Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 46 – La construction souterraine
Après qu’il eut signé un contrat avec Millet Carter et perçu une avance de dix Livres, Klein, au lieu de se précipiter rue Williams Street, prit rendez-vous pour 16 heures.
Millet se montra très compréhensif. Une fois seul en effet, le détective Sherlock Moriarty allait absolument devoir recruter des gens pour mener à bien cette exploration.
Le vieux monsieur parti, Klein retourna s’asseoir à table, découpa son steak devenu froid et le dévora.
Sérieusement, cet homme se passe de déjeuner ? Pourquoi choisir un tel moment pour venir me trouver ?
Son estomac à peine rempli, le jeune homme débarrassa, un peu amer.
Mme Mary arriva comme prévu à 14 heures, le visage sombre, et les yeux légèrement rouges et gonflés. Stelyn Sammer, qui l’accompagnait, n’eut d’autre choix que de garder le silence.
Klein lui tendit une enveloppe contenant la photo qu’il avait soigneusement choisie.
– « Dites-moi si cela vous convient, Madame. »
Mary prit une profonde inspiration, puis prit l’enveloppe, en sortit le cliché et l’examina.
– « …Excellent, absolument excellent. Vous êtes le détective le plus efficace et le plus responsable que j’aie jamais rencontré. Je suis honorée de pouvoir vous présenter comme un membre du Club Quelaag… Voici les 7 Livres qu’il me reste vous devoir. Vous les méritez. »
La dame prit dans son sac à main de cuir un portefeuille dont elle sortit un billet de cinq Livres et deux billets d’une Livre.
Puis, sans attendre la réponse de Klein, elle remit la photo dans l’enveloppe, la rangea dans son sac et se leva pour partir.
Ses bottes de cuir frappaient précipitamment le sol, Stelyn Sammer avait du mal à la suivre.
En ouvrant la porte, Mary trébucha et manqua de tomber mais heureusement, Stelyn la rattrapa.
Cet incident eut pour effet de calmer Mary qui ralentit le pas.
Madame, vous avez oublié de reprendre l’appareil photo portable… Je le donnerai tout à l’heure à Mme Sammer qui vous l’apportera… Pensa Klein qui les observait sans un mot.
Il remonta à l’étage et fit une sieste dont il fut agréablement tiré par le son des cloches de l’église voisine.
Le jeune homme avait déjà consulté la carte : la rue Williams Street se trouvait à la frontière du Quartier Ouest et du Quartier de l’Impératrice, un quartier résidentiel au cœur de Backlund.
Une belle maison dans le Quartier Ouest et le Quartier Hillston coûte environ 2 500 Livres. Or la résidence de Millet Carter, qui appartenait à un ancien Vicomte, est située proche du Quartier de l’Impératrice. La propriété est certainement assez grande. Elle a dû coûter au moins 3 500 Livres, peut-être même 5 000. Un prix suffisant pour un objet occulte plutôt correct… Il est venu me rendre visite sans intendant ni domestique, peut-être est-ce parce qu’il est nouveau à Backlund et ne s’est pas encore installé…
Klein enfila son manteau à double boutonnage, mit son chapeau, prit sa canne et sortit dans la rue.
Les réverbères n’étant pas encore allumés, les rues, curieusement, étaient plus sombres qu’en soirée. Cela dit, l’air était plutôt respirable, à la différence de celui, suffocant, des quartiers situés à l’Est de la ville.
Il loua une voiture pour se rendre rue Williams. Un valet l’attendait devant le n° 8.
Le voyant arriver, le domestique vêtu d’un gilet rouge et d’un pantalon clair s’inclina respectueusement.
– « Bonjour. Veuillez m’excuser, mais êtes-vous le détective Moriarty ? »
– « Oui, j’ai rendez-vous avec M. Carter. »
Klein suivit le valet jusqu’au manoir entouré d’un jardin et d’une pelouse.
C’était une bâtisse sur deux niveaux dont le rez-de-chaussée, encombré de matériaux de construction, était un véritable désordre. Les ouvriers occupés à rénover allaient et venaient.
Millet Carter, qui ne portait pas de chapeau, s’approchant en se couvrant le nez.
– « Je suis vraiment désolé du désordre et de la saleté qui règnent ici, mais comme je voudrais que tout soit prêt avant l’arrivée de ma famille, je n’ai pas d’autre choix que de les faire travailler sans interruption. »
Cela dit, il se tourna vers le domestique : « Continue à les surveiller. »
Pas étonnant qu’il soit venu me voir sans domestiques si même eux sont affectés à la supervision des travaux… Se dit Klein.
– « Selon de nombreux médecins de ma connaissance, il n’est pas bon d’emménager immédiatement dans une maison qui vient d’être rénovée. Il faut attendre au moins trois mois et l’aérer suffisamment, sans quoi les personnes âgées et les enfants, relativement fragiles, pourraient tomber malades. »
– « Vraiment ? » Demanda Millet, dubitatif, tandis qu’il conduisait Klein au sous-sol.
– « Je n’ai jamais vérifié, mais j’ai choisi de faire confiance aux autorités. Il paraît qu’ils le tiennent de l’Empereur Roselle », inventa Klein avec désinvolture.
Millet hocha la tête et se tourna vers la porte.
– « Vous n’avez pas emmené d’assistants, M. le Détective ? Cet endroit pourrait s’avérer assez dangereux. »
J’ai une assistante, simplement, vous ne pouvez pas la voir… Railla Klein intérieurement avant de répondre d’un ton sérieux :
– « Comme c’est ma première visite, je me montrerai très prudent et s’il y a le moindre problème, je ferai aussitôt demi-tour.
« J’ai de l’expérience dans ce domaine, aussi ne prendrai-je pas le risque de me mettre en danger. Des assistants inexpérimentés pourraient affecter ma rapidité d’action et les mesures déterminantes que je pourrais avoir à prendre. »
– « Vous êtes très professionnel », commenta Millet, surpris.
Du bluff professionnel… Se dit le détective en son for intérieur.
Rassuré, le propriétaire fit traverser à Moriarty un salon encombré et descendit les escaliers menant vers un sous-sol plutôt spacieux.
Là, pas de tuyaux de gaz mais quatre chandeliers métalliques encastrés dans les murs et dont les lumières jaunes vacillaient.
Tandis qu’il marchait sur le sol pavé de pierres, Klein ne put s’empêcher de pousser un soupir.
Je reconnais bien là la propriété d’un noble. Même le sous-sol a été “joliment décoré”. De plus, il est presque aussi grand que le salon de mon actuel logement…
Soudain, Millet tendit le doigt :
– « Il y a là-bas une porte secrète qu’ont découverte les ouvriers lors des travaux de rénovation. »
Klein regarda dans la direction indiquée et malgré le peu de lumière produite par les bougies, aperçut dans le coin une porte de pierre grise. Elle aurait dû faire partie intégrante du mur mais pour l’heure, on la distinguait nettement.
– « Pour le reste, à vous de jouer. Soyez prudent », recommanda le vieux monsieur en remettant une lanterne au détective.
– « Cet endroit a-t-il été ventilé ? » S’enquit Klein, prudent.
Millet secoua imperceptiblement la tête :
– « L’endroit n’est pas particulièrement étouffant, ceci-dit, je n’ai pas laissé les ouvriers aller trop loin ».
– « Très bien. »
Klein vérifia ses affaires, enfila un gant noir et sous le regard de Millet, sans se presser, prit la lanterne et s’approcha de la porte qu’il poussa du bout de sa canne.
Il y eut un lourd grincement et, à la lumière qui venait de l’extérieur, il aperçut un sombre passage pavé de pierre.
Au bout du couloir et de chaque côté s’alignaient des portes de bois qui, bien qu’ayant commencé à pourrir, étaient encore utilisables.
Ce n’est pas très vieux… Cependant, le style ostentatoire de la porte, et la profondeur ainsi que l’épaisseur des dalles de pierre ne correspondent pas… La famille du Vicomte l’aurait-elle changée ?
Klein activa tranquillement sa Vision Spirituelle, prit sa canne et avança pas à pas, lanterne à la main.
La lumière dissipant l’obscurité, il aperçut, en passant devant les pièces latérales et par une porte sans doute entr’ouverte par les ouvriers de Millet, une salle plutôt déserte où l’on pouvait voir une table et un banc dans le même style que la porte.
Aucun flash indiquant la présence d’esprits…
Après une brève inspection, le détective marcha sans s’arrêter jusqu’à l’extrémité du couloir qui se terminait par une porte de pierre noire à deux battants.
De sa main droite gantée et sans trop la serrer, il poussa sa canne contre la porte.
Un bruit de frottement se fit entendre tandis que la porte de pierre s’ouvrait lentement. Klein vit soudain une lumière spirituelle reflétant une aura entrelacée de différentes couleurs.
Le cœur serré, il poussa la porte et recula de quelques pas.
L’ouverture s’élargit aussitôt, et une créature noire et visqueuse tomba du plafond.
C’était un serpent à la tête triangulaire ornée de motifs floraux de couleur rouge !
Celui-ci se dressa, sortit sa langue et fixa l’arrivant de ses yeux d’un brun froid.
Les uns après les autres, d’autres serpents tombèrent du haut de la porte et s’empilèrent à l’entrée.
Derrière eux s’étendait une vaste salle au centre de laquelle d’innombrables serpents de différentes couleurs rampaient les uns sur les autres en une sorte de nid démesuré d’environ dix mètres de large. Klein se sentit assailli par une sensation gluante, écœurante.
Sentant son cuir chevelu s’engourdir, il ne put s’empêcher de reculer de deux pas avec l’envie de détourner la tête pour ne plus les voir.
Tout homme qu’il était, notre détective avait toujours eu peur des serpents. Le serpent était même l’animal qu’il craignait le plus au monde.
Cela provenait d’un traumatisme psychologique remontant à son enfance. Petit, et alors que l’heure du coucher était largement dépassée, il se plaisait à ouvrir discrètement la porte pour regarder par une fente le film que regardaient ses parents.
Mal lui en prit car un soir, son père et sa mère avaient opté pour un film catastrophe impliquant des serpents. À un moment donné, les protagonistes démolissaient un bâtiment et découvraient un vaste nid de serpent qui se tortillaient. Cette image était restée profondément gravée dans son esprit.
Le Charme du Sommeil peut-il affecter autant de serpents ? Klein ravala sa salive et demanda dans le vide :
– « Auriez-vous une solution ? »
Miss Garde du Corps, toujours dans sa robe gothique noire, apparut aussitôt, mais sans rien dire.
Tous deux se regardèrent sans un mot.
Alors qu’un serpent rampait doucement vers l’extérieur, le jeune homme toussa et réitéra sa question : « Auriez-vous une solution ? »
Pour toute réponse, la femme se mit à flotter et brusquement, un vent froid s’engouffra en hurlant dans le passage.
La température chuta aussitôt pour se rapprocher de celle de l’extérieur.
Les serpents entassés au milieu de la salle se mirent soudain à ramper dans toutes les directions à la recherche d’un endroit plus chaud et plus approprié à leur survie.
Deux à trois minutes plus tard, une fine couche de givre se formait sur les parois du couloir et celles de la salle, et bon nombre des serpents avaient littéralement disparu.
Klein frissonna :
– « C’est bon, ça suffira. »
Le vent faiblit mais le froid persista. À nouveau, son garde du corps disparut.
Klein se couvrit la bouche et le nez de la main qui tenait sa canne, éternua, puis leva sa lanterne et entra avec précaution dans la grande salle.
Son style était identique à celui de l’entrée du passage et huit colonnes circulaires de même couleur s’y dressaient.
D’un haut dôme pendait des tiges métalliques en dessous desquelles reposaient des chandeliers sculptés représentant différentes créatures.
Un chandelier inversé… Étudiant en histoire, c’est-à-dire tout juste considéré comme une élite dans ce domaine, Klein, en observant cette disposition bien spécifique, se dit :
Une construction datant de la Quatrième Époque ?