Fuku No Ikari
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Chapitre 19 – Rage
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Mon téléphone s’écrase au sol. Mes mains tremblent, je ne peux faire le moindre mouvement, même un simple clignement des yeux semble être une épreuve insurmontable.

— Sayuri-kun ?

La voix de Tsubaki est faible, je n’arrive plus à penser pendant plusieurs longues minutes. Lorsque mon cerveau se réactive, je reprends l’appel et m’écroule dans mon lit.

— Je suis là.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu m’as fait peur !

Pourquoi s’inquiète-t-elle pour moi ?

— Ma mère a demandé que j’aille l’aider, j’ai dû aller la voir dans la cuisine.

— Oh d’accord.

— Je vais aller me coucher, je suis fatigué.

— Bonne nuit. Et merci d’avoir regardé la publicité dans laquelle je jouais.

— Oui, à plus.

Je lâche mon téléphone, attrape mon oreiller et étouffe mon cri de haine, de jalousie et de désespoir. Je contemple la pleine lune rosâtre à travers la vitre et sens une cascade qui coule contre mes joues.

Le fil rouge du destin nous lie-t-il réellement ?

Pendant nos congés du weekend, j’erre dans ma chambre à analyser, sur mon mobile, la publicité de Tsubaki. Malgré le nombre de visionnages, je remarque que seul leur amour transcende cette diffusion.

Je ne sais pas d’où sort ce type, mais son unique présence a ruiné mon plan, mes ambitions et tout ce que je souhaitais.

Plus aucune émotion ne m’anime, je reste stoïque et deviens presque fainéant, car mes envies se détachent peu à peu de ma personne. J’ai travaillé mon stratagème pendant plusieurs semaines sans relâche, mais j’ai omis un point. Le fait qu’elle tombe amoureuse de quelqu’un d’autre que moi, je n’y ai jamais réfléchi. Quand j’étais à l’école primaire, j’ai toujours pensé que les mots comme « avenir » et « futur » étaient à notre portée.

Ma poitrine est douloureuse.

J’attrape mon cahier caché dans un recoin de mon tiroir et le fixe du regard.

— Sans toi, sans cette haine qui m’a construit toutes ces années, aurais-je pu avoir une vie différente ? Aurais-je vécu les mêmes choses ? Aurais-je rencontré les personnes que je connais actuellement ?

Ce livre est un condensé de malveillance, une quintessence de douleur, mais il incarne aussi ma mélancolie. J’inhale l’air puis soupire avec agacement avant de hurler.

— ça m’énerve.

Je déchire le cahier en deux, le laisse tomber au sol et le piétine des dizaines puis des centaines de fois. Toute ma rage se déverse en un instant.

Pourquoi suis-je si idiot ?

Je m’écroule sur mon lit de nouveau et jette un coup d’œil au cadran de ma montre.

[03 : 30]

J’enfile une paire de chaussures, un jogging et me dirige à l’extérieur. Je m’échauffe rapidement et commence à courir à travers les ruelles de la ville. La lune, toujours rosâtre, est éblouissante. Mais le ciel, lui, gâche sa beauté. Je tente de me vider l’esprit en évaporant les calories que j’ai pu prendre ces derniers temps. Je n’ai pu me remettre sérieusement au sport depuis mon entrée au lycée et je ne compte plus le nombre de sucreries que j’ai avalé. Sur mon chemin, je croise le parc dans lequel j’ai discuté avec Keshi et l’averse s’est alors réveillée. Je me souviens de la balançoire, de ses mots, et des moments qu’on a vécu ensemble. Je continue ma course et laisse couler les gouttelettes sur mon visage.

Je crie de rage en accélérant mon rythme, car tout ce que je souhaite c’est d’oublier ma haine et mes idioties. Je traverse les rues commerçantes vides de mon quartier et me remémore leur motivation. Je passe ici tous les jours. Et pourtant, ai-je prêté la moindre attention à ces personnes ?

Je serre les poings et amplifie de nouveau mes enjambées, cette fois-ci, face à moi se présente le café où j’ai vécu mon premier rencard. Je m’arrête et me dévisage dans la vitrine. J’essuie avec mes doigts la sueur apparente sur mon front puis pose ma main contre le mur. J’écrase mon regard au sol et mordille mes lèvres.

Keshi Kotone.

Je frappe le bâtiment face à moi d’un coup sec et ne sens qu’à peine l’éraflure sur mon index. D’une expression déchainée, je reprends ma course. Je ne pense pas avoir déjà autant sprinté même pendant mes cours avec Ryoota. Mes jambes s’alourdissent petit à petit et chacun de mes pas devient une épreuve. Mon corps s’immobilise lorsque mon regard croise mon établissement, le lycée Shōyō. La gravité me soumet à sa force et je contemple le feuillage du sakura sous lequel je me suis écroulé.

Cet arbre est magnifique.

C’est ici que tout a démarré, ma vengeance, mes rencontres et ma propre évolution.

Mais ai-je des regrets ?

Je réponds à mes pensées puis essuie le ruisseau sur mes joues blanchâtres.

— Bien sûr que j’en ai !

J’arrache l’herbe et la jette quelques dizaines de centimètres plus loin. Je place ma paume contre ma poitrine et ferme lentement les paupières.

Si seulement tu n’avais pas réagi comme ça, Tsubaki, serions-nous heureux ?

Si j’avais été plus robuste, Tsubaki, serions-nous heureux ?

Si tu n’avais jamais été l’ami de Tsubaki, Keshi, aurais-je eu des sentiments pour toi ?

Si tu ne m’avais jamais harcelé, Keshi, aurais-je eu des sentiments pour toi ?

Et si notre passé n’avait aucun lien, qu’aurais-je ressenti ?

Mon esprit ne cesse de retourner dans l’ancien temps, de retrouver la réalité puis d’y replonger et de revenir. Dans un gouffre, aucune échelle n’existe pourtant. Alors pourquoi ne puis-je pas vivre dans le présent ?

Je bâille, puis m’étire et entends mon téléphone vibrer.

Bobom.

— Allô, Sayuri-kun ?

— Kotone-chan, tu as un souci ?

— Pas du tout, je ne te réveille pas ?

Je vérifie les aiguilles de ma montre et lui réponds en riant nerveusement.

— Non, j’étais déjà levé, ne t’inquiète pas.

— Tu es matinal, toi, ricane-t-elle.

— Pourquoi m’appelles-tu ?

— Aujourd’hui, je passe une sorte de test pour intégrer une école de musique, je voulais savoir si tu souhaitais m’accompagner.

— Oui ! Avec plaisir. À quelle heure est-ce ?

— Tu as une voix fatiguée, toi, rit-elle aux éclats. On peut se rejoindre vers quinze heures à la gare ?

— Arrête de te moquer, je n’ai pas bien dormi.

— Si tu le dis, glousse-t-elle.

Je m’étire, craque mes phalanges puis lui réponds avec appréhension.

— J’accepte la proposition, mademoiselle.

— Alors à tout à l’heure !

Je devrais peut-être rentrer, moi.

Je me relève et sens une boule dans mon estomac. Cette impression-là, je l’ai déjà vécue quelque part, n’est-ce pas ?

Bobom.



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