Je viens bêtement de me faire couper le bras droit. Je ne m’attendais pas à ce qu’il utilise un miracle de ce genre pour me distraire et ça reste plutôt astucieux. Je recule en me reposant sur les yeux de Yuu et Juliette pour savoir où est le Chapelain en attendant de ne plus être ébloui. Avant même que je ne puisse réagir, son épée me frappe le ventre sans réussir à transpercer mon armure et je pose un genou par terre en accusant le coup. Je pensais que ce serait plus facile comme combat. Il ne m’avait pas donné de signes du contraire, mais c’était avant qu’il n’utilise un miracle. Maintenant que j’y pense, je ne suis plus Sigu. Elle aurait probablement réglé ça aussi vite que pour l’Asura si c’était elle qui était en train de l’affronter et pas moi.
— Alors c’est ça, ta vie.
— Généralement, mes bras restent attachés à mon corps et je gagne le combat.
— Victime d’une décision après l’autre. Comme un enfant qui ne peut s’empêcher de mettre le doigt dans un engrenage. Tu dépasses tes limites et tu t’oublies dans le processus.
— C’est une thérapie ? Je dois dire que me couper un bras pour la troisième fois n’est pas très professionnel, dans ce cas.
— Non, ce n’est pas un combat. Ce n’en était pas un. C’est une simple discussion à présent que je sais tout de toi.
Alors que j’ai l’impression que je vais rester aveugle pendant quelque temps — puisque je ne vois rien à part du blanc — je peux voir à travers les yeux de Yuu que le Chapelain range son épée et va s’asseoir sur un monticule de décombre en m’ignorant. Je… il veut juste discuter maintenant ? Après m’avoir fait poser un genou au sol ? C’est suffisant pour tout savoir sur moi ?
— La seule raison qu’il me reste maintenant pour t’affronter est ton lien avec la déesse-grimpeuse et c’est bien trop peu pour me donner envie de te battre. Dis-moi Dresseur, qu’espères-tu obtenir en venant ici ?
— Gagner ? Montrer que je ne suis pas un paillasson que les autres peuvent simplement tuer ?
— Compréhensible. Le problème reste que même devant un si grand public et en battant tes adversaires un par un… Ils s’en moquent.
— J’aimerais croire le contraire.
— En venant ici, tu les divertis comme tu l’as fait quand tu répondais au Roi de l’arène. Tu saignes et tu te reposes sur des artifices comme les autres. Ton combat contre le Roi ? Sans doute de la comédie. Battre le Primat ? Un coup de chance. On dira que tu as du talent, que tu es chanceux pour les plus acerbes. On ne dira pas que tu es invincible.
Alors que le Chapelain parle, je récupère mon bras que je recolle en avalant une gorgée de potion. Je ne sens plus d’animosité dans sa voix, ce qui veut dire qu’il ne compte pas se battre pour le moment, mais je n’aime pas pour autant ce qu’il me raconte.
— Il n’y a qu’une chose à regretter dans ce tournoi pour toi et ton objectif. Que chacun des points que tu viens de récupérer ne soit pas autant de grimpeurs réellement morts. Le public te verrait bien différemment après avoir tué autant de gens. Cependant, avec ce que tu viens de faire, il ne voit ça que comme un score élevé dans un jeu vidéo. Quelque chose qui n’existe pas vraiment. Navrant n’est-ce pas ? Se dire que tout cela ne sert à rien à part créer du ressentiment contre toi de la part de tes victimes ?
— Tu veux juste me mettre en colère, c’est ça ?
— Si tu veux du respect venant de ces gens qui s’amusent devant un tel spectacle, tu dois inspirer la peur. Mener de fausses batailles et faire des efforts devant eux ne sert à rien. Ce n’est pas ce qu’ils cherchent. Ils cherchent de la puissance, des choses qui confortent leurs opinions ou qui les choquent, c’est cela qui les fera réagir. Aujourd’hui, ils connaissent ton nom, mais demain ils s’en moqueront. Dans cet océan de mondes à leur portée, tu es malheureusement insignifiant. Ne parlons pas de ceux qui veulent ta mort et vois ta présence dans l’arène comme un défi. Maintenant, que comptes-tu faire ?
— …
— Je n’attends pas de réponse. Cette question n’a pas de réponse évidente. Continue ta route, Dresseur. Tu y trouveras peut-être une réponse.
Je ne m’attendais certainement pas à avoir ce genre de discussion pendant le tournoi. Cela me perturbe. Que j’apprécie ce qu’il raconte ou non n’est pas la question. Je comprends bien que son miracle aveuglant lui a fait voir mon passé… du moins, c’est ce que j’imagine. Cependant, j’ai eu la même réflexion en étant Sigu.
Tant pis. Si personne ne me craint, je n’y peux rien. Je n’ai qu’à continuer et voir où je termine. Inutile d’y réfléchir maintenant.
« Et toi ? Tu cherches quoi de ton côté ? »
Le Chapelain me regarde surpris. J’imagine qu’il ne s’attendait pas à ce que je lui pose une question.
— C’est juste un tournoi et mon but n’était pas de battre un Primat quand je l’ai commencé… C’est juste arrivé. Qu’est-ce qui va arriver à la légion ?
— Rien de plus qu’une défaite sans conséquence humaine. Redemptio… Disons que maintenant cette légion porte bien son nom. Cependant, tu seras pour toujours celui qui sera la raison derrière notre quête de rédemption. Tu seras détesté, toi et ta déesse, comme un ennemi mortel. Cela ne m’étonnerait pas qu’une Croisade ait un jour lieu pour te tuer.
— De mon côté, j’appelle ça être rancunier et mauvais perdant…
— Sans doute, mais cela ne change rien. Tu as marqué les débuts de la légion et les dieux en sont témoins. Si celle-ci survit aux siècles et aux mondes, le nom du dernier Dresseur y restera lié pour toujours. Quand l’heure viendra, nous nous retrouverons pour un autre combat.
— … Dans ce cas, faisons en sorte que ce soit le plus tard possible…
— Aha! Tu es devenu un ennemi aujourd’hui, c’est inchangeable.
— J’aurais bien aimé que ce ne soit pas le cas…
— Il y a de la lumière en toi Nomad, ne la laisse pas disparaître. Moi, Amon te souhaite une longue vie loin de Redemptio.
À travers le lien, je peux sentir que Micha a du mal avec le Roi. Mieux vaut l’aider que prendre des risques inutiles ici en échangeant des plaisanteries avec le Chapelain. Le tournoi n’est toujours pas fini après tout. Je dois juste me faire à l’idée que j’ai ajouté un nouveau nom à la liste des gens qui veulent ma mort…
Je finis par atteindre le sommet des gravats et regarde en direction du Roi. Ugh. J’ai du mal à croire que j’ai affronté la même personne il y a quelque temps. Sans parler de son changement de taille, il est couvert de blessures et de sang. Les miracles du Primat ont laissé des marques assez impressionnantes de brûlure sur son corps. Il est pratiquement borgne avec du sang qui sort abondamment de sa bouche. Je peux voir les os de ses avant-bras à cause des miracles qui ont creusé sa chair et il a une plaie au ventre et sur la jambe. Il semble sur le point de s’effondrer et je peux voir qu’il a du mal à respirer, même s’il est en train de sourire.
Quant à Micha, elle est en train de planer à quelques dizaines de mètres de lui en organisant ce qu’il reste des oiseaux. De ce que je comprends, elle a déjà perdu trois fioles à cause des attaques du Roi. Même si elle a réussi à soigner des oiseaux, les attaques répétées du Roi n’en ont laissé plus que six encore capables de faire quelque chose.
{Travail pour moi ! Nous plus forts comme ça !}
~ Tu vas te taire la mouche ?! ~
{Stupide ! Stupide ! Aidez-moi ! C’Mieux !}
~ Il est à moi, t’entends !? Tu penses que je vais perdre contre toi ?~
Yuu… Qui est-ce qui parle là… ?
[La Sorcière dont personne ne connaît le prénom. Pour faire simple, elle entend ce qui se passe dans la tête de Micha.]
~Toi tu la fermes, et c’est qui lui maintenant ? C’est le Dresseur ? ~
Euh. Oui ?
~ Ordonne à ta souris de reculer ou de se taire. ~
Non ?
~ Très bien ! Donc dans l’ordre, la souris, l’autre animal, et le Dresseur ! Vous êtes morts. ~
[La sorcière a du mal à lancer des sorts à cause du bruit et Micha pense un peu trop fort et trop souvent à son goût.]
Je soupire en décidant d’avancer en direction du Roi et en donnant l’ordre à Micha de rester à distance. Yuu continue de m’expliquer la situation et me parle aussi de Tark que je lui demande de trouver.
C’est possible de battre le Roi, mais pour que mon plan fonctionne, je vais sans doute avoir besoin d’un « grand » coup de main.