tête m’indiquait que je n’avais pas perdu conscience.

Je me relevais péniblement.

Sans ma magie de renforcement, j’étais vraiment cuite…

J’avais réussi à durcir à peine mon corps pour qu’il encaisse chaque impact au bon endroit. Sans l’adrénaline du moment, j’en aurais été incapable, tout comme j’aurais été incapable de me tenir debout.

Je relevais mon visage haletant vers cette fautrice de trouble.

Alaia : « Ah, c’est ça que je voulais voir ! De l’impuissance et de la terreur ! La seule expression qui te convient vraiment ! »

Elle soulevait deux fûts au-dessus d’elle.

Alaia : « Tu peux appeler au secours si ça te chante ! J’aurais largement le temps de m’occuper de ton cas avant que qui que ce soit arrive ! »

Comment peut-elle en être aussi sûre… ? Cela ne fait que quelques minutes, mais la garde aurait déjà dû rappliquer, et ils arriveront sûrement d’un instant à l’autre… Non… ?

Mon corps s’immobilisa, mettant un terme à cette réflexion.

Alaia : « Allez, évite ça ! »

Hurla t-elle en pointant sa main vers moi.

Non… !

Homme : « Toi évite ça ! »

La concentration de la jeune femme se brisa dès qu’elle entendit la voix derrière elle.

Le mage de tout à l’heure avait lancé un tonneau de toutes ses forces, et celui-ci s’était arrêté juste sous le nez d’Alaia.

Elle avait stoppé le projectile en plein vol, in extremis. Quand elle le décala sur sa droite, la jeune femme révéla une grimace chargée de haine et de dégoût.

Alaia : « Encore toi ?!! »

Elle lui renvoya instantanément la barrique et immobilisa l’homme qui encaissa le choc de plein fouet.

Alaia : « Toi… !! Toi !! Je te jure !! Tu vas morfler !! »

Elle le soulevait de deux bons mètres avant de l’expédier au sol, comme elle le faisait avec moi il y a de cela un instant.

Elle était cette fois-ci assez furieuse pour léviter malgré elle.

Il opposait une certaine résistance, et la force avec laquelle il s’écrasait était moindre. Néanmoins, il ne survivrait pas plus d’une minute à ce rythme.

Et moi, je détournais le regard vers le chemin de fuite le plus proche, presque contre ma volonté.

Ce sera sûrement ma seule chance de fuir…

Je gâchais de précieux instants à ne pas avancer. Si je m’évadais de cette place, j’étais libre. Si je partais, il n’y aurait sûrement qu’une victime à déplorer. Si je m’entêtais à rester, il y en aurait deux. Le calcul était simple, mais le choix était cornélien.

Il aurait pourtant fallu que je me débarrasse de la peur qui m’accablait pour reconnaître qu’il n’y avait jamais eu qu’une seule décision à prendre dans ce cas-là. Et une fois que je m’en fus aperçue, je n’eus pas d’autre choix que de faire face, grimaçant de réticence.

-3-

Alaia : « Alors, ça fait quoi d’être le justicier du jour ?! Je vais t’écraser jusqu’à ce que t’y prennes goût, vieille larve ! Et ensuite, tu pourras assister à la fin humiliante de la blondinette, et tu seras aux premières loges, crois-moi ! Parce qu’elle mourra de tes mains crasseuses ! »

L’esper s’agitait de plus en plus, tout comme sa chevelure. Elle continuait de malmener le pauvre homme. Il était déjà à bout.

Homme : « Je n’en peux plus… Arrêtez… »

Supplia-t-il, faiblement.

Alaia : « C’est pas toi qui décide, pourriture ! »

Ellébore : « Ça suffit ! »

Son point faible était évident. Plus elle puisait dans ses pouvoirs, plus cela lui demandait de la concentration. Elle n’avait pas pu voir la jeune fille qui fonçait vers elle, en faisant rouler un fût au bout de ses mains.

Ellébore : « Prends ça ! »

M’exclamai-je avant de trébucher. Alaia vit le tonneau rouler lentement jusqu’à ses pieds, qui lévitaient à une dizaine de centimètres du sol. L’échec était d’autant plus terrible qu’il avait légèrement dévié.

Alaia : « … »

Elle soupira, et laissa le mage retomber au sol, couvert de son sang.

Ellébore : « Aïe aïe aïe… »

Cette vision était assez pathétique pour l’avoir provisoirement calmée.

Alaia : « Mais comment t’as fait pour survivre jusqu’à aujourd’hui, toi… ? »

Sans bouger, elle inspecta de loin la demoiselle au sol, vaincue par sa propre maladresse.

Alaia : « C’est peut-être dans l’intérêt de tout le monde que je te tue. Mais d’abord, je vais briser les jambes de ce type. »

Les cris affaiblis du citoyen ne portaient que jusqu’à mes oreilles. Je sentais que son corps allait lui aussi céder. C’était le moment.

Ellébore : « Je ne te laisserai pas faire. »

Alaia s’interrompit encore après avoir entendu ce qu’elle considérait comme un affront.

Alaia : « Arrogante petite sotte, tu la ramènes encore ?! Comme si tu savais faire plus que lancer des bols ! Et encore ! »

Je levais la tête, ainsi que mon index au bout duquel brûlait une petite flammèche.

Ellébore : « Je sais aussi faire ça ! »

Mon adversaire avait, comme je l’espérais, l’esprit vif, et son premier réflexe fut de baisser les yeux après mon annonce.

Dépassant du bouchon du tonneau se trouvait un morceau de ma robe que j’avais préalablement déchiré. Il avait déjà bien brûlé, et le feu se propageait jusque dans le contenant. À savoir des litres d’alcool.

Alaia : « Tu- »

Une explosion l’interrompit, et elle disparut dans une trombe de flammes. Le nuage de fumée qui venait de s’élever dans le ciel suivait ce coup de tonnerre en pleine ville. Aussi peu animé que fut ce quartier, la garde ne pouvait que rappliquer à présent.

Mes cheveux furent soufflés par la détonation. Je restais béate devant ma propre œuvre. Ne venais-je pas de tuer quelqu’un ? Je ne sentais pas la moindre fierté, et ma dernière réplique n’avait eu que l’utilité de la prévenir. Hélas, je ne lui avais pas laissé beaucoup de temps pour s’éloigner, ce qui pouvait signifier le pire.

Je ne discernais rien au milieu de la poussière, de la fumée, et des traînées de flammes. Je décidais de me tourner vers l’homme au sol qui n’avait pas été touché, ni par la déflagration, ni par les débris.

Ellébore : « Monsieur, vous pouvez vous lever ? »

Il ne répondait hélas plus.

Je m’approchais plus près encore, en espérant découvrir qu’il n’était qu’inconscient, mais, à mon grand effroi, mon corps entier se figea.

Celui qui venait de me sauver était dans les pommes, et cette étreinte terrifiante qui contenait mes mouvements annonçait le pire scénario possible.

Alaia : « Toi… »

Cette vocifération provenait de la fumée qui se dissipait. Décoiffée, les vêtements en lambeaux, et quelques traces de brûlures sur la peau, Alaia était encore debout.

Alaia : « Toi… ! »

Les dernières flammes furent balayées par un mystérieux champ de force qui s’étendait tout autour de l’esper. Le vent se levait autour de nous. Ce n’était pas une brise naturelle, mais l’incarnation du courroux de mon adversaire.

Alaia : « Petite peste… ! »

Son regard s’illuminait d’un violet inquiétant. Ses cheveux dansaient autour de son visage dont la grimace était plus prononcée que jamais.

Alaia : « Crois-moi, tu vas le regretter amèrement ! »

Quelque chose venait de lacérer les pavés au sol, comme une lame invisible, aiguisée à l’extrême. La coupure à travers la pierre était nette comme si ça n’avait été que du beurre.

Une autre de ces déchirures sembla agiter l’air autour de moi. Quelque chose de puissant était en train de se libérer.

Une force pressait sur mon corps avec tant de violence que j’en venais à penser que mes os allaient céder.

Sa main se levait lentement dans ma direction. Elle tendait la paume face à moi, comme ce jour-là.

Je sentais quelque chose converger au plus profond de moi. Énormément d’énergie. Elle allait l’utiliser contre moi, cette technique qui avait frappé Eilwen.

Le bout de ses doigts tremblaient. Elle semblait attendre le moment idéal.

Ellébore : « Pas… Pas ça… »

Alaia : « … »

Elle était totalement focalisée sur moi, et dans l’instant d’après…

Ellébore : « Apparais, ô Taupe-Dragon des profondeurs ! »

Une motte de terre se souleva sous les pieds de mon ennemie, à sa grande surprise. Elle s’envola quelques mètres en arrière, et dut retrouver ses esprits face à la menace imminente de la créature fictive.

Rien ne sortit de ce petit tas de terre.

Je respirais péniblement, et me tenais la gorge. J’avais évité la tragédie de très peu.

Alaia réalisa le tour de passe-passe décevant que j’avais utilisé, mais ne s’énerva pas davantage.

Elle mit la main sur sa bouche et réalisa que du sang coulait de son nez.

Alaia : « Je n’y arrive toujours pas… »

Elle essuyait d’un revers de manche l’épais liquide rouge.

Alaia : « Tant pis pour ça… »

Le vent retombait à mesure qu’elle se calmait. Tout ce qui indiquait son état de surpuissance s’évanouissait progressivement.

-4-

Mes genoux tremblaient. Je n’osais même pas fuir. Pourtant, ce laps de temps m’aurait permis de sortir de son champ de vision. Mais l’horreur que m’avait instillée cette énième entrave psychique me laissait pétrifiée.

Je décollais ensuite de quelques centimètres. Alaia soupirait.

Alaia : « Ne te fais pas d’illusion. J’ai dit que tu allais le regretter. Et crois-moi, je ne partirai pas avant que tu te maudisses d’avoir vu le jour. »

Je sentis mes deux bras se tordre. Coudes et poignets dans des directions contraires. Puis ce fut mes genoux et mes chevilles. Le mouvement était suffisamment long pour m’épouvanter avant même qu’il ne devienne douloureux. Sans forcer davantage, mes quatre membres étaient poussés bien au-delà de leur souplesse.

Ellébore : « Ah… ! »

La souffrance terrible et diffuse de cette attaque me laissait sans voix. Elle étouffait mes cris, et bloquait ma respiration.

Non, non…

Alors que je ne pouvais même plus penser, même plus réaliser que j’étais cette fois-ci dans une impasse, je sentais mes bras et mes jambes s’étendre. S’ils ne cédaient pas à la torsion qu’on leur infligeait, j’allais connaître la torture d’être écartelée. J’allais de toute façon faire l’expérience d’une douleur que les vivants ne connaissaient pas.

J’avais tenté l’impossible pour venir en aide à ces gens, au mépris de ma propre vie. Si j’avais pu y penser, je me serais peut-être indignée d’avoir agi ainsi. J’avais des proches moi aussi, que je ne pouvais protéger qu’en étant vivante.

Alaia : « Je briserai d’abord ton corps, pour que tu regrettes jusque dans ta chair de t’être opposée à moi ! »

Je n’étais pas à portée magique de pouvoir faire quoi que ce soit. Je luttais si faiblement que je n’étais même pas capable de retarder l’inévitable. Ma volonté de vivre s’amenuisait, et je n’avais plus la force de trouver une échappatoire. J’étais dans une impasse. Je ne pouvais que serrer les dents en redoutant de voir mon corps se détruire, sans jamais guérir de ces sévices.

Je consacrais mes derniers efforts pour ne pas pleurer, ne lui laissant pas cette ultime satisfaction. Je ne savais pas quel supplice allait avoir raison de moi le premier.

Pardonnez-moi…

Alaia : « Et le coup de grâce ! »

Sur ce cri, elle prit une grande inspiration, puis…

Alaia : « Heu ? »

L’air mauvais, elle fixa la main blanche sur son épaule.

Alaia : « C-c’est quoi cette horreur ?! »

Je retombais au sol, vaincue psychologiquement.

Le regard presque vide, je me rendais à peine compte qu’elle n’avait pas pu aller jusqu’au bout.

Je levais la tête faiblement en direction du cri.

Une créature, pareille à un humain, dont la peau était blême, translucide même, se tenait juste devant Alaia. Elle ne disait pas un mot, sa bouche n’était qu’une large entaille dans cette chair ectoplasmique.

Il y en avait une dizaine autour d’elles, inexpressifs. Cette matière visqueuse suintait de chacun de leurs pores.

Alaia : « D-des goules ?! »

La télékinésiste se tournait vers le son que produisait des chaussures en cuir le long des pavés.

Alaia : « C’est toi qui les as ramenés ?! »

Des flammes brûlaient ardemment, brillantes comme l’améthyste. Elles dansaient avec passion le long des bras du dernier arrivé.

???: « Tu peux te lever ? »

Cette voix !

La bienveillance dans ses mots m’avait rendu mes sens. Il se tenait à côté de moi.

Ellébore : « …S-semion… ! »

L’essence pourpre de son pouvoir s’amenuisait tandis qu’il attrapait la main que je lui tendais. Il me ramena debout contre lui, et fit face à la jeune femme.

Semion : « Allez, c’est fini Ellébore. Tu es en sécurité, maintenant. »

Il posa délicatement une de ses mains sur ma tête. Ses flammes étaient froides, mais ses paroles réchauffaient mon cœur.

Alaia : « Lâchez-moi ! »

Hurla t-elle, en produisant une nouvelle onde de choc psychique qui balaya quelques goules. D’autres continuaient de se lever. Elles naissaient du néant, se distinguant progressivement du sol où elles apparaissaient.

Alaia : « C’est répugnant ! »

Elle s’envola hors de portée de ces créatures maudites.

Semion : « Personne ne fera de mal à cette charmante demoiselle. Alors tu ferais mieux de te rendre ! »

Lui asséna Semion avec une classe que je ne lui connaissais pas.

Alaia : « Oh non ! Mais tu vas subir un châtiment bien pire que celui que je lui avais prévu! »

Semion : « Bonne chance pour ça. »

La garde locale arriva de toute part, arcs et arbalètes en main. On entendait de grands cris de ralliement. Ils étaient enfin là.

Garde : « Ne la laissez pas s’échapper, et vous aurez la prime les gars ! »

Les hommes en armure répondirent par un cri de guerre.

Gardes : « Oooooh !! »

Alaia cracha au sol de dégoût.

Alaia : « N’allez pas croire que j’en resterai là. Vous me reverrez, vous pouvez en être sûrs ! »

Enragea t-elle, avant de partir au loin, déviant les projectiles qui lui étaient destinés.

Officier de Garde : « Ne lui laissez aucun répit ! On la suit jusqu’au bout ! »

Les badauds s’amoncelaient rapidement. L’homme inconscient reçut les premiers soins au plus tôt.

Semion observait autour de lui les choses rentrer dans l’ordre. Il baissa ensuite les yeux. J’avais le visage collé contre son torse, et je sanglotais silencieusement sans pouvoir m’arrêter.

Semion : « Tu as dû avoir une de ses peurs, ma grande… Mais ne t’en fais pas, c’est fini. Tout va bien ? »

Je hochais la tête un coup, sans décoller mon visage de son gilet. Il ne pouvait rien obtenir de plus de ma part, dans l’état où j’étais.

Semion : « Il faut que nous pansions ces vilaines blessures tout de suite. Ensuite, je pourrais te payer une pâtisserie si tu veux. Je connais une auberge dans le- »

Je hochais la tête à de multiples reprises, avec plus de vivacité que la fois d’avant, ce qui le rassura.

Semion : « Ma pauvre Ellébore, j’aurais préféré te revoir dans de meilleures circonstances. »

-5-

Lucéard

Ellébore : « Et voilà d’où viennent toutes ces blessures ! Et encore, elles ont eu pratiquement deux semaines pour cicatriser. Je m’en sors pas mal, je trouve. »

Toute pimpante, elle conclut le récit de sa mésaventure. J’en restais coi.

Lucéard : « Alors, c’est à cause d’Alaia… C’est parce que tu as voulu m’aider à trouver des informations sur elle que- »

Ellébore : « Temps mort, temps mort ! »

Gesticulait-elle, pour m’empêcher de me blâmer inutilement.

Nous étions tous les deux dans la grande allée devant le palais de Lucécie, chaudement habillés pour faire face au climat matinal de cet automne mourant.

Ellébore : « Tu n’es ni responsable, ni même concerné par ce qui est arrivé. Et puis, je vais bien, maintenant. N’en parlons plus ! »

Je me résignais rapidement, comprenant que le ton de la discussion n’était pas à la culpabilité.

Lucéard : « D’accord, d’accord. »

Je profitais d’un moment de silence pour digérer tout ce récit.

Lucéard : « Quelle chance que Semion soit intervenu quand même. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’un jour il affronterait un sbire de Musmak avec une armée de goules. »

C’est le moins qu’on puisse dire.

Lucéard : « Mais ça n’explique pas pourquoi tu étais absente il y a une semaine. »

Ellébore : « Ah… Oui… Eh bien, après cette tribulation, je suis restée quelques jours chez monsieur Heraldos. »

Elle rit jaune. C’était aussi une nouvelle surprenante.

Lucéard : « Ne me dis pas que tu es devenue sa disciple, toi aussi ? »

Ellébore : « Hm non, pas vraiment. Mais j’avais un peu besoin de sa sagesse, et lui de faire du ménage et du rangement dans sa maison. »

Tu t’es faite exploitée pendant une semaine, en d’autres termes.

Après cette déduction, je considérai un autre raisonnement.

Lucéard : « Vu que je reviens moi-même d’un entraînement avec le maître, ça signifie qu’on aurait presque pu se croiser. »

Elle sourit à cette remarque.

Lucéard : « Enfin, ton histoire est claire, mais ça n’explique toujours pas ce que tu fais ici. Qu’est-ce qui te pousse à partir à Port-Vespère avec nous ? »

Ellébore : « Ah, ça. C’est tout simple, l’enquête dont je te parlais m’a poussée à aller dans ce duché. Pas spécialement à Port-Vespère, cela dit. »

Lucéard : « Ton père te laisse vraiment aller à l’autre bout du royaume ? »

Elle me fit la moue. Son père avait tenté de ne pas montrer ses réticences, mais tout comme elle, il était inquiet à l’idée que sa précieuse fille aille aussi loin. Elle n’était jamais sortie de ce duché, et allait devoir en traverser plusieurs pour atteindre celui qui se trouvait à l’extrême Sud-Est de Deyrneille.

Ellébore : Maintenant que j’y pense, j’en ai le cœur qui bat la chamade ! Ce qui m’attend là-bas est sûrement la plus grande aventure de ma vie !

La demoiselle s’embrasait à l’idée de tout ce qu’elle pouvait découvrir. Ce sentiment grisant semblait réchauffer tout son corps.

Ellébore : « Oh, mais d’ailleurs. Pourquoi tu y vas, toi ? Et pourquoi Léonce t’accompagne ? »

Lucéard : « Eh bien, je vais voir ma famille de Port-Vespère pour un mois. C’est souvent ce qu’on fait en fin d’année. Et Léonce m’accompagne parce que c’est officiellement mon garde du corps. »

Elle hochait la tête, surprise.

Ellébore : « Woah, je dois dire que je ne m’attendais pas à une raison aussi banale… »

Je me grattais la joue, en repensant à mon autre objectif.

Lucéard : « C’est là la raison pour laquelle j’y vais, mais le maître m’a aussi confié une quête à accomplir dans le cadre de mon entraînement. »

J’aperçus ensuite mon père sortir du grand hall, à quelques dizaines de mètres. Nous allions une fois de plus nous dire au revoir.

Lucéard : « Bon, on aura le temps de se raconter tout ça en détail pendant le trajet. Même si on y va en Cabalys, le trajet dure presque deux jours entiers. »

Elle avait sans doute déjà eu l’autorisation de Père de nous accompagner pour l’aller, mais l’entendre de ma bouche semblait la réjouir malgré tout.

Ellébore : Quelle chance d’être amie avec un prince !

Ellébore : « Oh, j’y pense, c’est donc ça un Cabalys ? »

S’étonna t-elle en indiquant le carrosse massif devant nous. Il était recouvert de larges tissus aux couleurs violacées.

Il fallait trois à quatre jours pour rejoindre Port-Vespère depuis Lucécie. Enfin, dans un carrosse commun. Mais ce qu’on appelait diligence cabalistique, ou Cabalys, était bien plus rapide, et permettait de faire ce trajet en seulement deux jours. Une grande route avait été aménagée pour exploiter tout le potentiel de ce véhicule qui pouvait parcourir plus de cent kilomètres en seulement deux heures.

Un tel trajet était évidemment hors de prix, et ce parce qu’il fallait aussi payer les services d’un mage spécialisé.

Car oui, le secret des Cabalys résidait bien évidemment dans son attelage. Il ne s’agissait pas d’équidés, mais de statues d’argiles à la forme chevaline. Une fois possédées par un esprit, ces montures prenaient vie, et pouvaient tracter un lourd chargement à une vitesse remarquable. On appelait ces créatures des gwips.

Inutile de dire qu’outre son aspect sinistre, ce moyen de transport était très mal vu. Plus de la moitié de la population se méfiait de la magie, a fortiori de la magie noire dont l’existence n’enchantait pratiquement personne. Et bien entendu, un tel sortilège devait se trouver dans cette catégorie. Ce moyen de transport était un prétexte de plus pour médire sur les personnes aux pouvoirs, qu’on accusait bien souvent de recourir à des forces démoniaques pour assouvir leurs desseins. En ce qui me concerne, je me fichais bien de ce qu’on pouvait en penser. C’était un gain de temps tel que je ne pouvais déjà plus m’en passer.

Un hennissement macabre fit sursauter la jeune fille. Elle regardait les inquiétantes lanternes s’agiter tout autour du carrosse.

Ellébore contemplait de près, et avec une certaine fascination, les mystérieuses Cabalys.

Puis monta à bord, et croisa le regard de Léonce.

Ellébore : « Bonjour ! Bien dormi ? »

Elle avait beau s’être levée tôt pour venir jusqu’au palais, elle semblait toujours moins bien réveillée que Léonce qui lui s’avérait être un matinal.

Léonce : « Très bien, et vous ? »

Ellébore : « Nous sommes partis pour une longue route, alors tutoyons-nous, non ? »

Léonce : « C’est bon pour moi. Content que tu proposes. »

Mon père devait hélas rester à Lucécie, dont il avait la responsabilité, mais descendrait à son tour dans quelques semaines. Ce qui signifiait que nous étions au complet.

-6-

Quand le véhicule se mit en marche, la détective s’étonna de ne pas entendre de sabots.

Ellébore : « Je ne pensais pas monter un jour dans une Cabalys. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, comment ça se fait qu’on appelle ces créatures des gwips ? Ils mériteraient un nom un peu plus effrayant ! »

Léonce abondait dans son sens. Je devais être le seul à penser que donner des noms effrayants n’était que rarement une bonne idée.

Lucéard : « C’est une contraction. Il s’agit de goules hippiques, donc de gwips. »

Maintenant que ceci était dit, cela semblait tomber sous le sens.

Ellébore : « Aah, mais bien sûr ! »

Lucéard : « En parlant de goules, comment ça se fait que Semion en invoquait ? »

Ellébore : « Je lui ai demandé parce que ça m’étonnait aussi. Eh bien, il ne veut pas renoncer à la magie de la famille de sa femme, de ce qu’il m’a dit. Et ce pour plusieurs raisons. Les goules funestes sont pareils à des morts vivants, mais ils ont leur propre corps et sont totalement dépourvus d’âme et d’identité. Il trouvait ça plus éthique que d’exploiter de pauvres défunts. »

Léonce : « Je sais pas de quoi vous parlez, et je sais même pas ce que c’est que des goules funestes, mais la logique se tient. »

Lucéard : « On parle de goules funestes par opposition à d’autres créatures qui sont aussi considérées comme des goules. Mais seules celles dont nous parlons ont pour essence d’être des zombies factices. Cela dit, j’espère qu’il ne s’en sert pas pour redynamiser la ville d’Absenoldeb… »

Je ris jaune. Au fond, s’il avait besoin de main d’œuvre, il y avait fort à parier qu’il ne s’en soit remis à ces monstres.

Ellébore : « Je crois qu’elles s’alimentent de son énergie, et disparaissent aussitôt qu’il cesse d’en utiliser, donc il n’y a pas lieu de s’inquiéter, n’est-ce-pas ? »

Léonce : « Un peu, si. »

Un soupçon de mélancolie se lisait dans les yeux de mon amie à chaque fois qu’elle se souvenait de cette après-midi à Oloriel. Je tentais de deviner la source de sa morosité.

Lucéard : « Et cette affaire alors ? Tu peux nous en parler plus en détail ? »

En tant que prince, j’avais d’innombrables moyens de faciliter son enquête, même dans un duché éloigné. Mon aide pouvait lui faire gagner un temps précieux.

Ellébore : « C’était une femme originaire du sud qui a placardé l’annonce à Lucécie. »

Le début de sa phrase en disait long, et l’atmosphère s’alourdit sensiblement.

Ellébore : « Elle venait de déménager à Oloriel, et la disparition de quelqu’un qu’elle connaissait l’intriguait beaucoup. Hélas, quand je suis arrivé chez elle, elle était déjà morte… »

Léonce et moi fûmes malgré tout surpris de l’entendre prononcer ces mots. Pourtant, cela expliquait beaucoup de choses.

Lucéard : « Est-ce que par hasard, ça n’aurait pas un rapport avec la lenteur de l’intervention de la garde locale ? »

Elle hochait la tête, étonnée de ma perspicacité.

Ellébore : « C’est ce que je me suis dit aussi. Je n’ai pas de preuve à proprement parler, mais il y a eu du remue-ménage dans Oloriel ce jour-là, et Alaia semblait penser qu’elle avait du temps devant elle. »

Cette affaire pourrait donc bel et bien avoir un rapport avec les Empereurs.

Ellébore : « Si je n’avais pas découvert le corps, il aurait pu passer inaperçu un bon moment. Quand ils t’ont attaqué pendant que tu étais dans le coma, ils avaient procédé de la même façon. C’est surtout ça qui m’a mis la puce à l’oreille. »

Je n’étais pas sûr de saisir l’intérêt de ce stratagème, mais les propos d’Alaia qu’elle m’avait rapportés semblaient indiquer Musmak et son groupe comme des suspects potentiels.

Ellébore : « Quand j’ai prévenu la garde que j’avais découvert un corps, ils m’ont tout de suite considérée comme coupable à cause de mes blessures. Heureusement, les gens du quartier où j’ai affronté Alaia ont témoigné en ma faveur, et j’ai même pu faire quelques recherches sur le lieu du crime. »

Tu en as vraiment bavé ce jour-là…

Ellébore : « Apparemment, le disparu en question était quelqu’un d’important pour elle. Je pense que c’était une admiratrice, plutôt qu’une amante. La personne qu’elle recherchait était une célébrité locale, et elle ne connaissait que son surnom. Elle a laissé pleins de notes où elle compilait les raisons qui la poussait à penser qu’il n’était pas mort. »

Lucéard : « Et tu comptes poursuivre cette piste ? Je veux dire, quoi qu’il arrive, ta cliente ne pourra pas savoir le fin mot de l’histoire… »

Ellébore : « Je sais bien… Et je n’aurai aucune prime. Mais ce n’est plus vraiment la question. »

Je croisais les bras, curieux de connaître ses motivations.

Ellébore : « Si elle a été assassinée par le groupe de Musmak, c’est probablement à cause de ce qu’elle savait. Si ça se trouve, mon intuition est fausse sur toute la ligne, mais si ce disparu peut nous mener à découvrir quelque chose sur eux, ça peut changer la donne. Imaginez qu’on puisse trouver où ils se planquent grâce à ça. »

Je me tournais vers Léonce qui montrait un air amusé.

Léonce : « Désolé, mais on sait déjà où ils se planquent. »

Ellébore fixait Léonce en silence, comme s’il venait de faire une blague. Mais après avoir croisé mon regard, elle finit par réaliser.

Ellébore : « V-vous n’êtes pas sérieux ?! »

Sa stupéfaction fut accueillie par des rires triomphaux.

Lucéard : « Il dit vrai. Enfin, j’espère… »

Ellébore : « Mais alors, qu’est-ce que tu attends Lucéard ?? Vu les faits reprochés à ce groupe, il serait même légitime d’envoyer tout de suite l’armée royale ! Tu es sûr de pouvoir en finir avec eux une bonne fois pour toute ! S’ils changent de base après ça, il sera trop tard ! »

Léonce hochait la tête en me dévisageant. Nous avions déjà eu cette discussion tous les deux, mais la façon dont Ellébore présentait les choses remettait en doute ma logique.

Lucéard : « Je sais tout ça, crois-moi. C’est vrai que ça m’arrange de ne pas user de mon statut de prince pour les combattre, parce que je considère ça comme une affaire personnelle. Mais j’ai quand même de bonnes raisons de penser qu’il faille attendre avant de tenter quoi que ce soit. »

Après cette concession, mes deux amis étaient tout ouïe.

Lucéard : « Premièrement, je ne sais pas en qui je peux avoir confiance. Tout laisse penser que Musmak, et certainement les autres empereurs, ont des relations dans la noblesse. Comme tu le sais, cela expliquerait énormément de choses. Mais il n’y a pas que ça. Je n’ai pas envie d’impliquer qui que ce soit dans cette affaire. Même les meilleurs mages de la Cour. Si on a pu obtenir la position de leur repaire, on peut aussi penser qu’ils ont assez confiance en leur capacité à exterminer les intrus. »

Léonce : « C’est un risque, c’est sûr… Mais on parle de la crème de la crème. Les combattants au service du roi n’ont aucune chance de se faire vaincre par des hors-la-loi, aussi récalcitrants soient-ils. »

Ellébore : « Je suis d’accord avec Léonce. Si on s’adresse aux bonnes personnes, ils pourront facilement s’introduire dans la base de Musmak et mettre tout son groupe hors d’état de nuire. »

J’avais bien évidemment déjà pensé à tout ça, et je comprenais qu’ils trouvent mon raisonnement étrange, néanmoins…

Lucéard : « Il y a encore autre chose… »

Le silence se fit dans la Cabalys.

Lucéard : « Je suis persuadé qu’ils sont impliqués dans l’assassinat de ma mère. Je suis persuadé qu’elle était au courant depuis bien longtemps de leurs agissements. Et jamais elle n’en a parlé à qui que ce soit. Ce n’est qu’une supposition, mais, si ma mère avait une bonne raison de garder toute cette histoire pour elle, j’ai peut-être intérêt à en faire tout autant. »

Léonce n’avait pas entendu cette explication lui non plus. Il faut dire que sur le coup, je n’avais pas su mettre de mots sur la raison qui m’avait poussé à prendre cette décision.

Ellébore : « Je vois… Ce n’est pas bête du tout… »

Nous étions tous les trois pensifs.

Ellébore : « Peut-être qu’il faudrait malgré tout agir au plus tôt. Ils ont l’air de manigancer quelque chose depuis longtemps. S’ils n’ont pas encore atteint leur objectif, rien ne dit que cela va s’éterniser. »

Si j’étais assez fort pour m’y rendre moi-même, la question ne se poserait pas… Mais je progresse si lentement… Et pendant tout ce temps où je stagne, eux continuent leurs incessantes tueries.

Léonce : « C’est quoi cette grimace ? Détends-toi un peu, Lucéard ! »

Affirma t-il, lui même à moitié avachi sur son siège, les mains derrière la tête.

Lucéard : « Tu devrais peut-être te détendre un peu moins, toi. »

Léonce : « Je suis clairement moins au courant que vous deux, mais y a quand même deux ou trois trucs qui me paraissent clairs. Voir ta famille, en apprendre davantage sur notre ennemi, et affûter tes compétences en allant je-ne-sais-où, c’est la meilleure marche à suivre. Ce n’est pas parce que c’est urgent qu’il faut se précipiter. Tu n’as pas de raison de te mettre la rate au court-bouillon alors que tu es sur la bonne voie. »

Je rêve où il vient de lire dans mes pensées ?

Il croisa les jambes pour conclure son intervention.

Ellébore acquiesçait énergiquement de la tête.

Ellébore : « Léonce a rudement raison. Et puis, c’est super excitant comme voyage ! Je n’ai encore jamais vu la mer de ma vie ! »

Léonce : « Il y a la mer là-bas ?!!! »

S’écria Léonce à notre grande surprise.

De lourds regards moqueurs s’abattaient à présent sur lui.

Léonce : « Qu’est-ce qu’y a ?! »

Le voir s’énerver nous amusa davantage.

Lucéard : « Quel genre de port est Port-Vespère à ton avis, petit génie ? »

Léonce : « Oh, c’est bon, j’avais pas fait le rapprochement, pas la peine de me prendre de haut ! »

Ellébore tentait de calmer le fils du jardinier, ne devinant pas qu’il n’était pas réellement énervé. N’osant pas le railler plus que de mesure, de peur d’être trop familière, elle décida de changer de sujet.

Ellébore : « Cette route me rappellera toujours notre premier voyage en carrosse tous les deux, Lucéard. »

À t’entendre, on dirait presque que ce souvenir n’est pas source de traumatisme.

Lucéard : « Par tous les deux, tu veux dire Dirgel, toi, et moi… ? »

Soupirai-je. Ma remarque l’avait faite rire, mais une ambiance légèrement glauque venait de s’installer.

Ellébore : « Haha… Oui… Ce Dirgel, je ne suis pas près de l’oublier non plus. Je n’ai pas rencontré beaucoup de personnes plus terrifiantes que lui dans ma courte vie. »

Je laissais tomber ma tête sur le côté, curieux.

Lucéard : « Tu veux dire que tu as rencontré plus terrifiant ? »

Alors qu’elle tentait d’accéder à sa mémoire, elle se retrouva face à un cul-de-sac.

Ellébore : « Euh… »

Voyant qu’elle n’arrivait pas à faire ressurgir une certaine réminiscence, Léonce en profita pour réagir.

Léonce : « Oh allez, vous faites pas prier, racontez-moi ! »

Lucéard : « Pour résumer, un type extrêmement patibulaire est rentré dans notre carrosse sans qu’on s’en rende compte et nous a posé des devinettes, avant de disparaître dans la nature, en nous laissant encerclés par des bandits de grand chemin. »

Léonce : « Ah ouais, rien que ça. Jamais entendu une histoire pareille. »

Ellébore : « Encore faut-il avoir l’occasion de la raconter. Si c’est arrivé à d’autres personnes, rien ne dit qu’ils s’en sont sortis aussi bien… »

Je soupirai encore. Des détails que je croyais oubliés venaient de me revenir en tête.

Lucéard : « Heureusement, on peut espérer qu’un jour les voyages se feront par téléportation. »

Léonce : « C’est possible ça ? »

Je me frottais le menton.

Lucéard : « Il y a bien certaines personnes qui maîtrisent ce type de magie, donc pourquoi pas ? »

Ellébore riait discrètement, attirant notre attention.

Ellébore : « Ça doit être pratique quand même. Plus encore que beaucoup d’autres magies. On raconte que le héros de la légende l’utilisait à tort et à travers pour toutes sortes de choses. »

Léonce souriait en coin.

Léonce : « Oui, enfin, ceux qui ont se pouvoir ont souvent des déboires avec la Justice. Il faut dire qu’ils peuvent s’introduire partout, et qu’ils ne peuvent ni être arrêtés, ni incarcérés sans contre-magie. »

Lucéard : « Je remarque d’ailleurs qu’on entend beaucoup moins parler d’affaires de ce genre depuis quelques années. Quoi qu’il en soit, ça dépend du type de magie employé. Mais si les voyages par téléportation peuvent se faire, ce sera avec des portails, je pense. »

Ellébore : « C’est typiquement une magie héréditaire, ça, non ? »

Lucéard : « Oui, et ça arrangerait pas mal de familles d’en faire tout un commerce. On pense qu’en utilisant des fibres de Thornecelia, on pourrait installer des portails durablement dans certains relais. »

Ellébore : « Si ça marchait, on pourrait faire le tour du royaume en un clin d’œil ! »

Léonce : « Pas sûr que ce soit une bonne chose, ceci dit. Les choses sont peut-être mieux ainsi, non ? Si ça existait vraiment, ça tuerait pas mal de professions, et des personnes mal intentionnées pourraient en profiter. »

Ellébore : « Tu marques un point. Surtout que ce n’est pas sans risque non plus de traverser des portails de téléportation, enfin, je pense… »

Lucéard : « Allez savoir. »

Léonce : « Au moins, quand on est pauvre, on sait d’avance qu’on ne pourra pas quitter le comté. C’est une première pour moi, d’ailleurs. »

Ellébore : « Ah, moi aussi ! Enfin, presque ! Mais sortir du duché de Lucécie, c’est une vraie première ! »

Léonce : « Hmm, en vérité, y a une fois où j’étais techniquement plus dans le duché… »

Ellébore : « C’est quand même un privilège de pouvoir aller aussi loin ! »

Léonce : « Oui, c’est sûr. Certains ne savent pas la chance qu’ils ont. »

Mes deux compagnons de route me lançaient un regard profond.

Pourquoi j’ai l’impression de passer pour le méchant d’un coup ?

Lucéard : « Vous allez passer votre première nuit dans un relais alors ! »

Ellébore : « Oh oui, j’ai hâte ! »

Léonce : « J’espère qu’on fera quand même d’autres petits arrêts ! »

Ellébore : « Ah ! Rien que de penser que l’endroit où on mangera ce midi est loin de tout ce que j’ai déjà pu voir, c’est grisant ! »

Léonce : « Tu l’as dit ! J’espère qu’on pourra un peu se balader ! »

Ellébore : « Ce serait rudement bien ! »

On dirait bien qu’une nouvelle amitié vient de naître.

J’étais plutôt satisfait de voir que ces deux-là s’entendaient bien.

Et c’est sur cette note positive que commença ce long voyage. Nous partions tous les trois vers le Sud pour une aventure que l’on pourra au moins qualifier d’inoubliable.



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