Fuku No Ikari
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Chapitre 16 – Amitié
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Quel jour sommes-nous ? Combien de semaines ai-je passées à ne vivre que par haine ?

Je m’ébouriffe les cheveux et soupire.

— Je n’ai plus du tout la notion du temps.

Autour de moi, les cerisiers me paraissent ternes. Le ciel est un océan nuageux. La mélodie des oiseaux et le bruit de la rivière m’angoissent.

Un paysage sans couleur est vraiment fade.

J’entre dans l’établissement et remarque Tsubaki, seule enfilant sa paire de chaussures. Un frisson perturbe mes pas. Je tente de m’approcher avec une expression neutre, mais la mélancolie l’emporte. Je soupire, ouvre mon casier et reste stoïque face à la trentaine de lettres qui s’étalent sur mon visage. Certaines s’échouent au sol. Je reprends ma route en écrasant ces futilités sous mon pied.

L’amour est une période de notre existence que je trouve négligeable.

En escaladant les escaliers, j’aperçois Keshi, les bras croisés tenant un tas de feuilles. Son expression maussade me frappe en plein cœur. Elle ne cherche pas à m’aborder. Elle trace son chemin, le regard abattu contre le sol. Sa démarche digne d’une scène dramatique me paralyse.

J’ai brisé leur amitié.

— Sayuri-kun !

Je me retourne avec nonchalance, les bras ballants, je suis devenu les restes d’un zombie.

— Tanaka ?

Mon camarade me dissèque du regard et s’approche de plus en plus.

— Keshi Kotone ?

Il se gratte rapidement le menton et continue.

— Tsubaki Ai ?

L’étudiant me pointe du doigt et s’écrie.

— J’en étais certain ! Ça ne peut venir que d’elles. Tu te mords les lèvres dès que je prononce ces deux noms !

— Arrête de me dévisager au lieu de raconter des idioties.

— Tu peux me parler de tes problèmes, je suis là pour ça.

— Comment ça ?

Il me porte un coup d’épaule, dresse un large sourire qui me laisse admirer ses dents d’un blanc pur et me répond.

— C’est à ça que servent les copains. Je serais toujours présent pour toi, tu peux me raconter tous tes soucis ! L’amitié c’est quelque chose que je ne prends pas à la légère. Alors si tu as le moindre doute tu cries par la fenêtre.

Tanaka ouvre la vitre, fabrique une caisse de résonance à l’aide de ses paumes et s’écrie.

— Vient à moi Tanaka, mon héros !

Il se retourne, tente une pose que l’on peut voir que dans les manga et termine.

— Et à cet instant précis, je volerais à ton secours.

— Tu es vraiment bête.

— Sans doute, mais tu me raconteras tout ça pendant la pause déjeuner. Là, on est en retard, s’écrie-t-il en attrapant ma main.

L’amitié, à quoi ça peut bien ressembler, finalement ?

Pendant nos cours, Katsuro-sama, mon ancien professeur particulier, remarque ma mine morose. Comme j’ai pu l’imaginer, il ne m’a pas loupé. S’il incarne un réel génie en apprentissage alors moi je représente son souffre-douleur. Tout au long de nos heures, il me désignait pour aller au tableau, pour lire les différents textes et pour réagir à ses questions. Et comme d’habitude, les filles de ma classe restent obnubilées rien qu’au son de ma voix ou lorsque j’attrape une craie ou que je réponds sans faute.

À la sonnerie, le clin d’œil qu’émet Tanaka me fait lâcher un soupir de désespoir. Mon regard vagabonde sur les quelques nuages à travers la vitre. Mon camarade tapote mon épaule et me murmure.

— Ne te défile pas, Sayuri-kun.

— Je te rejoins dans une minute.

Mon passé ne m’a jamais permis de connaitre le fameux lien dont transpirent la plupart des étudiants de cette classe. Ils s’amusent, rient, se font des blagues, discutent de leur sentiment, de ce qui les perturbe ou de ce qu’ils aiment.

Je monte les escaliers à la vitesse d’un escargot asséché et me questionne.

Est-ce que je mérite de goûter au bienfait de l’amitié ?

— Te voilà enfin ! Assieds-toi, me propose-t-il avec gentillesse.

Je m’exécute et m’étire avant de contempler l’horizon. De mon point de vue, je constate que la hauteur des éoliennes est incroyable. Je remarque que le paysage est d’une beauté sans fin, malgré ça je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi ma vision est devenue si sombre.

— Tu connais ça, Sayuri-kun, me demande-t-il en déposant un écouteur dans mon oreille.

— Aïe, ne l’enfonce pas si fort, imbécile !

— À ne pas sortir de son contexte, s’écrie-t-il avant de rire aux éclats.

Je soupire et me détends grâce à la douce mélodie qu’il m’a proposée.

— J’aime bien !

— J’ai réussi à obtenir une place pour leur concert l’année dernière, c’était génial !

— Tu as dû adorer.

— Oui. Bref, j’ai faim, moi. Bon appétit, s’exclame-t-il en priant.

— De même.

J’attrape mes baguettes et prends une bouchée dans mon bento. Étrangement, ma nourriture manquait de quelque chose. J’essaie de mâcher pour capturer toutes les saveurs, mais malgré mes efforts, mon regard est aussi vide que le goût de mon repas.

— Je me suis pété la peau du ventre, soupire-t-il.

— Pourquoi voulais-tu qu’on se rejoigne sur le toit, d’ailleurs ?

Il lève les yeux au ciel et se rapproche avec appréhension avant de me retourner une question.

— Que s’est-il passé avec Kotone et Tsubaki-chan ? Tu n’avais aucun lien avec elles ?

— Keshi et moi, on se voyait de temps en temps à l’extérieur du lycée.

— Et tu ne connais pas la raison pour laquelle elles ne se calculent plus.

— Parce que Keshi lui a menti.

— Ça, c’est étrange.

— Je n’en sais pas vraiment plus.

— Et pourquoi ça t’affecte au point que tu ressembles à un légume du magasin du coin que personne ne veut acheter ?

Je soupire, frotte mon visage avec mes mains et reste silencieux.

— Ne te défile pas ! Qu’est-ce que tu ressens juste ici, me demande-t-il en posant sa paume contre ma poitrine.

Bobom

Bobom.

— Ton cœur bat forcément pour l’une de ses deux filles, sinon tu ne serais pas dans un état pareil !

— Alors c’est cette sensation-là que j’ai ressentie à l’école primaire ?

— Je ne sais pas trop de quoi tu parles, mais je préfère te voir avec ce visage-là ! Tu es amoureux, Sayuri-kun !

Tanaka attrape mes épaules et agite mon corps comme s’il cuisinait une omelette.

— Par contre je ne connais pas la personne pour qui tu as des sentiments, c’est à toi de le découvrir !

Je suis complètement perdu.

— Je vais y aller, je dois aller vérifier ça de mes propres yeux !

— Et avec cette détermination-là, tu pourrais conquérir le monde, ricane-t-il.

J’attrape la poignée de la porte, mais Tanaka me coupe dans mon élan en s’écriant.

— Tu vois Sayuri-kun, c’est à ça que ressemble l’amitié.

Je ferme derrière moi et m’écroule sur une marche d’escalier.

Qu’est-ce que j’ai foutu ?

Je serre mon poing et tape la rampe d’un coup sec.

Sérieux, qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?

Misérable, je me mets à chantonner pour tenter de me sentir mieux.

— Hé, je ne suis pas humain, vraiment je suis désolé. Mais je suis conçu pour y ressembler alors on se trompe souvent.

Désespéré, je me tire les cheveux et essaie de raviver la flamme de ma propre âme.

Réveille-toi Fuku Sayuri, réveille-toi, bon sang !

Je me relève, me tiens au barreau de l’escalier et commence à descendre en ressentant au fond de moi, les nombreux regrets qui me grignotent le cœur.

— Merci d’avoir ouvert mes yeux, Tanaka-kun.

C’est donc ça l’amitié que j’ai brisée.

J’ai merdé complet.



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