Fuku No Ikari
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Les rayons du soleil réchauffent mon épaule et sous ce temps magnifique, mes lourdes paupières s’ouvrent lentement.

Quelle heure est-il ?

Je tends mon bras, j’entends un craquement au niveau de mon coude, mais je réussis tout

de même à attraper mon réveil.

Quatorze heures

Je bondis hors de mon lit et attrape les premiers vêtements que j’aperçois en criant.

— Maman, je suis en retard ! Tu peux me préparer un onigiri, s’il te plait ?

Je dérape avec mes chaussettes pour atteindre la salle de bain au plus vite et me brosse les dents.

— Pou’ruoi a-je dmi si longtemps ?

— Ne parle pas la bouche pleine de dentifrice, Fuku, me dit ma mère en me déposant mes sandwichs au coin du lavabo.

Je vérifie le cadran de ma montre et m’écrie.

— Je m’en vais, maman ! J’emprunte le vélo !

— Oui, me répète-t-elle inlassablement en me faisant des signes de la main pour me dire au revoir.

J’attrape mon seul espoir d’arriver à l’heure et commence à pédaler. Je traverse le quartier en donnant tous les efforts à ma disposition. À cet instant je me remémore les mots de Kotone.

On peut se rejoindre à quinze heures à la gare ?

Je me retrouve tout en haut d’une longue côte, j’inhale l’air et pose mon regard contre l’horizon pendant de courte seconde. Je constate la descente effrayante face à moi. Je serre mon guidon entre mes mains moites, reprends ma course et de toute mon âme, m’écrie.

— Je ne serais jamais à l’heure !

Essoufflé, je m’écroule devant le train qui lui a déjà fermé ses portes. Mon corps transpire de toute part, mes cheveux mouillés sont plaqués contre mon front. Ma rage grandit, je mords mes lèvres, jette un coup d’œil sur mon téléphone et remarque un message de Keshi que je n’ai pas osé lire.

Je remonte sur mon vélo et emprunte la route, parallèle au rail qui me mènera, sans doute, à Keshi. Mes jambes suent, elles s’alourdissent au fil du nombre de kilomètres parcourus.

J’ai déjà tout foiré avec Ai, j’ai réduit à néant l’amitié qui la reliait à Keshi alors c’est maintenant que je dois me faire pardonner.

Je traverse les parcs, les temples, les cafés et les musées et arrive finalement dans la ville de Kagoshima. Je roule doucement et reste à l’affût de la moindre pancarte qui pourrait me mener à la grande salle dont parlait ma camarade, la veille, au téléphone. Les quartiers sont impressionnants, bien plus que ceux dans lesquels j’habite. Les bâtiments sont immenses, je peux compter des centaines d’arbres rosâtres sur chacune des routes que j’emprunte. La ville est bien plus peuplée que la petite campagne de mon lycée, les parcs et les enseignes sont gigantesques.

Ma gorge sèche me fait m’arrêter à une supérette que j’ai repérée. J’attrape un lait à la fraise et jette un coup d’œil à ma montre.

Seize heures.

J’avale ma salive et sens la défaite effleurer mes poils. Au moment de payer, j’écoute une conversation des clients derrière moi.

— Vite, on va louper le passage de Victoria !

— J’ai tellement envie d’entendre son jeu de flûte.

Je me retourne et leur demande en me grattant l’arrière du crâne.

— Vous vous rendez à la salle pour intégrer l’école de musique ?

— Évidemment, nous devons féliciter Victoria pour sa victoire !

— C’est déjà terminé ?

— Ça a commencé depuis une heure, il doit rester un ou deux participants, je pense.

— Où se trouve cette salle, s’il vous plaît ?

— Dans la ruelle à côté de cette supérette.

Croyant encore en ce minime espoir de vivre sa prestation, je me dirige à vive allure vers la sortie et entends la caissière s’écrier.

— Et votre lait à la fraise, monsieur !

Les secondes me sont comptées, je décide de ne pas me retourner et après être à l’extérieur j’accélère le rythme de ma course. J’aperçois une structure avec des portes grandioses, je les ouvre et constate, au fond de cette salle, une scène. Je m’assieds sur un siège à proximité et découvre, lorsque le rideau se lève, Keshi Kotone. Au milieu du plateau, je remarque son arme avec laquelle elle transmet des émotions à n’importe quel public. La jeune harpiste effectue une démarche resplendissante. Chacun de ses pas est une note à part entière. Sa longue robe noire flotte derrière elle, les froufrous lui donnent un côté très enfantin.

Si Apollon était une femme, ce serait sans doute Keshi.

Dans ce merveilleux silence, Keshi s’installe sur son fauteuil et passe ses phalanges entre quelques cordes. La musique s’intensifie, s’accélère puis s’arrête abandonnant les derniers sons résonner dans la salle.

C’était une sorte d’introduction ?

De la main gauche, elle tire sur quelques fibres. Elle fixe les longues attaches et laisse un court temps de souplesse puis de ses autres doigts, elle joue la mélodie. Les notes apparaissent instantanément en harmonie et un frisson parcourt mon corps lourd et épuisé.

C’est comme si elle tissait, de son propre gré, les fils rouges du destin.

Keshi regorge de passion. Le regard qu’elle porte à sa harpe, je ne l’ai jamais vu. J’ai longtemps pensé que cette fille était une incapable, qu’elle était une moins que rien, dans le seul but de me rassurer. Elle m’a harcelé et rabaissé tout le long de l’école primaire. Donc comment c’est possible qu’avec tant de remords elle puisse avoir un rêve ?

Malgré tout, sa musique me fait voyager.

Je reste paralysé par sa prestation. Chacune des cellules de mon être a dansé au rythme de la mélodie. Sa technique est d’une douceur sans pareil.

Si son physique est une lune, alors sa personnalité et son jeu sont le soleil.

Le rideau se referme aussi délicatement que sa démarche finale. Je décide de sortir et de l’attendre sur un banc, face aux portes. J’inhale l’air et souffle, je détends mes épaules, regarde le sol et me questionne.

A-t-on réellement des remords, même dix ans plus tard ?

Je serre les poings puis les relâche aussitôt avant de chuchoter.

— Je n’en sais rien, mais cette histoire me monte beaucoup trop à la tête.

Je m’adosse au banc et contemple les quelques nuages restants dans le ciel. Je sens une odeur fruitée me traverser les narines. Les murmures que j’entends dans mon cou interrompent cette sensation d’envoûtement.

— Tu es venu, finalement ?

Je regarde ma camarade et avale ma salive avant de baisser les yeux au sol.

C’est ça, l’intimidation ?

La jeune harpiste s’assied à côté de moi et balance ses pieds d’avant en arrière en effleurant l’herbe.

— Oui.

Elle dresse un sourire et laisse sa tête s’écrouler contre mon épaule.

— Merci, Fuku.

Je caresse ses longs cheveux noirs et lui réponds.

— Je suis navré. Je me suis réveillé en retard et j’ai loupé le train. J’ai emprunté le vélo à ma mère et j’ai pédalé jusqu’ici.

Le demi-cercle que forment ses lèvres s’intensifie. Elle agrippe ma chemise et garde le silence que je décide d’interrompre.

— Tu as un niveau incroyable avec ta harpe.

— Ça t’a plu ?

— Évidemment, je ne t’ai jamais vraiment écouté en jouer. Ça m’a surpris que tu sois si forte.

— Dans ce cas, un bout de mon rêve s’est réalisé, ricane-t-elle.

Sous un crépuscule écarlate, la jeune fille se relève et s’approche de mon visage. Son expression est unique, car j’en suis certain, je ne verrais pas deux fois ces yeux aussi pétillants. Le feu d’artifice éclate dans son iris. Son parfum me plonge sur un nuage de douceur. Sa longue robe blanche et sa chevelure noire ne signifient qu’une chose : le mariage parfait entre deux étoiles contraires.

Encore une fois, ses lèvres sont à cinq centimètres.

Sa tête se dépose contre mon épaule et elle me chuchote d’une voix emplie de bonheur.

— C’est grâce à toi si j’ai réussi à tenir le coup jusqu’à aujourd’hui. C’est de ta faute si j’ai cette détermination en moi. Et surtout, tu es la cause de mes sourires.

Bobom.



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