Livre 4, Chapitre 25 – L’arbre Charnel
La douleur agonisante des piqûres d’insectes s’atténuait progressivement.
Depuis le début c’étaient les fleurs. Ces magnifiques fleurs en forme de trompette étaient une autre des mesures défensives du mausolée. Quelque chose dans son parfum avait envahi leurs esprits et produit des visions – des visions terribles et réalistes. Les quatre novices de Claudia étaient actuellement inconscients. Butcher, Gabriel, Barb et Autumn étaient trempés d’une sueur froide. Même Cloudhawk et le vieil homme avaient échappé de justesse à la folie.
Quel assaut psychique ! L’intensité de celui-ci montrait le danger qu’ils couraient en étant ici.
Cloudhawk regarda rapidement Azura qui s’agrippait à son côté. Elle était effrayée et pâle mais indemne. Elle avait reconnu les insectes avant lui. La petite fille continuait à l’impressionner.
« Tu vas bien ? » demanda-t-il nerveusement.
Azura tordait ses petites mains, cherchant l’endroit où un insecte avait commencé à la grignoter. Aucune marque ne pouvait être vue, cependant, alors elle se mordit la lèvre inférieure et hocha la tête en signe d’assurance. Elle ne voulait pas qu’il s’inquiète.
Le visage du vieil homme était aussi dur que la pierre. « Que s’est-il passé ? »
Cloudhawk regarda autour de lui les pétales de la Fleur de Tempête de Claudia qui flottaient encore dans l’air. Des pétales en ruine tapissaient le sol, un fait qui lui faisait plaisir. « Les fleurs dégagent un parfum qui affaiblit nos volontés et nos psychés. Elle induisait un effondrement mental qui plongeait ses victimes dans le coma. Si on l’avait laissé agir plus longtemps, on serait tous devenus des légumes sans cervelle. »
Après quelques instants, les jeunes chasseurs de démons commencèrent à revenir à eux.
Rei se réveilla en sursaut et commença immédiatement à se frapper le corps. Ses yeux étaient larges et sauvages dans son visage pâle alors qu’elle criait d’une voix tremblante, « Des insectes ! B-burk ! Tant d’insectes ! »
Sa constitution n’était pas aussi forte que celle des autres, elle n’avait donc pas encore complètement récupéré. Ce brouillard de peur dévorant était toujours présent dans son esprit comme un cauchemar dont elle ne pouvait pas se réveiller.
Belinda avait l’air mal en point, mais elle réussit à forcer un faible sourire. Elle fit de son mieux pour paraître nonchalante. « C’était un tour assez convaincant. Hmph . Ça m’a donné un avant-goût de ce qu’est la mort, mais un tel stratagème n’est pas suffisant pour m’abattre. »
Crain et Tigron furent les derniers à se réveiller. La rencontre les avait pris au dépourvu, et ils n’avaient aucun moyen de se protéger. Heureusement, cependant, leur torture était brève. La force mentale d’un chasseur de démons était bien plus forte que celle d’une personne normale, et avec le temps, ils récupéraient sans problème.
Cloudhawk jeta un coup d’œil à Autumn. « Hé , tu es censé être l’un des leaders locaux, non ? Manifestement, tu n’avais aucune idée de ce qui se passait puisque tu as failli te faire avoir. Ça n’a pas beaucoup de sens pour moi. »
« Je ne suis pas un leader de mon peuple, pas entièrement. Seuls les vrais anciens connaissent cet endroit », répliqua-t-elle. Mais quelque chose lui semblait étrange, alors elle continua à voix basse : « Je ne suis jamais entrée dans le mausolée, mais tous les deux ans, notre peuple vient ici pour faire des sacrifices au Berger. Ceci… n’est jamais arrivé auparavant. Ça doit être un piège tendu par l’aîné. »
« Il y a beaucoup de choses inattendues dans cette vallée. » Cloudhawk fit une pause, absorbé par ses pensées. Ils étaient déjà là, et même si l’aîné les avait préparés, ils devaient quand même aller de l’avant. Il jeta un autre regard autour de la chambre sacrificielle. « Je ne vois pas de sortie. Comment sommes-nous censés entrer dans le mausolée ? »
Autumn se dirigea vers l’un des autels sacrificiels. En pressant ses mains l’une contre l’autre et en marmonnant quelques mots, elle se coupa le poignet. Du sang chaud et frais coula sur la racine et la pierre. Il fut rapidement avalé, et les racines que son sang toucha se mirent à briller d’une étrange écriture rouge. Les lignes cramoisies tracèrent un chemin vers l’avant, et chaque vigne qu’elles traversaient s’animait. Se tordant comme des serpents, elles se glissèrent sur le côté pour révéler une grande mais étrange et délicate porte de pierre.
Les autres observaient avec étonnement. Aucune personne ordinaire ne pouvait ouvrir le chemin du mausolée d’un dieu.
Cloudhawk avait l’impression que ses capacités de téléportation étaient également inutiles. Une sorte d’énergie puissante planait sur l’ensemble de ce lieu. Seul celui qui avait le sang des chefs de la tribu ou une relique sacrée pouvait révéler le chemin.
La porte de pierre s’ouvrit lentement. Un vent étouffant, lourd de mystère et de pressentiment, remplit la pièce.
Elle bascula en arrière pour révéler un passage profond et large. Comme partout ailleurs, ses murs étaient bordés de vignes rampantes et de fruits rougeoyants. Une faible lumière éclairait le chemin qui se poursuivait au cœur de l’arbre, comme un chemin vers un autre royaume.
Alors que la porte se révélait à elle, le joli visage d’Autumn rayonnait de dévotion. Ses mains étaient jointes devant sa poitrine. Elle s’agenouilla et se prosterna trois fois devant l’autel en murmurant des prières.
« Grand Berger, pardonne-moi d’avoir troublé ton repos éternel. »
Cloudhawk s’impatienta. « Allons-y. Ne perdons pas de temps. On a des choses à faire. »
Oddball s’élança dans le tunnel nouvellement ouvert, laissant une traînée de lumière dorée. Il revint un moment plus tard après s’être assuré que la voie était libre. Tout le monde commença à entrer.
Chaque pas qu’ils faisaient dans l’arbre augmentait le sentiment de mystère et de particularité. Ils ne pouvaient se défaire de la sensation que quelque chose les observait. Et c’était plus que possible – c’était le lieu de sépulture de l’ancien patron divin de la vallée. Toutes sortes de secrets étaient probablement enterrés ici.
Pour couronner le tout, le petit groupe sentit une vague de malaise les traverser – quelque chose de pas naturel. Ils étaient nerveux et en alerte.
Quand ils atteignirent la fin, Autumn mit la flûte du berger à ses lèvres et souffla. Comme avant, les lianes glissèrent pour permettre le passage dans une chambre au-delà.
C’était l’antichambre de la tombe, un espace deux fois plus grand que la salle des sacrifices d’où ils venaient. Ce qui attira immédiatement l’attention de tous fut l’arbre situé au centre de la pièce.
C’était une chose étrange à bien des égards. Tout d’abord, le fait qu’il soit là était étrange. De plus, il ne ressemblait à aucun des arbres qu’ils avaient vus auparavant. Une douzaine de boîtes rectangulaires ressemblant à des cercueils étaient nichées dans ses branches et avaient commencé à pousser dans l’écorce elle-même. C’était une sorte de cimetière macabre.
Le pressentiment planait sur Cloudhawk comme une couverture humide. « Comment s’appelle cet arbre ? »
Autumn faisait face à l’arbre noir, les mains croisées avec dévotion. Elle parla à voix basse et avec révérence, « C’est l’arbre Charnel. Il garde et surveille les anciens du passé. Lorsqu’ils meurent, nos anciens sont enterrés ici, à l’intérieur de l’Arbre Charnel, afin qu’ils puissent passer l’éternité à protéger le mausolée. »
Son explication laissa les autres sans voix. Quel genre de coutume bizarre était-ce ?
Autumn ne fit pas attention à leurs regards étranges. Elle ferma les yeux et commença à prier.
Cloudhawk était devenu de plus en plus intolérant mais il était obligé de réprimer ses plaintes. Il savait que tous les anciens de la Vallée n’étaient pas comme celui qui se cachait ici. Le peu qu’il savait était que le chef des anciens était choisi par vote populaire, alors que les autres anciens étaient déterminés par la lignée de sang. Les corps dans cet arbre pétrifié étaient les ancêtres d’Autumn.
Si ses ancêtres voulaient faire sentir leur pouvoir, il ne voulait surtout pas les contrarier.
La longue prière d’Autumn se termina. Elle ouvrit les yeux et regarda l’arbre avec une expression contradictoire sur son joli visage. Son soupir remua l’air stagnant. « Continuons. »
Ils entrèrent, avec l’intention de contourner l’arbre pour atteindre la sortie au-delà. Mais alors qu’ils s’approchaient, Gabriel murmura une observation troublante : « Les cercueils bougent. »
A leur grande surprise, il ne plaisantait pas. Tout le monde se figea sur place. Au même moment, Cloudhawk ressentit une faible résonance provenant de l’arbre. Il vit l’arbre entier se mettre à trembler, et le son de cris fantomatiques s’en éleva. La peur les saisit. Et puis – crash !
L’un après l’autre, des cercueils en bois bercés dans les branches de l’arbre tombèrent sur le sol. Chacun d’entre eux frappa le sol verticalement comme des pierres tombales en bois.
Des vibrations continuaient à chatouiller les sens de Cloudhawk, mais il ne savait toujours pas quel étrange pouvoir cet artefact invoquait. Il se tourna vers Autumn, cherchant une réponse, mais elle secoua la tête et se contenta de regarder la scène avec effroi. Elle n’avait aucune idée de ce qui se passait. Tout ce qu’elle savait de l’Arbre Charnel était qu’il était là pour protéger le Vale. Pourquoi réagissait-il de cette façon ?
« Fils de pute, les morts reviennent à la vie ?! On aurait dû savoir que rien de bon ne viendrait de rôder autour d’une tombe. Préparez-vous à vous battre ! »
Pour ponctuer ses paroles, le cercueil le plus proche d’eux éclata. Ce qui sortit de l’intérieur ressemblait à un humain mais mesurait près de deux mètres. Il ne portait aucun vêtement, et sa peau ancienne était principalement remplacée par de l’écorce nouée. Ses traits étaient indiscernables.
« Une sorte de… mutant ? Non, ce n’est pas ça. »
L’énergie de la relique se dégageait de l’humanoïde noueux par vagues. Aucun signe de conscience n’était évident, mais sentant la présence d’un intrus, il prenait vie comme une sorte de chien de garde grotesque. Des gargouillis grondaient dans sa gorge et il avançait en titubant.
Autumn était figée sur place. La scène qui se déroulait devant elle était impensable, une scène qui ne figurerait pas dans ses rêves les plus sombres. Pâle comme un linge, elle regardait ses ancêtres prendre vie comme des marionnettes sous les ordres de l’arbre.
P-pourquoi… ? C’était censé être un lieu de repos honorable !
Belinda ne perdit pas de temps en paroles. Elle invoqua un orbe de feu dans ses mains et le lança au visage de la créature la plus proche. Ils étaient lents au début mais prirent de la vitesse lorsque leurs vieilles articulations se rappelèrent comment bouger. Alors que la lumière de la boule de feu de Belinda illuminait son visage, la chair de l’épaule gauche du défenseur éclata avec un splurt ! Des lianes se glissèrent à l’intérieur et s’entrelacèrent pour créer un bouclier. La boule de feu le frappa et se consuma inoffensivement.
Cloudhawk se renfrogna devant ce qu’il voyait. « Gabby, occupe-toi de cette chose. »
À cet ordre, Gabriel se redressa et leva les bras. Des fils aussi fins que de la soie d’araignée s’emmêlèrent autour de ses doigts. Pourtant, quand la bête le vit arriver, sa main droite cracha des lianes tranchantes comme des couteaux.
Gabriel était un combattant compétent. Il esquiva les lianes perforantes et plaça ses mains sur les bras de la créature.
Il se retira, emportant les deux bras de la bête avec lui.
Ils s’agitaient sur le sol, même sans corps pour les commander, comme des poissons hors de l’eau. Quant au monstre lui-même, de longues racines partaient des membres coupés pour les remplacer.
Gabriel ne fit pas de quartier. Ses fils infiniment pointus s’enroulèrent autour de leur cible et se resserrèrent. Le corps du monstre, pourtant dur comme de l’acier, était taillé en morceaux comme s’il était fait de pâte de haricot.
Avait-il fini ? La question était dans tous les esprits alors qu’ils fixaient le tas d’écorce et de chair.
Confirmant leurs doutes, les morceaux de la bête continuaient à bouger. Des racines et des lianes sortaient de chaque morceau et s’enroulaient les unes autour des autres pour rassembler les morceaux. Il ne fallut que quelques secondes pour qu’il se relève du sol. De plus, il s’était transformé d’une manière grotesque et terrible. Il mesurait facilement trois à quatre mètres de haut, avec des bras de quatre à cinq mètres de long. De fines racines reliaient ses moitiés supérieure et inférieure comme le tronc d’un arbre horrible. La tête, les bras et le corps étaient secoués de façon irrégulière, de manière inquiétante et non naturelle.
Il continua à se rassembler. Encore quelques instants et tous les efforts de Gabriel seraient réduits à néant. Une sombre constatation les frappa tous en même temps – cette chose ne pouvait pas être tuée ! Pire encore, d’autres cercueils commençaient à s’ouvrir. Des mains noueuses poussaient les couvercles en bois, et d’autres profanes entraient dans la chambre, des créatures qui avaient été des hommes et des femmes mais qui étaient maintenant des horreurs indescriptibles.
Cloudhawk regardait, les yeux écarquillés, et à mesure qu’il le faisait, un sentiment écœurant de familiarité traversait son cerveau, accompagné d’un seul mot.
Séraphins !