Livre 3, Chapitre 38 – Carnage
À l’extérieur de l’auberge, au milieu des dunes, la soif de sang montait.
Dans ce désordre chaotique, une bagarre arrivait, qu’on le veuille ou non. La raison n’était pas discutée. Parfois, c’était pour une petite chose. Parfois, c’était sans raison. Ça n’avait pas d’importance. Les corps dans la boue et les rivières de sang étaient monnaie courante depuis que le monde avait été détruit.
Il n’y avait rien à faire. C’était les terres désolées, après tout.
Autumn ne savait pas si c’était à cause du soleil battant ou de la peur qui la tenaillait, mais elle était trempée de sueur. Ses poings étaient serrés sur ses côtés, les yeux rivés sur la scène en dessous.
Les rayons du soleil se reflétaient sur le sable blanc-jaune, la forçant à plisser les yeux. Des dizaines d’hommes avaient commencé à se rapprocher de Cloudhawk, qui était seul dans une mer de visages en colère.
Elle ne doutait pas de ses capacités… mais serait-il capable de se défendre contre autant d’hommes à la fois ?
L’ivrogne boiteux se dirigea en clopinant vers le côté de Barb. Le poivrot voûté s’appuyait sur sa canne à deux mains, une apparence qui le rendait extérieurement non menaçant. Barb semblait en sécurité pour le moment, mais l’était-elle vraiment ? Personne ne savait si l’ivrogne était un ami ou un ennemi. Quant à Autumn, elle était dans les murs de l’hôtel. Pour l’instant, elle était sous la protection de Bonobo. Mais combien de temps cela allait-il durer ?
Les habitants du désert la regardaient avec des yeux de feu. Tôt ou tard, elle allait se faire brûler.
Elle se sentait de plus en plus mal à l’aise.
Dans la bataille, tout le monde comprenait le concept : la mante se jette sans réfléchir sur la cigale, sans savoir que le pinson s’approchera à la première occasion. Tout le monde voulait être le pinson, mais ce n’était pas comme ça que les choses fonctionnaient. Quelqu’un doit faire le premier pas.
Whoosh !
Quelqu’un avec un énorme bouclier essaya de le frapper au visage. Il était cabossé et marqué par de nombreuses batailles, mais il était encore utilisable. Un jet de quelque chose de sombre en avait souillé une partie, et aucun lavage ne pourrait l’effacer. C’était le sang de quelqu’un dont le bouclier avait pris la vie.
Ils avaient finalement fait leur mouvement.
« D’accord, je n’ai pas eu de bon combat depuis que j’ai quitté la vallée des enfers. »
Cloudhawk était un sauvage. Son apparence extérieure n’avait pas d’importance. Son cœur avait été forgé dans le conflit. C’était l’occasion pour lui de voir jusqu’où il pouvait aller.
Il fila dans les airs et frappa le bouclier d’un coup de pied retourné.
Clang !
Le bouclier de plusieurs centaines de kilogrammes fut projeté au loin.
Un homme énorme, mesurant facilement deux mètres et demi, sortit de la foule. Son visage était terne et léthargique. Ses yeux étaient éteints. Il n’était clairement pas un homme connu pour son intelligence. Mais sa peau semblait aussi résistante que celle d’un rhinocéros, et il était en outre protégé par une armure extrêmement épaisse. Son arme était un maul géant, ainsi que le bouclier massif qu’il venait d’enlever d’un coup de pied.
La plupart de la foule était composée de mutants et de méta-humains. A en juger par leur apparence, ils étaient en grande partie de constitution.
Les hommes comme eux avaient une peau aussi dure que celle d’un animal. Faites-les bouillir et ils n’avaient pas d’ampoules. Brûlez-les et ils ne brûlaient pas. Même dans la mort, leur chair était aussi dure que le fer. Les armes ordinaires ne pouvaient rien faire. C’était comme s’ils avaient été forgés en acier. Ils étaient assez résistants pour transpercer n’importe quel ennemi.
La brute arracha le bouclier de taille humaine et l’abattit en hurlant. Pendant un moment, Cloudhawk eut l’impression qu’une montagne de fer fonçait droit sur lui. Il était sûr que si elle l’attrapait, il serait écrasé.
Il se précipita en arrière.
Son énorme adversaire ne se précipitait pas pour le suivre. Il frappa son marteau contre le bouclier, qui résonna comme un gong. Un sourire stupide se répandit sur son visage rigide. L’expression de son visage était une preuve suffisante que ce type n’était pas fait pour autre chose que se battre. À ce moment-là, une petite main surgit de derrière son épaule et un nain au corps d’enfant de onze ou douze ans se hissa sur son dos. Aussi petit qu’il soit, il le situait dans la moyenne d’âge. Il semblait être piégé dans un corps ratatiné et minuscule comme le plus vieux prépubère du monde.
« Tu vas te souvenir de nous, Élyséen. Je suis l’Ancien Criquet, et voici Petit rocher. » L’affreux nain semblait avoir une certaine intelligence, contrairement à la brute qu’il chevauchait. Il s’accrochait au dos et aux épaules du grand homme comme un bébé singe chevauchant sa mère. « Ce fer de lance était impressionnant. Bien que je doute qu’il soit assez fort pour briser le bouclier de mon petit frère ! »
Cloudhawk choisit de répondre avec son épée.
Avec un hurlement, son épée laissa une marque sur le bouclier de la brute, bien qu’elle ne soit pas trop profonde. Petit rocher ne bougea pas d’un centimètre. Il n’avait besoin que de ce seul test pour savoir que les défenses du grand homme allaient poser problème. Criquet avait probablement raison. Fer de lance ne serait peut-être même pas suffisant pour percer son bouclier.
Le nain tituba maladivement sur les épaules de son frère. « Hehehehehe ! Tu ne devrais pas mal juger mon frère. Ton épée a à peine laissé une égratignure ! Petit rocher, montre à ce trou du cul ce que tu peux faire. »
Il bondit en avant. Ses énormes pieds sans chaussures martelaient la terre meuble tandis qu’il fonçait sur Cloudhawk comme une bête sauvage.
Aussi grand qu’il était, il était tout sauf lent. Avec toute la force qu’il mettait derrière lui, son bouclier était une arme d’une force énorme. Il pouvait affronter un taureau et écraser chaque os du corps de la pauvre bête. Pour quelqu’un comme Cloudhawk, un impact de plein fouet le transformerait en pâté.
Jusqu’à présent, personne n’avait été capable de tenir tête à Petit rocher et à son frère. Les deux hommes étaient sûrs qu’il ne ferait pas exception.
Pendant que le plus grand chargeait, Criquet n’était pas inactif non plus. Ses petites mains se déployaient en de larges arcs de cercle pour lancer devant eux des armes dissimulées imbibées de poison comme s’il saupoudrait des miettes de pain. La façon dont il se battait montrait clairement que Criquet était un bon complément à son frère. Alors que Petit rocher était tout en force et en constitution, Criquet était un méta-humain dont les talents étaient le contrôle. Ses armes étaient lancées à une vitesse incroyable et étaient enduites d’un poison mortel qui pouvait ôter la vie à une simple entaille de la peau.
Cloudhawk se retrouva soudainement pris dans une pluie d’acier empoisonné.
La technique de Criquet était sans faille. Ses lancers étaient dirigés vers les zones susceptibles de causer le plus de dégâts. De plus, ils étaient lancés de telle manière qu’il était presque impossible de lire leurs trajectoires. Alors qu’ils semblaient venir droit sur vous, ils plongeaient soudainement vers les jambes ou même vers l’arrière. Par conséquent, il était difficile de les éviter.
Pourtant, Cloudhawk fit face à la menace avec calme. Sans aucune appréhension, il sauta en l’air juste sur leur chemin. De façon inattendue, le gardien avait choisi de se jeter dans l’œil du cyclone. Criquet se demandait s’il avait envie de mourir.
Les spectateurs regardaient avec une attention soutenue.
Il ne se déplaçait pas rapidement, surtout si on le comparait aux mouvements du Fer de Lance avec lesquels il avait impressionné tout le monde. Au lieu de cela, il semblait presque flotter dans l’air, léger comme une plume. Avec un élan presque paresseux, il traversa le champ de bataille en direction du bouclier du grand homme.
Il allait essayer de percer les défenses de Petit rocher comme ça ? Est-ce une blague ?
Criquet et son frère étaient prêts à le frapper avec des coups doubles. Petit rocher allait réduire son corps criblé de dagues en bouillie quand il serait assez proche. Mais, alors qu’ils regardaient avec des sourires enthousiastes, la grêle de dagues empoisonnées de Criquet traversa son corps sans laisser de marque.
« Impossible ! » cria-t-il.
Malgré les cris incrédules du nain, Cloudhawk apparut devant eux indemne. Petit rocher brandit son énorme bouclier avec toute la violence dont il était capable, tandis que Cloudhawk enfonçait sa lame sombre à travers le bouclier et dans la poitrine du grand homme, presque doucement.
Les autres brigands, qui se rapprochaient, s’arrêtèrent et regardèrent, la bouche grande ouverte. Comment cela avait-il pu être aussi facile ? Ce bouclier était plus solide qu’un mur de château. Derrière lui se trouvait un homme avec une peau plus dure que celle d’un rhinocéros. Mais rien de tout cela ne semblait compter pour le chasseur de démons. Son épée traversa les deux comme si c’était du vent.
Petit rocher répondit lentement. Il n’avait pas senti l’épée lorsqu’elle était entrée, mais une demi-seconde plus tard, la bise vive de celle-ci lui brûlait la poitrine. Il avait l’impression que ses entrailles se déchiraient, et c’était le cas alors que Carnage silencieux passait de l’éthéré au solide. Peu importe qu’il soit protégé par un bouclier massif, une armure solide ou une peau épaisse. Rien de tout cela n’était utile. Il avait contourné ses défenses sans effort.
Les cris des criquets hurlaient à travers les sables. « Petit rocher ! »
« Un seul et unique », se vanta Cloudhawk en retirant son épée. « Va te faire voir si tu sais ce qui est bon pour toi. »
Il donna un coup de pied dans le bouclier, renversant la brute, qui tomba comme une avalanche. Le grand homme heurta le sol, gravement blessé et incapable de poursuivre le combat. Le plus choqué était Petit rocher lui-même. Les rafales de tirs ne l’avaient jamais effrayé, pas avec ses défenses. Son bouclier était invincible, d’après ce qu’il avait découvert.
Un seul coup. Un seul coup lui avait prouvé qu’il avait tort. L’épée du chasseur de démons avait traversé bouclier, armure et peau.
Criquet n’était pas prêt à se rendre. Sa solide monture avait été arrachée, mais le nain s’élevait toujours aussi haut. Tel un paon déployant fièrement sa queue, il libéra une vague de dagues empoisonnées en un éventail mortel. Elles se déployèrent, puis commencèrent à s’incurver, toutes dirigées vers une cible particulière.
Il se mit alors à tourner comme un moulin à vent, une dague dans chaque main alors qu’il revenait en spirale vers le sol. L’acier sifflait de façon menaçante alors qu’il se rapprochait de Cloudhawk.
Sans prévenir, le sol se souleva, et un mur de sable fut projeté vers le ciel !
Il s’enroula autour de lui comme un coquillage. Shhtk, shtk, shhtk ! Des dagues se logèrent dans sa surface mais ne purent la traverser, suivies par Criquet lui-même. Lorsque le nain frappa le mur, celui-ci se brisa et révéla que Cloudhawk se cachait à l’intérieur. Whoosh ! Désespéré par le sang, ses dagues atteignirent leur cible. Une fois de plus, elles passèrent inoffensives sans trouver de cible.
Il avait attaqué un fantôme. Avec le pouvoir de sa cape d’invisibilité, il avait tendu son piège. L’illusion s’estompa, laissant Criquet sans cible.
Les autres fouillèrent la zone avec de grands yeux. Comment pouvait-il simplement disparaître ? Il devait avoir un moyen de cacher sa présence.
Il y eut un éclair d’acier. Un des brigands à l’extérieur du mur tomba, sa tête se détachant de son corps.
Puis, un autre. Le sang se répandit sur le sable chaud tandis qu’un deuxième cadavre rejoignait le premier.
Face à l’inégalité des chances, Cloudhawk choisit de prendre l’initiative avec un premier coup stupéfiant. Ils avaient été pris au dépourvu, et la foule de voyous s’était soudainement transformée en sang et en morceaux de corps.
Un. Deux. Trois. Les cadavres s’étaient empilés les uns sur les autres. Il était comme un vent mauvais, un Blackfiend invisible qui s’en prenait à leur vie en se faufilant parmi eux. Avant que quiconque ne comprenne ce qui se passait, quatre hommes étaient morts, et plusieurs autres hurlaient à cause de blessures graves.
« Ce bâtard ! Il se joue de nous ! Tout le monde, tous ensemble ! Trouvez-le et tuez cet enfoiré ! »
Les habitants du désert étaient saisis d’une peur qu’ils n’avaient jamais connue. Les méthodes de ce chasseur de démons étaient inexplicables. Ils ne pouvaient même pas imaginer comment se défendre. La seule cape d’invisibilité était un grand avantage, mais avec carnage silencieux, il était impossible de l’arrêter. Sous les yeux de la foule terrifiée, il était devenu un ange de la mort. Chaque éclair de son épée coûtait une autre vie.
« Vous êtes tous supposés être dangereux ? Eh bien, aujourd’hui, nous allons mettre cela à l’épreuve ! »
Une bataille sauvage et chaotique s’ensuivit, arrosant le sable de sang. Les gens essayèrent de s’enfuir tandis que d’autres se retournèrent contre leurs compagnons pour éclaircir le troupeau avant que le chemin vers le quartier des poissonniers ne s’ouvre.
N’ayant pas d’autre choix, ils se tournèrent vers la seule chance qu’ils avaient de faire sortir Cloudhawk de sa cachette : la fille, celle que Visage rouge avait presque tué. En la menaçant, ils étaient sûrs d’attirer son attention. Plusieurs des voyous se mirent d’accord et coururent vers elle.
« Va te faire foutre, le vieux ! Donne-nous la fille ! »
L’ivrogne s’était affairé à se creuser le nez avec un doigt quand ils arrivèrent sur son chemin. Quand il les aperçut, son visage se fendit d’un sourire en dents de scie.
« D’accord, j’ai eu quelques bouteilles de bon vin, donc je suppose que je vous suis redevable. Ce n’est que justice. »
L’ivrogne leva son bâton de marche.