Un silence glacial s’installe. Riftan a lancé un regard menaçant puis a ramassé son épée qui gisait sur le sol. Ruth, qui observait ce qui se passait, a crié en suppliant.
“C’est juste une magie conçue à partir du principe des capacités de régénération des trolls ! Elle n’a pas d’effets secondaires sur le corps humain ! A part la douleur atroce pendant le processus de guérison, il n’y a pas d’autre effet secondaire.”
Sans tenir compte de l’excuse de Ruth et de ses paroles désespérées, Riftan a poussé son épée, qui était tachée de sang de monstre, près du bord du cou du sorcier.
“Espèce de bâtard, qui es-tu, bordel ?”
“Je… je suis juste un magicien ordinaire…”
“Comment diable un magicien ordinaire peut-il connaître cette magie tabou ?”
Le sorcier transpirait abondamment, comme une bougie allumée. Riftan le poussait sans relâche contre les parois de la grotte, poursuivant son interrogatoire.
“Que diable faites-vous dans la Tour du Monde ? Expérimenter avec des monstres et créer de la magie… Si l’église découvrait une telle atrocité, elle ne resterait pas sans rien faire. Avez-vous l’intention d’être bannis ?”
“…Cela ne se terminera pas par notre bannissement. Une fois que l’église aura découvert l’existence de cette magie taboue, le pire cas qui pourrait se produire serait qu’elle recommence à persécuter les sorciers.”
Le sorcier grogna, admettant à contrecœur.
“C’est la raison pour laquelle nous la gardons strictement secrète. Seuls quelques sorciers connaissent son existence. Les quelques sélectionnés, filtrés par un processus méticuleux, apprennent la magie tabou dans le seul but de faire des recherches.”
“…Tu veux dire que tu es l’un de ces quelques sorciers ?”
Riftan l’a regardé avec méfiance, en haussant un sourcil. Le sorcier fronça les sourcils en le regardant avec colère, parlant sèchement.
“Oui, et tu as beaucoup de chance. Si je n’avais pas été là, Sir Calypse serait un homme mort. Tu as subi des blessures si mortelles que la magie ordinaire ne suffirait pas à te guérir. Pour te sauver, j’ai enfreint les règles de la Tour du Monde et utilisé de la magie tabou !”
Riftan s’est moqué de lui.
“Alors, quoi, tu t’attends à ce que je sois reconnaissant et que je te dise merci ?” ( … ça serait bien quand même… )
“Oui, tu devrais être reconnaissant ! Un simple merci est cent fois mieux que d’être menacé avec une lame contre ma gorge !”
Le mage se sentait tellement exaspéré qu’il parlait comme s’il était à court de mots.
“Qu’est-ce que j’étais censé faire ? Regarder ailleurs alors que j’ai le pouvoir de te sauver la vie ? Lorsque les gens découvriront que j’ai utilisé une magie taboue, la Tour du Monde me coupera la tête avant que les hérétiques ne puissent chasser et interroger. Et pourtant, tu me menaces comme ça !”
Riftan lui lança un regard perçant, se méfiant des intentions du mage, mais abaissa lentement son épée. Bien qu’il aspire à emmener l’homme suspect devant le jury de l’église, il est inévitable qu’il soit aussi un sujet d’enquête. Étant une personne de race mixte, le sang des païens du sud étant évident sur sa peau, l’église ne le traiterait sûrement pas bien, surtout s’il venait leur dire que son corps a été régénéré par une magie inconnue d’eux. Riftan serra les dents et laissa échapper un soupir résigné.
“Je vais laisser passer ça juste pour cette fois. Si tu oses utiliser cette magie taboue sur moi une fois de plus, je ne t’amènerai même pas à être jugé par l’église. Je t’achèverai de mes propres mains.”
“Même si tu me supplies de le faire, je ne le ferai pas ! La prochaine fois, je n’hésiterai même pas à te laisser mourir !”
“J’espère que tu le feras.”
Riftan murmura d’un ton morne et fouilla dans son sac.
“Quand il est temps pour une personne de mourir, alors elle doit mourir. Il n’y a pas besoin de faire des choses aussi inutiles pour garder quelqu’un en vie.”
Le mage était sans voix, il ne pouvait pas ouvrir la bouche pour répliquer. Riftan a sorti une tunique. Les vêtements qu’il portait avaient été détruits au milieu du combat contre le monstre et il était trop ruiné pour qu’il puisse les porter. Il enfila la seule paire de vêtements qui lui restait et alla porter une à une les armures entassées dans le coin de la grotte.
Son corps était si léger que c’en était inconfortable. Il se demanda intérieurement s’il n’y avait pas vraiment d’effets secondaires de la magie. Les yeux de Riftan suivirent avec méfiance son corps qui semblait comme neuf, et ramassa ses armes sans un mot, ne voulant pas une seconde de plus de discussion. Le mage qui l’observait, ouvrit soudainement la bouche pour parler.
“Tu n’as aucune envie de vivre ?”
Riftan lui lança un regard par-dessus son épaule. Le visage du sorcier était immobile et très sérieux.
“Si n’importe quelle autre personne fait ce que tu fais, elle serait déjà morte d’innombrables fois. Est-ce que tu fais des choses aussi imprudentes parce que tu veux mourir ?”
“Si c’est le cas, alors je n’aurais pas combattu si désespérément. Plutôt, j’ai juste…”
Riftan ne trouvait pas les mots pour terminer sa phrase et se retrouvait sans voix. Il ne voulait pas mourir. Cependant, il n’avait pas de raison de vivre. Il n’a pas connu de joie dans sa vie. Même s’il meurt, il n’aura aucun regret.
Alors pourquoi je me bats si misérablement ? Pourquoi suis-je si désespéré de gagner de l’argent et de le battre pour survivre à une vie si solitaire ?
Riftan s’est empressé d’effacer les questions douteuses qui résonnaient dans son cœur.
“Je n’ai pas le temps pour des discussions inutiles. Prépare-toi à partir.”
“On part tout de suite ?”
demanda le mage, surpris. Il ramassa précipitamment son sac. La tête de Riftan émergea de la grotte, regardant le corps mort du monstre. Des intestins rouge cramoisi tombaient sur le sol, il supposa que le sorcier avait dû lui couper l’estomac pour récupérer sa pierre de mana. Riftan poussa un lourd soupir.
“Les autres monstres sont attirés par l’odeur du sang. Nous devons partir avant qu’ils n’affluent ici.”
“Mais… c’est du gâchis de laisser ça comme ça. Je soupçonne ce monstre d’être un Drake. Si on vend ses écailles, sa peau et ses os, on va se faire une tonne d’argent !”
Les sourcils de Riftan se sont froncés à ce mot qui ne lui était pas familier.
“Drake ?”
“C’est une sous-espèce du Dragon Noir. Je ne suis pas tout à fait sûr puisque je ne les ai vus qu’en dessin, mais il est dit qu’ils font environ un quart de la taille d’un dragon complet, n’ont pas d’ailes et peuvent contrôler la lumière. Le mana que j’ai tiré de sa pierre de mana était puissant ! Ce doit être un Drake.”
Les arguments échangés il y a quelques instants semblaient s’être dissipés, le mage souriait jusqu’aux oreilles à l’idée de l’argent.
“Les sous-espèces de dragons rapportent plus d’argent que les reliques anciennes ! Maintenant que nous avons attrapé ce monstre rare, nous allons être riches !”
“C’est si nous pouvons le démonter et le ramener en ville.”
Riftan murmura avec cynisme.
“Nous n’avons aucun moyen de le faire, sans équipement ni chariot à transporter.”
“Nous devrions d’abord retourner à la ville…”
“Les harpies la dévoreront jusqu’aux os pendant ce temps.”
“Il nous restera quand même des os à vendre !”
“Pour un monstre de cette taille, tu serais surpris de voir que seules quelques parties peuvent être utilisées pour des outils magiques. Ses os sont trop denses et trop gros, les sorciers hésiteront à l’acheter car il ne sera pas facile à traiter. De plus, as-tu pensé à ce que cela nous coûterait d’amener des équipements sur cette montagne accidentée, de les démonter et de les ramener en ville ? Après avoir partagé les gains avec les personnes qui aideront à le démonter, il ne restera pas grand-chose dans nos mains.”
“M-mais quand nous avons attrapé des wyverns l’autre fois…”
“La plupart de l’argent que nous avons reçu est pour le prix des pierres de mana. L’objet le plus précieux trouvé chez les sous-espèces de dragons est leur pierre de mana.”
Le visage du sorcier, qui débordait d’attentes, est soudainement devenu bleu.
“L’énergie de la pierre de mana a déjà été épuisée en soignant Sir Calypse !”
“Alors tu as la réponse.”
Riftan a balancé son sac sur son dos sans la moindre hésitation. Il ne pensait pas que ce serait du gaspillage, car il a l’habitude de jeter tout ce qui ne ferait que l’encombrer. Cependant, le mage regardait constamment en arrière vers le monstre, comme si ses pieds ne voulaient pas qu’il parte.
“Ne pouvons-nous pas prendre quelques-unes de ses écailles ?”
“Tu vas ajouter du poids à ton chargement alors que tu as déjà du mal à suivre et à prendre soin de toi ?”
Riftan gravit la montagne sombre en silence, ouvrant la voie au mage qui se débarrassait de ses regrets. D’une certaine manière, tuer le monstre n’était pas vain. Il semblait que tous les monstres affamés qui se cachaient dans la montagne s’étaient précipités à l’odeur du sang du Drake, leur permettant de traverser le Mont Ramek en toute sécurité.
Après cet incident, tout s’est passé en douceur. Ils sont arrivés sains et saufs aux ruines, Riftan a pu trouver des reliques de valeur qui ont été vendues à un bon prix dans une ville voisine. Cependant, le magicien ne semblait pas très satisfait de son habituel gros salaire.
Riftan a remarqué que le sorcier s’inquiète qu’il puisse moucharder sur sa pratique de la magie taboue. Cependant, il n’avait pas l’intention d’apaiser ses angoisses. Riftan accrocha sa bourse à sa taille et parla froidement, ne perdant pas une seule émotion.
“Tu as promis de ne pas me suivre dans mes missions pour le moment, tiens ta promesse.”
Le mage le fixa, les yeux pleins de choses à dire. Riftan monta immédiatement les escaliers, faisant semblant de ne pas le remarquer.
***
Comme il l’avait espéré, il a pu s’éloigner du sorcier pendant quelques mois, mais ce n’était pas aussi agréable qu’il le pensait. Riftan entra dans la taverne bruyante, s’ébouriffant les cheveux avec colère. Il s’était empêtré avec un homme plusieurs fois plus ennuyeux que le sorcier. Il aperçut Samon qui agitait joyeusement la main dans sa direction, ce qui lui fit perdre son humeur.
“Hé, tu es déjà de retour ? J’ai été occupé à essayer de satisfaire mes clients.”
Samon était en train de flirter avec deux femmes dont les seins n’étaient qu’à moitié couverts, elles étaient assises à ses côtés. Riftan, qui lui lançait un regard méprisant, était assis le plus loin possible de lui. Ignorant le mépris flagrant de Riftan, Samon s’est approché de lui en titubant, passant un bras sur son épaule.
“Hé, Calypse. Tu vas toujours être aussi froid ?”
“Va te faire voir.”
“Tu es ennuyeux.”
Samon a grogné d’agacement, en plaçant un verre de bière devant lui.
“Ne sois pas comme ça, essaie de devenir plus ouvert. J’ai un client, et il souhaite te recruter pour une armée. Pourquoi ne pas t’y joindre et saisir cette opportunité ? D’après ce que j’ai entendu, c’est un noble ambitieux de la région nord-est de Livadon.”
“Si tu veux les rejoindre, alors fais-le toi-même.”
Samon a soupiré et a fait claquer sa langue.
“Qui n’en a pas envie ? Mais tu vois, ils n’accepteront rien sans ton adhésion.”
“…ce n’est plus mon affaire.”
Riftan balaya inexorablement la main de Samon de son épaule et ordonna à un employé de lui servir un repas. À ce moment-là, l’une des femmes qui flirtait avec Samon a serpenté sa main sur son avant-bras.
“Hmm, es-tu vraiment un si grand homme ? Ton visage est parfait pour un acteur de théâtre…”
“Ne te laisse pas berner. C’est un monstre qui peut tuer huit wyverns tour seul. ”
“Pas possible. Tu dois mentir.”
La femme a gloussé et a éclaté de rire avec les autres. Ses seins dodus se balançaient sur ses avant-bras. Riftan sentit son appétit s’envoler et se pencha loin de la femme. Cependant, la femme ne semblait pas avoir honte et le fixait d’un air séducteur, glissant discrètement sa main sur sa cuisse. Riftan se leva d’un bond.
“Apportez le repas dans ma chambre quand il est prêt.”
Il a lancé une pièce au caissier et s’est tourné pour partir mais la femme a tiré l’ourlet de sa robe.
“Pourquoi ? Reste un peu plus longtemps. Je vais te nourrir moi-même.”
Elle a battu ses cils épais.
“…Ou devrais-je monter avec vous ? Je peux te faire plaisir.”
“…Je n’en ai pas besoin.”
Il a implacablement secoué la main de la femme et s’est dirigé vers les escaliers. Samon riait bruyamment derrière lui.
“Ce n’est pas un vrai homme, c’est un enfant innocent. Ne fais pas attention à lui et viens me voir. Je vais vous faire plaisir à toutes les deux.”
Riftan regarda par-dessus son épaule, Samon frottait son visage contre les seins voluptueux des femmes. Le bruit des gloussements et des rires frivoles résonnait dans le bar. Une émotion indifférente se lisait dans son regard alors qu’il montait les escaliers en titubant. Il a senti une paire d’yeux le suivre et la sensation n’a pas disparu.
Il en a marre. Depuis qu’il a quatorze ans, il est poursuivi et entouré de femmes qui essaient de se glisser dans son lit, et il est angoissé dès que quelqu’un le touche.
Riftan a fermé la porte derrière lui, se frottant l’avant-bras avec sa main, essayant d’effacer la sensation du toucher de la femme. Le bruit rugissant de la taverne pénètre les minces planchers de bois.