Bienvenue à Bord du Fantastique Europalazio
A+ a-
Chapitre 7 – La tortionnaire
Chapitre 6 – Saint Alcool Menu Chapitre 8 – Létrange inconnu

Je restai un instant muet, immobile ; je ne m’étais absolument pas fait à l’idée que ce dénommé Matthias puisse être une femme ! Totalement déconcerté par cette personne fort particulière tant dans son apparence que dans son attitude des plus désinvoltes, je me mis à l’étudier, balayant son physique d’un œil furtif et aiguisé.

Mme Matthias Romanova , tels étaient les mots brodés sur sa veste d’un rouge cardinal, impeccablement repassée, galonnée et chamarrée de deux rangées de boutons d’or.

Madame était grande de taille, dans les un mètre quatre-vingt à vue de nez. De ce fait, elle me dominait d’une bonne tête et sa carrure, proche de celle d’un soldat, la rendait plus impressionnante encore. D’autant que ses larges épaulettes accentuaient la vigueur de ses épaules droites, la rendant étrangement intimidante. Sa taille semblait fine sous se costume s’arrêtant à mi-cuisse et son pantalon blanc ainsi que ses bottes hautes moulantes dévoilaient des jambes musclées aux courbes séduisantes.

Mais le plus impressionnant était les traits de son visage. Je ne saurais dire exactement quel âge pouvait avoir cette personne ; trente ans ? Peut-être même la quarantaine. Difficile à deviner avec cette peau laiteuse, incroyablement lisse, sans l’ombre d’une ride ou d’une imperfection, mais qui ne paraissait pas juvénile pour autant. Ses cheveux ondulés, d’un roux flamboyant, étaient attachés en une interminable queue de cheval haute, accordés à ces lèvres pulpeuses si joliment peintes d’un rouge écarlate. Quant à ses yeux, ils étaient d’une couleur que je n’avais jamais observée chez un humain jusqu’alors ; un vert d’eau aux éclats smaragdins envoûtants, cernés par un léger far noir pour les mettre davantage en valeur.

— Que puis-je pour vous monsieur ? réitéra-t-elle plus fermement après un soupir d’exaspération.

Je déglutis, avalant péniblement ma salive. Décidément, la politesse n’était pas le fort de la majorité des employés de ce train et à l’inverse de ses collègues, madame semblait nettement moins patiente. Je ne sais pas si c’était l’alcool ingurgité que me faisait voir les choses autrement et réagir de manière incongrue, mais il me semblait que ce que je vivais présentement tenait plus du songe que de la réalité.

— Vous êtes Matthias ? finis-je par demander, l’esprit embrumé, évadé dans les limbes obscurs.

— Vous êtes perspicace ! railla-t-elle sans vergogne.

— Auriez-vous des cachets d’aspirine ? J’ai un mal de crâne épouvantable et je souhaiterais également que l’on me livre un repas chaud dans ma chambre. J’ai fâcheusement raté le dîner et je suis affamé.

Je l’entendis faire claquer sa langue.

— Les horaires du dîner ne sont pas assez étendus pour monsieur ? rétorqua-t-elle avec dédain. De Dix-huit heures à vingt et une heures, voilà qui est pourtant relativement étendu.

— N’êtes-vous pas censée accourir au moindre de mes besoins ? répliquai-je tout de go.

Elle fronça les sourcils et retroussa un coin de ses lèvres, dévoilant un bout de canine blanche étonnamment pointue. Je l’entendis grogner comme une bête féroce et regrettai instantanément ma réplique ; mon instinct me hurlait intimement de ne surtout pas jouer les effarouchés avec une femme de sa veine.

Il y eut un silence gênant où, me tenant contre le rebord de ma porte, je tentais de soutenir son regard de jade, si luisant, semblant aspirer l’âme. Mon interlocutrice me dévisageait avec une insistance troublante, comme le ferait un prédateur envers une tendre petite proie.

Pendant un moment, j’eus l’amère impression qu’elle pouvait se jeter sur moi afin de me dévorer tout cru. D’ordinaire, je n’y aurais vu aucune objection, mais avec cette femme-là, j’avais peur que cette expression ne soit à prendre au pied de la lettre. Je tressaillis, pris d’un frisson.

— Ex… excusez-moi, bafouillais-je à la manière d’un gamin pris sur le fait de mauvais agissement.

Je sentis des gouttes de sueur dévaler ma nuque pour venir s’échouer sous ma chemise. Péniblement, je ravalai ma salive pâteuse et lui adressai un sourire faux s’apparentant plus à une grimace afin de la radoucir. Par pitié madame ne me dévorez-pas, c’est moi l’affamé !

— Pouvez-vous, je vous prie madame, faire ce que je vous demande ? ordonnai-je à nouveau, la voix enraillée, lui adressant un regard suppliant.

Décidément, l’alcool me rendait bien couard ! Pourvu que ce ne soit pas représentatif de ma personnalité en temps normal ; il ne manquerait plus que cela !

— Monsieur voudrait manger quoi ? demanda-t-elle sèchement. Poulet ou poisson ? Telles étaient les deux viandes du soir.

— Je ne serais pas exigeant, fis-je en tenant mon ventre qui, vidé de toute substance non liquide, gargouillait avec rage.

Elle soupira puis opina du chef avant de tourner les talons. D’un pas décidé, la démarche gracile bien que militaire, je la vis s’éloigner en direction des wagons annexes.

Soulagé de la voir partir prendre ma commande, je regagnai mon lit et m’affalai quelques minutes. Diable ! qui était-elle pour me faire perdre toute ma contenance et me rendre aussi peureux ? Impatient et nerveux de la revoir, je scrutais la bouteille de champagne posée nonchalamment sur ma table de chevet ! C’est décidé j’éviterai de boire plus que de raison. L’alcool m’assaille de pensées ridicules et mon comportement est définitivement des plus pitoyables.

Une dizaine de minutes s’écoula avant que Matthias ne retoque à ma porte et me tende mon plateau-repas. Ma pitance salvatrice ! accompagné d’une boîte de cachets.

— Monsieur est-il satisfait ? s’enquit-elle, le visage impassible.

— C’est parfait madame ! Je vous saurais gré pour votre incroyable gentillesse et votre dévotion, m’exclamai-je en me moquant intérieurement, et je n’hésiterais pas à faire appel à vous. Seulement en cas d’urgence, bien entendu. Croyez que je mettrai précieusement la sonnette de côté afin de ne pas vous importuner outre mesure.

— C’est bien ça, fit-elle d’une voix grave à peine plus chaleureuse roulant ses « R » avec une telle aisance que j’en fus subjugué, la sonnette est là uniquement pour les vraies demandes et le soir seulement. Je ne travaille pas en journée, dodo.

— Qui dois-je appeler en journée pour les services de chambre ? demandai-je timidement.

— Moi-même.

— Mais vous venez de me dire que…

Je n’osais continuer ; l’esprit trop dans le brouillard pour comprendre exactement ce qui se passait. Jouait-elle de mon ivresse ou bien était-elle ce chat sadique jouant éhontément avec une souris si sotte.

Elle fronça les sourcils et ricana. Puis, d’un geste bourru, elle posa une main sur mon épaule, la pressant avec vigueur. Enfin, elle approcha son visage du mien et déplia ses lèvres afin de me gratifier d’un large sourire, presque carnassier.

— Je plaisante ! Pauvre petit kutya. La méchante Matthias s’amuse avec lui pour occuper sa soirée si ennuyante. Faut pas lui en vouloir, la France est pas des plus captivantes en termes d’aventure et les nuits sont si longues. Faut bien trouver un petit baba pas trop futé pour passer le temps.

Elle lâcha son emprise et tapota ma tête de la paume de sa main.

— Il faut pas avoir peur comme ça, petite chose ! Elle est pas si méchante la madame. Et elle peut rendre tous les services à un petit minot dans ton genre.

Je fus outré par son comportement. Tout ce que je possédais de virilité venait de s’évanouir en un claquement de doigt. Je posai mon plateau sur la table. Fébrilement, je me servis un grand verre d’eau et sortit de la boîte un cachet que je glissai sous ma langue sans attendre.

— Quels genres de services offrez-vous exactement ? Demandai-je d’une petite voix anormalement aiguë.

Je bus une grande gorgée, laissant l’eau froide arpenter ma gorge pour lubrifier ma trachée irritée, et avalai mon aspirine.

— Tout ce que le minot souhaite, sauf les plaisirs intimes ! me dit-elle franchement.

Je recrachai tout ce qui restait d’eau dans ma bouche, manquant de m’étouffer et d’éjecter le cachet que je venais de prendre. Avais-je bien entendu ce qu’elle venait de me dire si solennellement ?

— Quand vous dites plaisirs intimes vous… vous parlez de massage ? tentai-je, après tout, peut-être confondait-elle les mots au vu de ses origines.

— Les jeux intimes, annonça-t-elle une fois encore, je ne pratique pas cela avec les clients. Il y a plein d’escales et nous pouvons fournir à monsieur les meilleures adresses pour ces choses-là. Je connais les établissements et les femmes et hommes qui s’y trouvent. Si vous avez des demandes spécifiques je peux vous trouver le ou la partenaire idéal sur qui défouler vos ardeurs. Mais pas moi non. Pas un minot non… les minots n’ont pas assez d’expériences et sont pas assez entreprenants.

Je dus me rendre à l’évidence que j’étais ivre ; dépourvu d’une once de conscience raisonnée pour comprendre des ce genre de choses, débité par un membre du personnel de surcroît. Ce dialogue ne pouvait avoir lieu que dans ma tête ! Il ne pouvait en être autrement. Ô mon dieu je n’ose imaginer mon état demain matin ; ma gueule de bois promet d’être monumentale.

Les yeux grandement écarquillés, je la vis prendre la bouteille de champagne vide. Elle repartit aussitôt avec, après m’avoir adressé une dernière tape amicale dans le dos.

Hébété, ne sachant trop comment réagir face à cet événement, je m’installai sur ma chaise. Pendant que j’engloutissais mon repas avec avidité, rongeant à main nue les os de mon poulet à la chair ferme et juteuse, l’image de mon énigmatique et insupportable interlocutrice demeurait à mon esprit. Je ne savais trop si je la détestais ou au contraire si je l’admirais pour m’avoir berné de la sorte quand bien même elle venait de réduire à néant toute mon estime. Comment avait-elle osé me traiter comme un gamin ? Pire ! comme un chien !

Matthias, jamais un prénom n’était si mal porté ! Elle s’apparentait plus au diable qu’à un « don de Dieu » . Et depuis quand les femmes portent ce genre de prénom ? « Romanova » un nom bien russe ou ukrainien. C’est à croire que Lorenzo De Luca ne se ravitaille en personnel que dans ces contrées reculées du monde. Étaient-ils une main-d’œuvre si peu onéreuse qu’elle en était fortement prisée par cet homme ou alors avait-il un engouement particulier pour ces gens issus de pays aux conditions de vie si… précaires et primitives, dirais-je.

En fin de repas, je repris un cachet que j’avalai avec une grande gorgée d’eau. Puis, repu et tiraillé par la fatigue, je m’échouai sur mon lit, ne prenant même pas le soin de me déshabiller. L’espace valsait autour de moi, je me sentais transporté dans un autre monde, les muscles totalement engourdis et les pensées vagabondes ; une première journée venait de s’écouler.

Au moins, Lazio n’avait pas menti, le Fantastique Europalazio promettait un périple des plus déroutants. Vivement demain que je puisse enfin jouir de ma première escale et surtout, revoir à nouveau tous ces étranges spécimens avec qui je partagerais ce voyage… enfin… à condition bien sûr que ma gueule de bois ne me terrasse pas toute la journée, ce qui, je le craignais, risquait fortement d’être le cas.



Rejoignez-nous et devenez correcteur de Chireads Discord []~( ̄▽ ̄)~*
Chapitre 6 – Saint Alcool Menu Chapitre 8 – Létrange inconnu