Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 85 – A nouveau réunies
Fors battit plusieurs fois des cils et ouvrit lentement les yeux. Elle était au salon, allongée sur le sol. Au dehors, la lune brillante, telle un disque cramoisi, était suspendue haut dans le ciel et le voile de mousseline qui ornait la fenêtre – d’ordinaire fin et flou – semblait devenu une riche lumière sanglante.
Je ne suis pas morte, je n’ai pas perdu le contrôle… Ce n’était pas un rêve… J’ai réellement été sauvée par le mystérieux et puissant M. Le Fou… Se dit la jeune femme en s’asseyant.
Elle s’examina et constata qu’à l’exception de ses cheveux, désormais plus long et plus denses, tout était normal.
Mais ma vie a complètement changé… J’ignore si c’est une bonne chose ou non… murmura-t-elle pour elle-même en enserrant ses genoux, perdue dans ses pensées. Elle sentait parfois son esprit s’égarer et à certains moments, elle était inquiète, triste ou confuse.
…
Au-delà du brouillard gris, Klein regarda la chaise dont le dossier était orné d’une porte ouvrant sur une multitude d’autres superposées et se dit : Je me demande quel genre d’informations contiennent ces divagations…
Une fois passée Séquence 7 ou 6, elle devrait être en mesure de résister aux effets négatifs et d’entendre clairement ce que dit cette voix.
Si elle n’a pas encore compris la méthode du jeu de rôle, je pourrais demander à Mlle Justice et aux autres de la lui enseigner pour moi. J’ai juré sur un Artefact Sacré à la Déesse que je ne dirais rien de cette méthode à des gens qui ne la connaissent pas.
… Lorsque je passerai Séquence 5 et serai devenu Maître Marionnettiste, je pourrai peut-être, au moyen d’un rituel adapté et en utilisant la spécificité cet espace mystérieux, la contrôler à distance pour voir ce qu’elle voit et entendre ce qu’elle entend.
Je saurai alors s’il s’agit bien de M. Porte…
Il se pourrait que ce monsieur, témoin historique de la Quatrième Époque, soit encore plus vieux que M. Azik qui a vécu de multiples vies.
Je me demande à quelle Séquence correspondent sa force et son niveau. 2 ? Voire 1 ?
Tout à ses réflexions, il sentit soudain son énergie spirituelle devenir instable, aussi s’empressa-t-il de retourner dans le monde réel.
C’était un phénomène courant lorsque l’on venait d’évoluer. Klein renonça donc à sa sortie et resta patiemment chez lui pour méditer, libérant et rétractant son énergie spirituelle.
…
Aux petites heures du matin, Fors prit le premier métro pour le Quartier St. George, puis une voiture publique pour retourner au trois pièces où elle vivait avec Xio.
Lorsqu’elle ouvrit la porte, elle fut surprise de trouver son amie – qui d’ordinaire faisait la grasse matinée – en train de faire griller du pain.
– « La soudaine Lune de Sang de la nuit dernière m’a causé des insomnies, aussi me suis-je levée de très bonne heure. Vous allez bien ? Ces étranges divagations se sont-elles intensifiées ? » Demanda Xio, inquiète, en levant les yeux au ciel.
Brusquement, la vue de Fors se troubla. Elle tourna la tête sur le côté, força un sourire et répondit sur son éternel ton provocateur :
– « Qu’est-il arrivé à votre cerveau ? Ne vous ai-je pas déjà dit que les divagations se faisaient plus fortes les nuits de Lune de Sang ?
« Mais je n’en suis pas du tout affectée. Pas du tout. Regardez l’énergie que j’ai ! Et faites-moi toaster du pain à moi aussi ! »
– « Je croyais que vous ne l’aimiez pas comme ça… », marmonna doucement Xio en arrangeant ses cheveux blonds coupés courts.
…
La première étape vers sa vengeance franchie et son évolution consommée, Klein dormit d’une traite jusqu’au petit matin, après quoi il sortit tranquillement acheter, pour son petit déjeuner, des nouilles Feynapotter ainsi qu’une tarte Desi et une tasse de thé glacé sucré.
S’étant régalé, il posa son couvert et prit le journal pour le lire. Il était particulièrement détendu.
D’un rapide coup d’œil, il lut :
Nuit de Lune Sanglante : le Démon Tueur frappe à nouveau !
Encore ? Il prit les autres journaux et feuilleta les premières pages : les titres étaient similaires.
11ème cas effectif ! La police est impuissante !
Une fois de plus, le Démon Tueur de sang-froid se moque de la police !
Un vent de panique souffle sur Backlund !
C’est… Les Faucons de Nuit et les Punisseurs Mandatés doivent avoir une de ces migraines ! Soupira le jeune homme.
Pour être honnête, il avait très envie d’attraper ce meurtrier.
Sur Terre, alors qu’il était faible, Klein rêvait souvent de devenir une personne chargée de faire respecter la justice et de punir le mal. Mais à présent, devenu Transcendant de Séquence 7, il regrettait ses rêves passés dans la mesure où il avait choisi de ne pas être un super-héros.
Quel dommage que cette affaire ait déjà tant attiré l’attention, soupira-t-il. Si je décidais d’y prendre part, ne serait-ce pas une façon de dévoiler mon identité ? Je dois rester raisonnable… De plus, à en croire Le Soleil, il est fort probable que le coupable soit en train de passer de la Séquence 6 à la Séquence 5. Même si je n’ai pas peur de lui, il se peut que même avec mes nouveaux sorts et nouvelles capacités d’envoûtement, je ne parvienne pas à l’attraper. C’est plutôt risqué…
Après réflexion, Klein décida de suivre ses convictions les plus profondes et de rester un citoyen ordinaire.
Il était convaincu qu’avec la puissance de quelques Églises, si le tueur continuait à commettre des crimes, il avait de grandes chances de se faire prendre !
Après avoir parcouru les nouvelles, le jeune homme jeta un coup d’œil au Backlund Morning Post : l’annonce concernant l’achat de marchandises par la firme Ernst figurait à nouveau en cinquième page.
Il va y avoir un rassemblement demain soir à 20 heures. Je pourrai alors vendre à l’Apothicaire les Cristaux Médullaires de la Source des Elfes… murmura-t-il en mémorisant les quatre premiers chiffres du prix indiqué.
Une demi-heure plus tard, ayant fini de lire l’épaisse pile de journaux posée devant lui, Klein se mit à réfléchir sérieusement à ses projets d’avenir.
Mon plan, à long terme, est de passer à une Séquence Supérieure, de devenir un expert de niveau demi-dieu et de planifier ma vengeance contre Ince Zangwill.
A moyen terme, je vais devoir trouver le moyen de jouer le Magicien. Je ferai progressivement un récapitulatif des leitmotivs à observer de façon à assimiler peu à peu ma potion. Ce faisant, je me mettrai à la recherche d’une Ombre à Peau Humaine, de cheveux de Naga des Profondeurs Marines, de sang de Chasseur aux Mille Visages, d’une hypophyse mutée et du moyen de purifier un objet de toute corruption provenant d’un dieu maléfique.
Hum… Les ingrédients Transcendants nécessaires à la Séquence 6 coûtent environ 1500 Livres. Chacun. C’est vraiment cher !
De plus, j’ai besoin d’un objet occulte axé sur l’attaque ou le contrôle. Quelque puissant que puisse être un Magicien, la plupart de ses pouvoirs Transcendants servent à préserver sa vie et à s’échapper. Dans un environnement adapté, son attaque la plus puissante s’apparente à celle d’un revolver personnalisé. Son seul avantage est de pouvoir prendre les autres par surprise et il lui manque également les moyens de contrôler l’ennemi.
A court terme… à court terme… Eh bien je vais découper des figurines en papier et me préparer à utiliser mes pouvoirs. L’après-midi, j’irai au cirque pour me détendre et me divertir, mais aussi pour m’inspirer des magiciens ordinaires pour ce qui est du jeu de rôle. J’ai lu dans le journal qu’il y avait à Backlund des cirques permanents…
Cette réflexion terminée, Klein rangea les assiettes, nettoya ses couverts et se lança dans ses préparatifs.
Vers midi, il posa ses ciseaux et regarda les trois figurines grossières posées devant lui en soupirant : C’est probablement la première fois de ma vie que je m’adonne avec autant de sérieux à un travail manuel.
Heureusement qu’il ne s’agissait que de découper des figurines et non des fleurs ou des broderies. A partir du moment où ça a la forme d’une personne, c’est bon !
Si mes mains n’étaient pas plus habiles à présent, peut-être n’aurais-je pas réussi à le faire…
Il avait, en effet, testé ses capacités sur l’une des silhouettes découpées afin d’être certain que tout se passait bien.
Il plia les figurines, les dissimula dans une liasse de billets et les mit dans sa poche.
Il était sur le point de sortir s’offrir un repas dans un restaurant un peu meilleur avant de se rendre au cirque le plus proche lorsque la sonnette de la porte retentit, un agréable tintement qui se répercuta dans toute la maison.
Du travail ? La durée de publication de l’annonce que j’ai postée devrait être bientôt terminée…
Vêtu d’une chemise amidonnée et d’un pull fin et chaud, Klein s’approcha de la porte.
Il posait la main sur la poignée lorsque l’image du visiteur s’imposa à son esprit.
C’était un homme d’une quarantaine d’années. Plutôt gros, il semblait avoir du mal à se tenir debout.
Il était si bouffi que ses yeux paraissaient minuscules. Sa peau était rugueuse mais très blanche. Il tenait à la main une canne de gentleman et portait sur la tête un très grand chapeau.
Malgré le froid d’octobre, le front de l’homme dégoulinait de sueur.
Deux assistants en manteau rouge vif le soutenaient.
Je ne le connais pas… marmonna Klein en ouvrant la porte avant même que sa perception spirituelle ne puisse répondre.
– « Bonjour. Qu’est-ce qu’il fait chaud », dit le gros homme en sortant un mouchoir pour éponger la sueur qui perlait sur son front.
Au même moment, une rafale de vent froid fit frissonner les deux assistants.
– « Bonjour, puis-je vous être utile ? » Demanda poliment Klein »
– « Vous êtes bien le Détective Sherlock Moriarty ? J’ai quelque chose à vous confier. » L’homme entre deux âges eut un sourire forcé : « J’ai oublié de me présenter. Je suis Rogo Colloman, homme d’affaires spécialisé dans les bijoux. »
– « Entrez, je vous en prie », répondit Klein avec un sourire en s’effaçant.
Rogo Colloman s’avança d’un pas lourd et alla s’asseoir sur le vieux canapé qui eut un gémissement de protestation.
– « De quoi s’agit-il exactement ? » Demanda Klein en prenant un penny de cuivre qu’il fit habilement tournoyer du bout des doigts.
Rogo eut un soupir :
– « Je voudrais vous protégiez mon fils jusqu’à demain après-midi. Il a provoqué des fous. »
– « Jusqu’à demain après-midi ? Vous avez trouvé une solution ? Pourquoi ne pas appeler la police ? » Demanda Klein sans se précipiter.
Rogo garda un instant le silence.
– « Adol s’est retrouvé en compagnie de gens qui l’ont poussé à commettre de mauvaises actions. Oh, rien de bien grave mais cela pourrait le conduire en prison. A moins d’une nécessité absolue, je préfère ne pas appeler la police.
« Il y a quelque temps, il s’est disputé avec ses mauvais amis. Résultat, il a brusquement craqué et s’est mis à hurler que ces gens voulaient le tuer.
« Comme j’étais très inquiet, j’ai engagé six gardes du corps dans une agence de sécurité pour surveiller les extérieurs, puis quatre détectives privés qui se relaient pour surveiller Adol et ce même lorsqu’il dort.
« Mais l’un des détectives a été victime d’un accident à la maison et ne pourra revenir que demain après-midi, c’est pourquoi je suis contraint d’en engager un autre à la dernière minute.
« Je suis désolé que ce ne soit qu’une mission d’une journée.
« Voyons… La rémunération est de 10 Livres, auxquelles j’ajouterai une prime si vous faites face à un danger. Je pense que cela vous conviendra. »
Vraiment… 10 Livres pour une journée. L’équivalent d’une semaine de salaire de M. Sammer, le voisin… Se dit Klein qui voyait bien, à la couleur des émotions de son interlocuteur, que celui-ci ne mentait pas.
Durant le bref silence qui suivit, il ne cessa de faire tourner le penny en cuivre entre ses doigts. Finalement, celui-ci retomba dans sa main avec un bruit sourd.
Klein le regarda, replia les doigts et sourit :
– « Marché conclu. »