Livre 3, Chapitre 32 – Le vieil ivrogne
Lorsque le petit groupe entra dans l’hôtel, il découvrit que son intérieur était très différent du désordre de sa façade.
À l’intérieur, ils étaient complètement à l’abri du vent et du sable. L’allée était bordée d’étals bien rangés, enveloppés d’une odeur de viande grillée. Il y avait des bouteilles de vin aux saveurs uniques et même des plantes en pot.
Les employés de l’hôtel étaient étrangement équipés. Ils avaient des fusils de la taille d’un bras, mais ce n’était pas des fusils qui tiraient des balles. Pendant plusieurs minutes, ils utilisèrent l’équipement pour enduire les visiteurs d’une puissante poudre blanc-jaunâtre. Quand c’était fini, ils étaient propres et pouvaient entrer.
Il y a beaucoup plus de monde ici que l’extérieur ne le laisserait croire. Rien que dans la cafétéria, il y avait une quarantaine de personnes de toutes sortes qui prenaient des assiettes de nourriture.
Autumn était secrètement heureuse alors qu’elles se dirigeaient vers l’intérieur. Il la malmenait constamment, et c’était un changement agréable de voir quelqu’un lui mettre la pression pour une fois. Ce n’était pas grand-chose, mais ça faisait du bien.
Cependant, il ne semblait pas s’en soucier du tout. En fait, il était même assez équilibré pour calmer Barb. Dommage qu’il n’ait pas été plus irrité.
« Excellence, cet endroit n’est pas mal. » Barb prit un siège et jeta un coup d’œil rapide au menu. Elle s’était à nouveau immédiatement hérissée comme un chat après que quelqu’un lui ait piétiné la queue. « C’est comme ça que sont les prix par ici ? Même les hôtels haut de gamme des terres élyséennes ne sont pas aussi chers ! »
Dix argents pour une boisson. Dix autres pour un morceau de pain. Trente argents pour une bouteille de vin. Et cent argent pour une bouteille spéciale provenant d’un des étals.
L’intérieur de l’hôtel était peut-être à peine satisfaisant, mais comparé à n’importe quel endroit des terres élyséennes, il aurait tout aussi bien pu être un taudis. Avec une poignée d’argent, on pouvait manger à sa faim dans n’importe quelle ville de chez nous ! Pour les prix qu’ils demandaient ici, vous pouviez acheter un repas complet dans les meilleurs restaurants.
« Votre Excellence, nous sommes des chasseurs de démons. » Barb tapa ses doigts sur la table pour insister. « Pourquoi devrions-nous supporter l’attitude de cet affreux barbare ? Vous savez, si vous ne m’aviez pas arrêté, j’aurais écrasé le visage de ce salaud de Bonobo avec mon bâton ! »
« Tu le sous-estimes », répondit Cloudhawk. Elle n’était pas convaincue. Lorsqu’elle insista pour obtenir des précisions, il rit et tira son masque sur le côté. « Prends les choses comme elles viennent. Mangez ce que vous voulez, buvez à votre faim, et mettez-vous à l’aise. Notre riche mécène s’assurera que l’addition soit couverte. »
Les yeux d’Autumn étaient devenus grands. « Comment ça ? ! »
« Nous sommes simplement des chasseurs de démons. C’est une pratique courante de fournir la nourriture, le logement et de payer pour les services rendus quand on engage un chasseur de démons pour une mission. C’est la loi de Skycloud. Vous ne vous attendez pas à ce que les travailleurs couvrent le coût d’une mission, n’est-ce pas ?
Autumn serra les dents si fort qu’elle eut peur qu’elles ne craquent. Le logement ! Elle n’était pas une Élyséenne. Comment était-elle supposée savoir quoi que ce soit sur leurs règles ?
Bien sûr, le coût démesuré était une goutte d’eau dans l’océan pour elle. Ce qu’elle ne pouvait pas supporter, c’était la détermination de Cloudhawk à la harceler.
« Bien, nous sommes tous fatigués par la route. Il est temps de se reposer. » Il ignora complètement l’indignation d’Autumn, prit le menu et parcourut son contenu. « Voyons ce que cet endroit a à offrir. »
« Heheh , bonne chance petit frère. »
Une voix rauque et âgée s’immisça dans leur conversation. Son rire dérisoire ne correspondait pas à la maturité de son corps, cependant. Il était grossier et moqueur.
Cloudhawk leva la tête.
Un vieil homme boitait vers eux, un sourire en coin sur le visage et une canne à la main. Il était couvert de ce que l’on pourrait appeler des vêtements, bien qu’ils ressemblent plus à des torchons. Il s’agissait plus de pièces rapportées que d’autre chose. De maigres mèches de cheveux blancs parsemaient sa tête marquée par les taches, et son sourire révélait une rangée de dents jaunes. Il doutait que le vieil homme ne se soit jamais brossé les dents, et l’odeur qui s’en dégageait aurait tué un rotwolf. Barb et Autumn froncèrent leurs visages en signe de dégoût.
Le vieil homme fit glisser ses yeux sur les femmes avec un regard lascif.
La femme aux cheveux courts avait un teint sain, une peau bronzée et un corps souple qui devait être très souple. Il avait vu son tempérament fougueux. Elle était le genre de femme qui convenait bien à la vie dans les terres désolées. Mais, elle n’était pas une femme des terres désolées. Il était assez facile de dire par ses vêtements et son comportement qu’elle était une chasseuse de démons. Cependant, ce n’était pas le cas de l’autre.
La jeune fille aux nattes et à la peau d’ivoire était aussi jolie qu’une image. Elle était calme, frêle, et encore plus jolie que la fille aux cheveux courts. Qui ne serait pas envieux de l’homme qui pouvait voyager avec deux femmes aussi séduisantes ?
« Hé, vieil homme, regarde où tu pointes ces yeux effrayants. Continue comme ça, et tu peux être sûr que je te les arracherai de la tête. » Barb pouvait sentir son regard gras tandis que le vieil homme en haillons lui jetait un coup d’œil. Elle n’apprécia pas le regard de convoitise. « Qui êtes-vous ? »
« Je suis exactement ce dont j’ai l’air : un vieil ivrogne infirme. » Le sourire sournois aux dents jaunes ne quitta jamais son visage. « Mais, votre apparence a attiré mon attention. Vous n’êtes pas des gens ordinaires. Je connais assez bien cet endroit, alors j’ai pensé me présenter et répondre à vos questions. »
L’ivrogne ne retenait l’attention de personne, sauf pour mériter le dédain, mais quand Cloudhawk baissa les yeux sur la canne du vieil homme, ils s’élargirent un peu avec surprise. Il y avait quelque chose, une résonance. L’ivrogne était…
Le vieil homme semblait avoir remarqué le changement de comportement du jeune homme. Il donna au jeune homme un autre regard interrogateur.
Autumn continua sans réfléchir : « Que peux-tu nous dire, grand-père ? Sais-tu où se trouve le quartier des poissonniers ? »
Le vieil infirme répondit par un gloussement rauque : « Vous savez, j’ai la gorge sèche. Le vin est bon ici, mais mon porte-monnaie est malheureusement un peu léger. Je n’ai pas un sou à mon nom. Si vous pouviez aider un vieil homme à trouver quelques bouteilles pour me désaltérer, je serais heureux de m’asseoir et de discuter un moment. »
Les autres clients entendirent l’échange et regardèrent le vieil homme avec des yeux durs et méprisants. Cela faisait plusieurs jours que le vieil homme faisait la tournée des bars, quémandant du vin à qui voulait bien l’entendre. Mais personne n’acceptait, et il était chassé à coups de crachats et de jurons. C’était un miracle qu’il essaie encore.
Maintenant, il y avait de nouveaux arrivants, quelqu’un d’autre sur qui il pouvait tenter sa chance. Il décidait sans vergogne de tenter sa chance.
Barb le regardait fixement. Savait-il combien coûtait une seule bouteille de vin ? Il avait l’audace d’en demander plusieurs. Pourquoi ne pas aller voir le propriétaire et demander un putain de tonneau entier, alors ?
« D’accord, j’ai moi-même soif. Commandons quelques bouteilles. »
Lorsque le vieil ivrogne vit les bouteilles arriver, ses yeux avides brûlèrent de désir. Il avait erré sur les sables pendant sept jours et sept nuits sans une goutte, alors quand il vit le nectar vital faire son chemin vers lui, il ne put s’en empêcher. Avant même que les bouteilles ne soient posées sur la table, il en prit une, la déboucha et l’engloutit.
« Ahh … chaud, épicé, mais sans perdre son côté moelleux. Si tu veux mon avis, le vin de fruits est le meilleur de toutes les terres désolées. » L’ivrogne reposa la bouteille sur la table avec un bruit sourd. Avec un regard de pure félicité, il lâcha une éructation et prit une deuxième bouteille. « Vous êtes de braves gens », dit-il.
Cloudhawk tendit la main et repoussa la main maigre du vieil homme. « Hé , vieil homme, tu n’es pas là pour boire. On t’a posé une question. »
L’infirme émit un gloussement moutonnier, révélant à nouveau sa rangée de dents cassées. « Tout le monde ici essaie d’entrer dans le quartier des poissonniers. D’après ce que j’ai entendu, c’est un bel endroit, environ cinquante à soixante mille personnes derrière ses murs. Il est caché, sûr. Ils n’ont pas peur des Élyséens non plus. Ils ont leur propre façon de s’en sortir. C’est dangereux d’y aller. Mais pas de risque, pas de récompense hein ? »
Il y avait 60 000 personnes au quartier des poissonniers ? C’était un chiffre énorme pour les terres désolées !
Ici, il fallait toujours se battre pour en avoir assez, surtout dans les grandes agglomérations. La plupart du temps, le manque de ressources était un goulot d’étranglement qui limitait la population. Les seuls endroits qui pouvaient supporter autant de personnes étaient des endroits comme l’avant-poste du Groenland avec ses forêts fertiles.
Bien sûr, dans les terres élyséennes, un tel endroit avait la taille d’une ville moyenne. Skycloud avait une population proche de vingt millions d’habitants, dont deux millions de soldats. Si l’on ajoutait à ce nombre toute personne en âge de se battre, le chiffre serait multiplié par plusieurs fois. Comparer quelqu’un comme Arcturus Cloude, tout en haut de l’échelle, à un soldat nouvellement recruté, tout en bas, c’était comme comparer des pommes et des oranges.
Alors, qu’est-ce qui rendait le quartier des poissonniers spécial ?
Le vieil homme avait mis la main sur une deuxième bouteille et en avait retiré le bouchon. De sa main libre, il attrapa une poignée de dattes. « La raison est simple, et elle ne l’est pas non plus. Compliquée et simple. Deux raisons principales : en surface, la partie que tout le monde peut voir, ils ont choisi un bon emplacement. La ville est sûre, et même les Élyséens auraient du mal à la trouver. Maintenant, si vous creusez plus profondément, alors les choses deviennent plus compliquées. Les jeunes gens comme vous n’ont pas besoin de s’en préoccuper, cependant. »
Le vieil homme n’avait rien dit de plus, mais il pouvait deviner une chose ou deux.
Un endroit comme Tortuga avait un soutien, un bienfaiteur qui remontait jusqu’à Skycloud. Le quartier des poissonniers devait être similaire. Des relations garantissaient qu’ils n’étaient pas attaqués.
Autumn n’était pas du tout intéressé par tout ça. « Grand-père, comment pouvons-nous entrer dans la ville ? »
« Ne t’inquiète pas, petite demoiselle. Attends. Sois patiente. Quand le temps sera venu, tu trouveras un moyen. »
À la deuxième question, il avait déjà descendu la deuxième bouteille.
« Vous ne nous avez rien dit d’utile du tout ! »
Barb était persuadé que le vieil homme était en train d’agiter ses gencives pour leur soutirer du vin.
« Geh , » il hoqueta. « Vous ne savez rien du tout. Puisque vous avez été assez aimable pour partager du vin, je vais vous mettre au courant avant que vous ne mourriez. » Pop ! La troisième bouteille était ouverte, et l’infirme titubait joyeusement en continuant. « Il y a des gens ici qui sont venus de milliers de kilomètres pour entrer dans la ville, soit pour s’enrichir, soit pour mettre la main sur un trésor, soit pour une autre raison. Quelque chose est arrivé et la route a été fermée. Ils ne l’ouvrent plus qu’une fois par mois pour quelques chanceux. Vous savez ce que cela signifie ? »
Les trois voyageurs étaient silencieux.
Autumn regarda la cafétéria, soudainement consciente que quelque chose n’allait pas. Les regards hostiles des autres personnes lui faisaient mal au cœur. Elle le voyait maintenant – des groupes soudés, soigneusement séparés de tous les autres. Ils tenaient leurs armes bien en vue et regardaient autour d’eux avec des yeux durs et vigilants. Seule leur table semblait détendue.
« Tut tut , regardez autour de vous. Tout le monde ici est un sauvage qui peut se défendre. Des tueurs expérimentés, tous réunis en un seul endroit. » Le visage du vieil homme était déjà rouge à cause de la boisson. Il continua en attendant. « Dans quelques jours, nous aurons un bon spectacle, un spectacle rare. Si je pouvais vous donner un conseil, je vous dirais, jeunes filles, de ne pas prendre de risques. On ne vit qu’une fois. Mieux vaut la passer ici, sur la touche, à regarder le spectacle. »
Le vieil homme ponctua son avertissement en attrapant une autre bouteille et en se levant de manière instable. Il cueillit une autre poignée de dattes et en jeta quelques-unes dans sa bouche. Il les laissa avec un autre sourire. « Merci pour le vin. »
Cloudhawk se servit un verre. « Vous allez aussi au quartier des poissonniers, vieil homme ? »
L’infirme hocha la tête. « J’y vais. J’ai des affaires importantes à régler. »
Levant la tasse à ses lèvres, il rejeta son contenu. « Donc, nous et les autres devrons nous battre contre vous pour cette opportunité. »
« Heh , ne t’inquiète pas. » L’ivrogne se tenait là avec un maintien facile et tapotait ses vêtements négligés comme s’il essayait de chasser une mouche. « Je vais te tuer rapidement », avait-il dit, comme s’il décrivait le temps.
Alors qu’il disait cela d’un ton indifférent, Barb et Autumn sentirent le sang se glacer dans leurs veines.
Cloudhawk plissa les yeux. Au fond de lui, c’était presque comme s’il y avait un feu qui brûlait. Il leva son verre. « Merci pour le tuyau, l’aîné. Alors, avant que tu ne me tues, santé. »
« Toi, petit. » Le vieil homme fit tinter sa bouteille contre le verre de Cloudhawk. « Je t’aime bien. »