-1-
Heraldos : « Que l’entraînement commence. »
Sur les hauteurs d’un arbre, l’ermite de cette forêt semblait encore plus intimidant. C’était probablement la seule raison qui l’avait poussé à monter là.
Lucéard : « Vous ne devriez pas surveiller Ellébore aussi ? »
Ma bonne vieille tenue de torture avait toujours une odeur de poussière et de moisi, mais la porter me mettait dans le bon état d’esprit pour apprendre.
Heraldos : « Elle n’est pas mon élève. Et tu devrais t’inquiéter pour ta propre personne, Lucéard. Ton nouveau programme débute dès aujourd’hui. »
Lucéard : « Laissez-moi deviner : il est bien plus intense que le précédent. »
Heraldos : « Bien sûr qu’il l’est. Si ton entraînement est de plus en plus facile, c’est que tu es de plus en plus faible. »
Lucéard : « Je crois comprendre ce que vous voulez dire, mais j’ai déjà du mal à suivre l’ancien. »
Heraldos : « Tu es un fainéant, Lucéard. Si on ne te force pas la main, tu es incapable de produire des efforts. Si ton entraînement est tel qu’il est, c’est parce que tu ne comprends que le danger immédiat, tu ne vois pas plus loin que les enjeux auxquels tu es confronté. Mais si tu veux survivre à ce qui t’attend par la suite, tu dois tout donner dès maintenant. »
Son ton à lui seul pouvait me faire baisser la tête de honte, et savoir qu’il avait raison n’arrangeait rien.
Lucéard : « Vous dites ça comme si c’était vous qui allez décider des périls qui m’attendent. »
Heraldos : « Précisément. »
Je finis par comprendre l’utilité des pièges qu’il avait installés avant mon retour. Et ce, en une seule après-midi. Je n’entrevis Ellébore qu’une fois avant le soir, alors que la demoiselle était en train de tirer des cordes pour mon programme de demain. Quand je pus rentrer à la maison et engloutir mon repas, plutôt que d’aller me coucher, je m’exfiltrai de la maisonnette pour rejoindre mon havre de paix.
C’était la récompense que je me faisais pour ce jour de labeur. Et quand je pus y pénétrer, je m’émerveillai une fois de plus. Rien n’avait changé. Le chemin n’était ni plus bas ni plus étroit qu’avant, comme si la forêt laissait volontairement accès à cet endroit. La nuit s’annonçait plus fraîche que les précédentes, mais je ne le remarquai pas. J’étais plongé dans mes pensées, tandis que je regardai fixement le tronc couché face à la mare.
Ellébore : « C’est vraiment féerique ici ! »
Je sursautai en entendant la voix de la fouineuse qui avait dû me suivre.
Lucéard : « Que me vaut cette filature ? »
Il fallut ces quelques mots pour que la demoiselle se rende compte de son indiscrétion.
Ellébore : « Oh, je suis désolée, Lucéard ! Je ne vous espionnais pas vraiment. Ce n’est pas comme si je me méfiais de vous. »
Pour quelle autre raison ?
Face à ma perplexité, la jeune fille reprit son argumentaire avec plus d’assurance.
Ellébore : « J’étais simplement curieuse. On dit que c’est un vilain défaut, mais ça n’est certainement pas vrai. La curiosité est la première arme des détectives, après tout ! »
Lucéard : « Je ne l’avais jamais entendue celle-là. Mais soit. Si vous le dites. »
Ellébore : « Hm, si je vous embête, dites-le moi, je repartirai. »
On ne pouvait pas être sûr de ce que je pensais. Je n’avais pas l’air irrité, mais pouvais-je encore considérer mon paradis secret comme secret ?
Lucéard : « Non, bien sûr que non. Allez-y, asseyez-vous. »
Ellébore : « Sur ce rondin plein de mousse ? »
Ellébore semblait considérer la question. Je m’assis le premier, et lui fis signe de me rejoindre.
Lucéard : « Vous pouvez vous asseoir par terre, si vous préférez. »
Avec son enthousiasme habituel, elle prit place à côté de moi. Nous faisions tous deux face à la mare. Le silence s’installait alors que la jeune détective découvrait chaque recoin de ce paysage. Moins d’une minute après, elle se tourna vers moi.
Ellébore : « C’est vraiment très joli. On voit si nettement les étoiles se refléter dans cette mare. Mais vous ne trouvez pas cela étrange qu’elle soit aussi claire alors qu’il ne semble pas y avoir d’exutoire ? »
Lucéard : « Je reconnais ne m’être jamais posé la question. Peut-être que l’eau arrive et repart par une cavité souterraine. Enfin, j’ai tendance à penser que cet endroit est tout simplement magique. »
Mes paroles semblaient lui faire plaisir, sans que je ne puisse deviner pourquoi.
Ellébore : « Vous venez souvent ici ? »
Lucéard : « J’aime bien m’y rendre de temps en temps, c’est agréable de se retrouver seul face à soi-même dans un tel endroit. »
Ellébore : « Oh… D’accord… »
La demoiselle semblait mal à l’aise.
Lucéard : « Je ne voulais pas dire que votre présence me gênait. Au contraire, pouvoir profiter de ce spectacle avec quelqu’un ce n’est pas si mal. C’est juste que d’habitude j’y vais seul. »
Mon débit de paroles s’était accentué l’espace de cette réplique. J’avais réussi à lui faire décrocher ce sourire lumineux qu’elle montrait de temps à autre.
Ellébore : « Si vous le dites. »
Lucéard : « N’essayez pas de m’imiter, Ellébore. »
Son air railleur disparut lentement alors qu’elle contemplait les cimes.
Ellébore : « Les événements d’avant-hier sont déjà si loin. J’y pense encore, mais je me sens mieux après tous les bons moments qu’on a passés. J’ai vraiment cru que ma vie allait tourner court. C’est quelque chose que personne ne devrait avoir à vivre. Pourtant, j’ai l’impression d’être plus attentive à des choses que j’ignorais avant. Je ne saurai pas comment l’expliquer, mais j’ai peut-être un peu grandi. »
Absorbée par ses propres réflexions, elle finit par se tourner vers moi, pour apercevoir un air suffisant.
Ellébore : « J’ai dit quelque chose de bizarre ? »
Lucéard : « Non, loin de là. J’étais en train de me dire que je n’étais pas le seul à tomber dans ce genre de réflexions existentielles en venant ici. »
Ellébore : « Vous aussi, alors ? C’est vrai que cet endroit est comme un petit monde à l’écart, depuis lequel on peut regarder le nôtre au loin. »
Lucéard : « Je ne l’aurai jamais aussi bien dit que vous. »
Navrant pour quelqu’un qui se voulait apprenti ménestrel.
Baignant dans la lumière nocturne, nous fixions la lune calmement. Je fus celui qui brisai à nouveau le silence.
Lucéard : « La première fois que je suis venu ici, mon monde venait de s’effondrer. Ce soir-là… Je cherchais à me réfugier là où on ne me retrouverait pas. »
Ellébore s’inquiétait visiblement pour moi. Elle semblait chercher activement quelque chose pour me réconforter.
Lucéard : « Désolé de vous embêter avec ça. J’ai beau aimé cet endroit, il me rappelle toujours ce qui m’y a mené. »
Ellébore : « Ne vous en faites pas. Si cela peut vous aider d’en parler, je serai heureuse de pouvoir vous écouter. »
Lucéard : « Vous avez raison. D’en avoir un peu parlé jusque là me permet de penser à autres choses de temps en temps. Je n’aurai jamais pu apprécier notre soirée hier si c’était arrivé quelques jours plus tôt. »
Abattu malgré ce constat, je baissai significativement la tête.
Lucéard : « Et pour être franc, je ne sais pas si c’est une bonne chose. Je crois bien que je préférerai être triste toute ma vie plutôt qu’oublier ma sœur. »
La jeune fille me répondit avec une douceur que je ne lui connaissais pas.
Ellébore : « Je crois comprendre ce que vous ressentez. Mais ne pas penser à Mademoiselle Nojùcénie en permanence ne signifie pas que vous allez l’oublier. Vous finirez par penser à elle avec des sentiments qui vous pousseront à aller de l’avant, croyez-moi. »
Lucéard : « Et si ce n’était pas le cas… Et si je finissais par ne lui rendre visite qu’à de rares occasions, comme je le fais pour ma mère ? Avec le temps, ma sœur ne sera plus que de l’histoire ancienne, et je ne peux absolument rien y faire. »
Mes sentiments les plus cruels envenimaient l’air et rongeaient mon esprit. Ellébore aussi finit par se sentir impuissante. Chez elle, cette sensation se traduisait par un chagrin profond. Chez moi, c’était comme si un vide béant s’élargissait encore, et encore.
La demoiselle se rapprocha et m’attrapa par le tissu de mon haut du bout de ses doigts. Hésitante, sa voix était de plus en plus faible.
Ellébore : « Je suis sûre qu’il y a une solution. Et j’aimerai pouvoir t’aider jusqu’à ce que tu la trouves. »
Je m’écartai un peu, et la fixait à mon tour, surpris.
Lucéard : « Tu viens de me tutoyer, à l’instant ? »
Plus peinée que confuse, la demoiselle écarquilla les yeux.
Ellébore : « Ah oui ? Je n’ai pas fait attention. »
Lucéard : « Bah, c’est mieux comme ça. Honnêtement, ça fait déjà depuis hier que je me retiens d’en faire autant. »
J’étais provisoirement apaisé, et il n’en fallait pas plus pour qu’Ellébore esquisse un maigre sourire.
Ellébore : « Pareil pour moi. Mais j’avais un peu peur de tutoyer un prince. Et pourtant, c’est moi qui ai fini par le faire en première. »
Lucéard : « Cette image de prince ne me plaît pas trop. J’ai l’impression de n’être qu’un illustre inconnu. »
Ellébore : « Ne te méprends pas. C’est vrai que je peux difficilement oublier que tu es de la famille royale, mais… Je te considère vraiment comme un ami. »
Je m’étonnai à sourire en entendant ces mots. Elle me sourit en retour.
Lucéard : « J’ai l’impression que tu vas tomber de sommeil d’une seconde à l’autre, on ferait mieux de rentrer. »
D’une certaine façon, je sentais un regain d’énergie.
Ellébore : « C’est plutôt moi qui devrais dire ça ! Je ne suis même pas sûre que tu réussiras à te relever. »
Mon amie se leva joyeusement et mena la marche pour le chemin du retour. Comme à mon habitude, je lançai un dernier regard à mon paradis presque secret, c’était ma façon de le saluer. Je vis alors une plume luisante filer devant mes yeux.
Ellébore : « Tu t’es endormi ? »
Lucéard : « Non, j’arrive. »
Répondis-je à la voix affectueuse d’Ellébore, avant de me lancer à mon tour dans cet étroit tunnel feuillu.
-2-
Le lendemain matin m’accueillit paisiblement. Alors que ma conscience me revenait, je pouvais sentir la douce chaleur du soleil s’étendre sur mon visage. L’air frais mêlé à la douce odeur de rosée m’enveloppait tout entier. Le chant des oiseaux aussi me procurait un sentiment de paix, ainsi que le crépitement des flammes, et bien assez tôt la cendre brûlante me poussa à ouvrir les yeux.
Lucéard : « Qu’est-ce que ça vient faire là ?! »
Me levant d’un bond, je constatai être entouré d’un brasier ardent. Ce n’était pas un cauchemar, non. C’était ainsi que commençait mon entraînement.
Un rondin traversa le mur de flamme qui m’encerclait, et s’embrasa à son tour avant de jaillir furieusement dans ma direction. Je l’évitai difficilement, mes sens durent me revenir en une fraction de seconde.
C’est pour des matins comme celui-là que je dors dans ma tenue d’entraînement.
Jamais je n’aurai pensé afficher une telle assurance quelques secondes après mon réveil. Je me retournai prestement. Le projectile n’en était pas un. Ce morceau de bois avait été attaché aux branches hautes d’un koniféra géant à l’aide d’une corde. Je devinais qu’il allait revenir de plus belle. Un rapide regard en hauteur confirma mes soupçons. Je pouvais voir la corde tendue redescendre jusqu’à la bûche.
Alors que je m’esquivai bien avant de me mettre en danger, je vis le cordage céder sous les flammes qui le dévoraient. Ce rondin dévia de sa trajectoire, et par un mauvais rebond se retrouva à heurter le prince de Lucécie.
Lucéard : « Aaah ! »
Je me débarrassai de l’écorce incandescente avant que mes vêtements ne soient définitivement inutilisables. Surpris par ce malheureux coup du sort, je me retrouvais désemparé en apercevant toutes les cordes au-dessus de moi se mettre en mouvement. D’une certaine façon, il avait commencé l’épreuve en douceur.
Quelques minutes plus tard, à la première occasion, je bondis hors des flammes. Mon corps recouvert de suie était encore parsemé de petites flammèches. À bout de souffle, je reçus un seau d’eau en plein visage, qui manqua de m’asphyxier pour de bon. Après m’être frotté les yeux, je pouvais contempler le visage paniqué de mon sauveur.
Ellébore : « Désolée Lucéard ! Il m’avait dit de couper du bois pour le feu, si j’avais su ce qu’il- »
Lucéard : « Du calme, du calme… »
Je toussais à plusieurs reprises avant de me redresser.
Lucéard : « Je t’imaginerai mal complice de ce tortionnaire. »
Elle étouffa un rire charmant. A présent rassurée, elle repartit avec ses seaux vides, me faisant un signe de main.
Ellébore : « Passe une bonne matinée, on se voit à midi ! »
Comment peux-tu imaginer que quelque chose puisse rattraper ce début de matinée catastrophique ?
Je regardais le Maître s’éloigner plus profondément dans la forêt. Comme à son habitude, il allait m’attendre quelque part, me faire un discours sur les bienfaits de ce qui vient de m’arriver, et puis, sans transition, la prochaine épreuve débutera.
Mais je ne me laisserai pas toujours faire !
Quand midi fut venu, je m’avachis sur une chaise en bois, et laissai retomber le bâton qui m’avait servi de canne sur le chemin du retour. J’étais rincé.
Je n’avais même pas remarqué que face à moi Ellébore était affalée, le visage contre la table.
Ellébore : « Je pensais…que tu étais le seul à t’entraîner, ici. »
Lucéard : « D’une certaine façon…ça fait du bien de se dire qu’on est pas le seul à souffrir. »
Heraldos : « Qu’est-ce que vous faites là ? Il n’y a pas de repas ce midi. »
Avec nos dernières forces, on levait la tête pour apercevoir notre bourreau.
Lucéard : « Vous êtes… trop fatigué pour cuisiner, c’est ça ? »
Je reçus un coup de bâton.
Heraldos : « J’ai horreur de tes sarcasmes. Si tu veux manger, il va falloir que tu ailles chercher les ingrédients que j’ai cachés. »
Oh, génial. Je vais enfin savoir ce qu’il y a dans mes repas.
Ellébore : « Dites… Et moi ? »
Même face au grand yeux d’Ellébore, le vieillard restait totalement de marbre.
Heraldos : « Je suis sûr que tu trouverais un moyen de partager avec lui si je te laissais faire. Va plutôt chercher les chaînes. »
Ellébore : « Tout… Tout de suite… »
La demoiselle s’exécuta lentement, à la manière d’une personne âgée.
Le soir venu, Ellébore et moi dînâmes sur une barque au milieu du lac. J’étais détrempé, et la barque aussi avait pris l’eau puisque j’avais dû la rejoindre à la nage, avec des poids sur tout le corps. Le Maître nous observait depuis la berge.
Lucéard : « Merci pour tes encouragements, Ellébore. Je n’entendais pas tout mais ça m’a donné du baume au cœur. »
Ellébore : « De rien, je ne pouvais vraiment pas me résoudre à manger alors que tu étais en train de te noyer de toute façon. J’ai même cru que j’allais me jeter à l’eau à un moment, mais tu t’en es rudement bien sorti. »
Ainsi discutait-on de ma performance, en ingurgitant cette mixture supposément nutritive. Mon amie soupira paisiblement.
Ellébore : « C’est agréable de manger ici aux dernières lueurs du jour. Je suis doublement contente, parce que j’ai vraiment l’impression de l’avoir mérité. C’était encore une longue journée. »
Elle prenait avec philosophie tout ce qui s’était passé jusque là, et l’entendre tenir un tel discours ne me faisait pas de mal. Je ne pouvais pas dire non plus profiter totalement de ce calme repas. Même lorsque mes muscles ne hurlaient pas de douleur, certaines cicatrices me tiraillaient toujours.
Finalement, de l’eau pénétra dans la vieille barque d’Heraldos et nous dûmes rentrer à la nage, Ellébore, les poids, et moi. Quand la nuit fut enfin venue, je traînai mes os tremblants jusqu’à ma chambre. En passant devant celle de la jeune détective, débarras qu’elle avait dû aménager dans la journée, je la vis, carnet en main, relisant ses notes avec beaucoup de sérieux. Sa longue chevelure, éclairée par une simple chandelle, n’était pas prête de sécher.
Le lendemain, et les lendemains qui suivirent, ne se ressemblèrent pas, et chaque jour, un nouveau monde de douleur s’offrit à moi, de l’aube au crépuscule. Cette semaine me parut durer une éternité. Mais paradoxalement, sa fin approchait à grands pas.
-3-
Le Maître savait alterner entre supplice physique et supplice mental pour me laisser le temps de récupérer, et je pouvais même affirmer me sentir reposé au matin du dernier jour.
Alors que je rentrais de ce que je considérais comme l’échauffement…
Ellébore : « Lucéard, par ici ! »
Je me retournais en direction du lac pour apercevoir une demoiselle en détresse retenue dans une cage en fer posée sur un large rondin qui flottait à la verticale.
Mais où est-ce qu’il va chercher tout ça ? Et comment il a fait tenir ça debout ?!
Je me rendais à présent compte que la réponse à ces questions pouvaient attendre.
Lucéard : « Il faut que je t’ouvre ? Pas de problème. Ne bouge pas, j’arrive tout de suite ! »
Ellébore : « Comment ça ne bouge pas ?! »
Attrapant les barreaux métalliques, la jeune fille soupirait. On pouvait presque passer entre eux, ce qui donnait un espoir vain de s’enfuir.
Heraldos : « Dans une heure, ton amie aura coulé. »
Derrière moi, le Maître laissait enfin émaner son aura pesante. Peu inquiet, je lui adressai la parole sur un air de reproche.
Lucéard : « Vous n’êtes pas obligé de mêler Ellébore à ça. Je suis obligé de faire toutes vos épreuves de toute façon. »
Je réalisai à présent ce qu’il venait de dire.
Lucéard : « Une heure, ça me laisse beaucoup de temps pour lui porter secours. Vous êtes sûr que vous ne vous êtes pas trompé ? »
Le vieil homme semblait agacé.
Heraldos : « Je ne cache pas ma déception, Lucéard. Tu penses réellement que j’ai élaboré une telle épreuve pour qu’elle soit facile ? Tu n’as pas l’air de te rendre compte qu’elle est actuellement en danger. Si tu penses que j’irai la sauver à ta place si tu échoues, alors tu n’as qu’à attendre ici et constater. »
Hélas pour nous, il ne semblait pas plaisanter. J’arrivais difficilement à prendre la situation au sérieux, ce n’était qu’un entraînement.
Lucéard : « Bon, qu’est-ce que je suis censé faire ? »
Heraldos : « Le pantin d’entraînement détient la clé qui ouvre la cage. »
Je souris en coin. Je me doutais pourtant que ça ne pouvait pas être si simple.
Lucéard : « Vous blaguez ? C’est comme si c’était fait. »
Je partais en direction de la berge où attendait la marionnette de bois, inerte. J’avais néanmoins le cœur lourd, et un très mauvais pressentiment. Heraldos observait attentivement.
Heraldos : « Aujourd’hui tu vas découvrir à quel point les responsabilités peuvent peser sur ton esprit. Te mettre en situation de survie ne te préparera pas à ce qui t’attend. Dans le futur, plus encore que toi, ce sera ceux que tu cherches à protéger qui seront en danger. Et quand ce moment viendra, comment réagiras-tu ? »
J’avais vaguement entendu ses paroles, mais n’y avais pas trop prêté attention. Mon adversaire m’attendait à quelques mètres de moi. On lui avait attaché une épée à la main, et il tenait une clé dans l’autre. Son regard était, comme l’on pouvait l’attendre, vide. Je récupérai l’épée et la clé sans difficulté.
Comment veut-il que je prenne son épreuve au sérieux après ça ?
Heraldos : « Tu peux à présent ouvrir la première cage. »
Je grimaçai en me tournant dans sa direction, ce dénouement était évident.
Tiens donc, qui l’eut crû ?
Il y avait en effet à la lisière de la forêt, à une dizaine de mètres de là où était retenue Ellébore, une cage en bois dont on ne pouvait voir l’intérieur.
Je m’empressai d’utiliser la clé, imaginant qu’il devait y avoir tout un tas d’autres serrures à ouvrir.
Alors que la porte grinçait, la lumière se déversa entre ses parois. Il y avait là un autre pantin. Je bondis en arrière et me mis en garde.
P-pourquoi j’ai réagi ainsi ?
Heraldos : « Bien vu. Je vois que tes sens sont de plus en plus aiguisés. N’oublie jamais qu’une fois pris au dépourvu, le plus grand guerrier sera aussi faible qu’un débutant. »
La marionnette sortit de l’ombre. On lui avait dessiné des sourcils froncés et une larme à l’œil. Elle n’était pas particulièrement intimidante, mais celui qui l’avait peinte aurait bien aimé qu’elle le fût. Contrairement à l’autre, celle-ci avait néanmoins ce que j’identifiai comme une présence.
Ses membres s’excitèrent soudainement comme si un mécanisme y avait été installé. Il n’y avait pourtant rien de tel. Le bois claquait de part et d’autre, alors que la créature s’animait. Elle sortit deux longs sabres et les pointa dans ma direction. Je n’étais plus aussi confiant qu’il y a quelques secondes.
Lucéard : « Ne me dites pas… C’est un enchantement ? »
Heraldos : « Sais-tu reconnaître la magie, Lucéard ? Je te préviens, je n’ai aucun contrôle sur ce pantin. S’il est trop fort pour toi, je ne pourrais rien faire pour l’arrêter. »
Il disait ça comme s’il reconnaissait avoir commis une erreur en élaborant cet entraînement, mais de mon point de vue, tous ce qu’il m’avait infligé jusque là aurait très bien pu me tuer. Rien ne changeait de ce côté-là.
Ellébore : « Allez Lucéard, courage ! Je suis avec toi ! »
La jeune fille était tout sourire et m’encourageait ardemment, elle n’avait rien de mieux à faire de toute façon.
Son expression trahissait ensuite une soudaine perplexité.
Ellébore : « C’est moi ou la cage est de plus en plus basse ? »
Je me retournais vers le maître, furieux, il détourna aussitôt le regard.
Lucéard : « Vous ne lui avez pas dit ?! »
Heraldos : « Elle n’a pas besoin de le savoir, tu es censé la secourir après tout. »
Vous êtes gonflé.
La marionnette de bois se lança finalement à l’assaut. Sa façon de courir n’était pas très réaliste, mais elle lui permettait de se déplacer peut-être plus vite encore que si elle était normalement articulée. Cette technique de déplacement me distrait un instant, et le pantin en profita pour brandir son premier sabre. Je parai le coup qui s’était révélé être d’une précision redoutable, et il put continuer l’assaut avec sa seconde arme. Je dus reculer pour parer cette attaque.
Après quelques échanges, je compris mon désavantage. L’arme que l’on m’avait laissé avait une portée moindre et je pouvais difficilement être sur l’offensive pour cette raison. Le fait qu’il ait deux sabres diminuait aussi mes chances de trouver une ouverture. À chaque fois que le fer se croisait, mon espoir de vaincre s’amenuisait.
Lucéard : « Il est plutôt coriace… ! »
Mes tentatives de feintes étaient aussi vouées à l’échec puisque cet adversaire de bois ne se laissait pas abuser par mes mouvements. Il ne réfléchissait pas comme un humain.
Aussitôt que je contre-attaquais, il ramenait ses armes devant lui. Sa constitution lui permettait de se mettre rapidement en garde. Il était redoutable sur la défensive.
Je n’arrive à rien… !
Je commençais à subir ce combat. Je pouvais seulement me réjouir que ses attaques n’aient pas réussi à me toucher jusque là.
Cependant, sur la durée, j’allais perdre. Je me trouvais bien plus endurant que je ne l’avais jamais été, mais cet effort soutenu rendait ma respiration haletante, et face à un ennemi qui n’avait pas à se soucier de son souffle, j’étais sûr de ne pas tenir la distance.
Je me tournais en direction de la cage, comme si j’étais prêt à jeter l’éponge. Elle avait bien descendu et il ne restait que quelques minutes avant que l’eau ne commence à pénétrer entre les barreaux. Mon rythme cardiaque s’accélérait une fois de plus.
Le temps était passé plus vite que je ne l’avais imaginé.
Non, non, non !
Affaibli sur le plan psychologique, je peinais à anticiper la prochaine attaque du pantin, qui jouait de sa mobilité pour me surprendre. Sa lame effleura mon bras, et, pris d’adrénaline, je ne réalisai que quelques secondes après que mon bras saignait.
Mes mouvements étaient de plus en plus brouillons. Comme si l’hésitation me paralysait, mes réponses tardaient.
Heraldos : « On dirait bien que la moitié du temps est déjà passée. »
Le Maître était d’un calme encore plus déstabilisant. Jusque là, tout se déroulait comme il l’avait anticipé. Ellébore était plaquée contre un côté de la cage.
Ellébore : « La cage est en train de pencher, c’est normal ça aussi ? »
Heraldos avait l’air coupable.
Heraldos : « Un tel système ne peut être parfait. Cela raccourcit un peu le temps imparti. »
Même l’apprentie détective n’était plus sereine. Elle commençait à forcer sur les barreaux, tout en continuant de me fixer du coin de l’œil.
Lucéard : « Oh pitié ! Il doit bien y avoir un moyen. »
Je n’avais pas d’instrument sur moi, mais je pouvais tenter de m’aider de la magie. Après avoir repoussé ses coups, je levai la main droite.
Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS »
En un claquement de doigt, le sort jaillit. Il était plus faible que ce que je pouvais fournir avec la flûte-double, mais ça pouvait faire l’affaire.
Le sort se rompit au contact de la marionnette. C’était comme si elle avait recouru à l’auxilia. La déception m’immobilisa une fois de plus.
Heraldos : « La chose qui a pris possession de ce pantin a une magie puissante, et tu n’es pas encore de taille à briser sa garde magique. J’ai bien peur que tu ne puisses vaincre qu’avec cette épée. »
Il s’était bien gardé de me le dire plus tôt. Cette banale arme d’entraînement était ma seule chance de salut ? J’avais l’esprit trop confus pour chercher une autre solution. Je repartis à l’assaut.
Je frappais de plus en plus grossièrement, je voulais repousser ses sabres à la force de mes bras, mais ces derniers me tiraillaient déjà.
Ellébore va finir par se noyer, il me faut cette clé !
La créature de bois répondit à ma violence par un coup décisif, et me projeta au sol.
Lucéard : « C’est pas possible ! Il est encore plus fort ! »
Je me relevais, perdu. Cette chose était-elle capable de progresser ?
Heraldos : « L’est-il ? »
Sa question me rappela à la raison. Ce n’était pas lui qui était plus fort. J’étais moi-même devenu plus faible.
Je ne dois pas me laisser mener par le bout du nez. Si je continue ainsi, Ellébore va réellement être en danger. Je ne sais pas si le Maître est sérieux, mais si je ne suis pas capable de la sauver, peut-être qu’il ne pourra pas intervenir à temps. Je ne peux pas encore laisser quelqu’un mourir à cause de mon impuissance. Je ne le supporterai pas.
Ce qui commençait par un simple entraînement tournait au dramatique. Je mesurai enfin la gravité de la situation, et je ne pouvais déjà plus rien y faire. Mes mains tremblaient.
Ellébore : « Tu peux le faire, Lucéard ! Accroche-toi ! »
La demoiselle avait d’aussi bonnes raisons de paniquer que moi, mais continuait de me soutenir avec sa bonne humeur habituelle. Je me sentais plus minable encore. Elle devait se dire que j’allais la secourir d’une seconde à l’autre.
Je gonflai le torse, pris une grande inspiration et fonçai sur mon adversaire.
Lucéard : « Aaah ! »
Mon cri de guerre semblait donner du poids à mon arme, et je déviai ses deux sabres avant de lancer un dernier coup, négligeant ma défense. La lame frappa sa tête et se brisa au contact.
Avant même que je ne réalise, le pantin bondit et m’asséna un coup de pied en plein visage. Je m’étalai au sol. Mes chances de victoire venaient à leur tour d’être brisées. Je me retrouvai sur un coude, défait.
Lucéard : « Non, pas ça… »
Heraldos me regardait, le visage plus impitoyable encore que d’habitude. Je ris jaune.
Lucéard : « Désolé Ellébore, j’ai cassé l’épée. Je ne peux plus continuer l’épreuve. »
Le sourire forcé, la jeune fille me fit signe.
Ellébore : « Ce… Ce n’est pas grave, tu as fait de ton mieux ! »
J’étais plus bas que terre. J’avais échoué, et par-dessus le marché, j’avais visiblement déçu mon amie qui avait assisté à tout ça.
Désolé, Ellébore… J’ai vraiment été nul. Et le Maître aussi doit avoir honte. Au moins, il a la présence d’esprit de le cacher.
Heraldos : « Que c’est pitoyable. Tu me déçois tellement, Lucéard. Ton amie va mourir à cause de ton incompétence. J’ai honte d’avoir assisté à un spectacle aussi misérable. »
Oui, bon, j’ai compris.
Ellébore : « J’ai les chaussures trempées ! Mes cheveux vont encore être mouillés toute la soirée, je vais finir par attraper un rhume… Faites-moi sortir s’il vous plaît ! »
Heraldos entendit la complainte de la demoiselle, et n’y prêta que peu d’attention.
Heraldos : « Plutôt que de parler, tu devrais faire tes réserves d’oxygène, tant qu’il n’a pas la clé, tu resteras ici. »
Ellébore : « Quoi ?? »
J’aurai aimé crier en cœur avec elle ma stupéfaction, mais je restai muet. Qu’attendait-il de plus ? J’avais échoué. Encore une fois.
Lucéard : « Vous êtes devenu fou ? Vous voyez bien que je n’ai plus aucun moyen de- »
Le regard noir, Heraldos frappa du pied de son bâton sur le sol, et l’onde de choc me fit perdre l’équilibre alors que je me relevais.
Heraldos : « Je ne devrais pas avoir à t’inculquer des choses aussi basiques, Lucéard ! Tu penses avoir le loisir d’abandonner quand tu ne vois plus de solution ? Tu n’aideras jamais qui que ce soit en décidant que tu n’y peux rien. Et c’est toi qui sera le premier à en pâtir. Tu perds ton temps inutilement alors que tu n’en as jamais eu autant besoin. Si tu n’es pas prêt à faire face à certaines situations, alors non seulement tu perds ton temps, mais tu perds aussi le mien, et celui d’Éléonore, puisque elle va littéralement perdre toute sa vie. »
Ellébore : « N-ne dites pas ça, enfin… ! »
La jeune fille pleurnichait, agrippée aux barreaux.
Heraldos : « Si tu n’es prêt qu’à avoir des résultats sans rencontrer de difficulté, tu n’as qu’à rester chez toi à l’avenir. »
Ses paroles m’écrasaient encore plus. Cependant quelque part en moi, je savais que je pouvais déprimer autant que je le souhaitais, je pouvais ressasser cet échec pendant aussi longtemps qu’il me hanterait. Mais pas maintenant. Pour l’instant, j’avais mieux à faire que de lutter contre moi-même. Je devais agir.
J’ai perdu sur tous les tableaux… Mais si je peux l’emporter à ma toute dernière chance, alors ma défaite ne sera pas totale ! Il me faut cette clé, maintenant !
Je levai les yeux vers mon adversaire. La vision qui suivit me paralysa.
Heraldos : « J’espère que ça t’aura servi de leçon. »
Le Maître délia ses lèvres avec satisfaction. Le bras droit du pantin était ballant. Il avait été endommagé lors de mon dernier assaut. …Et je ne l’avais pas remarqué plus tôt.
Lucéard : « Quel idiot… Je me suis vraiment fait perdre un temps fou. »
Toujours d’humeur belliqueuse, la marionnette fonçait sur moi. Je plaçai mon pouce et mon index face à elle, visiblement plus confiant.
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS »
Mon sort l’évita, s’enroula autour du sabre au sol et le tira jusqu’à moi. Heraldos frotta sa barbe, constatant que je pouvais encore me montrer ingénieux dans un tel moment. Ellébore ne regardait même plus le combat. Elle essayait de rester au sec le plus longtemps possible.
Mon adversaire me rejoint trop tard, à armes égales, je ne pouvais pas perdre. Après une parade pleine de frustration, je repoussai son arme et plongeai ma lame droit sur lui. Le corps de mon ennemi se rompit et je pus sentir l’âme qui l’habitait disparaître.
Dans sa carcasse éventrée gisait une grosse clé. C’était la bonne. Je n’avais plus qu’à la sortir de là.
Ellébore : « La cage ! Elle bascule ! »
Ce cri de panique me fit sursauter. En effet, la cage commençait à glisser de son piédestal, Ellébore allait sombrer avec elle.
Lucéard : « Ellébore ! »
Le Maître tentait de montrer un visage impassible, mais il n’avait pas prévu un tel dénouement.
Pas comme ça !
Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS »
Je claquai des doigts à m’en brûler la peau. C’était une question de vie ou de mort. Même dans cet infime instant, je ne pouvais m’empêcher de revivre une situation similaire.
Le ruban surgit du vide. Je pouvais voir la cage disparaître sous les flots. Elle coulait à pic. Le sort plongea dans l’eau, mais il était déjà trop tard.
Lucéard : « Ellébore !! »
Je plongeai dans l’eau sans hésiter une seconde sous le regard d’Heraldos.
J’entendais mon cœur battre dans mes oreilles. Tout ce que je ressentais à ce moment submergeait ma conscience. Avec une énergie que je n’avais plus, je me débattais pour aller plus profondément.
On ne voyait pas le fond, et je n’étais pas sûr de discerner la cage. Alors que je m’enfonçais dans ces froides ténèbres, je perdis la clé dans un mouvement brusque.
Je jouai alors des mains pour la rattraper, mais je ne savais plus où elle se trouvait. Je continuai d’aller plus profondément, quitte à ne plus pouvoir rien faire. J’avais probablement perdu mon emprise sur la situation. Ma réserve d’oxygène était déjà pratiquement vide, je ne savais même plus où j’étais.
Dans l’eau trouble, une lumière m’apparut. Une silhouette se dessinait.
Nojù… ?
???: « Je suis avec toi. Tous ceux qui t’aiment sont avec toi à chaque instant. Ce n’est pas grave si tu échoues. Nous serons toujours là pour toi, quoi qu’il arrive. »
Cette voix m’apaisait, et mes yeux se fermaient malgré eux.
???: « Tu n’as pas à avoir peur. N’oublie pas que tu es sûr de garder certaines choses pour toute la vie. »
La dernière chose que je ressentis fut de la chaleur.
-4-
J’ouvris péniblement les yeux. J’étais sur la terre ferme. Quand mes esprits me revinrent, je bondis sur mes deux jambes.
Lucéard : « Ellébore ! »
Ellébore : « Tout va bien, Lucéard. »
La voix chaleureuse de la demoiselle était juste à côté de moi. Elle était recouverte d’un drap et ses longs cheveux blonds étaient encore ruisselants. Ellébore semblait touchée par l’éclat de voix que je venais de produire.
Ellébore : « Tu m’as fait une de ces peurs, tu sais ? »
Le plus affectueusement du monde, elle me sourit. Je contenais malgré tout mon émotion.
Le Maître était derrière elle. Il était médusé.
Heraldos : « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit elle qui te sauve la vie. »
Hein, quoi ?
Lucéard : « Ne me dites pas… »
Ellébore affichait sa fierté alors que je me retournais vers elle, pantois.
Ellébore : « J’ai réussi à m’extirper de la cage en réchauffant un barreau, puis en le gelant. Une fois sous l’eau, j’ai pu le briser. Et en remontant vers la surface, j’ai vu une lueur qui m’a intriguée. Tu étais en train de couler. »
Je n’avais pas de mot.
Heraldos : « On peut considérer cette épreuve comme réussie, bien que tu n’aies pas su faire face aux imprévus. »
La faute à qui ?!
Je ne pouvais tout simplement pas me montrer amer dans une telle situation.
Lucéard : « Merci beaucoup, Ellébore. J’ai un peu honte que tu m’aies sauvé alors que ç’aurait dû être l’inverse, mais je te suis très reconnaissant. Je te revaudrai ça. »
Ellébore n’était manifestement pas habituée à recevoir de telles éloges et semblait embarrassée.
Ellébore : « C’est normal enfin ! Je n’aime pas trop être dans le rôle de la demoiselle en détresse de toute façon. Et puis, sans toi, je ne serai déjà plus de ce monde, alors tu n’as vraiment pas l’ombre d’une dette envers moi. »
Lucéard : « Et cette lumière… Qu’est-ce que c’était ? »
La jeune détective semblait elle aussi intriguée par ce phénomène. Elle me pointa du doigt.
Ellébore : « Cette pierre autour de ton cou, c’était ça qui brillait. »
Sans que je ne sache pourquoi, mes yeux devinrent humides. Je regardais ce qui se trouvait au bout de mon collier.
Ce n’était pas une hallucination, n’est-ce pas ?
Heraldos : « Produire un choc thermique avec une magie quasi-inexistante, tu t’es surpassée, Éléonore. »
Ellébore : « Désolé Monsieur Heraldos, mais si c’est un compliment, c’est raté… Et puis, mon nom c’est Ellébore… »
Soucieuse de froisser le Maître, elle parla aussi bas qu’elle ne le put.
Je soupirai. Maintenant que tout ça était passé, je pouvais consacrer le reste de la soirée à me morfondre sur mon impuissance.
Heraldos : « Demain, la route va être longue, alors mangez bien. »
Une fois autour de la table, Heraldos se montra prévenant, ce qui était assez rare pour être souligné. Cependant, il avait bien quelque chose derrière la tête.
Lucéard : « Vous dites ça comme si c’était aussi une épreuve. Je ramène juste Ellébore à Lucécie. »
Heraldos : « Détrompe-toi, Lucéard. »
Oooh… Fichez-moi la paix…
Heraldos : « Demain, vous allez à Absenoldeb. »
Ellébore : « Absenoldeb ?! »
La jeune fille écarquilla les yeux. Je devinais facilement de quoi il s’agissait.
Lucéard : « Ça a un rapport avec ton enquête ? »
Ellébore : « Je ne peux pas le mêler à ça, c’est trop dangereux. Vous n’avez pas dit vous-même qu’il valait mieux envoyer une unité de la Guilde de Lucécie ? »
Pourquoi je ne suis pas au courant de tout ça ? Si je m’attendais à ce que ces deux-là me fassent des cachotteries.
Heraldos : « Ce sera un bon entraînement pour lui. Et j’espère pour Lucéard qu’il ne se fera pas sauver ridiculement cette fois-ci. »
Vous n’en ratez vraiment pas une !
Lucéard : « Vous pouvez m’expliquer ce qui se passe ? »
Ellébore : « J’ai fait comme tu m’as dit et j’ai parlé de mes recherches à monsieur Heraldos. Et il m’a parlé d’un temple souterrain derrière un cimetière. »
Lucéard : « Charmant. »
Ellébore : « J’espère qu’on n’aura pas à y entrer. »
Heraldos : « J’espère que si. Ce serait regrettable que Lucéard reste une chiffe molle toute sa vie. »
Il m’en veut vraiment, là.
Ellébore : « Je ne suis pas sûre que ce soit indispensable… »
Ellébore ne voulait vraiment pas recourir à mon aide.
Lucéard : « Je viens avec toi, que tu le veuilles ou non. De toute façon, je serai plus en sécurité là-bas qu’ici. »
Cela avait beau être de l’humour, elle me lança un regard insistant.
Ellébore : « Tu es sûr ? »
Je lui rendis un regard déterminé, incisif.
Lucéard : « Oui. »
Sans même qu’il ne sourit, je pouvais lire la satisfaction d’Heraldos. Ellébore aussi semblait rassurée après s’être confrontée à ma résolution. Je ne pouvais imaginer dans quel genre d’endroit j’allais m’aventurer, mais quelque chose m’appelait là-bas.
Ce fut avec ce sentiment que, dès le lendemain, je repris la route en compagnie d’Ellébore, et des deux chevaux, vers un mystère plus profond, et plus tragique encore que nous ne le pensions.