Livre 3, Chapitre 114 – Un désastre sans précédent
Cloudhawk était gardé à Skyden par des Templiers. Même le surveillant de la prison n’avait pas la permission de le voir.
La sentence du Temple avait été prononcée. Ce qui avait été fait ne pouvait être défait, et aucune autorité ne pouvait annuler sa sentence. Le général Polaris pouvait débouler par la porte, cela ne ferait aucune différence. Le destin de Cloudhawk était scellé : exécution, tout ça parce qu’il avait été trop pressé.
Le conseil de direction de Skycloud allait creuser toutes les questions qu’il se posait. Les antécédents de Cloudhawk dans les terres incultes seraient révélés, tout comme ses liens avec Dark Atom et son association avec les démons. Ils le cuisineraient pour obtenir des réponses, mais pourquoi confirmerait-il tout ça ? Il était déjà prêt pour le bûcher, et s’il partageait toute la vérité, tout ce qu’il ferait serait d’entraîner le Général et les autres dans sa chute.
La façon dont les Templiers l’interrogeraient n’avait aucune importance. Il mourrait avant de répondre à leurs questions.
Quel tourment n’avait-il pas enduré au cours des années ? Il était presque curieux de voir comment la torture des Templiers se comparait à celle de la Vallée des enfers. Quand ils finirent par le faire, il fut franchement un peu surpris. Soit ils ne connaissaient pas sa personnalité têtue, soit il bénéficiait d’un traitement spécial parce que la torture n’avait rien de spécial. Ils ne faisaient appel à aucune méthode terrible ou technique spéciale pour essayer de le faire parler.
Comment pouvaient-ils s’attendre à ce que cet effort médiocre le brise ?
Après tous les coups qu’il avait reçus pour en arriver là, sa peau était aussi dure que des clous. Leurs coups étaient aussi doux que la caresse d’un amoureux. Les Templiers n’avaient rien pu apprendre d’utile.
Pendant ce temps, il s’efforçait de profiter de ses derniers jours.
Il ne se contentait pas de traîner, et si son corps ne pouvait plus bouger, son esprit restait agile. Il passa de longues heures à réfléchir, notamment à tout ce qu’il avait vécu depuis son arrivée à Skycloud.
Beaucoup de choses s’étaient passées, et ses expériences étaient nombreuses, mais il avait toujours l’impression que quelque chose lui manquait. Bien qu’il ait gagné beaucoup, il avait perdu tout autant. En y réfléchissant longtemps, il s’était rendu compte de la situation. Ce qu’il avait perdu, c’était ses idéaux et sa foi.
Il se sentait à la dérive, allant où le vent le menait. Un cadavre ambulant sans esprit. Une marionnette guindée. Bien sûr, il avait toujours parlé de vivre une bonne vie, mais même lui ne savait pas ce que cela signifiait. Il ne pouvait pas dire ce qu’il représentait ou comment vivre sa vie. Il était perdu, ignorant comme s’il trébuchait toujours dans un brouillard.
Au fond de lui, quelque chose qui l’avait maintenu debout avait disparu. Il était rempli d’un sentiment d’insignifiance.
C’était des douleurs de croissance ! Mais, il n’aurait pas à souffrir longtemps.
La date de son exécution approchait rapidement, mais il n’avait pas peur. Au contraire, il ressentait une sorte de soulagement à l’idée que tout cela allait se terminer. Cela ne veut pas dire qu’il ne craignait pas la mort, mais que la vie qu’il menait l’effrayait davantage.
« Cloudhawk ! Va-t’en. »
Des templiers l’escortèrent hors de sa prison.
Les interrogatoires avaient été interrompus car ils ne valaient plus la peine d’être menés. Il valait mieux, pensaient-ils, l’exécuter rapidement avant que le Général ne revienne et ne brouille les pistes. Il n’y avait pas grand chose qu’il puisse faire s’il revenait à un tas de cendres.
Phain Mist menait personnellement la procession. Il était ensuite flanqué de Templiers qui avaient les mains toujours prêtes sur la poignée de leurs épées. Il restait pieds et poings liés par de lourdes chaînes tandis qu’ils le faisaient défiler dans l’artère principale de la ville. Sa destination était le centre ville où le pieu attendait.
Le crépuscule avait transformé le ciel en une myriade de couleurs. Des foules s’étaient rassemblées le long de la route pour regarder – de toute évidence, la nouvelle de son exécution s’était répandue. Les citoyens de ce quartier et d’ailleurs s’étaient tous rassemblés pour témoigner.
Ils étaient serrés comme un troupeau d’animaux, s’étendant aussi loin qu’il pouvait voir. C’était comme si la ville entière s’était déplacée pour voir ce méchant mériter son juste châtiment.
« Pécheur ! Amoureux des démons ! Brûle en enfer ! » Un citoyen d’âge moyen aux cheveux sauvages et aux yeux rouges gonflés poussa à l’avant de la foule. Il jeta une pierre vers la tête de Cloudhawk. « Ma femme était dans ce marché avec notre fille pour acheter des vêtements. Maintenant, ils ont disparu – à cause de toi ! Ma petite fille n’avait que cinq ans. Rends-les-moi, espèce d’animal ! Rends-les-moi ! »
Les Templiers réussirent à tenir à distance l’homme en deuil, mais sa pierre fit mouche.
La colère monta parmi les autres en entendant les mots du pauvre homme. Ils se baissèrent tous pour ramasser des pierres, des œufs, ou tout ce qu’ils portaient et les lancèrent avec les plus vilaines malédictions qu’ils pouvaient conjurer.
Phain ne fit aucun effort pour les arrêter. Les Templiers continuaient, le visage impassible.
Cela faisait partie de sa punition.
Des milliers de personnes avaient été blessées ou tuées par les actions de Cloudhawk. Le ressentiment s’était envenimé comme une blessure de colère, et quelqu’un devait en prendre la responsabilité. Quelqu’un devait être mis en avant pour être le point de mire de la douleur du peuple. Malheureusement, il avait été choisi pour être ce quelqu’un. Pendant des décennies, les gens maudiraient son nom et cracheraient quand on le mentionnerait.
Cloudhawk ne craignait aucune balle, aucune grêle de lame ou de flèche. Ces pierres et ces œufs ne lui feraient pas de mal, mais l’humiliation le blessait plus profondément que n’importe quelle épée. Les insultes étaient un fléau pire que n’importe quel poison. Les mots le blessaient plus profondément que n’importe quelle arme.
Il regarda les visages furieux et tordus. La lumière crue du crépuscule projetait sur eux des ombres qui les rendaient encore plus monstrueux.
Il fit face à leurs malédictions en silence. Il encaissa leur grêle d’ordures sans chercher à se protéger.
Il avait beaucoup souffert. Il était habitué aux parties les plus viles de la nature humaine et connaissait l’hystérie. Il ne savait pas s’il était engourdi ou si, face à sa mortalité, il ne s’en souciait plus. Quelle que soit la raison, il ne répondit pas à leur fureur.
« Ça suffit ! »
Un cri perça le vacarme de la foule.
Aurore se fraya un chemin, les cheveux en bataille, et brandit son épée sur les gens comme un animal sauvage. Elle agita son épée pour les tenir à distance. « Imbéciles ! Idiots ! Savez-vous ce que vous êtes en train de faire ? ! Avez-vous la moindre idée ? ! Je tuerai quiconque fera un pas de plus ! »
« Aurore Polaris ! »
Phain réagit, plus vite que la plupart des gens ne pouvaient suivre. En un seul mouvement, son épée templière en or fut dégainée. Fendant l’air, elle laissa une traînée de lumière étincelante dans son sillage. Un seul coup désarma la femme instable. Comme si c’était le moment, deux templiers apparurent de chaque côté d’elle et la maintinrent contre le sol.
« Vous ne pensez pas que cette affaire est assez sérieuse ? » Phain remit sa rapière dans son fourreau. « Pars ! Réfléchis à tes péchés ! »
« Réfléchir ? Tu veux que je réfléchisse ? Quels péchés ai-je commis ? Essayer de rendre justice dans un monde où il n’y en a pas ? C’est pour cela que vous voulez que j’expie ? » Elle leva son visage baigné de larmes et fixa d’un air de défi le Grand Prieur en exercice. « Maître, instruisez-moi. Est-ce ce que nous représentons ? ! »
« Tu n’es plus une guerrière du Temple ! » Phain la regarda de haut, les sourcils froncés. « Emmenez-la ! »
Il jeta un coup d’œil aux Templiers qui la tenaient, et ils traînèrent Aurore au loin. Elle n’avait été libérée de sa captivité que récemment, et ses blessures n’avaient pas encore guéri, pas assez pour se défendre. Tout ce qu’elle pouvait faire était de crier le nom de Cloudhawk avec désespoir alors qu’ils la tiraient hors de vue.
Son seul et unique ami ! Était-ce tout ce qu’elle pouvait faire ? Assister, impuissante, à sa mise à mort ?
Les lèvres de Cloudhawk se transformèrent en un froncement de sourcils, et il poussa un petit soupir. Pour une raison quelconque, il pensait à l’argent qu’il devait encore à Aurore. Heureusement, Gabriel est toujours là, pensa-t-il. Il espérait que le gars ferait ce qu’il avait promis avec les gains qu’ils percevraient pour avoir aidé Autumn.
Beaucoup assistèrent à l’échange dramatique, y compris un maître et un apprenti qui surplombaient la foule à proximité.
Frost de Winter était vêtu d’une simple robe blanche comme la neige. Il regarda en silence Aurore être emportée et Cloudhawk subir les pierres et les malédictions du peuple sur le chemin de son exécution. Finalement, il ne put se retenir. « Maître, je ne comprends toujours pas cet homme, Cloudhawk. »
L’aîné à la robe grise à ses côtés lui offrit un doux sourire. « C’est un enfant intéressant. Il a plus de potentiel que quiconque ne le sait, mais n’a jamais trouvé de direction. Cependant, il est difficile pour les jeunes d’éviter une période d’égarement. À travers la souffrance, la disgrâce, les joies et les peines, les séparations et les retrouvailles… à travers tout cela, ils renaissent et ressortent changés. Une épée ne brille qu’après avoir rencontré la meule. »
Les mots d’Arcturus prirent Frost par surprise. C’était la première fois qu’il entendait son maître considérer quelqu’un de si haut.
« Mais maintenant, il va mourir. »
Le vieil homme à l’allure de sage ne répondit pas. Au lieu de cela, il regarda l’horizon comme s’il admirait les cieux couverts de nuages. « Quel enfant têtu et stupide. On ne peut rien y faire, mais au moins, tu avais de la valeur. »
En effet, Cloudhawk était destiné au feu.
Phain jeta un coup d’œil au jeune homme qui avait souffert de la marche vers la mort en silence. Il ressentit également une pointe de tristesse.
Avant l’excommunication d’Aurore, Phain avait été son instructeur d’épée. Cette fille obstinée et orgueilleuse… il savait qu’elle le battrait un jour. Plus d’une fois, elle lui avait parlé de ce jeune homme, la seule personne pour laquelle elle avait toujours eu un mot gentil. Si elle était prête à lui faire un compliment, alors il ne devait pas être ordinaire.
Bien sûr, Phain voyait l’injustice, mais certaines choses étaient difficiles à expliquer. S’il y avait une raison à tout, pourquoi ne pas la dire ? S’il y avait quelque chose à blâmer pour tout cela, alors c’était l’obstination du garçon. Une honte… s’il n’était pas destiné à être exécuté, alors il aurait pu bien grandir. Mais maintenant, il n’avait aucune chance de savoir ce que l’avenir lui réservait.
« Exécutez la sentence ! » Phain donna l’ordre d’une voix froide et impartiale.
Mais avant que l’ordre ne puisse être suivi, une scène à laquelle personne ne s’attendait se produisit. Un cri perçant remplit l’air.
Au-dessus de nous, un dirigeable chuta soudainement sur le côté et commença à s’écraser. Les gens regardèrent avec horreur le dirigeable tomber du ciel comme un missile, en plein dans la foule des spectateurs. Des cris de peur et de douleur furent suivis d’une explosion. La coque du vaisseau se déchira, envoyant des débris brûlants dans toutes les directions.
Que s’est-il passé ? ! Les Templiers dégainèrent leurs épées et regardèrent autour d’eux à la recherche d’un ennemi. « Par les dieux… le ciel ! Regardez le ciel ! »
En levant les yeux vers le ciel, ils virent un navire après l’autre basculer et tomber vers la terre. Les docks flottants aux abords de la ville devinrent également instables et s’écroulèrent. Ils se heurtèrent aux magnifiques murs de la ville, réduisant les belles pierres à l’état de gravats. Des explosions déchirant les oreilles secouèrent tout Skycloud.
Le chaos éclata, et d’un seul coup, toutes les lumières s’éteignirent. Les plantes à feuilles persistantes passèrent de la pleine floraison à la flétrissure en un clin d’œil.
Même les lacs furent touchés car, soudainement, la force des marées fit sortir l’eau de leurs berges et inonda plusieurs quartiers de la ville. De nombreux citoyens, trop lents à réagir, furent emportés par la crue des eaux.
Trop soudain… tout se passa trop vite. C’était comme un cauchemar.
La folie était encore pire que l’effondrement du quartier du marché !
Skycloud était plongé dans l’obscurité tandis qu’un déluge d’eau noyait ses rues. Au milieu de la panique et des débris qui tombaient, personne ne savait ce qui se passait ni comment réagir.
« Annulez vos ordres ! Toi là, ramène le prisonnier dans sa cellule ! » Phain lança une série d’ordres. « Les autres, aidez-moi à maîtriser la situation ! Vite ! »
Cloudhawk était tout aussi désemparé. Le désastre n’était pas suffisant pour décrire la scène qui se déroulait. Comment cela avait-il pu arriver, ici, dans la ville de Skycloud ? Les dieux eux-mêmes étaient-ils offensés son traitement injuste ? Avaient-ils envoyé ces fléaux pour empêcher sa mort ?
Comparé à l’apocalypse qui tenait maintenant la ville dans ses griffes, ce qu’il avait contribué à provoquer semblait n’être rien. Quelle qu’en soit la cause, les choses étaient sûrement sur le point de changer.