Bienvenue à Bord du Fantastique Europalazio
A+ a-
Chapitre 9 – Supplice aux Hospices
Chapitre 8 – Létrange inconnu Menu Chapitre 10 – Un interminable déjeuner

Arrivé au cœur de l’édifice, je déambulais à travers ces salles austères à moitié obscures, dignes d’un couvent. Fondé en 1441, après la fin de la guerre de Cent Ans, l’édifice avait été commandé par monsieur Nicolas Rolin, le chancelier du Duc de Bourgogne.

Autant vous dire qu’au vu de sa représentation à de multiples endroits, si ce n’est absolument partout, que ce soit en statues ou encore en tableaux, monsieur était grandement imbu de sa personnalité, voulant à tout prix demeurer dans les mémoires. Il devait d’ailleurs être sur les cartes postales, les coussins et les tire-bouchons de la boutique de souvenir. Une bien belle ironie que de se dire que sa face de noble religieux rencontrera certainement le postérieur d’un potentiel acheteur.

Sa charmante épouse dévouée était également représentée sous toutes ses formes. Le couple paraissait si heureux et bienveillant, transpirant la joie de vivre avec leurs visages graves de molosses abattus et leurs sombres apparats, les faisant paraître comme mort de l’intérieur.

Peu de visiteurs étaient présents céans. En même temps, on était dimanche et il était encore bien tôt. Tout en marchant, je jetai une œillade discrète au garçon qui ne cessait de me coller à l’arrière train comme des mouches sur la croupe d’un cheval et qui observait les lieux avec un ravissement certain ; un large sourire affiché sur son visage et dodelinant des bras avec énergie.

Je réprimai un rire devant son comportement digne d’un enfant de huit ans. Alors que je m’arrêtai devant un tableau ; le polyptyque du jugement dernier de Van der Weyden, il s’immobilisa et le regarda également. Voulant à tout prix me débarrasser de cet énergumène sans créer d’esclandre, je fis semblant de m’attarder sur cette œuvre sévère, fichtrement barbante avouons-le, plus que de raison.

— Pourquoi le monsieur il est transpercé de plusieurs flèches ? me demanda-t-il le plus sincèrement du monde.

— C’est écrit sur la fiche ! répondis-je sèchement.

Il regarda la pancarte et fit la moue.

— Je sais pas lire ! C’est écrit quoi ?

Agacé, je plaçai mes mains sur mes joues, tentant de me dominer pour ne pas lui lâcher une réplique cinglante.

— Si l’œuvre t’intéresse tant, va donc voir un conférencier pour qu’il te l’explique ! dis-je en perdant patience, n’ayant plus ni le courage ni l’envie de le vouvoyer.

— Oui mais si je fais ça tu vas m’attendre quand même ? me demanda-t-il en me tutoyant spontanément tout en plantant ses prunelles smaragdines étrangement brillantes dans les miennes.

Ses yeux de chien battu me désarmèrent mais ne voulant pas me laisser apitoyer et désireux de profiter dignement de ma journée sans materner ce… jeune homme ? Je pris une profonde inspiration et fronçai les sourcils.

— Écoute… mon gars ? T’as l’air d’être un gentil garçon mais par pitié laisse-moi tranquille et va jouer ailleurs ! Ou trouve-toi un autre pigeon sur lequel t’accrocher.

D’un geste de la main, je lui fis signe de se reculer et de me laisser seul, libre. Je n’étais pas de nature très patiente et même si ce garçon m’avait l’air d’un attardé sans grande méchanceté, je ne pouvais ni ne voulais m’occuper de lui. Il se renfrogna et regarda ses pieds.

Satisfait de m’être montré ferme — pour une fois que je parvenais à faire preuve d’autorité — je poursuivis ma route en solitaire, profitant des autres pièces en totale sérénité. Ainsi je visitai ces salles reconstituées ; les dortoirs, l’apothicairerie et les cuisines, tentant de visionner les événements écoulés et modes de vie de cette époque que je n’enviais guère tout en griffonnant quelques notes dans mon carnet.

Je louchai sur les répliques d’aliments joliment ordonnés dans leurs récipients afin de paraître le plus réaliste possible, puis réprimai des haut-le-cœur lorsque dans la Grande Allée des dortoirs, anciennement réservés aux pauvres, des tableaux de mourants et autres joyeusetés tout aussi lugubres décoraient les murs.

Une fois mon tour achevé, je me rendis dans la cour et arpentai les alentours, regardant les toitures d’ardoises à motifs colorés d’une incroyable beauté et les murs à colombages encore bien préservés. Alors que j’avançai en direction de la fontaine centrale, un reniflement m’extirpa de mes songes. Intrigué, je tournai la tête, baissai les yeux et aperçus la silhouette de mon impertinent gêneur, recroquevillé sur lui-même comme une chose fragile. Il avait la tête plaquée contre ses bras, dissimulant totalement son visage, le corps secoué de petits spasmes.

Cette vision me donna un pincement au cœur et, embarrassé devant son désarroi, je m’accroupis vers lui.

— Pourquoi pleures-tu ? demandai-je, timidement.

Il sécha ses yeux et redressa sa tête, me défiant éhontément.

— Je pleure pas monsieur.

— Je vois ça ! ricanai-je nerveusement. Tu comptes rester ici à te morfondre toute la journée ?

— Je sais pas comment rentrer au train, marmonna-t-il d’une voix enrouée, et les gens que j’ai croisés n’ont pas voulu m’y emmener. Ils m’ont pris pour un fou ou m’ont dit que j’étais assez grand pour rentrer tout seul. Mais ils ont tort !

— Ils viennent de payer leur entrée, horriblement cher qui plus est, dans ce musée ! C’est normal qu’ils ne daignent pas sortir de suite et cherchent des excuses pour te chasser !

— Vous partez ? me demanda-t-il d’une petite voix. Vous pouvez me ramener s’il vous plaît ? Promis je ne vous parlerai pas pendant le trajet.

— C’est que je vais aller déjeuner là ! dis-je en passant une main dans mes cheveux. Et je ne vais pas m’amuser à faire trente aller-retour entre le centre-ville et le train.

— Et je peux pas aller déjeuner avec vous ? J’ai faim moi aussi. Et maman vous donnera des sous après pour payer mon repas. Elle vous rendra même plus !

Je voulus refuser puis, comprenant que je pouvais tirer profit dans mon affaire, je le questionnai sur la possible fortune de sa mère qu’il ne cessait d’évoquer.

— Oh oui ! Maman est vraiment très riche ! assura-t-il avec aplomb. Elle a un poste haut gradé et de grandes responsabilités. C’est la femme la plus riche du continent et ma famille est puissante et noble.

Je haussai un sourcil, sceptique face à ces informations. Rares étaient les françaises à jouir de leur fortune autrement que par le titre marital ou héritage. Là, madame occupait de hautes fonctions. Or, ce jeune homme n’était pas français, je doutais même qu’il puisse s’agir d’un jeune homme au vu de son comportement si puéril ou alors il était, hélas pour lui, incroyablement retardé dans son développement bien qu’il ne paraisse pas dément ou débile pour autant. Mais ma foi, il devait avoir au minimum seize ans ; il serait ridicule de songer qu’il pouvait être plus jeune. Pourtant, je ne pouvais laisser passer une telle occasion si, réellement, ce garçon était nanti. Si j’acceptai de le prendre sous mon aile, j’exigerais cela dit une sacrée petite fortune à sa maman adorée pour le fier service que j’aurai rendu à son cher enfant.

Je pris un temps pour réfléchi puis, appâté par le gain, j’acceptai sa venue… et un déjeuner en sa compagnie.

Son visage s’illumina et il se redressa en hâte. Nous nous mîmes donc en route et repassâmes par la boutique des hospices pour prendre la direction de la sortie. Là, j’y aperçus non loin monsieur Gédéon Desbois en pleine concentration devant une vitrine de boules à neige aux emblèmes de la ville. L’index posé sur ses lèvres, il semblait étrangement concentré, comme si sa vie dépendait de ce choix épineux.

À la vue de cet homme, mon énigmatique suiveur ne put s’empêcher de lancer une remarque une fois que nous fûmes sortis du bâtiment pour nous diriger vers la place Monge, là où se trouvait mon restaurant tant convoité.

— Tu le connais ? m’enquis-je. Il est dans le train depuis avant-hier effectivement.

— Oui je sais monsieur, me confia-t-il d’une petite voix, c’est lui qui m’a fait visiter Paris hier. Il est gentil mais il m’endort avec ses histoires et ses explications. Il connaît trop de choses et ne cesse de tout m’expliquer comme mon professeur. Il est vraiment pas marrant contrairement à toi.

— Tu me trouves « marrant » ? m’offusquai-je, n’approuvant absolument pas ce terme pour me désigner.

Il mit une main devant sa bouche et gloussa :

— Un peu, t’as pas l’air bien méchant en tout cas ! Tu me fais penser à mon camarade Andreï, tu aboies plus que tu ne mords. En plus t’as le même regard de chien battu que lui.

Andreï… c’est pas le nom de mon roquet ça ? D’où il ose me comparer à lui ce mufle ! Courroucé, je serrai les poings ; le déjeuner risquerait d’être incroyablement long si j’entendais ce genre de remarques débitées à la chaîne, et portées à mon intention de surcroît.

Ruminant mon agacement, je continuai ma route dans ces rues où le monde commençait à s’activer et à déambuler dans les ruelles, accompagné de mon énergumène anonyme. Après l’équivalent d’heure passée à ses côtés, qui paraissait avoir duré une éternité, je m’aperçus que je ne connaissais absolument pas son nom.

— Comment t’appelles-tu ? finis-je par demander pour l’empêcher de babiller.

Il bomba le torse, se racla la gorge et ajouta fièrement :

— Je m’appelle Vasilka, monsieur !

 



Rejoignez-nous et devenez correcteur de Chireads Discord []~( ̄▽ ̄)~*
Chapitre 8 – Létrange inconnu Menu Chapitre 10 – Un interminable déjeuner