Marlon se dirigeait vers les champs de blé, à quelques mètres de là, et il devina la présence de créatures camouflées par les gerbes. Son épée rouillée dressée devant lui, il avançait précautionneusement, plus par peur de perdre une vie bêtement qu’autre chose.
Il était déjà passé à deux doigts de contracter le Tétanos ! Dans un jeu !
Il distinguait clairement quatre champs, deux étant prêts à être récoltés et dont les épis de blé s’élançaient fièrement vers le ciel. Le haut des épis se balançaient doucement sous l’effet du vent et une douce odeur de blé parvenait jusqu’au jeune homme, vigilant mais toujours en phase d’émerveillement par tout ce qui l’entourait. Même son cœur battant la chamade à cause de l’anticipation du combat lui plaisait. Il se sentait vivant, comme il l’avait rarement été dans son autre vie.
Il ne s’aventurerait pas tout de suite dans ces deux-là, la visibilité était trop mauvaise et il pourrait finir en chair à pâté en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Il faut dire que Marlon n’avait jamais fait d’arts martiaux, d’épée ou autre sport de combat durant sa courte vie à cause de son handicap physique et de tout ce qui en découlait.
Les deux autres, placés sur sa droite, avaient été récoltés et les meules de foin bloquaient la vue du jeune homme. Il longea donc le chemin en pierre, sentant la rugosité de la matière sous ses doigts, et arriva finalement à voir ce qui se passait derrière ces meules.
Il y avait bien des créatures qui se baladaient sur les parcelles de blé. Comme la quête l’indiquait, c’étaient des rats. Mais des rats énormes, faisant presque la moitié de la taille de Marlon. Il n’était pas particulièrement effrayé par les rongeurs, mais ceux-là provoquèrent quand même des frissons de dégout chez le jeune homme.
Leur pelage gris était ponctué de taches noirâtres et deux incisives ayant l’air particulièrement aiguisées pointaient sous leur museau velu. Leurs yeux, quant à eux, étaient rouge vif et brillaient d’une lueur inquiétante. Au bout de leurs pattes se trouvaient des griffes anormalement pointues qui devaient pouvoir éventrer un homme en moins de dix secondes. Leur queue, elle, se balançait au gré de leur mouvement et fouettaient l’air dans un sifflement aigu.
D’où il était, il pouvait même sentir une odeur musquée et puissante qui parvenait jusqu’à lui, comme si un bouc s’était baladé devant lui.
L’un d’entre eux semblait en train de déchiqueter un petit animal ayant eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Les bruits de chair déchirée et d’os brisés firent monter la nausée dans la gorge de Marlon, et il fit de son mieux pour l’ignorer et rester concentré sur ces deux créatures pouvant le tuer d’un simple coup de croc.
Marlon les observa pendant quelques secondes et il se baissa pour ne pas trop s’exposer à leur vue. S’il les attaquait frontalement sans faire attention, il finirait déchiqueté par leurs crocs ou leurs griffes. Heureusement, il n’y avait qu’un ou deux rats par champ et qu’ils étaient relativement éloignés les uns des autres, ce qui lui assurait une relative sécurité.
Le jeune homme ramassa un caillou lisse et gris à ses pieds et se mit à patienter, serrant le morceau de roche au point de s’en faire blanchir les phalanges.
Le rat le plus proche se baladait dans le champ sur un rythme nonchalant, totalement ignorant de sa présence, levant son museau de temps à autre et reniflant l’air avant de reprendre sa marche. Il grattait de temps à autre le sol à la recherche d’une proie quelconque et un cri strident s’échappait à chaque fois que sa tentative était couronnée d’échec.
Marlon s’adossa à la meule de foin la plus proche de lui et il lança son projectile dans la direction d’où il était venu afin d’attirer la créature hors du champ. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et il n’osa pas jeter un regard vers le monstre.
Squiiiiik…squikkkk
Il contrôla sa respiration qui lui semblait aussi bruyante qu’un train lancé à toute vitesse, et se força à raffermir encore sa prise sur son arme de fortune.
Puis il vit le bout du museau du rat, rapidement suivi par le reste du corps de cette chose immonde, partit en direction du caillou qu’il avait lancé. Il se fit aussi petit que possible, ne voulant pas attirer son attention et risquer de perdre tout effet de surprise. De si près, le rat semblait encore plus rebutant et Marlon devinait même quelques morceaux de chair coincés entre ses deux incisives.
Quand la créature eut fini de le dépasser, il se redressa, et prenant une grande inspiration en fronçant les sourcils alors que l’odeur musquée devenait extrêmement forte, il lui sauta dessus en abattant son épée sur le crâne du rat des champs. Il y mit toute la force dont il était capable, et dans un bruit capable de vous faire rendre tripes et boyaux, son arme défonça la boîte crânienne du monstre et s’enfonça dans ses chairs. Du sang gicla et il sentit clairement l’os céder sous son coup, le bruit de chair molle humide faisant monter un haut-le-cœur au jeune homme. Il ignora l’éclaboussure qui vint lui peindre le visage, répandant une odeur métallique qui agressa les narines de Marlon.
« Squuuuiieeeeeerkkkkkk !!!!! »
Le rat n’était pas mort sur le coup ! Gravement blessé, oui, mais pas mort. Il donna un coup de patte vers celui qui tentait de lui ôter sa précieuse vie, mais le jeune chasseur eut la présence d’esprit de faire un pas de côté. La blessure mortelle dont était victime le rat ralentit son temps de réaction et ses réflexes, ce qui sauva Marlon qui se serait fait éventrer sans cela, évitant de justesse la frappe de l’animal. Il sentit la griffe frôler ses vêtements et son sang ne fit qu’un tour.
Mettant toute sa force dans ses bras, il tira d’un coup sec l’arme qui se dégagea dans un bruit spongieux et sans attendre l’abattit de nouveau sur le crâne du rongeur.
Affaibli, ce dernier n’eut pas le temps d’esquiver et ce second coup finit le travail avec brutalité et efficacité. La créature s’effondra net et eut un dernier soubresaut nerveux avant que son corps ne s’immobilise définitivement, des morceaux de cervelle sortant de la plaie et une grosse flaque de sang se formant à ses pieds.
DING
1/10 Rats des champs tués
Marlon regarda la notification apparaître devant lui et comprit que l’interface avait intégré la quête comme dans un jeu classique à son grand soulagement, mais il ne put que se laisser tomber sur le sol, le souffle court et les yeux écarquillés. Son cœur battait à tout rompre et malgré la peur dont il avait été victime, une sensation grisante s’empara de lui. De la sueur coulait abondamment de son dos, imbibant son haut qui était déjà presque entièrement recouvert de sang de rongeur.
Il avait chassé un monstre et l’avait tué ! Lui, l’ancien infirme chétif à qui rien ne réussissait dans son ancienne vie. Une assurance nouvelle venait de poindre son nez dans le cœur de Marlon, et un plaisir certain l’avait envahi lorsque la mort s’était emparée du rongeur. Comme si sa colère avait trouvé un exutoire. Son cœur en avait été légèrement apaisé sur l’instant, et il savoura cette nouvelle sensation grisante.
Levant les yeux, il s’assura que l’autre rat n’avait pas été alerté par le vacarme, mais tout semblait normal. Il sentit quelque chose de gluant sous son postérieur et vit que le sang de sa victime s’était répandu jusque sous lui.
Il se releva rapidement et eut une grimace de dégoût quand il vit que ses habits blancs, bien que de pauvre qualité, étaient dorénavant maculés de sang de rat. Son palpitant était revenu à un battement régulier, aussi attrapa-t-il une oreille du rat et la trancha tant bien que mal avec son épée rouillée. Il la mit dans sa poche en pensant qu’il devrait trouver une solution plus viable pour transporter son butin. Mais ça attendrait.
Il ressentit un certain dégoût lorsqu’il toucha la chair spongieuse et rugueuse à la fois des créatures.
Il finit de chasser les trois autres créatures dans les champs récoltés et tout se passa plutôt bien vu qu’il utilisa la même technique et que ces rats n’étaient pas du tout intelligents. Il faillit juste mourir lorsqu’au troisième il prit un peu trop de confiance et qu’il attaqua avant que ce dernier ne l’ait dépassé. Il avait eu le temps de tenter d’arracher la tête de Marlon avec ses crocs mais celui-ci avait esquivé de justesse, sentant l’haleine pestilentielle du rat tellement il était passé près de sa cible.
Poussant un cri de rage, il l’avait embroché sur son épée et levé à la force des bras avant de le jeter contre une meule de foin. Le rongeur était mort sur le coup et Marlon, lui, avait survécu.
Cette sensation d’apaisement continuait de l’envahir lorsque les créatures poussaient leur dernier souffle, et il y prenait de plus en plus plaisir.
Il finit de récupérer les trophées, ignorant la notification lui indiquant qu’il avait tué quatre rats sur dix.
Il continua son dur labeur en utilisant la même tactique pour attirer les rats cachés dans les champs non récoltés. Marlon n’était pas suicidaire, hors de question d’aller les débusquer là où il ne les verrait pas. Les affronter en terrain découvert était déjà compliqué et mettait ses nerfs à rude épreuve. De plus, le soleil était maintenant au zénith, et une chaleur étouffante s’était rajouté à l’épreuve de chasse.
A aucun moment il ne baissa les bras, et il continua inlassablement à attirer puis embusquer les rongeurs géants.
Celui lui prit encore deux bonnes heures, ne voulant pas précipiter les choses et se faire ouvrir littéralement en deux par un de ces monstres de cauchemar, et au bout de ces deux heures il était presque entièrement recouvert de sang et de morceaux de cervelle.
Quelqu’un l’aurait aperçu à ce moment, il se serait sûrement enfui en courant et probablement aussi en hurlant.
Lorsqu’il asséna son dernier coup d’épée, une nouvelle notification apparut devant ses yeux.
Ding
Rat des champs tués : 10 /10
Dirigez-vous vers Akranio au nord-est pour rendre la quête.
Marlon remarqua également que certaines de ses stats avaient augmentées après cette chasse intense et très physique. Sa force avait augmenté de quelques points ainsi que son endurance. Même ses réflexes étaient montés d’un point !
En rendant la quête, il gagnerait même quelques récompenses ! Pour une première journée dans Néo-Life, il trouvait qu’il ne s’en sortait pas trop mal.
Une fois la chasse terminée, il récupéra toutes les oreilles de rat qu’il avait coupées et les fourra tant bien que mal dans ses poches. Elles tenaient à peine dedans et le jeune homme était sûr que s’il en perdait une, il devrait chasser un autre rat. Ultra réalisme oblige. Il regarda autour de lui, cherchant une solution, quand une idée lui traversa la tête.
Il alla couper quelques gerbes de blé et commença à les tresser les unes avec les autres. Plus jeune, lorsqu’il allait encore à l’école, ils avaient fait une excursion au Musée du Souvenir avec tous les autres enfants. Harcelé, il avait eu une journée immonde, mais l’une des activités de la journée avait été de redécouvrir comment tresser divers contenants avec n’importe quel type de fibre. Merci au système éducatif ! Peu de choses lui avait réellement servi mais tout n’avait pas été perdu, la preuve !
Quelques minutes plus tard, il avait son panier fait en blé, qui bien que pas très solide, ferait largement l’affaire pour transporter ses trophées jusqu’au village. Il ramassa son arme et suivit le chemin en pierre qui menait à l’extérieur des champs, grimaçant alors que ses pieds commençaient à souffrir à cause des lanières en cuir des sandales. Son corps neuf était aussi sensible que celui d’un nouveau-né, avec la force d’un homme. Etrange paroxysme, mais il ne s’en plaindrait pas.
Quand il dépassa le champ de blé qui coupait la vue, il en resta bouche bée.
Jamais il n’avait vu tel paysage.
Caché par les hautes gerbes et les meules entassées, il voyait maintenant un spectacle qui lui coupa le souffle.
Il se trouvait dans une grande prairie, le long de laquelle coulait une rivière limpide où l’on pouvait apercevoir quelques poissons sauter joyeusement hors de l’eau. Le bruit que faisait la rivière s’écoulant était paisible mais puissant à la fois, intimant la prudence à ceux qui s’en approchaient.
Jamais il n’avait vu une eau si transparente et même s’il savait ce que c’était, il ne put s’empêcher de ressentir une pointe d’appréhension devant le cours d’eau. Aucun humain depuis au moins un siècle n’avait vu telle chose sur Terre. La pollution et les divers dérèglements climatiques avaient eu raison des poches survivantes de la nature. Un cours d’eau qui ne sentait pas les égouts était chose miraculeuse pour lui.
Cette prairie continuait sur des kilomètres, et le jeune homme devina un village de taille modeste au bout de ce chemin pavé. Une palissade en bois faisait le tour du hameau et tous les bâtiments à l’intérieur semblaient également construits avec du bois massif. Derrière le village se trouvait une forêt qui s’étendait à perte de vue, telle qu’il n’en existait plus depuis très longtemps sur Terre.
Clou du spectacle, le fond de cette magnifique carte postale était une chaîne de montagne aussi haute que longue, semblant presque les entourer de ses pics blancs et glacés. Il la voyait maintenant bien plus clairement et fut ébahi par ce décor.
Il admira pendant un long moment la vue magnifique s’offrant à lui, mais il fut vite dérangé par l’odeur pestilentielle qu’il dégageait. Senteur de tripes et cervelles, version rat. Rien d’appétant, ni de plaisant.
Sans plus attendre, il se dirigea vers la rivière et posa son panier plein d’oreilles velues avant de sauter sans réfléchir dans l’eau transparente, où il avait pied et ne pouvait couler, ne sachant pas nager. Il eut le souffle coupé car malgré la chaleur ambiante, l’eau était glaciale. Mais cela lui fit du bien, et il se frotta assidument pour enlever tout reste de cervelle ou trace de sang. Ses habits avaient maintenant une couleur rosâtre qui détonnaient particulièrement avec les environs. Heureusement, il n’y avait que très peu de profondeur et son appréhension avait très vite disparue pour laisser place à un contentement profond. Il devait bien être le premier humain à se baigner dans une eau si limpide depuis des centaines d’années !
Marlon ne traina pas trop et se remit en route vers le village, voulant valider sa quête et se reposer un peu, car maintenant que l’adrénaline était redescendue tous ses muscles étaient fourbus, et il sentait que la concentration dont il avait fait preuve avait drainé ses forces mentales. Qui plus est, bien que son bain l’ait un peu nettoyé, sans savon cela restait une toilette plus que sommaire.
La marche lui prit une bonne heure, et il en savoura chaque instant. Chaque respiration était un bonheur incroyable malgré la fatigue et il arriva même à oublier pendant quelques instants le trouble de son cœur ainsi que ce qui l’avait amené ici.
Mais cela ne dura pas. Arrivant au village, son visage se renfrogna et son cœur se referma. Sa démarche se fit plus abrupte et inconsciemment, il se vouta quelque peu ce qui lui donna une attitude encore plus menaçante. Les pensées mises de côté par l’action et le combat refirent surface, et il se repassait sans arrêt la scène de la mort de sa mère, se culpabilisant par son inaction et sa faiblesse d’alors.
Akranio était une toute petite bourgade entourée d’un mur en bois bardé de piques qui dissuadait certainement quiconque de passer au-dessus. L’entrée du village était gardée par quatre gardes, vêtus d’une armure en cuir et de lances en métal à l’air tranchant et effilé. Tous les quatre se raidirent à l’approche de Marlon, et une certaine tension s’installa alors que le jeune homme arrivait devant eux.
« Qui êtes-vous et que venez-vous faire à Akranio ? » demanda l’un d’eux d’un ton qui, s’il n’était pas menaçant ni impoli, ne laissait aucune place à autre chose qu’une réponse immédiate.
Ne voulant en aucun cas affronter des PNJ qui le démoliraient certainement en un quart de seconde, Marlon salua de la tête et répondit au garde.
« Je me nomme Revenge Drelor, et je viens réclamer ma récompense pour avoir chassé les Rats des champs », dit-il en tendant doucement le panier de blé rempli d’oreilles. « Dois-je m’adresser à quelqu’un en particulier ? »
Les hommes se détendirent tout de suite, leurs épaules se relâchèrent et leur regard se fit plus amical.
« Dans ce cas, bienvenue à vous, Revenge ! Les Rats sont un fléau pour nous, merci de nous aider dans leur éradication. Vous pourrez trouver Selia, la Chasseuse ayant créé cette quête, au centre du village, la grande maisonnée rouge. Vous ne pouvez pas la louper. »
« Merci, messieurs. Je vais donc aller récupérer ma récompense de ce pas. »
Marlon s’avança donc dans le village alors que les gardes s’écartaient pour le laisser passer. Akranio n’était pas très grand, mais chaque bâtiment était magnifique, construit en bois massif et donnant une impression de solidité certaine. Des fenêtres étaient placées dans les structures en bois et donnaient un air authentique à ces bâtiments qui semblaient sortis tout droits d’un autre âge.
Sur Terre, de telles bâtisses n’existaient plus. Le bois était bien trop précieux pour être utilisé comme matériau de construction. On préférait utiliser des dérivés de plastique et du nano-ciment qui possédaient bien moins de charme. Il apprécia donc de se retrouver dans un tel décor mais ne s’arrêta pas, voulant finir sa quête et se reposer après, avant de continuer à progresser dans ce monde enivrant.
Il trouva sans difficulté la maison rouge, appréciant la vie qui se dégageait d’Akranio. Les villageois vaquaient à leurs occupations et se hélaient pour se saluer, sourire aux lèvres. Leurs tenues étaient colorées et toutes semblaient assez brut de décoffrage, ce qui n’enlevait rien à leur charme. Certains d’entre eux tenaient des échoppes au bord de chemin et tentèrent d’appeler le jeune homme pour qu’il achète leurs produits, sans grand succès.
Certaines femmes suivirent des yeux ce grand et bel homme qui traversait leur village d’un pas décidé et se demandèrent s’il était célibataire.
Marlon, lui, était complètement hermétique à de telles considérations, et une fois arrivé devant la maison de Selia il frappa à la porte.
Quelques secondes s’écoulèrent avant que quelqu’un n’ouvre la porte. C’était un homme grisonnant, les sourcils froncés et un ventre proéminent, qui apparut devant lui.
« C’est pour quoi ? »
Son ton était bien moins aimable que celui des gardes mais le jeune homme n’en prit pas ombrage et tendit son panier devant lui. Son instinct lui criait de ne pas se fier aux apparences et de se méfier de cet homme, aussi prit-il son ton le plus aimable pour s’adresser à lui.
« Je viens récupérer la récompense pour avoir chassé les rats des champs. Je dois rencontrer quelqu’un se nommant Selia…serait-ce vous ? »
Le vieil homme piqua un fard sous la remarque et s’empressa de répondre en secouant la tête avec véhémence.
« Nooon non, je ne suis pas Selia, enfin voyons, Selia est ma fille ! Veuillez me suivre, jeune homme. »
Le vieux marmonna quelques incongruités dans sa barbe et Marlon rit sous cape, content d’avoir mouché ce vieillard impoli. Il le suivit dans la maison et fut surpris de voir la décoration spartiate de la maison, jurant avec la richesse de l’extérieur en bois. Ce qu’il n’avait pas encore compris, englué dans ses habitudes terriennes, c’est que le bois était vraiment une ressource basique ici et que cela ne signifiait pas du tout richesse et opulence.
En fait, les habitants d’Akranio étaient pauvres, comparé au reste du continent, et ils subsistaient grâce à la vente du peu de ressources dont ils disposaient.
Le jeune homme arriva dans ce qui devait être la salle à manger, ou une table en bois massif occupait la majeure partie de la pièce. Une femme était assise à l’extrémité de cette table.
Devant être aux alentours de la quarantaine, elle avait un visage sévère qui n’était pas sans beauté et son regard vert d’émeraude semblait vous transpercer et lire en vous comme dans un livre ouvert. Une cicatrice courait du coin de sa lèvre jusqu’à ses yeux, lui ajoutant un côté dangereux.
Ses cheveux, d’un brun profond, étaient attachés soigneusement en chignon et pas un ne dépassait.
« Selia, un aventurier a chassé les rats et est venu récupérer sa récompense. Je vous laisse discuter. »
Il sortit de la pièce en reniflant ostensiblement devant le jeune homme, ne cachant même pas son mépris.
Levant des yeux d’un vert cristallin vers lui, la Chasseuse lui demanda alors :
« Où sont les oreilles de rats ? »
Son ton n’était pas agressif, mais une autorité naturelle en émanait et la rendait encore plus impressionnante.
« Tenez, voici les trophées… » dit Marlon en lui tendant son panier de blé.
Elle eut un regard curieux devant le petit sac tressé que le jeune homme lui tendit, mais ne fit aucune réflexion. Elle ouvrit le paquet et compta scrupuleusement les oreilles, s’assurant même qu’il n’avait pas triché et placé deux oreilles d’un même rat dans le lot.
« Bien, le compte y est, voici ta récompense », ajouta Selia en lui lançant une petite bourse en cuir.
Ding
Quête accomplie. Vous recevez 5 pièces de cuivre. Votre influence dans la région d’Akranio augmente de 2.
Ding
Vous passez niveau 2. Vous pouvez vous initier aux Runes grâce à votre classe mais vous devez trouver un instructeur.
« Tiens, voici la carte de la région, ça pourrait t’être utile si tu comptes chasser dans le coin encore quelques jours. »
« Y a-t-il d’autres créatures dont vous aimeriez vous débarrasser ? » demanda Marlon en prenant la carte que lui tendait Selia.
Elle le dévisagea un peu plus intensément et finit par hocher la tête.
« Disons que nous aurions l’utilité de quelqu’un de motivé pendant quelques jours, voire quelques semaines. Mais avant tout, tu devrais aller te reposer et te laver. Désolé de te dire ça, mais tu pues le rat crevé », finit-elle en riant à sa propre blague. Même son rire était puissant et charismatique.
« Où est ce que je pourrais passer la nuit ? »
« En sortant d’ici, vas tout droit et continue jusqu’à tomber sur l’auberge. Tu ne pourras pas la louper, un grand signe indique sa présence. Demain, je viendrais te voir afin de voir si tu es motivé ou non. Et dis à l’aubergiste que tu viens de ma part, il ne te fera pas payer la chambre. Le premier soir, au moins. Et par pitié, prends un bain, je ne rigolais pas pour l’odeur. »
« Haha, je vais y aller. Juste par curiosité, d’autres aventuriers comme moi sont-ils déjà venus ? »
« Nous avons eu des visiteurs il y a quelques mois, mais c’étaient des soldats de l’Ordre Draconique. Peu d’aventuriers passent par ici car nous ne sommes pas sur une route marchande… »
Marlon la remercia une dernière fois et prit donc la direction de l’auberge. Quelques minutes plus tard, il avait rencontré l’aubergiste, demandé un bain et surtout commandé une assiette de légumes et de viande car il était mort de faim après cette journée incroyable. Il ne fallait pas presser les choses, il le sentait, aussi attendrait-il demain pour poser des questions à Selia sur un possible maître des runes ou quelqu’un d’approchant.
Quand la nourriture arriva, ce qui le frappa en premier fut l’odeur. C’était incroyable ! Il sentait des arômes épicés, profonds, chatouillant ses narines et le faisant saliver instantanément.
Jamais il n’avait senti ça sur Terre. La nourriture qu’on avait là-bas était généralement synthétique, des tubes de nutriments parfaitement équilibrés et censés répondre aux besoins du corps humain. Ils n’avaient aucune odeur, et le goût était chimique, dépendant beaucoup de la qualité du tube.
Seules les élites les plus riches et influentes avaient accès à de la nourriture fraîche, et Marlon n’avait jamais fait partie de ce cercle.
Il attrapa un morceau de viande et lorsqu’il mordit dedans, une larme coula le long de sa joue. C’était encore meilleur en bouche qu’au nez. Ses papilles s’affolèrent et même son cerveau eut du mal à enregistrer toutes les saveurs qui lui parvenait.
Sans plus attendre, il se jeta sur l’assiette et dévora comme si sa vie en dépendait, redemandant deux fois du rab. L’aubergiste le regarda bizarrement, mais une fois que le jeune homme eut posé une pièce sur la table, toute réserve s’envola du regard du tavernier et il fut promptement resservi.
Une fois ses besoins satisfaits, propre et repu, il alla dans la chambre que l’aubergiste lui avait attribuée.
Trop fatigué, il se dit qu’il jetterait un coup d’œil à l’Interface plus en détail le lendemain, son corps réclamant à corps et à cris de dormir.
Il s’écroula alors dans le lit, fait de plumes et moelleux comme jamais il n’avait connu ça, et plongea dans un sommeil profond et réparateur. Même si l’on avait tiré un coup de canon à coté de ses oreilles, il ne se serait pas réveillé.