Fuku No Ikari
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Chapitre 17 – Porte-bonheur
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J’erre dans le couloir à la recherche de l’une de mes deux camarades. Mon regard oscille entre le sol et les murs. Dans cette obscurité, j’entends une douce mélodie.

Ma lueur d’espoir renaît.

Mes pas s’intensifient à mesure que le son augmente.

— C’est derrière cette porte, j’en suis certain.

Je l’ouvre silencieusement et jette un œil. Je contemple la musicienne qui joue d’une finesse m’extasie. Sous ses longs cheveux sombres, sous sa mine morose se cache une étudiante douée et pétillante. Au moment où elle termine son morceau, j’entends une voix dans mon dos me souffler.

— Reste pas planter, là. Fonce, Sayuri-kun !

L’homme, auteur de cette élocution, me projette dans la pièce où se trouve Keshi d’un coup de pied.

— Aïe !

Ma camarade se retourne et me présente une expression attristée.

— Sayuri-kun ?

— Pardonne-moi d’être entré si brusquement. J’ai vraiment aimé ton jeu de harpe et n’ai pas pu résister à l’idée d’en voir davantage.

— Tu n’as pas à t’excuser, prononce-t-elle en essuyant les gouttelettes sous ses paupières.

— Je peux ?

— Oui, fait comme chez toi.

Je m’assieds à côté d’elle et soupire.

— Ça te tracasse tout ça ?

— Évidemment. Tsubaki est ma meilleure amie. C’est même la seule, déclare-t-elle en riant nerveusement.

— Je vois. Tu sais, le lien que tu entretiens avec Tsubaki, je ne l’ai jamais connu.

— Tu préfères être un solitaire ?

— Pas vraiment, mais bon.

Je n’avais pas spécialement le choix.

— C’est triste à entendre, ça.

— Oui. C’est pour ça que ce que je vais dire est à prendre avec des pincettes.

— Je t’écoute, s’écrie-t-elle en me fixant avec ses yeux globuleux.

Je me remémore les mots de Tanaka, soupire puis médite.

Aider ses camarades est la base d’une amitié, n’est-ce pas ?

— Je ne peux pas l’affirmer, mais j’imagine que le lien qui vous unit toi et Tsubaki doit être très fort. Vous ne vous êtes pas quittés depuis l’école primaire. Tu t’en rends compte ? Ça fait dix ans que tu côtoies cette personne tous les jours. Alors ce n’est pas un simple malentendu qui peut briser tout ça !

— Tu n’as peut-être pas tort. Mais ce « simple malentendu » comme tu l’appelles est que la partie visible de l’iceberg.

— Comment ça ?

— Je t’en avais déjà parlé. Tsubaki a un passé que je ne souhaite à personne. Quand nous étions à l’école primaire, elle venait régulièrement à la maison. Là-bas, nous pouvions jouer aux cartes sans nous faire embêter. On se racontait des blagues et on discutait pendant des heures, me dit-elle d’un ton nostalgique.

Elle agite sa tête, serre ses poings puis continue.

— Un jour, alors qu’elle me rendait visite chez moi. Elle m’a demandé « Tu as déjà eu mal à la poitrine ? » Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait me dire, mais c’est devenu clair quelque temps plus tard. Ai était éprise d’un garçon. Je ne l’ai pas vraiment côtoyé, mais elle me disait régulièrement du bien de lui. J’imagine que le premier amour d’Ai était quelqu’un d’incroyable. Du moins, c’est ce que je pensais.

Elle se mordille les lèvres et frappe le banc d’un coup sec.

— Ce gamin l’a abandonné du jour au lendemain. Il ne se présentait plus à l’école et quand on demandait à notre professeur, elle nous racontait mille mensonges. Depuis, on ne l’a plus jamais revu. Ai a tellement souhaité l’oublier, qu’elle ne sait même plus son nom. Elle m’a également dit qu’elle n’arrivait pas à sortir sa silhouette, son visage, sa coiffure de sa mémoire.

— C’est touchant cette histoire.

— Je me suis énormément rapproché d’Ai grâce à cette tragédie pour tenter de lui faire retrouver son sourire qui m’a tant aidée. J’ai toujours eu cette impression de suffoquer, mais lorsque j’ai aperçu son expression joviale j’ai pu ressentir de l’oxygène entrer en moi, comme si, par sa présence, je pouvais m’envoler.

— Et maintenant, arrives-tu à respirer ?

Elle tire sur l’une des cordes de sa harpe et me répond avec douceur.

— Je me sens bien trop seule pour réussir à inspirer le moindre air.

J’avale ma salive, puis je lui propose avec appréhension.

— Je veux t’aider à reconquérir le lien que tu as perdu.

— Je ne peux que m’en remettre à notre assistant du BDE, me dit-elle en laissant sa tête tomber contre mon épaule.

Bobom.

— On devrait retourner en cours, Keshi.

— Oui !

Je m’assieds à mon bureau et contemple à travers la vitre les quelques nuages. Du coin de l’œil je remarque Takagi Ayame qui entre dans la pièce.

J’ai l’impression qu’elle a tiré un trait sur toute cette histoire. Ce n’est pas plus mal d’un côté, ça me libère d’un problème.

L’après-midi est interminable, je ne fais que fixer le cadran de ma montre et compte chaque seconde qui s’écoule. Lorsque je balaie le regard à travers la classe, je remarque Tanaka et mon esprit me remémore ses paroles.

Alors comme ça mon cœur bat forcément pour l’une de ses deux filles ?

J’ai trop longtemps délaissé mes sentiments. Ce n’est même pas ça, je n’en ai jamais prêté la moindre attention. J’ai toujours pensé que c’était des futilités qui ralentiraient mon plan.

Sérieux, l’amour c’est compliqué.

— Tu n’aurais pas une gomme, Sayuri-kun ?

Je n’y comprends rien.

— Sayuri-kun ?

Mais ai-je envie de le découvrir ?

— Sayuri-kun, hurle Tsubaki dans mon oreille.

Par réflexes, j’enfonce mes doigts pour protéger mes tympans. Je remarque autour de moi que l’ensemble des élèves sont devenus spectateurs de notre scène.

— Une gomme, me demande-t-elle en soupirant.

— Tiens.

— Bien, reprenons le cours.

Merci, Katsuro-sama, de ne pas rajouter ton grain de sel sur cette perturbation qui m’a mis mal à l’aise.

Lorsque la sonnerie retentit, je sors de la pièce et erre de nouveau dans les couloirs. Je trouve un coin silencieux et décide de m’accouder au balcon. Les bourrasques rafraichissent mon visage et apaisent mes pensées. J’attrape mon sac et fouille dans mes affaires pour dénicher mon porte-bonheur.

La voilà, cette fameuse photo de classe. Le fait de me revoir si laid, c’en est déprimant. D’ailleurs, Tsubaki et Keshi n’ont vraiment pas changé de tronche. La jeune harpiste n’a pas tort. Moi-même, je ne me souviens pas des noms de chacune de ses personnes. J’imagine que j’ai dû me faire tabasser et jeter dans la fontaine avant la prise. Ça expliquerait mes blessures au visage et mes vêtements trempés.

— Sayuri-kun !

Surpris, je lâche mon porte-bonheur et le regarde s’envoler au gré du vent.

Elle a dû atterrir dans un buisson, j’irais la récupérer tout à l’heure.

— Tsubaki-chan ?

— Oui, je te cherchais partout !

— Tu n’es pas encore rentré chez toi ?

— Je ne pouvais pas, je devais te rendre ta gomme !

J’ai fait tomber l’objet le plus précieux de ma vie pour une simple gomme ?

Je soupire et lui dis avant de rire nerveusement.

— Tu n’étais pas obligée, ça aurait pu attendre demain !

— Je ne voulais pas garder quelque chose qui t’appartienne !

— Merci en tout cas, je vais devoir y aller. Je dois me presser pour récupérer quelque chose.

— Je viens t’aider !

— Rentre chez toi, plutôt. La nuit va bientôt arriver.

— J’insiste, me répond-elle avec entrain en attrapant mes poignets.

Bobom.

Dans la cour du lycée, je laisse Tsubaki triturer les parterres de fleurs pendant que je fouille les buissons.

Elle ne devrait pas tomber dessus.

— D’ailleurs Sayuri-kun, que cherche-t-on ?

— Mon porte-bonheur.

— C’est ça, me demande-t-elle en levant la main.

Je me retourne le front plein de sueur.

— C’est une simple bille que tu as trouvée.

— Et à quoi ressemble-t-il ce fameux porte-bonheur ?

— C’est une photo.

— De ta chérie, me questionne-t-elle en riant anxieusement.

— On peut dire ça. Oui.

— Ah. Tu n’as peut-être pas tort finalement. Je vais rentrer, la nuit tombe de plus en plus tôt en ce moment, s’exclame-t-elle en prenant les jambes à son cou.

Où est-elle ? Où est cette photo ? Où est mon porte-bonheur ?

La panique accélère mes mouvements, je cherche dans toute la cour et vois petit à petit plus une once de lumière autour de moi.

— Je ne l’ai pas trouvé.

Je soupire et m’écroule sur le goudron sec et glacial.

Je crois qu’elle s’est envolée plus loin que je l’imaginais.



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