Riftan continuait à se sentir ainsi même après avoir visité Drakium pour rencontrer le roi et être retourné à Anatol. Il regardait par la fenêtre vers le jardin désolé, alors qu’il fronçait les sourcils avec une pensée sérieuse vacillant dans son esprit. Ruth, qui faisait un rapport sur l’avancement de la construction pendant que Riftan était parti en expédition, remarqua sa distraction et lui demanda prudemment.

“Est-ce que quelque chose de désagréable est arrivé à Drakium ?” Riftan, dont les pensées dérivaient, a levé la tête. Le sorcier soupira, posant une pile de parchemins sur la table. “Les nobles conservateurs ont dû recommencer à se disputer.”

Riftan n’affirma ni ne démentit la remarque affirmative de Ruth et prit un morceau de parchemin. Cependant, les mots qu’il lisait ne semblaient pas s’enfoncer dans sa conscience, rebondissant sur ses pensées. Il a massé ses tempes échauffées et s’est levé de son siège pour sortir du bureau.

Ses pensées brumeuses et sa tête brûlante se sont progressivement refroidies alors qu’il déambulait dans les couloirs froids. Il jeta un bon coup d’œil au vieux château qui lui avait été accordé dès la première année de son adoubement. Le château avait été laissé sans surveillance pendant près de cent ans. Malgré l’injection de tonnes de fonds au cours des dernières années, il était difficile de se débarrasser des ruines extrêmes. Riftan a inconsciemment comparé son état à celui du château de Croix et a souri amèrement. Il avait l’impression de faire un rêve insensé et d’être immédiatement ramené à la réalité.

Il sortit du château, fit le tour du domaine à cheval et contempla l’état négligé d’Anatol. Les fermiers souffraient de la pauvreté causée par les gobelins qui volaient fréquemment leurs récoltes. Bien qu’ils aient généreusement payé pour la construction du mur, le rendement de leurs récoltes a diminué d’année en année et leur état actuel ne s’est pas amélioré.

Combien de sang et de sueur devraient être versés pour faire de cette terre un lieu habitable ?

Ses pensées rationnelles lui criaient qu’Anatol n’était rien de plus qu’une terre monstrueuse dévoreuse d’argent. En premier lieu, elle ne lui avait été accordée par le roi Ruben que pour qu’il puisse recevoir le titre de chevalier vassal. Il n’avait aucune raison de laisser cette terre sucer sa fortune pour la sauver. Cependant, Riftan se sentait extrêmement gêné par un étrange sens du devoir depuis qu’on lui avait accordé cette terre.

Voir les visages des citoyens d’Anatol le regarder en l’air piquait sa conscience et pesait lourdement dans son cœur quand il pensait à quel point leurs vies dépendaient de ses mains. Il ne pouvait pas les laisser se débrouiller seuls, alors il a commencé à verser ses économies pour la construction de murs, mais même cela était loin d’être suffisant.

Il retourna au château avec une expression troublée en voyant les huttes délabrées, les vieilles charrettes traînées sur les chemins de terre boueux et les citoyens mal habillés. Son humeur s’est encore dégradée lorsque le château à moitié détruit est apparu. Il se demanda soudain comment Maximillian Croix réagirait si elle voyait le château de Calypse. Elle serait probablement surprise qu’il existe un endroit aussi sordide dans ce monde.

Un rire vaincu sortit de sa bouche : elle était toujours quelqu’un qu’il ne pouvait pas approcher. Il était sage de se débarrasser de ses pensées à son sujet dès que possible. Cependant, il ne pouvait pas échapper aux rêves qui semblaient le trouver chaque nuit. Il ne pouvait pas se dominer lui-même, qui se comportait comme un adolescent rêveur.

“Tu es sorti pour patrouiller sur le chantier ?”

Ruth, qui notait quelque chose sur un parchemin dans le bureau de Riftan, demanda sans lever la tête et il ne répondit tout simplement pas. Le mage se frotta le front, il avait une expression épuisée alors qu’il parlait avec un soupir.

“Comme tu l’as peut-être déjà remarqué, la construction a peu progressé. Plusieurs attaques de monstres subraciaux ont eu lieu pendant que Sir Calypse était en expédition. Plusieurs ouvriers sont morts et les réserves de bois pour la construction ont été perdues à cause des incendies. A ce rythme, nous ne serons pas en mesure d’achever la construction du mur même après une décennie.”

“Donc, en conclusion… ?”

Riftan retira sa cape et expira fortement. “Nous manquons de main d’oeuvre et de matériaux pour construire.”

“Les fonds sont déjà faibles aussi.”

Riftan secoua faiblement la tête. “Sir Calypse, c’est comme verser de l’eau dans un puits sans fond. Même le roi Ruben ne s’attend pas à ce que tu prennes soin de cette terre ! Arrête de gaspiller ta fortune dans des choses insignifiantes et abandonne Anatol.”

Riftan s’approcha du bureau sans parler et lut les comptes. Il était clair que les maigres taxes provenant des citoyens d’Anatol ne pouvaient pas couvrir les dépenses de la construction. Il se caressa le menton de ses mains rugueuses et se retourna à nouveau.

“Je vais réunir les fonds. Tu continues à superviser la construction.”

“Ce sera en vain. Tout cela n’est qu’un gaspillage de fortune !”

Riftan lui a lancé un regard froid. “C’est moi qui décide comment dépenser ma fortune. N’outrepasse pas tes limites !”

“Mais Sir Calypse est ma source de revenus, alors comment puis-je ne pas intervenir ? Nous sommes sur le point de devenir des mendiants !”

Le mage leva les mains vers le ciel et gémit amèrement. Riftan était sur le point de le gifler, mais il s’est retenu. Il n’était pas déraisonnable que Ruth se déchaîne comme ça, en fait il était très difficile de reconstruire cette terre sans piquer tout l’or de Whedon.

Fais chier, qu’est-ce je peux si faire d’autre ?

Il lut les cartes posées sur un côté de la pièce pendant un long moment puis cracha ses mots sans ménagement.

“Je vais aller gagner l’argent et l’apporter. Continue la construction.”

“Mais…”

“C’est ma terre et mon château. Je ne vais pas le jeter.” Riftan soupira froidement et ramassa la cape qu’il avait enlevée. “Il suffit d’attendre et de voir. Cet endroit apparaîtra une douzaine de fois la valeur des fonds que j’y verserai.”

“Cela te prendra au moins une centaine d’années.”

Le mage ricana de façon pessimiste. Riftan lui lança un regard noir et retourna dans sa chambre. Il n’était pas certain de savoir quand un décret royal serait à nouveau publié. Il devait financer la construction autant qu’il le pouvait d’ici là.

Dès l’aube du jour suivant, Riftan quitta Anatol avec douze hommes fidèles. Les moyens de gagner de la richesse pour les guerriers n’étaient pas nombreux. Certaines des façons d’amasser de la richesse étaient de piller des résidences privées ou de faire la guerre pour voler les biens d’autres seigneurs. Cependant, s’ils commettaient de telles atrocités, ils étaient considérés comme des ennemis de l’accord de paix des sept royaumes.

L’autre option, plus viable, était de soumettre les sous-espèces de dragons. La vente de pierres de mana, d’écailles et d’os de demi-dragons, de wyverns et de basilics leur permettrait de survivre pendant au moins un an.

Riftan s’est immédiatement lancé dans la deuxième approche. Cette option était également une excellente occasion pour ses subordonnés d’acquérir une expérience pratique. Ils ont parcouru la région occidentale de Whedon pendant plusieurs mois, soumettant des demi-dragons et même des monstres sous-raciaux pour un prix payé par d’autres seigneurs. À un moment donné, il a participé à une autre compétition d’épée près des frontières occidentales dans le but de remporter le prix.

Beaucoup de gens lui ont reproché de rabaisser son titre de chevalier, mais il s’en fichait complètement. De toute façon, il n’était qu’un chevalier prétentieux aux yeux des nobles. Dans ces conditions, à quoi bon restreindre ses actions pour ne pas les offenser ?

Riftan a balayé tout l’or du sud-ouest, effectuant toutes sortes de sales besognes que les nobles ne pouvaient pas faire pour sauver leur visage et leur prestige. Ruth était ravie des activités de Riftan.

“A ce rythme, tu seras l’homme le plus riche du sud !”

Riftan le regardait avec étonnement. Le sorcier s’assit à son bureau et ouvrit un coffre rempli de pièces d’or, trempant dans une pure extase.

“Tu as découvert une tombe de cent basilics ? Comment as-tu réussi à trouver un tel trésor ?” Le mage demanda avec des yeux pétillants et Riftan se contenta de hausser les épaules.

“Je les ai trouvés dans une ancienne ruine. J’ai eu de la chance.”

“En tout cas, l’odeur de l’or est incroyable !”

Riftan gloussa en pesant les pièces d’or une par une sur une balance. Après avoir fini de les enregistrer dans les comptes, les serviteurs ont remis l’or dans le coffre et l’ont transporté dans une chambre forte. Alors que Riftan observait attentivement, Ruth a soudainement murmuré avec étonnement.

“Était-ce le tombeau d’une ancienne reine que le Seigneur Calypse avait découvert ? A part les pièces d’or, le reste était des bijoux de femmes.”

Riftan a légèrement tressailli. Ruth a rétréci ses yeux en inspectant l’extravagante couronne ornée d’émeraudes, de rubis, de topazes et de diamants. À côté de lui se trouvait une pile de bracelets, de colliers de diamants, de bagues, de coiffes en argent et de boîtes à bijoux en or. Tous ces objets étaient des bijoux de femme. Ruth les a inspectés pendant un long moment, pesant leur valeur dans son esprit et a grommelé.

“Il est possible de vendre ces bijoux en échange d’or. Il est rare qu’une personne royale visite Anatol…”

“Je n’ai pas l’intention de le vendre. Mets-le dans le coffre avec l’or.”

Riftan a pris une prune sur le plateau posé sur la table et a déclaré paresseusement. Ruth répliqua et arqua un sourcil.

“Ils seront plus utiles si nous les échangeons en pièces. En dehors de l’énorme somme que coûte la construction des murs, as-tu la moindre idée de ce qu’il faut pour nourrir les gardes et les serviteurs ? Il est préférable de les échanger contre des devises, au cas où.”

“Nous avons assez de devises pour couvrir le coût de fonctionnement du domaine. On dit que les pierres et les métaux précieux prennent de la valeur avec le temps. Si vous êtes à ce point pressé, alors vas-y et vend-les toi-même.”

Le mage le regarda d’un air peu convaincu, mais l’ignora et baissa à nouveau la tête, se concentrant sur le comptage des pièces d’or, pensant vraisemblablement qu’il était trop encombrant de le persuader.

Riftan poussa un discret soupir de soulagement et ramassa doucement la couronne. Il en avait bien trouvé quelques-unes dans les ruines antiques, mais si le sorcier découvrait que la plupart des bijoux étaient de nouveaux achats de sa part, il aurait droit à une série de remontrances jusqu’à ce que ses tympans soient percés.

La façon dont je dépense ma propre fortune ne devrait pas avoir d’importance.

Il marmonnait intérieurement, trouvant des excuses aux critiques invisibles. Il n’arrivait pas à comprendre ce qui lui avait pris pour qu’il achète des choses aussi inutiles. Riftan fixa la couronne et la remit dans la boîte.

Quelques semaines plus tard, un message est arrivé de la maison royale. Comme la sécheresse en Dristan s’intensifiait, les hordes de bandits ont recommencé à piller à la frontière orientale. Riftan a reçu l’ordre de participer à nouveau à une guerre, moins de six mois après son départ de Croix.