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Chapitre 4 – Exploration
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En pleine forme, je me recoiffais dans ma salle d’eau pour la troisième fois de la journée. Je sifflotais gaîment quelques airs grivois tout en tentant désespérément de plaquer cette mèche de cheveux rebelle qui commettait l’affront de se redresser d’elle-même. Puis je posai deux doigts sous la commissure de mon nez et lissai ma fine moustache, songeant aux paroles de mon roquet. Pourquoi fallait-il donc que je coupe ce magnifique apparat si soigneusement taillé et joliment fourni ? Un trait de virilité non négligeable selon mes principes.

Paré, j’enfilai mon veston et sortis de ma couche pour entreprendre une petite visite des lieux. Je connaissais grosso modo la composition du train dont les compartiments numéro un et deux étaient strictement réservés au personnel ; machinistes, contrôleurs, nettoyeurs, serveurs, cuisiniers… et comportaient également un local buanderie.

Pour les dix-sept autres wagons, huit servaient pour les chambres privatives, soit une bonne vingtaine au total, réparties entre l’avant et l’arrière du train.

Deux étaient des compartiments de restauration, la Casa Veche et le Lys d’Or , afin de proposer des menus variés. Une voiture, consacrée uniquement aux cuisines et sanitaires publiques, séparait les deux restaurants.

Trois autres servaient de salons communs ;

– Une salle de jeux, le Mendel, proposant un billard, mais également un comptoir à alcools et apéritifs de luxe.

– Une bibliothèque foisonnante d’ouvrages en toutes langues et comportant des livres uniques sur d’innombrables sujets (plus rares encore que ceux répertoriés dans les réserves secrètes du Vatican disait-on.)

– Un bar nommé l’Assommoir en hommage au roman d’Émile Zola, dans lequel une petite scène donnait lieu à divers spectacles et représentations. Il servait également de salon de convivialité avec sa presse et son stand pour y acheter tabac ou autres objets de première nécessité tels que des rasoirs et des stylos.

Pour finir, deux wagons servaient de fourgons à bagages et de réserves. En revanche je ne savais nullement à quoi correspondait la toute dernière voiture, la numéro XIX, située en queue de train.

Tranquillement, je déambulais dans cette longère de couloirs, m’attardant sur le paysage défilant d’une campagne paisible, baignée par les rayons mordorés du soleil de fin d’après-midi. La France était tout de même un beau pays, si complet entre les mers, les forêts, les vallons et les hautes montagnes ; une richesse que peu de pays pouvaient se vanter de posséder à l’intérieur de leurs frontières, hormis peut-être cette incroyable région des Carpates.

Cette pensée fit accélérer mon cœur et je trépignais d’impatience à l’idée de rencontrer de nouveaux espaces, parler avec ces gens aux us et coutumes si éloignés des nôtres, goûter à ces mets étrangers, écouter les histoires et légendes anciennes de ces terres reculées. Je me réjouissais de parcourir ces villages isolés aux architectures sommaires et biscornues, où les habitants aux conditions de vie plus que modestes, voire pauvres, étaient perdus entre les ânes et les chèvres. Du moins était-ce la façon dont j’imaginais ce territoire noyé sous ces interminables forêts primitives et ces montagnes brumeuses aux pics enneigés.

Je poursuivis mon escapade et traversais les deux voitures-restaurants aux ambiances diamétralement opposées ; le Lys d’Or paraissait nettement plus chic que ne l’était la Casa Veche à l’atmosphère semblable à celle d’une maison pittoresque. Je comparerais volontiers la seconde au salon de chez ma grand-mère, avec ces tapisseries en gros fils tissées mains, aux motifs d’arabesques et floraux faisant écho aux coussins de chaque banquette d’un jaune moutarde ou rouge ocré. Même le phonographe, les photographies en argentique et les napperons en dentelles sur ces tables en bois sombre avaient le don de me rappeler cette vieille rombière, tout aussi tyrannique que ne l’était mon adorable mère.

Ajoutez à cela cette odeur de lavande quand les doux fumets des mets cuisinés n’étaient pas présents et vous avez une idée de la chose. Seuls manqueraient la cheminée et le panier du chien ; ce sac à puces miteux, édenté, à moitié aveugle et au pelage gris couvert de croûtes.

Pourquoi diable un tel wagon avait-il été agencé de la sorte ? Avec tout cet argent pour construire ce train de luxe inégalé, pourquoi avait-il fallu créer une folie dans ce genre ! Était-ce pour amadouer cette clientèle de l’Est, aux goûts si différents des nôtres ? Ou bien pour rendre hommage à ce monsieur présent sur chaque photographie dont je ne parvenais pas à déchiffrer le nom.

Songeur, je quittai la salle pour me rendre au wagon onze, celui qui sera très certainement mon favori, le Mendel . Je me voyais déjà passer d’interminables soirées enfiévrées à jouer aux cartes en compagnie de ces hommes ivres de gain et de challenge. Je visualisai mes futurs rivaux compétiteurs, voire tricheurs, qui ne cesseraient leurs assauts que lorsque leurs gorges enflées par la fumée des cigares ne leur permettraient plus de continuer. Et que les pensées confuses par l’alcool ingurgité les obligeraient à se coucher, écroulés sous la fatigue après leur nuit de débauche.

Que j’aimais boire plus que de raison et me laisser submerger par la frénésie du pique, du trèfle, du carreau et du cœur ! Les yeux irrités par le rouge et le noir et les mains moites, tremblantes par l’appréhension de tout perdre en une fraction de seconde. J’adorais ces passe-temps qui comptaient parmi les rares instants où je parvenais à me sentir vivant.

Dommage que je ne possédais aucune cavalière sous la main. Car après ces longues heures d’agitation et de tourments internes, transpirant à grosses gouttes, le veston souillé par l’odeur rance de la sueur, j’éprouvais un immense plaisir de me défouler sur une oiselle. Pour clore de la meilleure des manières ces soirées intenses, je jouissais d’entendre gazouiller et gémir cette petite créature dominée par ma personne tandis que je menais fougueusement mon assaut.

Le lendemain, l’oiselle en question n’était plus présente puisque bien souvent, je payais le service que mademoiselle m’offrait ; souvent une serveuse ou une simple fille alpaguée dans la rue, n’ayant pas le luxe de pouvoir espérer obtenir plus pour la modique somme que je leur proposais. Mais au moins avaient-elles le don de me délester de mes bourses, tant physiquement que monnayant parlant.

Bien évidemment, tout ceci était avant que je rencontre Louise avec qui j’avais partagé trois ans de ma vie ; des années tant tumultueuses que sulfureuses. Que cette fille était belle avec ses grands yeux bleus hypnotisants, ses interminables cheveux blonds ondulés. Sans parler de ce corps… ô ce corps ! D’une douceur exquise, des formes à la fois fermes et généreuses si agréables à palper, des lèvres gourmandes à baiser tendrement, une fleur déployée à butiner sauvagement. Elle était digne de la naissance de Vénus de ce coquin de Cabanel. Jamais elle ne serait être mieux décrite que par ce tableau où cette femme aux formes voluptueuses vous offrait son corps dans une posture des plus aguichantes qui me faisait frissonner chaque fois que je l’admirais. Et dire que je ne pouvais plus contempler cette œuvre dorénavant, au point que je serais incapable de retourner au musée du Luxembourg pour l’y contempler.

En arrivant à l’Assommoir , j’aperçus l’homme à la tête de lévrier posté sur un sofa. Ce dernier fumait nonchalamment un cigare tout en buvant ce qui me semblait être un verre de whisky. Délesté de sa femme, il affichait un air un peu moins grave, mais pas moins hautain et portait son attention sur le paysage.

Puis, continuant mon avancée, je vis mon gentleman de tout à l’heure en pleine concentration devant son immense journal, daté du jour, La France Chevaline , spécialisé dans le domaine hippique. La gazette répertoriait une à une et dans les moindres détails les courses ayant eu lieu précédemment ainsi que les grands prix et autres étalons à vendre ou sur lesquels miser.

Je pus lire aisément des suites de noms de chevaux tels que des Gouverneur, Faribole , Giroflée ou d’autres plus étranges et farfelus, notamment Flèche d’Eau ou encore Qu’il est joli . Ainsi qu’un lot de chiffres et de lieux incompréhensibles pour quelqu’un qui, comme moi, ne connaissait strictement rien au turf. Pourtant, monsieur avait l’air à l’aise dans cette lecture nébuleuse, passant son doigt sur chaque article et bougeant ses lèvres pour s’imprégner des écrits.

Mais oui bien sûr ! monsieur était parieur ! Voilà donc la possible origine de sa fortune. Il devait avoir un flair impressionnant pour pouvoir disposer d’une telle somme et entreprendre un tel voyage.

Je m’installai non loin de lui, proche d’une bibliothèque où des piles de journaux et fascicules sur les régions et différents pays étaient rangés, triés par nationalité. Alors que je feuilletai l’un d’entre eux, pris au hasard dans le rayon français, un serveur vint à ma rencontre et prit ma commande. La liste des boissons et en-cas qu’il me tendit affichait des prix ridiculement indécents ; si jamais je prenais plus d’un verre par jour dans ce wagon-là, où tout se payait en extra, j’aurais sur ma tête une jolie dette à rembourser une fois le séjour achevé. Même le don d’un de mes reins et de l’ensemble de mes dents ne saurait suffire. Je n’osais penser aux prix affichés au Mendle, qui devaient être le double de ceux d’ici ; des boissons destinées uniquement aux plus riches d’entre nous dont je ne faisais clairement pas partie.

Songeur, je m’orientai sur une simple bière blonde Allemande, mes favorites, trouvant les Belges trop fortes à mon goût et les Françaises trop insipides. Puis, ma boisson en main, je commençai la lecture de mon ouvrage ; Contes et légendes Françaises — La Bête du Gévaudan, un classique .

Le fascicule avait la forme d’un journal hors-série, daté. Il paraissait avoir servi plusieurs fois au vu de son aspect froissé et de ses pages encornées. Sur l’illustration de couverture, une immense créature, mi-louve mi-humaine, assise sur un rocher au milieu des landes, était photographiée. Je ne savais pas qui avait fait un dessin ou confectionné un costume si réaliste de la chose, mais le trucage était particulièrement réussi si tel était le cas.

— Puis-je m’asseoir près de vous, cher monsieur ? m’interpella une voix calme et posée.

Je levai un œil et notai qu’il s’agissait de mon énigmatique parieur. Confus, je hochai la tête et l’invita à prendre place en face de ma personne. Puis, courtois, je lui tendis ma paume afin de le saluer d’une poignée de main solennelle ; monsieur avait la poigne vigoureuse.

— Gédéon Sylvestre Desbois, me dit-il dans un français impeccable, sans le moindre accent.

— Théophile Chasselas, enchanté monsieur ! répondis-je en souriant.

 



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